Chapitre 14.

Lorsque Minerva arriva sur place, tout près de la partie à présent mise à nue de la tour, sa gorge s'étrangla d'effroi. L'explosion qu'elle avait entendu avait fait s'écrouler tout une partie du couloir donnant sur son bureau. A quelques centimètres près, elle y passait.

Elle retourna donc vite dans ce dernier et passa par un autre chemin qui l'amena en contrebas du château. Une équipe d'Aurors arriva au même instant, accompagnée de Pomfresh et d'une brigade de medicomages portant le seau de Sainte Mangouste.

Poppy avait dû les appeler.

D'un geste de la tête, elle la remercia silencieusement avant de voir la silhouette de Kingsley s'approcher d'elle.

« Minerva, enfin vous voilà ! Vous allez bien ? Je suis venu immédiatement quand j'ai appris ce qu'il s'était passé ! »

Dieu merci, depuis la chute de Voldemort, l'homme était devenu Ministre de la magie. Le meilleur qu'elle n'ait jamais connu par ailleurs, mais il n'avait pour autant pas perdu de vue ce qui lui était cher et ce pour quoi ils s'étaient tous battus.

« Je vais bien. Heureusement, cette explosion est arrivée durant une heure de classe, et aucun élève ne se trouvait dans le secteur. Nous devons absolument faire l'appel et vérifier que tout le monde est là.

_ Bien, acquiesça le sorcier. Percy, William, allez-y. Minerva, accompagnez-moi. On doit essayer de comprendre ce qu'il s'est passé. »

xXx

Hermione soupira, pour la dixième fois au moins depuis une heure. Enfin, c'était ce que Snape imaginait, compte tenu du fait qu'il n'avait rien sous la main pour se repérer dans le temps.

Mais ce soupir-ci était celui de trop. Il ne connaissait que trop peu Hermione Granger, mais pouvait se targuer de savoir quand cette femme se retenait de poser une question. Or, cela semblait la démanger depuis bien trop longtemps.

« Bon, ça suffit maintenant, aboya-t-il enfin. Crachez le morceau.

_ Qu'est-ce que j'ai dis ?

_ Vous avez cette même expression idiote que vous avez quand vous crevez d'envie de lever votre main durant une de mes classes alors… »

Snape se redressa pour lui faire face et plissa les yeux vers elle d'un air dur.

« Balancez-moi ce qui vous taraude, qu'on en finisse. »

Hermione déglutit, puis tenta d'éviter son regard. Mais autant dire que c'était assez difficile dans la position où ils se trouvaient. Alors, elle se mordit la lèvre inférieure et tenta de fixer un point imaginaire, sur son épaule.

« Je songeais… à quelque chose…

_ Quoi ?

_ Que c'était un drôle de hasard… Tout ça.

_ Tout ça quoi ? finit-il par s'agacer. Bon sang, mais qu'est-ce que vous voulez dire à la fin, nom d'un botruc ? Soyez plus claire.

_ Hé bien, lorsque nous nous sommes… embrassé la première fois, un iceberg s'est mis en travers de notre chemin. Et là, c'est une véritable explosion qui nous a enseveli. »

Snape plissa le regard, puis le fixa à son tour sur la pierre face à lui, à défaut de trouver la force d'affronter la vision de son visage.

Il aurait préféré ne pas aborder de nouveau ce sujet, en particulier dans cette position, et plus encore dans cet endroit d'où ils ne pouvaient s'échapper. Au moins, l'obscurité cachait son rougissement, même si le silence qui s'en suivi était assez équivoque.

« Désolée, marmonna la jeune femme. C'est vous qui avez insisté.

_ Oui et je devrais parfois tourner ma langue sept fois dans ma bouche avant de l'ouvrir.

_ Si on met de côté l'aspect gênant de la situation, la question est pourtant légitime à se poser Monsieur. »

Snape tiqua à l'emploi du terme Monsieur et grimaça avant de se plonger au plus loin de ses pensées. Cette fichue Gryffondor avait raison. Bien évidemment, elle avait toujours raison, en fin de compte.

« Ce serait le lien ? finit-il par soupirer.

_ Je l'ignore… Après tout, personne n'en connait la nature.

_ Vous auriez vraiment dû le couper quand vous en aviez l'occasion.

_ Ou alors ce n'était qu'un hasard.

