- Arrête de fuir !

Derek ne criait pas, mais il savait comment faire tonner sa voix, la faire porter, lui donner une ampleur qui, parfois, donnait l'impression qu'il avait un charisme certain. Il en avait, mais il savait créer l'illusion d'en posséder davantage. Ainsi, il réussit à stopper Stiles en plein milieu d'un des couloirs, juste avec sa voix. Il n'avait ni voulu courir, ni désiré utiliser sa vitesse surnaturelle pour le rattraper. Il voulait faire ça à l'amiable, mettre Stiles sur un pied d'égalité avec lui. Le but, c'était de faire le point sur la situation et trouver un terrain d'entente, d'autant plus que Derek n'avait pas la moindre intention d'intimider l'humain d'une quelconque manière. Il avait beau ne pas l'apprécier outre mesure, il le respectait comme il respectait chacun des membres de la meute.

Derek fit un pas, histoire de vérifier si l'hyperactif avait l'intention d'accepter la discussion ou non. Il le vit serrer les poings, oui, mais pas fuir encore. Bien, c'était déjà ça de gagné pour l'instant. Avec lui, le loup-garou préférait ne rien prendre pour acquis. Autrement, il serait bien déçu. S'il voulait progresser avec Stiles, il allait falloir qu'il y aille doucement. Par étapes. Et qu'il n'en grille aucune. Depuis qu'il avait débarqué dans cette espèce d'univers, Derek avait remarqué que rien n'était gagné avec Stiles. C'était encore pire que dans son « monde » à lui. Parce qu'ici, l'hyperactif n'était pas son allié. Il était son… Mari, et leurs relations n'étaient pas en très bon termes depuis son… Réveil, en quelques sortes.

Derek s'approcha davantage. A chaque pas qu'il faisait, Stiles se crispait davantage. Alors, il choisit d'avancer lentement. Ne pas se montrer menaçant, ni pressé. Il fallait qu'ils prennent le temps de s'écouter, tous les deux. Ainsi, il s'arrêta juste derrière lui et laissa son odeur le pénétrer de part en part. Dire que Stiles n'allait pas bien serait un euphémisme. Néanmoins, il gardait le dos droit et refusait de céder du terrain, en ne se retournant pas.

- Si on discutait ? Lança Derek.

Il y avait mieux comme entrée en matière, mais le loup-garou n'était très doué de sa bouche en ce qui concernait les mots.

Il l'entendit soupirer profondément.

- J'ai du travail.

Si son cœur ne le trahissait pas vraiment – il n'avait eu à subir qu'un très léger soubresaut –, Derek savait que, même si c'était vrai, ce n'était qu'une excuse pour éviter une nouvelle confrontation avec lui. S'il ne fuyait plus physiquement, il essayait de le faire sans que cela se voit vraiment.

- Tu auras tout le loisir de le faire plus tard, fit Derek d'un ton qui se voulait… Presque avenant.

Cette fois, Stiles se retourna et le loup-garou ne sut comment interpréter son regard.

- C'est facile de parler quand de ton côté, tu n'as rien à faire.

Le ton était acerbe sans être complètement froid. Il se tenait toujours aussi droit pour garder une forme de dignité alors que Derek le sentait s'effondrer. Sa comédie, il la voyait. Pourquoi cherchait-il à ce point à lui cacher la réalité alors qu'il pouvait percevoir ses véritables émotions grâce à ses sens lupins ?

Derek accusa le coup et accepta la critique. Dans un sens, Stiles avait raison… Mais il ne comptait pas en rester là.

- J'ai mes priorités.

Maintenant qu'il l'avait face à lui, il pouvait tenter de le convaincre de plusieurs manières. Il le fallait.

Mais Stiles soupira.

- Je les connais, tes priorités. Ne t'en fais pas : tu vas finir par le retrouver, ton monde. Après tout, on est à Beacon Hills.

Sa voix, ses mots, semblables à des lames aiguisées, tailladèrent le cœur de Derek sans qu'il ne comprenne pourquoi ni comment. Il avait l'impression de faire quelque chose de mal. D'être méchant. Il l'avait été, au début et ça, il ne le nierait pas. Pour sa défense, le choc était si grand qu'il n'avait pas su comment réagir. Il n'avait plus aucun repère et sa vie ici était trop différente de la sienne pour qu'il réussisse à réagir de manière modérée et… Humaine. Empathique. Il l'était, pourtant. Sauf qu'il avait du mal à montrer ces facettes-là à qui que ce soit, même à son cercle proche. Et Stiles n'en faisait pas partie.

Pour autant, Derek était prêt à faire des efforts. Il le fallait.

- En attendant, je suis ici, avec toi, lâcha-t-il. Alors à moins que tu ne me foutes dehors, on peut discuter et essayer d'apaiser les choses entre nous.

D'un coup, Stiles pâlit.

- Jamais je ne le ferai, fit-il d'une voix blanche en fronçant les sourcils. Jamais je ne pourrai te mettre dehors.

Il y avait une certaine fébrilité dans son regard, une fébrilité qui allait bien avec cette peur qui se dégageait de son odeur. Derek s'efforça de ne pas s'appesantir sur le trouble qui naquit en lui. Pour le moment, il fallait qu'il reste digne. Il pourrait réfléchir à tout cela plus tard, seulement après avoir discuté avec l'hyperactif.

- Raison de plus pour qu'on parle, insista-t-il.

