Au départ, Derek n'avait pas pour intention d'aller à la rencontre de Stiles. Il s'était dit que rester un petit peu dans cette chambre pourrait lui permettre d'en apprendre davantage même s'il avait, objectivement, d'ores et déjà engrangé un nombre conséquent d'éléments. Ainsi, il pouvait dresser un meilleur portrait du personnage… Qu'il ne connaissait, au final, pas encore vraiment. Toutefois, il en savait assez pour laisser ses sens divaguer et capter des bruits, sa voix. Puis, une odeur, la sienne.

En fait, il s'était écoulé deux bonnes heures entre le moment où Stiles était rentré et celui où Derek commença à percevoir toutes ces choses qui mirent un frein net à son exploration – désormais de l'ordre de l'espionnage avec fouillage intégré.

- Fait chier, entendit-il de loin. Fait chier, fait chier, fait chier

Derek perçut des bruits de tissus, une agitation naissante et se décida à sortir finalement de la chambre d'Eli, qu'il avait suffisamment explorée pour le moment. S'il ne comprenait pas l'origine de sa vision du monde en tant que telle, il avait des pistes et une idée de la manière dont il pourrait redresser les choses. A côté de cela, il savait qu'il devait, dans une certaine mesure, aider Stiles. Il en ressentait le besoin aussi mais ça… Ce n'était pas quelque chose qu'il irait avouer de lui-même – d'autant plus qu'il ne se le disait pas vraiment. En fait, il préférait laisser son instinct parler, c'était… Un peu plus simple. Moins de réflexion, plus d'action.

Ainsi, Derek débarqua dans la chambre du départ, celle où tout avait commencé. Celle dans laquelle il avait ouvert les yeux pour la première fois, dans ce monde où rien n'était à sa place.

Stiles, qui venait d'enfiler un t-shirt parfaitement sobre, aux antipodes de ce que Derek avait l'habitude de le voir porter, leva un air ahuri dans sa direction, comme s'il ne s'attendait pas à le trouver là et… Il était vrai qu'en rentrant, il ne l'avait pas cherché. Pas un instant. Derek avait eu le champ libre et le temps de mener son enquête personnelle à bien – même s'il la savait incomplète.

- Qu'est-ce que… Tu fais là ?

Derek n'aimait toujours pas le ton qu'il prenait, ni la façon dont sa voix ne portait… Plus vraiment. Il n'y avait rien d'assuré dans ses mots, dans l'intention qu'il leur donnait. Le pire dans tout ça ? Sa question. Son sens. Un sens qui abasourdit Derek, au point qu'il ne sut quoi répondre tandis qu'il comprenait réellement ce qu'elle signifiait.

- Où est-ce que tu veux que je sois ? Fit-il finalement après s'être raclé la gorge pour se donner une contenance.

Stiles secoua la tête en poussant un soupir.

- Je ne sais pas, souffla-t-il.

Il avait l'air abattu de celui qui n'avait pas la force de réfléchir ou de faire quoi que ce soit d'autre que de regarder la vie se dérouler devant lui – sans la vivre.

- Je pensais que tu étais parti, finit-il par avouer sans le regarder.

La façon dont il se préparait et dont ses gestes étaient gauches ne faisait que mettre en valeur un empressement étrange, une forme de précipitation dont Derek se méfia instantanément. Ainsi, le loup-garou garda ce point en tête mais le mit de côté pour plus tard. Il pourrait lui répondre qu'il n'avait aucun autre endroit où aller et qu'il avait, au fond, peur de découvrir l'extérieur, peur de se confronter à une vie en dehors de cette maison. Si dans cet univers il était marié avec Stiles, il n'était pas à l'abri d'un Peter marié ou… Flirtant avec x ou y personne. Sa propre situation le chamboulait bien assez pour qu'il accepte d'aller à la rencontre d'une connaissance qui, à défaut de le rassurer, le plongerait dans un état de confusion pire encore que celui-ci. Sa « famille » était déjà un problème en lui-même : autant ne pas s'en rajouter d'autres.

- Qu'est-ce qui t'arrive ? Demanda-t-il toutefois.

Parce qu'après tout, c'était ce qu'il avait entendu et senti qui l'avait poussé à aller à sa rencontre. Toute cette négativité explosive et ce stress qui lui piquait soudainement le nez. Et alors qu'il s'imaginait que Stiles allait l'envoyer balader d'une manière ou d'une autre, Derek eut la surprise de devoir se contenter d'un soupir, avant que l'aveu se fasse, aussi simplement que cela :

- La directrice de l'école a appelé, je dois aller la voir… Eli a encore fait des siennes.