_ Le hasard n'existe pas en magie. »

Hermione le savait, mais elle avait espéré qu'il acquiesce. Alors, elle soupira de lassitude en laissant plus encore reposer sa tête sur le sol. C'était d'ailleurs, fort désagréable car cette dernière se trouvait dans l'angle d'une fissure qu'elle pouvait sentir contre son crâne.

« Je vous répète que ce n'était pas facile.

_ En quoi aurait-ce pu être si compliqué de clôturer une porte au juste ?

_ Chaque fois que je me rapprochais des effluves magiques, j'entendais nos voix murmurer des choses.

_ Des choses ? Vous ne m'avez jamais parlé de ça. Qu'est-ce que c'était ?

_ Vous tenez vraiment à le savoir ? le mit-elle en garde.

_ Si ça peut nous permettre de mieux comprendre de quoi il en retourne, oui.

_ Je vous murmurais que la seule issue que mon coeur avait trouvé pour supporter la vie était de mourir pour vous. »

Snape ouvrit la bouche, avant de la refermer, coi. Il resta ainsi statique face à elle, le coeur battant.

« Et que malgré cela, nous serons ensemble à jamais. »

Snape se pinça l'intérieur de la bouche, avant de lentement hocher la tête.

« Il y avait… d'autres murmures, que je peinais à mettre bout à bout. Votre voix qui parlait d'attendre pour moi, qui parlait… d'amour, ce genre de choses, mais ce n'étaient que des bribes à peine perceptibles, balbutia Hermione, mal à l'aise.

_ Je vois… Peut-être que… cette catastrophe nous a créé une blessure émotionnelle trop grande que nous avons cherché à combler avec la magie.

_ Je ne pense pas. J'ai entendu le professeur McGonagall dire que vous m'aviez déjà communiqué de la chaleur quand vous me teniez la main durant le naufrage. »

Hermione resta silencieuse un instant et Snape en profita pour réfléchir calmement à la situation. Mais il n'y trouvait rien à penser, rien à réécrire.

« Peut-être que la volonté de me sauver était plus forte que le reste, murmura-t-elle.

_ Que voulez-vous dire ? demanda Snape sur un ton tout aussi bas.

_ La magie prend sa source à travers les émotions. C'est ce que nous appris l'histoire d'Harry et… de sa mère. Non ? »

Snape ne la regardait déjà plus, plongé dans sa psyché.

« Ou c'est une malédiction, finit-il par clamer d'une voix plus sombre. »

Hermione l'observa, sans parvenir à réprimer un frisson désagréable. Elle avait l'air blessée, et il aurait pu… du, faire preuve de plus de tact. Pour une fois, il s'en voulait d'avoir été si brutal et de tâcher cette belle histoire qu'elle se racontait. Il n'aurait guère aimé que quelqu'un agisse de cette façon avec lui, mais il lui fallait comprendre, avant le reste. Avant les sentiments.

« J'ai entendu Sybille parler d'empreinte karmique, dit-il.

_ Alors… selon vous… ce lien serait quelque chose qui serait voué à se reproduire encore et encore ?

_ Oui, en somme : une malédiction. Vous me disiez que les effluves magiques s'étendaient sur d'autres portes. Peut-être avons-nous vécu d'autres catastrophes dont nous ne souvenons pas. Je pourrais…

_ Il est hors de questions que j'y retourne, le mit-elle en garde en lui coupant la parole.

_ Ce ne serait qu'un peu de legilimencie, tenta-t-il de minimiser.

_ Je ne veux pas revivre ça, nia-t-elle avec douleur. Avec vous, encore moins.

_ Je ne retournerais pas dans nos souvenirs du Titanic, juste vers l'instant où vous étiez dans le couloir.

_ J'ai dis non, Severus ! »

Le sorcier resta choqué par son ton catégorique, presque hargneux autant que par l'usage de son prénom. Il eut l'impression de retrouver Hermione Marshall devant lui, le temps d'une seconde à peine.

Hermione, réalisant ce qu'elle venait de dire, se racla la gorge de gêne avant de détourner le regard.

« Je préfère que nous ne parlions plus de cela… murmura-t-elle. »

De nouveau, un long silence s'installa. Cette fois, il ne fut interrompu par ni l'un, ni l'autre. Snape finit par se laisser couler sur le corps de la jeune femme, à défaut de ne pouvoir faire autrement. Et elle laissa échapper un soupir discret lorsqu'il y eut moins de risque de croiser son regard. Son inspiration fit remonter à son nez, l'odeur de son parfum qu'elle tenta d'occulter.

