Stiles était revenu il y a un quart d'heure, et pas seul. Le petit était avec lui, Derek l'entendait. Il s'égosillait sur sa journée avec son amie Megan avec une joie indéniable. Oui, vraiment, il avait passé une super journée.

Derek aimerait pouvoir dire qu'il en était de même de son côté.

Après leur semblant de discussion, Stiles s'était isolé au maximum, mis à travailler sur il ne savait quoi, dans le silence le plus total et Derek… N'avait pas cherché à le déranger. Il avait voulu, mais son corps avait refusé de suivre le courant de ses pensées. Stiles avait mis entre eux une distance claire, rappelée par son odeur, lourde de sens. Le loup avait l'impression de la sentir dans toute la maison. Elle était étouffante, tant et si bien que dans leur chambre, il avait ouvert la fenêtre. Six heures qu'elle était ouverte et que le vent léger emplissait la chambre d'un souffle glacé. En dépit de sa nature lupine, Derek frissonnait, ce qui était un fait assez rare pour le souligner. Il n'avait pas froid, il se sentait… Dans un état particulier. Pour être honnête, il se sentait coincé. Coincé à l'intérieur d'une situation sur laquelle il n'avait aucune prise et Dieu seul savait à quel point il aimait avoir le contrôle sur chaque aspect de sa vie. Il se sentait… Instable. Pas sur le plan du mental. Disons qu'il ne savait pas sur quoi ou sur qui s'appuyer. Ainsi, il en vint à se demander si contacter son oncle ou un autre membre de la meute pourrait être une bonne idée. Sauf qu'il hésita. Il hésita parce que Stiles, durant leur discussion, avait marqué un point : s'il ne le reconnaissait pas, comment reconnaîtrait-il les autres ? De toute évidence, il avait débarqué dans une vie qui, en plus de ne pas être la sienne, semblait se dérouler dans le futur. Tout pouvait avoir changé. Ainsi, il fallait qu'il engrange le plus d'informations possibles avant d'agir et d'appeler à l'aide.

Derek fut tenté d'aller interroger Stiles, mais cette idée mourut dans sa tête à peine après qu'il y eut pensé. Cette journée avait été éprouvante pour tous les deux et la douleur dans son odeur… Elle était réellement difficile à supporter, d'autant plus qu'il savait l'avoir provoquée. Même si Stiles ne l'avait, jusqu'ici, pas réellement aidé, Derek ne voulait pas lui faire plus de mal encore. En lui subsistait ce cœur qu'il ne montrait que peu. Laisser un peu de temps à l'hyperactif lui paraissait primordial même si, sincèrement, Derek apprécierait beaucoup de retourner dans sa vie à lui le plus tôt possible. Cependant, précipiter les choses risquait fortement de ne rien arranger : pour une fois, il allait devoir prendre son mal en patience. Parce qu'il ne pouvait pas avoir oublié toute une vie. Toute sa vie. Il y avait forcément autre chose, un détail qui lui échappait.

- Pourquoi Dadou vient pas me faire un câlin ? Il est fâché ?

Cette voix, enfantine, le sortit de ses pensées. Ce qui le perturbait le plus avec ce gosse, c'est… Qu'il le voyait comme un étranger. Parce qu'au final, il ne le connaissait pas plus qu'il ne reconnaissait Stiles. Et pourtant, elle lui faisait quelque chose et Derek eut l'impression… Qu'il devait se lever, aller voir se fils qui n'avait de fils que le nom. Il se fit violence et ne quitta pas le lit double de cette chambre… Parentale. Il grimaça. Bordel, il n'arrivait pas à s'y faire…

- Dadou est malade en ce moment.

- Mais tu m'as toujours dit que les loups-garous, ça peut pas tomber malade !

- Eh bien… Si, parfois. C'est rare, mais ça arrive…

Derek voulut se boucher les oreilles mais il savait que même en le faisant, il entendrait quand même cette conversation plus que surréaliste entre le gosse et… Stiles. Bordel, Stiles père ! Avec sa voix qu'il rendait aussi assurée que possible mais qui continuait de trembloter par moments, mettant au jour cette fébrilité de plus en plus marquée. A son âge, le petit n'y ferait sans doute pas attention mais Derek… Il n'entendait que ça, comme si Stiles était prêt à s'effondrer, là, tout de suite. Et malgré son désir de rester isolé de cette histoire qui n'était pas la sienne, la conversation continua de parvenir à ses oreilles lupines.

- Ouais bah c'est pas juste.

- Je sais, mon cœur, mais… Je suis là, moi.

- Oui mais je m'en fiche, je veux Dadou !

- Eli, ce n'est pas possible, tu le verras demain, il faut qu'il se repose.

- C'est vraiment pas juste !

- Je sais mon poussin, mais c'est comme ça.

- T'es méchant !

- Non Eli, mon cœur, c'est…

- T'es juste méchant ! Les humains sont tous méchants ! Je veux pas de toi, tu sers à rien, t'es nul comme papa ! Je veux Dadou, toi j't'aime pas !

