Deux semaines plus tard, certains étudiants voient le Dr Fell attendre à coté d'une antique Bentley, et l'espace d'un instant, rien ne paraît sortir de l'ordinaire. Puis quelqu'un cligne des yeux et lui demande, « Ce n'est pas la voiture du Dr Crowley ? »

Le Dr Fell a l'air confus et agité, comme s'il était surpris à faire quelque chose qu'il ne devrait pas. Il ne s'attendait pas à une confrontation à ce moment-là, et il lui fallait toujours un instant de préparation pour arriver à gérer ces situations. Pour se donner le temps de réfléchir, il dit, « Ca me parait tout à fait exact. »

Un autre étudiant commence à demander pourquoi il attend là comme s'il allait partir avec le Dr Crowley, et les autres échangent des regards quand les rumeurs les plus récentes leur reviennent à l'esprit.

La voix du Dr Crowley, enrobée dans le sarcasme, les interrompt tandis qu'il approche d'un pas nonchalant pour sauver le Dr Fell de l'interrogatoire. « Vous n'avez jamais entendu parler de covoiturage ? »

Le Dr Fell ajoute bien trop rapidement, « Oh, oui, absolument, nous allons dans la même direction. Je vais chez moi, et il va chez lui. Il n'y a vraiment pas d'inquiétude à avoir, chers élèves. »

Ils imaginent la maison du Dr Fell petite, confortable, un cottage rempli de livres. (Ce Cher Anthony, leur a-t-il un jour dit, en avait assez que des piles de livres trainent partout et a donc monté des bibliothèques en plus pour les accueillir). Ils ne savent que trop bien grâce aux histoires du Dr Fell que son mari aime les jardins, donc il y a probablement une jolie pelouse et des parterres de fleurs, et c'est là que s'arrête l'image conjurée par l'association des histoires et de leur imagination.

Ils se représentent la maison du Dr Crowley comme un endroit sobre et vide, sans vie ni confort. Il ne dit jamais rien de sa vie privée. Ils doutent presque qu'il en ait une, mais certains l'ont vu en ville avec d'autres personnes, et ils ont entendu dire qu'il avait une femme.

Le Dr Crowley leur lance un regard noir, les lèvres serrées, et ils se poussent avant d'avoir eu ne serait-ce que la possibilité d'y réfléchir. Il dit alors d'un ton tranchant, « Le Dr Fell rentre auprès de son mari, et je rentre auprès du mien. Et nos vies privées ne regardent que nous. » Il se glisse dans la voiture et claque la portière sous une éruption de nouvelles rumeurs. (Il a un mari ? Je croyais qu'il avait une femme ? Alors ils trompent tous les deux leurs maris ?)

Aziraphale parvient à se retenir de glousser de rire jusqu'à ce qu'ils soient hors de vue. « Oh espèce de vieux serpent malicieux. Pas un seul mot dans tout cela qui ne soit pas vrai !

— J'espère bien. » Crowley se tourne vers Aziraphale, et son sourire rayonnant transforme son visage, jusqu'au point où les étudiants n'auraient que difficilement reconnu le féroce Dr Crowley.

« Regarde la route, Crowley » le réprimande Aziraphale, et Crowley obéit. Il ne détourne plus les yeux jusqu'au domicile qu'ils partagent, mais son sourire reste fermement en place.


Jo luttait pour réconcilier ce qu'iel avait vu de « Crowley » avec ce qu'iel avait entendu sur le « Dr Crowley » et, ce, avant même que les nouvelles rumeurs noient tout le reste. Les personnes malfaisantes et cruelles ne venaient pas en aide à des inconnus. Les personnes gentilles, généreuses et douées avec les enfants ne finissaient pas avec la réputation d'être vicieux, horribles et cruels. Pas sans qu'il soit arrivé quelque chose.

Prenez le Dr Fell, par exemple. Il était bon, doux et bienveillant, et sa réputation semblait en majorité concorder avec la réalité. Bien sûr, des rumeurs tournaient sur lui, surtout alimentées, d'après ce que Jo avait compris, par le fait que le Dr Crowley l'avait un jour regardé avec affection, et par les discussions qu'ils partageaient. Iel n'arrivait tout simplement pas à voir quel mal il y avait à apprécier quelqu'un d'aussi sympathique que le Dr Fell.

Quand iel avait répété tout cela à Mary, sa femme avait haussé les épaules en affirmant que tout deviendrait sans doute clair à un moment donné, et d'ailleurs est-ce que Jess avait déjà mangé ? Ces mots avaient clos la discussion.