Alors, Hermione ferma les paupières et sans le contrôler, plongea dans le sommeil.

xXx

Il s'était assoupi.

Il ignorait quand, comment, mais il se réveilla avec le visage presque niché dans le cou d'Hermione Granger.

Son parfum inspirait les bougies en cire à la vanille présentes dans la bibliothèque, poussiéreuses et résineuses, dont la mèche infinie ne s'éteignait jamais. Mais l'odeur de sa peau y ajoutait un aspect qui la rendait si reconnaissable. Snape prit une inspiration un peu plus profonde avant de cligner des yeux.

Ce n'était pas la récupération de la fatigue qui l'avait réveillé.

Hermione s'était agitée, et quand il avait levé un regard discret vers son visage, il y avait vu toutes ces grimaces dues à la douleur ; sans compter sur sa position qui lui avait fait entendre les battements de son coeur explosant dans sa poitrine.

« Ça va ? chuchota-t-il. »

C'était sans doute la première fois qu'il paraissait si concerné par le sort de qui que ce soit. Hermione n'ouvrit pas les paupières pour autant, se contentant de nier vivement d'un mouvement rapide de la tête, les yeux si fermés qu'ils commençaient à lui faire mal eux aussi.

« C'est votre jambe ? »

Elle acquiesça, de nouveau sans mot. Snape se pinça les lèvres. Il ne connaissait aucune formule capable de couper la souffrance physique. Quant à des potions, il en avait une liste longue comme le bras en tête, mais aucune en stock sur lui.

« Essayez de… respirer plus calmement. »

Il n'était pas doué pour rassurer ou soulager quelqu'un, mais il doutait que s'essouffler de la sorte ne l'aide.

« Désolée, gémit-elle, sans y parvenir.

_ Plus vous respirez vite, plus votre coeur bat vite, et plus la douleur sera intense. »

Hermione hocha la tête, mais c'était presque impossible à exécuter. D'un côté, c'était peut-être rassurant. Cela signifiait que le sang circulait toujours dans sa jambe et qu'elle ne finirait pas amputée. Mais bon sang, elle donnerait n'importe quoi pour être ailleurs.

D'un geste un peu impulsif, Snape prit délicatement sa main et la posa sur son torse. Il s'était redressé et Hermione avait enfin ouvert les yeux, par surprise. Sans un mot, il serra un peu ses doigts et lui accorda un regard un peu plus intense, afin qu'elle suive ses indications implicites.

Hermione déglutit et ferma les paupières, sans voir que le potionniste avait fait de même. Elle sentait ses propres battements à travers son costume, et la chaleur rassurante de sa paume. Peu à peu, elle parvint à caler sa respiration sur la sienne, et ce fut comme s'ils s'étaient plongés sans le vouloir dans une sorte de bulle.

Hermione soupira de soulagement au bout de plusieurs minutes, car la douleur était bien moins vive. Toujours présente certes, mais un peu plus tolérable.

« Vous allez mieux ? murmura-t-il. »

Hermione déglutit en acquiesçant enfin. Comme s'il l'effleurait, Snape ôta sa main. Pour autant, la jeune femme ne se défit pas de la position de la sienne. Snape retint lui aussi, un soupir, comme si ce geste simple le soulageait lui aussi.

Une fois encore, Hermione retrouva la vue et fixa un instant la position de ses doigts, avant de retrouver le regard étrange du maître des potions. Leurs souffles se coupèrent. Ils étaient proches, si proches qu'elle sentait l'air se tarir sous ses expirations. Snape déglutit un faible instant. Il s'approcha un peu plus avant de sentir une faible pression de la main d'Hermione sur son torse, comme le retenant subtilement de ne pas aller plus loin.

D'un regard, il l'interrogea et Hermione se mordit l'intérieur de la bouche.

« Vous aviez raison, chuchota-t-elle. A propos de cette possible… malédiction. »

Il était si proche qu'il lui semblait que son nez pouvait frôler le sien, à quelques millimètres près. Mais il savait ce que ces mots signifiaient.

A la moindre occasion, d'un rapprochement de la sorte, ils prenaient le risque d'en mourir.

« Alors… Vous êtes d'accord pour la legilimencie ? demanda-t-il d'une voix basse, sans se défaire de sa position.