Stiles lâcha un nouveau soupir, vaincu. Et cet air qu'il affichait déplut fortement à Derek. Parce que l'hyperactif qui lui faisait face abandonnait, encore. S'il avait essayé de lui tenir tête, il l'avait fait mollement. Si faiblement et si peu longtemps que le loup… Sentit un malaise grandissant l'envahir. D'accord, Stiles avait tendance à l'énerver et à l'agacer, mais… Au moins, il était lui. Qu'était-ce que cette pâle copie qu'il toisait d'un regard étrange ? Où était passée cette énergie et cette opiniâtreté qu'il lui avait connues ? Derek n'arrivait même pas à être heureux de pouvoir discuter avec un Stiles plus… Calme. Encore moins d'avoir un tel champ d'action. C'était trop facile. Et il n'aimait pas ça.

Stiles lui faisait l'effet d'un homme brisé… Un homme perdu, sans repères, dont l'esprit avait perdu toute combativité. Un homme qui ne vivait plus que par obligation. Comme lui l'avait été après le décès aussi violent que brutal de sa famille.

Sa disparition seule ne pouvait expliquer une telle attitude chez l'hyperactif. Derek n'y croyait pas. Se lever et retrouver un « inconnu » dans la peau de son mari ne pouvait pas l'avoir cassé à ce point-là. Le loup-garou pouvait reconnaître sans problème qu'il n'avait pas été tendre et qu'il avait fait preuve d'une certaine ingratitude à son égard, mais quand même… Stiles lui souffla de le suivre. Ils débarquèrent alors dans le salon. Avant même qu'il ne pense à s'installer sur le canapé, Derek laissa son regard dériver… Et celui-ci atterrit sur le cendrier, parfaitement disposé au milieu de la table basse. Il était parfaitement propre, vidé de toutes ses cendres, mais un paquet de cigarettes trônait fièrement à son côté. Le loup se crispa instantanément et jeta un coup d'œil à Stiles, qui lui fit signe de s'assoir. Derek s'exécuta et l'hyperactif s'installa sur un autre fauteuil, loin de lui. Ses mains aux longs doigts fins se saisirent du paquet et l'ouvrirent avant d'extirper habillement une cigarette ainsi qu'un petit briquet qui y était caché.

- Tu peux ouvrir la fenêtre ? Marmonna-t-il, une cigarette glissée entre ses lèvres.

Dans le même temps, il alluma son briquet et l'apporta à la tige. Si Derek désirait ardemment lui retirer ces choses des mains et de la bouche, il se retint. Si Stiles se bousillait les poumons de son propre chef, ce n'était pas son problème. Alors, le loup-garou s'exécuta et ouvrit la fenêtre la plus proche en essayant de ne pas se sentir concerné. En tentant de se convaincre qu'il n'avait pas son mot à dire. En soi, c'était effectivement le cas, mais… La vue de ce poison aux lèvres de l'hyperactif le révulsait plus que de raison. Il détourna les yeux en allant se rassoir et fit de son mieux pour ne pas accorder plus d'attention que cela à l'odeur de fumée qui lui parvenait déjà aux narines. De quoi étaient-ils censés discuter, déjà ? Avec ce détail, Derek se perdait un peu… Tant son cerveau voulait se concentrer là-dessus. Tant il se retenait de se saisir de la cigarette pour directement l'écraser dans le cendrier. Et engueuler Stiles, par-dessus le marché. Engueuler cet humain qui avait si peu de problèmes qu'il n'était pas contre l'idée de s'en créer. En tant que loup-garou, Derek ne comprenait pas cette logique. Si lui ne pouvait pas tomber malade, ce n'était pas le cas de l'hyperactif, qui pouvait développer mille et une maladies, mille et une infections. Avait-il conscience de la fragilité de sa vie comparée à celle d'un être surnaturel ?

- Tu n'as pas changé, en fin de compte, finit par lâcher l'humain en tapotant sa clope sur le rebord du cendrier pour en faire tomber la cendre. Tu es là, avec tes grands airs, tu me dis qu'on doit encore discuter… Et au final, tu te tais.

Il y avait une raison à cela, mais Derek n'irait pas la verbaliser maintenant. Hors de question de braquer Stiles plus qu'il ne l'était déjà. Mais qu'est-ce qu'il avait envie de lui écraser sa clope… Derek ne savait même pas exactement pourquoi cela lui importait tant, d'autant plus qu'il était parfaitement conscient qu'il ne réagirait pas de la même manière. Si une de ses connaissances se mettait à fumer, il n'en aurait rien à faire. Il s'imagina un instant Lydia s'y mettre et ne ressentit pas grand-chose à cette idée, juste une pointe d'agacement.

Alors que voir Stiles ainsi le révulsait réellement.

- Je prends juste mon temps, contra le loup-garou. On a tout notre temps.

Derek temporisait.

- J'ai du travail, rétorqua Stiles en le fixant d'une bien étrange manière.

Il y avait dans ses yeux une froideur que Derek sentait fausse. Stiles se donnait un genre et ce, même s'il ne pouvait qu'être conscient du fait que le loup-garou face à lui pouvait déceler la moindre de ses émotions. Il tenait malgré tout à garder une certaine image, une forme de dignité. Pourquoi faire ? Parce qu'il était Stiles Stilinski. Il avait sa fierté.

Ne pas paraître faible avait toujours été l'un de ses principaux objectifs. Si on demandait son avis à Derek, celui-ci dirait volontiers à quel point il trouvait cela stupide. Pourquoi ? Stiles était bien des choses, mais faible, il ne l'était pas. Ainsi, cacher quelque chose qui n'existait pas ne servait absolument à rien. Humain ou pas, Stiles était quelqu'un qui, qu'on l'apprécie ou non, forçait le respect.

Il fallait seulement ouvrir les yeux pour s'en rendre compte, et c'était le cas de Derek.

Simplement, il devait réfléchir posément à ce qu'il allait dire parce que les mots et lui, ça faisait dix.