Derek regardait les papiers de l'acte de démolition dont il était à l'origine d'un air effaré. Les documents ne mentaient pas. Il avait bel et bien fait raser la maison de son enfance. Il avait ratifié chacune des feuilles de sa signature. Mais… Pourquoi ? Pourquoi avait-il fait une chose pareille ? Ce manoir, c'était tout ce qu'il restait de sa famille, le dernier souvenir physique de cette vie qu'il avait partagé avec elle avant que Kate ne mette tout à feu et à sang. Comment avait-il pu leur faire ça ? Blanc comme un linge, il en avait oublié la présence de son soi-disant mari qui, de toute manière, faisait tout pour se faire discret. Stiles était heureux de se faire oublier. Ainsi, les efforts qu'il devait faire pour garder la face étaient moindres. Il alla même jusqu'à s'éclipser, choisissant de laisser à Derek ce moment de recueillement dont il avait besoin ou plutôt dont ils avaient besoin. Stiles avait, de son côté, besoin de se poser, de réfléchir un peu. Coutumier des mauvaises surprises, jamais il n'avait été victime d'une telle chose : perdre son mari et trouver, à la place, un presque inconnu. Son cœur meurtri par la découverte n'avait toutefois pas dit son dernier mot. Il eut une idée. Soupira à l'avance. Aussi simple d'exécution qu'aisée à comprendre, ladite idée le fatiguait déjà. Derek avait toujours été une tête de mule et si cet homme avait gardé certains côtés de celui qu'il était encore la veille, Stiles était certain qu'il allait lui faire une scène et refuser son idée en bloc. Désireux de penser à autre chose et de ne pas simplement s'apitoyer sur le sort qui semblait être le sien, l'hyperactif sortit son téléphone de sa poche et composa un numéro. Parce que lui et Derek… Avaient quelque chose de prévu ce soir mais au vu de la situation actuelle… Stiles ne se voyait pas sortir de chez lui. Pas maintenant. Et puis… Faire semblant ? C'était assez difficile comme cela devant Derek, alors devant d'autres personnes… Non, il ne pouvait pas. C'était trop frais et incompréhensible.
Du côté du loup, rien n'allait. Il allait de déconvenues en déceptions et inversement. Rien n'avait de sens. Pire encore que son soi-disant mariage avec Stiles, voilà qu'il découvrait qu'il avait bafoué la mémoire de sa famille, de tous ces gens qu'il avait tués sans le vouloir. Il ne pleurait pas. Il ne pleurait jamais. Néanmoins, il avait le cœur lourd, plus lourd encore que le jour où il avait su que sa vie ne serait plus jamais la même. Parce que cette fois, c'était lui. Directement lui. Il ne s'était pas fait berner par Kate, c'était lui qui avait signé cet acte de démolition. Sa signature était particulière, compliquée, très difficile à imiter et Derek avait des yeux de lynx. Cette signature était réelle, il n'y avait que lui pour faire un pâté aussi complexe et aléatoire.
- … Ouais, non, pour ce soir…
Et puis il y avait ça, là. Ce problème. Cette union qu'il n'avait jamais décidée. Cet hyperactif qu'il ne comprenait pas. Ce… Le… Leur gosse. Ça aussi, c'était un problème. Derek en avait vécu, des choses, mais jamais autant en si peu de temps. En cet instant, tout était trop difficile à avaler. C'était comme si chaque nouvelle était en train de le fragiliser, de mettre à mal toutes ses défenses intérieures qu'il avait eu tant de mal à ériger au fil des années.
- … Viendrai chercher Eli à dix-huit heures…
Derek soupira. Pouvait-il réfléchir et se torturer l'esprit tranquillement sans entendre la voix de celui qui semblait partager sa vie ? Le loup-garou baissa les yeux, jusqu'à ce que ceux-ci se posent sur l'alliance trônant à son doigt. Elle était là, arrogante, symbole d'une vie dont il n'avait aucun souvenir. Une union, ça se choisissait, d'autant plus que ce mot avait une importance toute particulière dans le monde lupin. S'unir, c'était avoir trouvé son âme sœur et choisir de passer sa vie à la chérir.
Stiles ne pouvait pas être son âme sœur. Derek l'aurait senti. Or, lorsqu'il le regardait… Merde, il ne voyait rien de spécial ! Pas l'ombre d'une aura, pas d'étincelle, pas de phénomène surnaturel… Rien ! Stiles était juste… Juste…
- … Non, vraiment, je… Non, désolé.
Derek soupira d'agacement. L'ouïe lupine avait autant d'inconvénients que d'avantages. En cet instant précis, il avait tout, sauf envie d'entendre sa voix et ce, pour plusieurs raisons. De son côté, il avait beaucoup trop de choses à démêler. Ensuite, cette voix l'agaçait parce qu'il avait encore son alliance en ligne de mire, ainsi que le document attestant de sa décision plus que stupide – horrible ! – de détruire l'un des derniers souvenirs de sa famille.