_ Je vous fais confiance, prononça-t-elle avec sincérité. »

Snape réprima un frisson ainsi que cette sensation soudaine de gorge sèche. Il aurait aimé s'enfuir, ce qui serait bien sûr peu évident dans cette position. C'est de cette façon qu'il réalisa que, face à Hermione Granger, il avait toujours préféré adopter cette solution lâche de repli. Pour autant, il n'était pas dupe. Contenir cette foule d'émotions qui le traversait depuis la mise en évidence de leurs vies antérieures respectives n'était guère aisé.

« D'accord, finit-il par balbutier avant de se racler bruyamment la gorge. Connaissez-vous le processus ?

_ Un peu, mais… de ce qu'Harry m'a raconté, ça n'avait pas l'air d'être une partie de plaisir.

_ Ce sera différent. Je ne vous apprendrais pas l'occlumencie, ce sera tout l'inverse. Tout ce que vous avez à faire est de vous… détendre, et de vous laisser faire. »

Hermione prit une inspiration qu'elle bloqua sans s'en rendre compte. Snape glissa deux doigts sous son menton et plongea son regard dans le sien.

« Vous êtes prêtes ? demanda-t-il. »

Hermione déglutit. Puis, elle souffla un oui, et Snape, du bout des lèvres, un « legilimens ».

Elle ne prit pas mal son intrusion, bien au contraire. Le sort sembla glisser sur elle comme du miel, et elle aurait pu en soupirer d'aise si elle n'avait pas été sous son joug.

Sa présence s'imposait en elle, sans que cela ne la dérange outre mesure. Hermione sentit Snape fouiller dans ses souvenirs dans le but de se rendre à un instant précis. C'était étrange, elle avait cette impression de fusionner avec lui, de vivre quelque chose d'intime, bien plus que n'importe quoi d'autre.

Alors qu'il parcourait son être, il fit passer plusieurs souvenirs sans importance.

« Qu'est-ce que vous faites ? laissa-t-elle échapper dans sa tête.

_ Je m'immisce pour pouvoir accéder aux parties les plus inconscientes. Mais je vous ai dis de vous laisser faire. »

Son ton était un peu taquin, loin du piquant habituel et elle laissa échapper un faible rictus avant de remuer un peu sur place.

« Désolée, lui murmura-t-elle. »

Snape se sentit déstabilisé un instant par le mouvement de ses lèvres et le souffle de chaque mot près du sien. Alors, il secoua la tête, et reprit ses esprits avant de retourner dans celui de la jeune femme.

Il fit venir à lui plusieurs souvenirs, volontairement désuet. Hermione eut l'impression que cela faisait des heures, subissant la perception du temps de ses souvenirs dans le réel. Il y avait cette fois où elle avait visité Disneyland avec ses parents avant de se faire prendre en photo avec Mickey avec son doudou rose dans les bras, celle où elle avait découvert qu'elle pouvait faire léviter des livres et qu'elle s'était amusé à lire un roman pour adolescente au dessus de sa tête toute une nuit. Placide, Snape avait assisté à tout sans un mot, sans jugement, d'un souvenir de balade au parc à celui de sa première bieraubeurre. Peu à peu, Hermione se sentait dériver vers un état second, proche de celui dans lequel on baigne avant de tomber dans le sommeil, comme une semi-conscience.

C'est à cet instant, et au bout d'un long moment que Snape décida de faire revivre à la jeune femme l'hypnose de Sybille. Malgré elle, les mots de la prophétesse firent écho et elle retrouva le chemin, cette fois accompagnée. Snape la suivit dans ce scénario que la voyante avec tissé. Ainsi, il se retrouva dans un parc, simple et vert où coulait une petite rivière surplombée d'une cascade. Un chemin fait de pierres les amenèrent derrière la chute d'eau, dans une sorte de caverne souterraine d'où on pouvait entendre le bruit de gouttelettes tomber à intervalles réguliers. Snape suivit la jeune femme qui marcha le long de ce tunnel, pour parvenir à une clairière immense pourvu d'un grand et beau château immaculé.

Il l'était tant que la lumière les firent plisser des yeux.

