Derek en avait, des raisons d'être perturbé, et pour cause : il n'arrivait à retrouver aucun repère dans cette vie qui était vraisemblablement censée être la sienne. Stiles, son… Mari – il n'arrivait pas à s'y faire – se montrait on ne peut plus glacial dès que le loup-garou se mettait à lui parler d'Eli. Si Derek ne remettait pas complètement en cause l'éducation du louveteau, il était clair qu'aucune de ses remarques ne plaisait à Stiles. En conséquence, celui-ci restait fermé et gardait un regard dur comme la pierre, froid comme un vent d'hiver.

Et puis à côté, il y avait cette voiture. Un peu trop récente, pas très neuve non plus. Car s'il s'agissait d'un détail qu'il n'avait notifié que tardivement, c'était en tout cas chose faite : et depuis cela, Derek ne pouvait plus l'ignorer.

Où était passée la Jeep ? Où était passée cette voiture toute cassée, rafistolée de partout et qui tenait toujours miraculeusement la route ? Elle était, aux yeux de Derek, la preuve même qu'il devait exister une entité supérieure, ou bien simplement les esprits de défunts, peut-être celui de sa mère qui veillait sur lui… Il ne pouvait en être autrement. Rien d'autre ne pourrait expliquer cette résistance au temps et aux évènements.

Le fait est qu'elle n'était pas là, et que Derek fixait la voiture de Stiles sans comprendre. Dans ses souvenirs, Roscoe était plus qu'un véhicule, pour l'humain : il y tenait comme à la prunelle de ses yeux. Avait-il fini par l'abandonner ? Par accepter qu'elle avait ses limites ? Par la vendre en pièces détachées à un garage pour en retirer un certain bénéfice ? Aucune de ces hypothèses ne lui convenaient tant elles lui paraissaient improbables, et puis… Rien de tout cela ne ressemblait à Stiles.

- Derek, dépêche-toi.

Le susnommé tourna la tête vers l'humain qui avait déjà parcouru quelques mètres. Mais, au fait de ses pouvoirs lupins, il n'avait pas haussé la voix outre mesure. Au contraire, il avait parlé posément, comme s'il se trouvait à côté de lui.

- Tu as insisté pour venir, alors je ne permettrai pas que tu me fasses perdre du temps.

Et si un certain agacement prit possession de Derek, il n'en montra rien. Bien sûr qu'il haïssait la manière dont Stiles lui parlait actuellement, mais il n'était ni d'humeur à lui faire une réflexion, ni prêt à engager une nouvelle conversation fort peu agréable ici, aux portes d'une école. Ainsi, il détourna les yeux de la voiture en retenant un soupir et le suivit dans un dédale de couloirs qui semblait n'avoir ni queue ni tête. Faisait-on vraiment étudier des enfants dans un tel labyrinthe ? S'il était d'ailleurs un adepte de la sobriété en tout genre, Derek n'appréciait pas vraiment ces murs couleur écru quasi entièrement dépourvus de décoration enfantine. Pour lui, l'enfance était synonyme de dessins, de couleurs… De tous ces éléments qui faisaient naître la créativité chez ces petits êtres dont la lumière devait être non pas éteinte, mais entretenue – c'était là la vision de Derek.

Or, il n'arrivait pas à concevoir le fait qu'un enfant puisse se sentir bien ici, à son aise. Le Derek de ce monde avait-il réfléchi avant de mettre son fils ici ? A ses yeux, avoir un enfant, c'était tout un monde, une façon de vivre, de fonctionner. Derek considérait le bonheur de sa famille comme quelque chose de primordial, et c'était d'autant plus vrai concernant les enfants – leur épanouissement était ce qu'il considérait comme le plus important.