- … Je suis malade. Ouais, pas grand-chose, mais juste… J'ai envie de me reposer.
Derek fronça les sourcils. Il ne savait pas à qui Stiles parlait, mais… Pourquoi mentait-il ? Et qu'avait-il de prévu, au départ ? Il l'empêchait de se concentrer et en plus, voilà que le loup le surprenait à mentir… Son cerveau voyant là une occasion de s'extirper de la torture mentale née de sa confusion, Derek se leva et marcha lentement jusqu'à ce qu'il découvrit être la cuisine. Aménagée simplement et avec goût, elle lui paraissait chaleureuse et pratique à la fois. Toutefois, ce n'était pas ce qui l'intéressait. Stiles était là, dos à lui et… Il replaçait des objets déjà parfaitement bien rangés. Il allait mal. Nerveux était un des mots qui vint instantanément à l'esprit de Derek.
- On se refera ça, t'inquiète pas.
Petite pause.
- Oh… Ouais, bien sûr, évidemment… Ouais. Quoi ? Oh, non, t'en fais pas, je viendrai quand même le chercher.
Derek fronça les sourcils. Il bloquait sciemment l'odeur de Stiles et pourtant, elle continuait de lui parvenir par bribes. Sans doute les émotions qu'elle contenait étaient trop intenses pour qu'il puisse ne rien ressentir qui pourrait provenir de lui. Et ce simple fait le glaça. Parce qu'à côté de cela, Stiles… Parlait comme si tout allait bien. Il employait un ton égal, comme s'il vivait un quotidien tout à fait normal, comme s'il n'avait pas mal, comme s'il ne se sentait pas déchiré par la découverte d'un potentiel trouble chez son soi-disant mari. Et Derek eut peur. Il eut peur parce qu'il sentait bel et bien la souffrance qui s'échappait de lui, cette tension qu'il voyait et qui crispait chaque membre de son corps. Peur, parce que le ton qu'il employait était en totale inadéquation avec ce qu'il ressentait réellement – impossible de détromper Derek, impossible de tromper un loup.
Peur, parce que cela signifiait que Stiles mentait. En général. Qu'il avait appris à mentir, jusqu'à exercer cet art avec une excellence pouvant tromper n'importe qui hors de cette pièce, n'importe quel humain. Mais pas un métamorphe. Les battements de son cœur ainsi que son odeur étaient des preuves les plus accablantes. Là, juste comme ça, Derek eut l'impression de découvrir un nouvel hyperactif. Des facettes de lui, il en connaissait déjà des tas, mais là… C'était étrange. Il avait l'impression de le voir, sans plus le connaître.
Comme si Stiles, devant lui, n'était plus la même personne, plus le Stiles qu'il avait connu.
- Oh euh… Non, vraiment ne te déplace pas, ça ira. Ça me fera une petite sortie, et pour le reste… Promis, t'inquiète.
Sans savoir ce qu'il avait promis à la personne qui était au téléphone avec lui, Derek entendit le nouveau mensonge. Quoiqu'il avait juré, Stiles mentait, encore une fois. Mais qu'est-ce que… Stiles se retourna doucement et sursauta lorsqu'il remarqua Derek, sur le seuil de la pièce. Son souffle s'accéléra, tout comme les battements de son cœur. Et tout ceci coupa court aux réflexions de Derek qui, définitivement, n'en revenait pas. Chacun avait troublé l'autre, de manière différente. Stiles sembla, d'un coup, se ressaisir.
- … Ouais, je te laisse, j'y vais.
Et il raccrocha prestement, après avoir lâché ces mots d'un ton légèrement trop rapide pour être naturel. Au diable la comédie parfaite, la présence de Derek avait fait valser ce contrôle quasi parfait de sa voix. Son visage, par contre, ne cachait pas grand-chose de son mal-être. Derek le vit essayer. Il le vit y mettre clairement du sien. Mais c'était peine perdue. Pour l'instant, c'était trop frais.
- Qu'est-ce que tu veux ? Demanda l'hyperactif, sur la défensive.
Sur le moment, Derek ne sut quoi dire. A vrai dire, il n'avait pas de réelle raison d'être là alors qu'il s'acharnait à relire, quelques instants plus tôt, un acte de démolition signé de sa main. Qu'il pensait à sa vie, la sienne et pas à ce qu'il avait sous les yeux. Cette maison, ce mari… Non. Ce n'était pas lui. Et pourtant, il était là.