Toujours sous le coup de cette hypnose, Hermione avança sans un mot jusqu'à la bâtisse. Une fois encore, le chemin était peut-être facile, mais long et haut. C'est un peu essoufflée qu'ils étaient arrivés devant la porte dont Hermione détenait la clé, une toute petite clé en or tenant à peine dans sa main. Elle la fit tourner dans la serrure, si minuscule comparée à la taille gigantesque de cette entrée et pénétra dans cet intérieur cosy, chaleureux et réconfortant. Machinalement néanmoins, Hermione s'avança vers un petit salon, puis une cheminée. Après avoir glissé dans l'âtre sans aucune hésitation, ils se retrouvèrent enfin en haut d'un long escalier donnant sur des portes.

Les fameuses portes.

Ce n'est qu'à cet instant que Hermione se tourna enfin vers Snape, comme si elle venait de sortir partiellement de sa transe.

Son regard venait de changer, et elle affichait une mine surprise. Pour ainsi dire, elle n'avait pas senti que son esprit avait reprit le chemin de cet endroit avant de s'y retrouver réellement. Et Dieu, elle n'avait pas l'air ravie d'être ici.

« Où est-ce que c'est ? demanda le potionniste.

_ Il faut… je dois retrouver le chemin. C'est un véritable labyrinthe ici. »

Sa voix sonnait étrangement, comme si elle parlait dans une pièce totalement insonorisée au beau milieu de toute cette immensité.

Snape se contenta d'acquiescer. Il ne fit aucun commentaire, mais songea que c'était sans nul doute l'expérience légilimentique la plus étrange qu'il n'ait jamais pu faire.

Il réalisa également à cet instant à quel point sa « brillante idée » pouvait avoir de graves conséquences.

Car après tout, il venait de se faire presque piéger dans l'inconscience profonde de quelqu'un. Et ce niveau était le plus bas, le plus profond qu'il n'ait pu voir. C'était même un miracle qu'il puisse communiquer avec elle à ce stade.

Visiblement, l'hypnose induite par Sybille devait être sacrément efficace. Second miracle.

Snape suivit la jeune femme le long des couloirs, et le nombre pharaonique de portes lui donnant déjà mal au crâne. Chacune était pourvu d'un numéro, sans qu'il n'y ait de cohérence quelconque sur leur enchainement.

« Votre porte possède quel numéro ?

_ 1276. Pour l'importance que ça a… soupira-t-elle. »

Cela signifiait peut-être quelque chose, mais en effet : à l'heure actuelle, ça n'avait pas franchement d'interêt.

« Comment est-ce possible d'avoir tant vécu ? demanda-t-il, plus pour lui-même qu'autre chose.

_ Je l'ignore… répondit Hermione. Et croyez-moi que si la précédente expérience n'avait pas été aussi désastreuse, ma curiosité me pousserait à franchir chacune de ses portes pour en découvrir les secrets.

_ Il faut croire que certains devraient rester… cachés, finit par prononcer le sorcier. »

Hermione se tut, les lèvres pincés. Elle continua d'avancer sans un mot durant de longues minutes et Snape devina que quelque chose clochait une fois encore. Mais cette fois, Hermione lui coupa l'herbe sous le pied en entamant elle-même la conversation.

« Vous pensez que celui-ci aurait du l'être ? demanda-t-elle avec timidité.

_ Vous pensez que savoir que nous avons été amants dans une autre vie nous a aidé depuis ? la questionna-t-il avec réthorique.

_ Vous avez vraiment envie d'aborder de nouveau ce sujet avec moi ?

_ Je suppose que non. »

Hermione cacha son amusement tant bien que mal, même si en un seul coup d'oeil, Snape vit cette toute petite fossette sur sa joue se former et son regard se détourner histoire de penser à autre chose pour ne pas rire face à cette situation. Quelque part, il partageait son amusement. Il préférait cela à en pleurer.

« Je préfère me dire que si nos précédentes vies nous ont permis d'acquérir nos pouvoirs, alors je ne l'échangerais pas. Et une partie de moi est même plutôt contente de connaître ce passé-ci. Je veux dire, nous sommes sans doute des privilégiés car cette expérience est vouée à ne pas se reproduire avec quelqu'un d'autre.

_ C'était tout de même une épreuve à revivre.

_ Oui. C'était tragique. Mais il y avait une part de beauté dans ce drame, lâcha Hermione, pensive. »

Snape plissa les yeux vers elle, mais Hermione n'eut pas le temps d'argumenter que son regard s'illumina lorsqu'il se tourna vers le fond du corridor dans lequel ils étaient.

