Chapitre 3 : Les Hommes de L'Est

Champs de Pelennor, Novembre de l'année 3020, Quatrième Âge.

La citée blanche s'éveillait au petit matin sous les pâles rayons de soleils qui se reflétaient sur les murs de Minas Thirit. Ce jour marquait l'année écoulée depuis la fin de la Dernière Guerre de l'Anneau et du siège de la citée dont les stigmates étaient encore visibles malgré le temps écoulé. Une longue procession s'avançait dans sa direction, sortant d'une Osgiliath toujours en reconstruction. La ville établie sur les deux côtés de l'Anduin avait terriblement souffert lors de sa prise par les hordes d'Orques de Sauron. Les ruines qui la constituaient avaient dû être abattues par sécurité afin d'espérer pouvoir rebâtir. Infrastructures indispensables à la reconstruction : les ponts avaient été les premiers à être réparés, chacun désormais encadrés par d'imposantes statues qui représentaient de nobles soldats du Gondor afin de saluer le courage des braves tombés lors des combats et ceci afin que jamais ne soit oublié leurs sacrifices à travers le temps. On entendait de tout côté des coups spécifiques à la taille de la pierre. Les réparations étaient innombrables et il faudrait encore de nombreuses saisons pour redonner à la ville sa gloire d'antan. Plusieurs tentes étaient dressées çà et là afin d'abriter les travailleurs et faciliter leurs besognes. La route principale avait été refaite, permettant aux convois de traverser la ville sans avoir à la contourner et ainsi gagner un temps considérable. Les artisans et les ouvriers ne rechignaient pas à la tâche mais les pertes durant la guerre étaient telles que le manque de main d'œuvre se faisait cruellement sentir et il n'était pas rare de voir des soldats participer aux travaux. Une fois passé les limites de la citée, les Champs du Pelennor s'étendaient enfin devant le convoi. Encore marquée par le carnage qui avait eu lieu, la volonté et le courage des hommes tentaient de transformer petit à petit cette zone dévastée en de grands champs agricoles parsemés d'habitations qui fleurissaient comme des champignons : conséquence de la reconstruction d'Osgiliath en cours et de la nécessité de reloger ses habitants. Malheureusement la tâche serait longue et laborieuse sur un sol souillé et marqué par les massacres ainsi que par l'hiver qui approchait et tuait les jeunes pousses de ses gelées. Deux hautes tours de guets avaient été érigées le long du chemin menant à Minas Thirit afin d'assurer la sécurité du peuple et le bon acheminement des marchandises contre les restes de l'armée maudite de Sauron qui pullulaient encore en Terre du Milieu. Sans véritable chef, les Orques s'étaient rassemblés en plusieurs tribus primitives animés de la même soif de sang que lors de l'apogée de leur espèce lors de la Guerre de l'Anneau : autant d'ennemis potentiels à surveiller. Comme si le tableau n'était pas assez sombre, il fallait également faire face aux groupes de pillards et bandits qui pullulaient sur les routes. Avec une armée régulière à reformer, les temps étaient encore troubles et la sécurité très sommaire en dehors des murs des deux Cités.

La procession composée de chevaliers du Gondor et d'autres individus fût stoppée juste avant leur entrée en Osillias, le nom de ce petit village qui s'était créé entre Osgiliath et Minas Thirit dont les remparts n'étaient faits que de bois montés à la hâte. Elles ne résisteraient pas à une véritable attaque mais au moins assuraient-elles un minimum de sécurité.

- Halte, somma un des gardes en faction en levant la main.

Le Capitaine du convoi fit un signe à son camarade et se pencha vers lui pour lui dire :

- Nous escortons la délégation Orientale et Haradrim, l'informa-t-il en tendant un papier frappé du sceau royal à la sentinelle.

Celle-ci le détailla brièvement avant d'hocher la tête.

- Heureux de vous revoir sain et sauf Capitaine. Nous sommes au courant. Qu'ils passent et quittent nos terres rapidement, ajouta-t-il assez fort pour que ses paroles soient bien entendues de tous.