Stiles recula d'un pas. Son cœur battait toujours à une vitesse stupéfiante et pourtant, Derek essayait de ne pas l'entendre. Pourquoi se retenir ? Pourquoi bloquer au maximum toutes les émotions et la douleur provenant de Stiles ? C'était instinctif. Derek faisait le fier, l'inébranlable avec son air indifférent et ses paroles froides, mais il avait peur. Plus vulnérable que jamais, il ne savait pas réellement quoi faire pour se protéger. Parce qu'il était le seul à pouvoir s'épargner les choses. Il ne pouvait pas s'effondrer à cause de quelqu'un d'autre. Il n'avait pas le droit. Sa santé mentale avait toujours été fragile et il avait tout fait pour en prendre soin et ne pas se laisser aller.
Et tout ça, c'était parce qu'il se renfermait sans arrêt sur lui-même.
- Pourquoi tu as menti ? Demanda-t-il plutôt.
Eloigner les interrogations de lui, voilà tout ce dont il était capable, tout ce qu'il devait faire. Mettre Stiles au pied du mur. S'éloigner du danger, de l'effondrement mental qui le guettait. Il ne savait pas faire autre chose.
Stiles eut un nouveau mouvement de recul.
- En quoi ça te regarde ? Rétorqua sèchement l'hyperactif en cachant comme il le pouvait sa douleur derrière la colère.
Mais Derek n'était pas dupe.
- Tu n'es pas malade, contourna-t-il.
- Et alors ? Je vais pas me pointer à un repas dans lequel t'es censé m'accompagner alors que… Que…
Il ne termina jamais sa phrase et soupira bruyamment, fébrilement, en envoyant son téléphone valser sur le plan de travail. Derek dissimula sa surprise, ne s'étant à aucun moment douté que sa question lui ferait avouer le sujet de la conversation téléphonique. Mais il aurait dû s'en douter. Ce Stiles-là gardait tout de même quelques similitudes avec celui qu'il connaissait. Il suffisait parfois d'une pirouette et il parlait sans le faire exprès. Se rendant compte de sa maladresse verbale, Stiles poussa un nouveau soupir et détourna le regard.
- Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Demanda-t-il sans vraiment attendre de réponse.
- Pourquoi tu ne m'en as pas parlé ? S'enquit Derek, puisque le sujet le concernait.
- Pourquoi je l'aurais fait ? Rétorqua l'hyperactif. Tu ne me reconnais pas. Tu ne reconnais pas ton fils. Notre fils. Si tu ne nous reconnais pas nous, alors qu'on est ta famille…
Derek tiqua et sentit la colère l'envahir, mais se contrôla. Il n'avait qu'une seule famille, et elle était morte. Il n'en aurait jamais d'autre.
- … Alors tu ne reconnaîtras même pas tes amis. A quoi ça servirait ?
- Tu aurais pu y aller, toi, fit le loup, mettant sa colère de côté.
S'ils voulaient pouvoir en venir à des discussions normales et civilisées… Il devait mettre sa propre douleur de côté.
Stiles eut un rire amer.
- Non, désolé, je ne suis pas capable d'assumer. Je ne suis pas aussi solide que toi.
Derek se fit la réflexion que l'hyperactif ne pouvait pas être plus loin de la vérité. Tout était dans les apparences et la préservation de soi. A l'intérieur, tout était détruit et le peu qui tenait encore debout était plus que fragile. Mais ça, il ne l'avouerait jamais. Stiles eut un geste vague en laissant son regard voguer à droite et à gauche, sans jamais se poser sur Derek.
- Mais ne t'en fais pas, tu auras ta soirée tranquille. Je m'occuperai d'Eli, je trouverai une excuse et toi… Tu fais ce que tu veux, lâcha-t-il, vaincu.
Derek n'aimait réellement pas ça. Stiles ne pouvait pas être aussi peu… Stiles. Le loup savait qu'il devrait se réjouir de la tranquillité que lui offrait l'hyperactif, tout comme il devrait être heureux d'avoir un toit, bien qu'il ne s'agisse pas de celui sous lequel il aurait voulu se réfugier, puisque celui-ci était détruit. Réduit en poussières. En cendres.
Et pourtant, pourtant… Derek n'arrivait pas à apprécier cette acceptation des plus simples. C'était trop facile, et si peu digne de Stiles ! A nouveau, il eut l'impression de se retrouver devant un étranger. Un étranger dont le cœur brisé lui serrait douloureusement les entrailles. Derek mesura un peu plus durement ses sens lupins.
- Très bien, fut tout ce qu'il réussit à lâcher.
Il vit Stiles retenir son souffle avant de le relâcher brusquement et aperçut quelque chose changer dans son regard mordoré. Derek ressentit alors le besoin de s'excuser, de… De dire autre chose.
Stiles soupira avant de bouger, de le contourner en faisant attention à ne pas le toucher, pour sortir de la cuisine. Et Derek garda le silence, le cœur au bord des lèvres.