« C'est par là ! s'exclama-t-elle avec une forme d'enthousiasme en retrouvant au loin la lueur bleutée des volutes magiques qui lui étaient désormais familières. »

Snape ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel, agacé qu'elle l'empêche sans cesse d'approfondir ce genre de sujet épineux. Mais à son tour, il la suivit et fut vraiment étonné de voir cette malédiction prendre forme et s'imposer ainsi entre les portes de ses vies.

Il n'avait jamais vu une chose pareille. Lorsqu'il fit un pas de plus, son regard se perdit sur ses pieds, et c'est là qu'il entendit ces chuchotements dont Hermione lui avait parlé.

Et Merlin, cela l'emmerdait de l'avouer mais elle avait raison sur toute la ligne.

C'était très difficile à entendre, et plus encore de se raisonner et se dire qu'il devrait briser… ça. Chaque mot, chaque murmure qui parvenait à ses oreilles lui donnait ce sentiment que tout était sincère, authentique, pur…

« Alors ? demanda Hermione en brisant le silence. Qu'est-ce que vous en pensez ? »

Le sorcier prit une profonde inspiration avant de la regarder de nouveau. Et son coeur se pinça soudain. Il se demanda un instant si elle avait ressenti la même chose que lui en cet instant, et une étincelle dans ses pupilles lui indiqua que c'était le cas.

Ils s'apprêtaient à briser un lien présent depuis plus d'un siècle, quelque chose d'unique qui les liait d'une façon profonde. Peut-être que rien de cela n'était réel, que ces sentiments qui le parcourait à cet instant n'étaient que l'instar des effets de cette malédiction. Mais Snape comme Hermione se sentait brisé d'imaginer une prochaine existence l'un sans l'autre.

« Ce… lien est fort, finit par dire Snape après s'être raclé la gorge.

_ Je ne vous le fais pas dire… »

Avec prudence, il évita de toucher la fumée qui s'échappait de la porte et s'approcha des autres, comme si elles pouvaient lui donner les informations qu'il n'avait pas.

Il n'entendit même pas Hermione s'approcher de lui à pas feutrés.

« Vous pensez que nous étions plus dans ces vies ? »

Snape cligna alors des paupières vers la jeune femme, son coeur manquant un battement.

« Je ne sais pas, finit-il par avouer d'une voix basse. Mais sans aucun doute avons-nous été frappé d'une autre tragédie. Couper notre lien nous éviterait d'autres futures déconvenues.

_ Si nous sortons de ces décombres, se sentit-elle obligée de préciser.

_ Ce qui arrivera fatalement par arriver, finit-il par soupirer de lassitude devant son défaitisme.

_ Nous pourrions laisser ce lien intact si nous restons éloignés l'un de l'autre, suggéra-t-elle avec timidité.

_ Cela risque d'être compliqué, lâcha Snape sans réfléchir. »

Hermione lui jeta un regard surpris, et il se maudit instantanément d'avoir été si peu réfléchi dans ces paroles.

« Le lien je veux dire. Il nous pousse sans doute à agir dans ce sens, se précipita-t-il à rectifier. Ce qui explique notre attitude bizarre depuis.

_ Peut-être… mesura-t-elle sans un commentaire de plus. »

Comment ça « peut-être » ?

C'était même certain ! Jamais au grand, jamais il ne se serait senti aussi déstabilisé par Hermione Granger, la Miss Je Sais Tout exaspérante de Poudlard sans cette putain d'expérience. C'était illogique ! Son grand amour était et restera toujours Lily. Il n'y avait aucune discussion possible là dessus.

« Je vais fermer la porte, finit-il par prononcer d'un ton déterminé. »

Surprise par ce changement soudain d'attitude, Hermione le suivit d'un air un peu désorienté.

« Mais comment comptez-vous vous y prendre ?

_ Miss Granger, reprit Snape d'un ton protocolaire Dois-je vous apprendre qu'une porte comporte une poignée ? »

Hermione leva les yeux au ciel face à son sarcasme et jubila presque lorsque, en arrivant devant, ils se rendirent tout deux compte que la poignée justement était entourée de plusieurs entrelacements solides de ce lien magique, nouée comme le seraient plusieurs lianes, ou alors ces cordes qui avaient constitué le seau de la tombe de Toutankhamon.

« Vous disiez ? lui lança-t-elle d'un ton moqueur.

_ La ferme. »

Snape se mit alors à fouiller ses poches, mais sans succès.