L'amertume et la tension montèrent d'un cran, chacun se jaugeant du regard : d'un côté les fils du Gondor victorieux et de l'autre la délégation des Hommes de L'Est. Leur défaite aux côtés de l'armée de Sauron les avait contraints à accepter cette demande de pourparlers imposée par le nouveau Roi du Gondor pour discuter des termes d'un accord de paix qui passait plus à leurs yeux comme une reddition camouflée. Les pertes du côté des Orientaux et des hommes du Harad avaient été considérable avec le massacre de leur armée perpétrée par l'armée des morts contrôlée par Aragorn lors de la bataille finale : un vide impossible à compenser avant l'arrivée d'une nouvelle génération de guerriers.

Exempt de chef depuis la chute de Sauron et de Khâmul, Orientaux et Haradrim avaient noué une alliance fragile afin de présenter un front uni devant leur vieil ennemi de l'Ouest en mettant de côté, du moins temporairement, les guerres fratricides qui gangrénaient leurs royaumes en quête d'une once du pouvoir laissé vacant.

Au sein de cette procession se trouvaient trois des plus grands Seigneurs de Guerre Haradrim et d'Extrême-Harad : Junaast Inna'Bad, Arkann Ibna'Lahad et Ultor, fils de Boor venant du lointain royaume d'Umbar. Côté Orientaux se tenaient à cheval les représentants de celle qui se faisait appelée Reine de Rhûn depuis sa prise de Dol Khamuur. Ils se composaient de deux femmes et d'un homme, tous arborant une version légère de l'armure en écaille d'or typique de leur peuple. A l'inverse du Harad, Rhûn était tout proche d'être unifié sous la seule bannière de la Reine Ludmilla, descendante autoproclamée de l'ancien roi Khâmul, aussi appelé l'Ombre de l'Orient en son temps. Là-bas les feux de la guerre commençaient doucement à s'éteindre et une paix forcée à s'instaurer depuis la prise de la majeure partie des Cités-Etats par la nouvelle Reine. Bien du sang avait et continuait de couler, des têtes tombaient mais la situation commençait enfin à s'apaiser. La raison de la subite montée en puissance de Ludmilla s'expliquait par le ralliement à sa cause de nouvelles troupes prêtes à se battre face aux autres Seigneurs en mal de soldats. Conséquence directe du tournant de la guerre, la guerrière avait eu l'intelligence de combler le vide laissé par les hommes partis à la guerre par leurs femmes et leurs filles laissées en arrière. Autrefois minoritaire, la part de guerrières qui composait la nouvelle armée de Rhûn ne cessait de croître sous l'impulsion de l'héritière de Khâmul qui avait bien compris le potentiel d'un tel vivier de combattantes. Bien qu'il ait toujours existé de nombreuses reines et guerrières au sein de leur peuple, les anciens pestaient devant cette montée en puissance des femmes dans leur société mais le résultat était là et, désireuse de s'émanciper de leur ancienne condition, elles étaient de plus en plus nombreuses à se porter volontaire pour rejoindre les légions de la nouvelle conquérante.

La délégation continuait son chemin, toujours encadrée par des cavaliers du Gondor. Les quelques soldats des Hommes de l'Est autorisés à accompagner leurs Seigneurs à la Citée Blanche n'avaient eu le droit qu'à porter une simple dague à leurs ceintures. Toutes les autres armes étaient demeurées aux portes d'Osgiliath avec le reste de leur escorte. Quelques servantes se trouvaient au côté de l'unique chariot de queue qui transportait les quelques présents de paix, ou tributs selon le point de vu de certains. Enfin un dernier cavalier encapuchonné suivait, dont seul la barbe se laissait apercevoir au travers de l'ombre de son capuchon. Il arborait à sa selle un long bâton de bois surmonté d'une pierre couleur saphir qui luisait aux rayons du soleil. La compagnie continuait à traverser le village tout en détaillant les villageois d'un œil critique.

- Je suis étonné de voir tant de crasse et de misère pour un tel royaume, fit remarquer Arkann Ibna'Lhad, un des dignitaires du Harad, dirigeant de la grande citée de Khandar qui se situait à l'Est du Mordor juste à la frontière entre le Khand et Rhûn.

Le Seigneur de Guerre Junaast Inna'Bad regarda un instant son rival, agacé par sa simple voix. Il détestait cet homme si fier à l'apparence toujours si soignée qui ne manquait pas une occasion de se faire remarquer. Pour l'occasion ce dernier portait une tunique richement décorée faite des meilleures étoffes et métiers à tisser du Harad dont le prix pouvait aisément payer la solde d'une troupe de braves. L'homme descendait d'une longue lignée de marchands qui avaient fait fortune au gré des différentes guerres et ainsi hisser le clan Ibna'Lhad au sommet de la hiérarchie Haradrim. Aujourd'hui encore l'influence de cette famille était considérable au sein des peuples du désert, d'où sa présence.