D'un coup d'un seul, Derek se leva, ouvrit brusquement la porte de la chambre et déboula dans l'autre, voisine. Il ne fit absolument pas attention à la décoration enfantine, aux stickers d'animaux collés sur les murs verts, à tous les posters de loups-garous version cartoons… Mais il vit deux paires d'yeux se tourner brusquement vers lui. L'une étincelait de bonheur d'apercevoir enfin son visage et l'autre… L'autre… Derek s'en détourna rapidement. Plus tard, se dit-il. Le petit Eli, si semblable à eux deux, se précipita vers lui, mais l'ancien alpha l'arrêta d'un geste.

- Tu vas retirer ce que tu as dit, tout de suite, dit-il, menaçant.

- Mais… Commença le petit, perplexe.

- Derek, ce n'est pas… Tenta Stiles en baissant les yeux.

- Retire ce que tu as dit, les coupa le loup sans cesser de regarder sa version miniature.

Le garçonnet, complètement perdu, le regarda sans trop savoir quoi faire, comme s'il pensait innocemment que ce qu'il avait dit n'avait aucune conséquence parce qu'il était jeune et ignorant. Mais le regard du loup-garou lui fit peur, assez pour le faire reculer, mais pas assez pour lui faire baisser les yeux. Stiles, qui était accroupi devant le petit, se leva et fit face à Derek, cachant ainsi Eli à sa vue. Il avait le regard fuyant, les poings serrés.

- Ecoute… Commença-t-il.

- Je ne vais rien écouter du tout, c'est lui qui va m'écouter, le coupa Derek d'un ton toujours aussi menaçant, mais pas agressif.

Il contourna avec aisance l'hyperactif et s'accroupit à son tour devant le petit, qui recula à nouveau d'un pas.

- Dadou… Souffla-t-il.

- Tout ce que tu as dit, je veux que tu le retires, fit-il, le ton légèrement adouci.

Son but n'était pas de faire peur au gosse, simplement d'être ferme avec lui, de lui faire comprendre les choses parce que Stiles, de son côté… Ne l'était pas vraiment. S'agissait-il d'une conséquence de leurs entrevues ? C'était possible. Néanmoins, Derek ne pouvait pas laisser passer ce que le gamin avait dit.

- C'est ton père, tu n'as pas à lui parler comme ça, le prévint-il en restant accroupi devant lui.

La colère irradiait en lui, une colère qu'il jugeait indescriptible. La manière dont Stiles l'avait laissé lui parler, l'insulter… Mais merde ! Où était passée cette combativité qu'il avait connue ? Si l'hyperactif ne corrigeait pas son rejeton, Derek le ferait. Lorsque les mots durs étaient parvenus à ses oreilles, il s'était senti obligé d'intervenir et quand il percevait l'odeur des plus piquantes de Stiles, il ne regrettait pas le moins du monde. Il devrait ne pas y faire attention, mais… Non, il n'y arrivait pas. Il n'y arrivait définitivement pas.

Face à lui, le petit Eli baissa à nouveau les yeux. Il puait la culpabilité parce qu'enfin, il commençait à comprendre. Pas qu'il était allé loin : juste qu'il avait dit des choses pas bien. Derek fit de son mieux pour se radoucir à ses yeux, faire en sorte de desserrer sa mâchoire et diminuer les flammes dans son regard d'acier. Qu'il s'en rende compte ou non, Eli avait été méchant. Si l'on combinait à ça la manière plus qu'étrange dont Stiles le laissait faire… Il y avait de quoi être énervé. Néanmoins, le but de son intervention n'était pas de laisser éclater sa colère : il devait juste faire rentrer les choses dans l'ordre. Il n'avait jamais été très doué avec les enfants, mais s'il ne faisait rien… Il mettrait sa main à couper que son soi-disant mari ne lèverait pas le petit doigt – autant dire que ça ne l'aidait pas à rester posé. Ainsi, il se leva, sans jamais le quitter des yeux.

- Toi, tu restes là et tu vas réfléchir à ce que tu as dit. Si tu es sage, je pourrai passer un peu de temps avec toi avant de retourner me… Reposer, dit-il en tournant la tête vers Stiles, qui évitait de le regarder.

D'où lui était sortie cette proposition ? Aucune idée. Disons seulement qu'il se savait aussi rude qu'abrupte dans ses mots et que c'était partiellement pour cette raison qu'il ne souhaitait pas avoir d'enfants. Il n'était pas fait pour ça et ne le serait jamais. Alors, sachant pertinemment que ses mots avaient atteint Eli, il avait tenu à essayer d'adoucir les choses. Le gosse était petit, jeune. Stiles semblait bien plus à l'aise que lui à ce niveau-là, mais… Pas dans le cas présent. Il restait derrière lui, en retrait, silencieux. Il se faisait oublier. Il se retourna alors complètement vers lui et le saisit par le bras. Un peu maladroitement, certes, mais sans être sec. Il savait qu'il devait faire des efforts de son côté aussi. Ainsi, il l'emmena hors de la chambre, sans oublier de fermer la porte derrière lui. Sans lâcher le bras de l'hyperactif qui se montrait un peu trop coopératif à son goût, il le traîna jusqu'à la… Leur chambre.

Il avait quelques points à éclaircir, notamment cette passivité qui lui donnait la nausée.