Devant lui, Stiles avançait d'un pas raide, mais sans hésitation aucune. De toute évidence, il connaissait bien les lieux… Et pas seulement parce qu'il s'agissait de l'école de son fils. Derek se tendit davantage : ce genre d'incidents se produisait-il aussi souvent que cela ? Comment diable le petit Eli avait-il pu évoluer de cette manière ? Quoique dans cet environnement scolaire à l'air très aseptisé, la chose n'était pas si étonnante… Encore moins si, de retour à la maison, Stiles laissait passer tous ses caprices, ses comportements problématiques. Eli était effectivement sur une pente glissante… Et la simple vue de ces murs vides lui confirmait que peu de choses tournaient rond dans cette vie qui n'était pas la sienne. Il en était définitivement persuadé. Son enfant, s'il devait en avoir un un jour, grandirait sainement, irait dans un établissement scolaire adapté à ses besoins et surtout… Il respecterait ses deux parents.

Derek ne tolèrerait pas qu'il continue de faire une différence entre Stiles et lui.

Stiles finit par toquer à une porte surmontée d'un petit écriteau en métal sur lequel était inscrit « vie scolaire » en lettres capitales noires. Derek s'arrêta quelques pas derrière lui et attendit… Jusqu'à ce qu'une jeune femme assez petite l'ouvre. Le sourire qu'elle adressa directement à l'hyperactif parut sincère… Jusqu'à ce que Derek sente sa crispation.

- Monsieur Hale, le salua-t-elle. Vous avez été rapide.

Derek s'apprêta à parler, perplexe, avant de se rendre compte… Que Stiles était l'unique personne qu'elle regardait et à qui elle s'adressait.

« Monsieur Hale. »

Hale.

Derek baissa les yeux sur sa main gauche. Pourquoi portait-il encore cette alliance ? Un coup d'œil rapide lui permit de voir qu'elle ornait également l'annulaire de Stiles. Bordel, comment avait-il pu oublier ce détail ? Dans l'idée, il savait qu'ils étaient censés être mariés, ici, mais entendre de vive voix Stiles porter ce nom…

- La directrice vous attend dans son bureau, l'informa la jeune surveillante.

- Et Eli ? Demanda directement Stiles.

- Dans une salle d'étude avec l'un de mes collègues.

Derek notifia la façon dont Stiles fronça les sourcils. Aussitôt, la surveillante explicita :

- Madame la directrice est de mauvaise humeur et… Elle est assez agacée par le comportement répété d'Eli… Elle attend de vous voir pour le convoquer et décider de certaines choses avec vous.

Elle semblait quelque peu gênée et… Craintive. Si l'odeur de Stiles devint soudainement encore plus nauséabonde qu'elle ne l'était l'instant d'avant, il garda une parfaite impassibilité de façade.

- Très bien, merci Lisa, finit-il par lâcher en lui faisant un léger signe de tête.

La jeune femme eut l'air surprise. Stiles ne lui laissa pas le temps d'ajouter quoi que ce soit : il se retourna et fit signe à Derek de le suivre. Le loup-garou, toujours plus surpris par l'hyperactif, obéit sans un mot – mais il n'en pensait pas moins. Lorsqu'ils se furent suffisamment éloignés de la vie scolaire et que Lisa ne fut plus en vue, Derek s'autorisa un relâchement dans son attitude. Il s'était volontairement effacé pour glaner le plus d'informations possible… Et il comptait bien continuer sur sa lancée, sauf si la situation exigeait qu'il intervienne. D'un coup, lui vint le besoin de parler à Stiles, de lui demander davantage d'informations sur les bêtises d'Eli, sur l'école en elle-même… Mais les mots restèrent bloqués dans sa gorge. Pas qu'il n'arrivait pas à parler, il avait juste l'impression… Que ce n'était pas le bon moment.

Et devant lui, Stiles continuait d'avancer dans le silence le plus total. Même ses pas semblaient plus discrets, plus silencieux.

Irréels.

La couleur des couloirs changea légèrement. A côté des portes qui s'enchaînaient sous ses yeux, des noms et des fonctions. Stiles s'arrêta d'un coup, au milieu du couloir et toqua à l'une d'elles sans avoir besoin de la regarder. Derek se tendit.

Ils étaient vraisemblablement arrivés.

Ses yeux se posèrent d'emblée sur le petit écriteau renseignant les informations sur l'occupante du bureau, à savoir la directrice. Son souffle se coupa.

« Alexandra Argent. »

Dans quel monde parallèle avait-il eu le malheur de tomber ?