- Trêve de sarcasme Seigneur Arkann. Ce moment est assez pénible pour ne pas en rajouter.

- D'autant qu'il serait mal avisé de déclencher une nouvelle guerre à cause de propos déplacés, souligna une Orientale.

Arkann Ibna'Lahad s'autorisa un léger sourire, amusé, avant de gratifier la femme d'un hochement de tête.

- N'ayez crainte, déclencher une nouvelle guerre n'est pas dans mon intérêt. Pas encore du moins, ajouta-t-il faussement songeur.

Junaast répondit par un léger grognement. Il trouvait cet idiot aussi agaçant qu'arrogant et l'aurait volontiers remis à sa place... S'il ne savait que sous ces airs de faux nobles se cachait un adversaire politique féroce, doublé d'un guerrier accompli. Ceux qui avaient fait l'erreur de sous-estimer Arkann Ibna'Lhad l'avaient aussitôt regretté.

- Ah, Junaast...Cher Junaast. Toujours l'esprit aussi étroit... Ceci dit, votre âme de guerrier n'est-elle pas meurtrie de devoir ployer le genou devant ce roi Elessar qui se félicite de cette victoire si injustement acquise ?

Son interlocuteur fusilla du regard l'imprudent, retenant l'envie de sortir son arme pour lui arracher sa sale petite langue. De quel droit osait-il se moquer ? C'était un affront pour tous ceux qui étaient tombés lors de la guerre.

- Peut-être que si votre clan avait envoyé plus de vos guerriers nous n'en serions pas là ! Vociféra-t-il tout en essayant de se calmer.

- Il n'y a pas de honte à reconnaitre sa défaite Seigneur Junaast. Il suffit juste de savoir en tirer profit, mettre son égo de guerrier de côté un moment et aller de l'avant, lui dit-il presque avec philosophie.

Voyant la situation s'envenimer sous les regards presque amusés des Gondoriens, l'autre femme Orientale leva la main pour réclamer le silence. Ces chamailleries devaient cesser.

- Paix mes Seigneurs. Nous faisons ce qui doit être fait pour préserver nos terres. Laissez de côté vos griefs quelques jours encore.

Arkann se pencha sur sa monture pour voir celle qui avait pris la parole. L'envoyée de la Matriarche se tenait fièrement sur son destrier tandis que les soubresauts de son cheval faisaient claquer les éléments de son armure. Ses yeux en amandes qui le dévisageaient étaient encerclés de Khôl, le maquillage de son peuple, et ses cheveux couleur corbeau étaient cachés par un voile de couleur mauve qui s'accordait parfaitement avec le reste de sa tenue. Le Haradrim connaissait de réputation la guerrière : une de des fidèles de Ludmilla qui lui vouait une dévotion quasi-religieuse. L'homme du désert respectait cela et considérait la montée aux pouvoirs de ces femmes plutôt... Intéressante, voir profitable à plus ou moins long terme. A l'inverse de nombreux autres Seigneurs, Junaast en tête, Arkann s'était empressé de décréter la conscription de guerrières dans ses rangs, notamment en offrant la liberté à certaines esclaves en contrepartie. La formation serait longue mais ce qu'il y voyait aujourd'hui comme une expérience serait peut-être un bon investissement. L'avenir seul le dirait mais il préférait mettre toutes les chances de son côté car après tout c'était ce qui faisait la réussite de sa famille depuis toujours.

- Que voilà de paroles sensées ambassadrice Daï de la Maison Huan, accorda-t-il en citant son nom complet par respect. Soit, je prendrai sur moi et tolèrerait le manque de conversation de certains de nos compagnons ici présent.

Il se tourna vers le chariot derrière eux et ajouta :

- Pensez-vous que leur Roi aimera notre cadeau ?

Junaast maugréa une nouvelle fois. Cette idée lui était de plus en plus déplaisante au fil du temps.

- Encore une fois je ne vois pas l'utilité d'une telle chose. Nous l'avons acquis avec tant de difficultés que de le voir ainsi remit à nos anciens ennemis en devient écœurant.