Et Stiles lui dit cela sans jamais le regarder dans les yeux. Son regard ? Il ne cessait de l'éviter, et Derek ne comprenait pas pourquoi. Qu'importe, il mit ce détail en arrière-plan, comme le reste, pour s'y intéresser plus tard.

- Qu'est-ce qu'il a fait ?

- Il s'est battu.

Sans qu'il comprenne pourquoi ni comment, Derek sentit quelque chose lui serrer les entrailles.

- Il va bien ?

La question était sortie on ne peut plus naturellement, comme par automatisme, comme si c'était ce qu'il devait faire – et c'était très probablement le cas. S'il ne se sentait pas père, il l'était malgré tout dans cet univers. Quoi qu'il en pense, il devait se mettre à agir comme tel.

Et cette fois-ci, Stiles leva les yeux vers lui.

- Ce n'est pas pour Eli qu'il faut s'inquiéter.

Derek faillit lui demander ce qu'il voulut dire par là, mais les mots moururent dans sa gorge car d'une certaine manière, il avait compris. Eli avait beau être jeune, du sang lycanthrope coulait dans ses veines. Et même si à son âge, on ne se transformait pas, les avantages d'une telle génétique existaient déjà dans une moindre mesure et pouvaient faire valoir leur suprématie dans un affrontement, une bagarre enfantine. C'était lorsque débutait l'adolescence que la véritable force d'un loup-garou se dévoilait. Mais l'on pouvait déjà en déceler les premiers indices dès l'enfance.

Le problème, c'est que la colère d'un tout petit être pouvait faire des étincelles… Et attirer, par extension, sur lui une attention dont il n'avait pas besoin – dont la famille qu'ils semblaient former ne désirait pas. Le monde n'avait pas besoin de savoir que l'humain pouvait avoir quelques variantes en tant que telles.

- Tu penses qu'il a sorti les griffes ? S'enquit Derek, mortellement sérieux tout à coup.

Car si la transformation n'était techniquement pas possible, le stade d'en-dessous restait accessible à un enfant, si celui-ci avait appris à le faire. Derek considérait Stiles comme quelqu'un d'intelligent : il savait que c'était quelque chose qui pouvait servir au gosse en cas d'urgence. Se sachant également parent du gamin, Derek n'aurait jamais laissé son fils grandir sans avoir les moyens de se défendre. Le monde, quel qu'il soit, était d'une dangerosité sans limites. Une dangerosité subtile et discrète, de celle qui ne se devinait pas de prime abord – et les enfants en étaient souvent les premières victimes.

Alors oui, Eli avait forcément appris à sortir les griffes et à utiliser son instinct primaire.

- Non, répondit Stiles en ajustant sa veste. Il est bagarreur, mais intelligent. Il sait qu'il ne faut pas faire ça. C'est toi qui le lui as appris.

Derek prit cette dernière remarque comme un coup de couteau auquel il ne s'attendait pas vraiment. Le ton de l'hyperactif n'avait rien de sec ou de tranchant, mais le loup-garou lisait entre les lignes et ce petit point… Si discret, ne faisait que s'ajouter aux éléments alarmants dont il se faisait une liste mentale, au sujet d'Eli… Et de Stiles. De leur relation, de leurs dissensions. De toutes ces petites choses qui faisaient que ça n'allait pas et que leur famille n'avait de famille que l'appellation.

Et si Derek n'était pas capable d'expliquer pourquoi, le fait est que ça lui faisait mal. Pour lui, le concept d'une meute se rapprochait fortement à celui d'une famille, dont elle tirait valeurs et enseignements divers. Alors constater que ce foyer n'avait rien de logique, rien de chaleureux et rien de familial… Oui, il pouvait se l'avouer à lui-même : ça lui portait un coup au cœur.

- Maintenant, tu m'excuseras, mais je dois y aller, fit Stiles en passant une main dans ses cheveux.

Il commença alors à s'éloigner, à se diriger vers l'entrée de la maison. Derek s'imagina un instant rester là, à attendre qu'il revienne, sans doute avec Eli.

Mais son instinct décida de ne pas lui accorder un instant de répit… Et sa main attrapa le poignet de Stiles avant même qu'il se soit rendu compte de son mouvement.

- Je viens avec toi.