« Si vous espériez trouver votre baguette ici, se moqua la Gryffondor avec amertume.

_ Vous avez fini de m'enquiquiner avec votre négativité ? J'essaie de réfléchir. »

Hermione se retint de ne pas rebondir. Sil y avait bien quelqu'un qui dégageait toute la négativité de l'univers, entre eux deux, elle ne serait pas l'élue.

Mais elle ferma sa bouche lorsqu'elle le vit, lèvre pincées, main sous le menton, bras croisés et yeux plissés vers ce lien.

Ils étaient face à une impasse. Mais rien n'était impossible. La vie le lui avait apprise. Alors, Snape reprit le fil de son existence, tentant de trouver une cohérence à tout cela avant d'avoir une sorte d'illumination.

« Granger. Ces choses ne vous font penser à rien ?

_ A un lien, se contenta de dire Hermione en soupirant avant de s'asseoir à même le sol, fatigué.

_ Rappelez-vous de la salle des prophéties, au département des mystères. »

Comment savait-il ça ? Elle n'avait jamais su s'il s'y était rendu lorsque Harry, Ron, elle, Ginny, Neville et Luna avaient été pris au piège. A cet instant, elle eut la réponse à cette question qu'elle ne s'était jamais franchement posé. Mais cela ne l'aidait franchement pas à l'heure actuelle. Devant son air perdu, Snape soupira.

« Elle était éclairée par des bougies ornées de flammes bleues.

_ Et alors ?

_ N'avez-vous jamais cherché à vous renseigner sur l'origine de ce département ? tiqua-t-il.

_ Dans un endroit tel que Poudlard, trouver des informations pareilles s'avère plutôt complexe figurez-vous. »

Et pour une fois, cela l'emmerdait de jouer au professeur.

« Le processus permettant d'extraire une prophétie est difficile, et prend forme dans un endroit tel que celui-ci. Enfin, de ce que j'en ai entendu de la part de Sybille durant ces diners assommants de pré-rentrée. Vous ai-je déjà dit à quel point elle était chiante durant cette période ? »

Hermione lui lança un sourire timide malgré elle avant de secouer négativement la tête.

« Bref. Elle se contente d'extraire une information qui se dessine sous la forme d'une fumée bleue qu'elle emprisonne par la suite dans un objet. Cela peut-être n'importe lequel, mais le protocole, sans doute un peu obsolète je l'entends, impose que cela soit sous celle d'une boule de cristal. Par la suite, cette magie se reflète dans les flammes des bougies présentes dans la salle des prophéties et permettant de s'y orienter. Et la salle des cerveaux, je ne vous en parle même pas… Ici, on dirait une sorte de fusion des deux. J'ai d'ailleurs même entendu dire que toutes les salles du département était liées les unes aux autres.

_ Oui… Il y a aussi la salle du temps où tout se répète… Et celle de l'amour, acheva Hermione après un léger rougissement, se rendant compte que tout collait avec leur situation actuelle.

_ Exactement.

_ D'accord, mais là, ce n'est pas une prophétie, nia Hermione.

_ C'est peut-être une de ses sous-formes. Et si vous voulez mon avis, ma théorie se confirme d'autant plus sur la possibilité que nous sommes face à des événements voués à se reproduire inlassablement si nous n'y mettons pas un terme. »

Cela ne les aidait vraiment pas. Pire encore, elle avait entendu dire malgré elle, qu'une personne non autorisée peut devenir folle si elle touche à ce genre de choses. Autant dire qu'ils avaient bien fait d'éviter tout contact si c'était le cas.

« Peut-être que la magie n'est pas présente ici, mais ce lien l'est. Et il puise dans les racines d'une magie très très primitive. Si primitive que… »

Fatigué de lui faire un cours, Snape préféra mettre à exécution sa théorie. Il s'avança vers les volutes de fumée, si proche que Hermione bondit d'un geste sur ses deux pieds, ce qui lui occasionna un léger tournis.

« Qu'est-ce que vous faites ? Eloignez-vous !

_ Faites-moi confiance, grogna-t-il sans la regarder. »

Hermione soupira. S'il devenait fou au sein même de son esprit, qu'allaient-ils advenir d'eux ? Cet homme était le sorcier le plus inconscient qu'elle n'ait jamais connu, et pourtant, seigneur elle était la meilleure amie d'Harry Potter en personne.

D'un geste, Snape tendit ses deux mains vers les effluves magiques des lianes qui semblaient réagir en une lumière plus forte encore.