- La diplomatie n'est pas votre fort, j'en suis conscient, taquina une nouvelle fois Arkann. Cependant je pense que certains nobliaux qui composent la cour du Gondor vont apprécier. Le roi Elessar a beau être un guerrier, il est désormais contraint de frayer avec les courtisans et le peuple. Ce dernier a faim et désire de la terre cultivable pour manger à sa guise. Une aubaine pour nous, dit-il en mangeant une datte d'un air nonchalant.

Daï leva les yeux au ciel. Par Khâmul, quand allait-il enfin se taire ?! Elle se tourna un bref instant pour dévisager l'homme encapuchonné qui chevauchait à ses côtés, attendant un quelconque signe de sa part. De toute évidence il préférait garder le silence, sans doute plongé dans ses pensées. L'Orientale haussa les épaules. Peu importait. Ils en auraient bientôt fini.

Le reste du voyage les menant aux Portes de la Citée se déroula dans le silence, uniquement troublé par le bruit de leur procession sur le sol et de quelques pics d'Arkann envoyés à son rival Haradrim. Tous avaient en tête le plan qui avait préparé avant leur venu. Les Hommes de l'Est savaient qu'il se jouait aujourd'hui l'avenir de leurs peuples. Le Conseil de l'Est nouvellement formé avait débattu longuement sur l'idée qu'on lui avait susurrée à l'oreille par nul autre que la Reine Ludmilla, elle-même poussée par l'Ordre des Sœurs Sayyad'nuur, ainsi que par l'homme encapuchonné qui se tenait parmi la délégation.

Ce dernier regardait avec nostalgie les murs de la Cité Blanche se dresser face à lui. Depuis combien de temps ne les avait-il pas contemplé ? Son absence en ces terres avait été longue et à n'en pas douter que peu serait capable de le reconnaître. Heureusement l'une de ses vieilles connaissances l'attendait et pourrait répondre de lui... Tout du moins en parti. Ils passèrent les grandes portes encore marquées par les combats puis commencèrent à monter les différents niveaux de la Cité. Leur escorte avait changé, le relais passé à une autre compagnie de gardes. Ils marchèrent ainsi encore de longues minutes, croisant à certains détours une population qui regardait d'un mauvais œil la présence des anciens alliés du Seigneur des Ténèbres. Le Cœur du vieil homme au bâton n'en était que plus alourdi par la tâche qu'ils allaient entreprendre. Oui, la paix il la désirait et l'idée qui avait germé dans son esprit en ce sens n'en était pas moins difficile à assumer. Il portait l'espoir... Et la déception. La joie pour certains, le chagrin pour d'autres.

On les fit pénétrer à pied au dernier palier, désormais encadré par les gardes royaux et passèrent devant l'Arbre Blanc, symbole du Gondor, avant d'arriver devant les portes de la salle du trône où ils furent laissé libres de leurs mouvements. Il y avait déjà beaucoup de monde : courtisans, soldats et ambassadeurs provenant de toute la Terre du Milieu. La délégation devint vite le centre d'attention de tous. Arkann prit la tête de la procession, sourire charmeur aux lèvres, la tête haute, gratifiant certaines femmes de petits clins d'œil avant de s'effacer et laisser l'homme au bâton qui était resté si discret jusqu'à maintenant avancer jusqu'au trône. Aragorn, devenu Elessar lors de son sacre, se releva de son siège pour accueillir ses invités tout comme sa femme, la reine Arwen. Gandalf Le Blanc se tenait à ses côtés, observant les ambassadeurs de l'Est et plus particulièrement l'inconnu qui avait gardé son visage dissimulé sous son capuchon. Ce dernier fit une légère révérence avant de dévoiler enfin ses traits marqués par les ans. Il tint son bâton droit et donna un coup sec sur le sol. Sa bure couleur foncée sembla prendre vie et ondula pour prendre une tinte bleue marine. Gandalf retint sa respiration... Par les Valars, se pourrait-il...

- Mes respects Roi et Reine du Gondor.

Il hocha la tête également vers le magicien et ami d'Aragorn.

-Mithrandir... Heureux de vous revoir.

- A qui ai-je l'honneur ? Questionna un Aragorn intrigué.

Gandalf Le Blanc prit la parole, la voix enrouée par l'émotion.

- Roi Elessar, laissez-moi vous présenter l'un des Ithryn Luin parti il a fort longtemps à l'Est... Le Mage Bleu Alatar.