En tant qu'idole, il n'était pas atypique de recevoir des lettres de dizaines, de centaines, de milliers de fans. Et pourtant, les membres les plus délaissés de chaque groupe n'en recevaient qu'une infime partie, voués à observer leurs amis empiler les enveloppes les unes sur les autres sans jamais les ouvrir.
2wink n'était pas si différent que ça : les lettres étaient en grande partie dédiées pour Hinata, et le peu que Yuta recevait ne pouvait apaiser ce sentiment d'infériorité comparé à son frère jumeau. Alors, chaque mardi soir, quand son grand frère dormait, il lui volait quelques lettres, puis, par honte et par jalousie, il les cachait dans sa chambre, dans des tiroirs qu'il fermait à clé. Même si il aimait lire tous ces mots d'amour, ces encouragements, le prénom 'Hinata' lui rappelait que ces lettres n'étaient siennes. Celles qu'il préférait étaient les lettres exclusivement écrites pour lui. Souvent, il se demandait où se trouvaient ces gens qui semblaient tant l'admirer - assez pour lui écrire sur du papier, quand taper sur un clavier était bien plus simple -, l'adorer, lui, plus que son frère. Celui qui, sans s'en rendre compte, attirait tous les projecteurs sur lui. Il le méritait, bien sûr, il était génial. Il était un bon chanteur, un bon danseur, une bonne personne. Et qu'avait-il, lui, Yuta ? Hormis un sentiment de déshonneur, rien ne l'empêchait de lire ces lettres à voix haute, en remplaçant le prénom de son frère avec le sien. Il était rare pour Yuta de recevoir plus de quelques lettres par semaine, et lorsque le nombre montait à dix, il semblait aux anges : il demeurait assis sur son lit, tentant de deviner quelle lettre à son nom avait la plus belle écriture, promettant à la plus belle d'être lue en premier. Puis il l'ouvrit doucement, comme si le papier manquait de se déchirer à son toucher. Pourtant, l'enveloppe semblait presque indestructible, de même façon que ses ongles arrivaient à peine à enlever la colle qui protégeait une feuille de papier à l'intérieur de l'enveloppe coriace qu'il dut couper à l'aide d'une paire ciseaux qu'il maniait avec peu d'élégance. Et c'est alors qu'à vingt-deux heures pétantes, observant le bout de lune qui arrivait en ville, Yuta commençait à lire la lettre attentivement, mémorisant chaque mot qui le valorisait. Une lettre se distinguait des autres : elle contenait une écriture plus soutenue que les autres - mais pas trop non plus -, avec une manière plus pure de le décrire et le complimenter, mais loin d'être enfantine. Elle était personnelle, et pourtant, il n'y avait pas grand-chose à relever sur l'identité de l'expéditeur. Il parvint à constater que l'expéditeur était un garçon, et, d'après l'adresse, il allait au même lycée que lui : Yumenosaki ! Normalement, il ne cherchait pas à retrouver ceux qui lui écrivaient, mais si il ne vivait pas loin, alors, c'était une occasion en or de se faire un ami. Il lut la lettre encore une fois, pour y dénicher plus d'informations. Ce garçon a une manière drôle, une manière étrange de parler. Il parlait presque comme les ninjas dans les dessins animés. Avant de s'inscrire à Yumenosaki, il n'avait jamais entendu quelqu'un parler plus formellement que ce garçon, alors il se sentit embarrassé d'avoir dû chercher certains mots sur internet.
Le lendemain, Yuta s'activait dans les couloirs, ne souhaitant pas être en retard pour la quatrième fois cette semaine - et ce jour-là était un mercredi matin. Lorsqu'il prit sa place dans la salle, son regard se fixait sur un garçon aux cheveux violets, un garçon qu'il avait déjà vu auparavant : il distribuait régulièrement des flyers, au lycée. Il en avait déjà accepté quelques-uns, mais ne les avait jamais lu. Et maintenant qu'il y pensait, il se dépêcha de les sortir de son sac - car il avait tout et n'importe quoi dans ce sac qu'il n'a jamais vidé intégralement depuis un mois au moins. Et après une lecture précipitée, essayant de ne pas attirer le regard du professeur sur lui, il apprit deux trois choses sur ce fameux club de ninjas. Avec quelques coups de stylo, il nota le numéro de la salle, qu'il était déterminé à visiter. Sans vraiment remarquer les regards noirs que lui lançaient son professeur, il commençait à rédiger une lettre, qu'il adressait au garçon qui m'avait écrit une lettre si touchante. Armé d'une feuille à grands carreaux qu'il dépassait parfois et d'un stylo à encre noire, il entamait l'écriture de sa réponse à ce garçon.
Quand vint la fin du cours, Yuta ne perdit pas de temps : il avait griffonné son nom sur le dos de la feuille, avant de la plier en trois et d'enrouler un morceau de scotch fin pour ne pas que la feuille ne se déroule, puis il la déposa dans la petite boîte aux lettres à l'étage, chacune avait un numéro, alors il glissa sa "lettre" dans celle qui correspondait à la salle du club de ninja, en espérant que ce garçon soit bien inscrit dans ce club. Il s'arrêta devant plusieurs affiches, réalisées pour divers clubs. Même si il ne souhaitait pas en rejoindre, il se laissa distraire par l'espace immense de la salle, les tables entassées sur un côté pour laisser de la place au milieu pour toutes sortes d'acrobaties. Alors Yuta s'amusait à faire la roue, tant que personne n'était présent. Pendant qu'il s'entraînait à faire un poirier contre le mur, le garçon qui semblait être le responsable du groupe entra, et ils s'échangèrent un regard, avant que Yuta se laisse glisser sur le sol avant de se relever.
"Pardon. J'avais oublié qu'il fallait être inscrit juste pour rentrer.
- Ce n'est pas grave…
- Très bien ! Bonne journée !"
Yuta tentait de s'enfuir comme un voleur, discret comme le vent léger d'un matin de septembre. L'autre garçon semblait le dévisager, puis son expression se changea en un sourire nerveux. Par peur de se faire réprimander, peut-être, Yuta ne se retourna pas, mais il se demandait si il avait fait bonne impression sur le jeune homme qui avait l'air d'être le ninja de Ryuseitai, Shinobu Sengoku. Le nom de famille était bien choisi, ou bien ce n'était pas un hasard.