« Ne faites pas l'idiot, répéta Hermione, à la fois paniquée et inconsciente de ses mots.

_ Il serait vraiment temps que vous arrêtiez de douter de moi.

_ Je ne doute pas de vous, j'ai peur, c'est différent. »

Snape tenta tant bien que mal de faire abstraction de ce qu'elle était en train de dire, s'efforçant de se répéter que ce n'était encore que ce maudit lien qui parlait à sa place. Avoir peur pour lui ? Connerie. Nul doute qu'elle n'était pas elle-même.

En se concentrant sur cette chose qui battait en lui, sa magie elle-même, il se rendit compte que son pouvoir lui permettait de ôter peu à peu les racines de la malédiction, lesquelles se rétractaient au fil des minutes vers la porte 1276.

Hermione sentit son regard brûler, non par l'émotion, mais par cette onde d'abattement qui venait de prendre place en elle. Le lien se fit alors plus difficile à maîtriser.

« Granger, grogna Snape, devinant que cette résistance venait d'elle. Vous voulez qu'on continue de mourir vie après vie ?!

_ Non, répondit-elle, un peu bouleversée. Mais…

_ Mais quoi ? aboya-t-il. »

Elle avait cette impulsion idiote et irraisonnée de lui dire qu'elle l'aimait et qu'elle ne voulait pas que cela disparaisse. Aussi tragique et difficile ait pu être l'expérience, cela tuait Hermione d'admettre qu'elle ne s'était pourtant jamais senti aussi vivante, aussi complète qu'après l'avoir vécu.

Snape vit l'hésitation dans son regard. Il devina que lui hurler dessus n'était pas la solution, mais quelle était-elle après tout ? Autant se tirer une balle d'avance que de savoir qu'un simple baiser pouvait les ensevelir sous trois tonnes cinq de pierres non ?

« C'est nécessaire, reprit-il.

_ Je sais, mais cela partait d'un sentiment si…

_ Vous voulez me voir mourir une nouvelle fois ? »

Hermione cligna alors des yeux, perdue. Une larme ou deux avait réussi à couler le long de sa joue.

« Quoi ? bégaya-t-elle.

_ Cette fois, ce pourrait être moi qui céderait en premier. Et vous aimez la vie, bien plus que ce lien. »

Et elle l'aimait bien plus que la vie, songea-t-elle dans l'immédiat, sentant ses joues s'empourprer si fort qu'elle ressemblait franchement à une tomate mure en plein été.

Merde, que lui prenait-elle de penser à des trucs pareils ? Elle devait avoir perdu la boule. Ou alors c'était ce lien. Non, c'était forcément lui.

« D'accord, se reprit-elle avec courage. Faites-le.

_ Non. Vous le faites avec moi, trancha-t-il. »

Hermione déglutit. Elle prit quelques secondes pour reprendre ses esprits, puis finit par acquiescer.

Alors, elle se positionna à côté de lui, lui qui se tenait si droit, si fier, si confiant face à sa carcasse abattue. Elle se sentait minable.

« Seuls ensembles, finit-il par murmurer, comme s'il voulait lui communiquer quelque chose. »

Elle ignorait ce qu'il avait voulu vraiment dire, tout en le sachant au fond d'elle. Le coeur battant à s'en rompre la poitrine, Hermione suivit sa façon de faire, tendant ses mains au dessus des tronçons magiques. Snape lui murmura deux ou trois instructions maigres, car lui-même ne savait pas vraiment ce qu'il faisait dans le fond.

Mais à leur étonnement, ça marchait. Hermione repoussait au mieux sa tristesse, s'efforçant d'imposer à son esprit mille et unes façons dont Snape pourrait encore mourir auprès d'elle. La perceptive d'un drame pareil qui se répéterait était bien plus forte que le reste.

Les lianes bleutées autour d'eux se rétractèrent, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus aucune. Cela semblait avoir épuisé Snape, bien plus que la jeune femme. Alors, sans réfléchir, alors qu'elle sentait la magie revenir pour reprendre possession des lieux, Hermione courut vers la porte et la claqua.

Ce n'est qu'à ce instant qu'ils sortirent de leurs visions en une seconde, pas plus. Le choc fut tel que Snape s'en étrangla dans son propre souffle, affichant soudain une panique aussi palpable que celle présentes dans les yeux d'Hermione.