Chapitre L
Jordan déprimait un peu. Claude et Bryce l'avaient lâché comme ils le faisaient parfois, ayant besoin d'être tous les deux. C'était normal, bien entendu. Ils étaient ensemble depuis si longtemps et formaient un couple si solide qu'ils avaient été jusqu'à saboter leurs propres chances d'être adoptés, redoutant d'être un jour séparés par quelque déménagement. Puis Victoria s'était trouvée son loup, ce sympathique gars d'Occulte devant trop souvent surveiller sa flopée de frères et sœurs. Alors évidemment, lorsque Troy avait enfin un moment véritablement à lui, entre ses cours, ses entraînements et sa famille, Tori filait le rejoindre sans se préoccuper des potes sur la touche. Quant à Cham, elle ne faisait le chemin depuis Wild que pour voir son rouquin de chez Raimon.
Bien sûr, ils jouaient encore ensemble, que ce soit dans l'équipe qu'avait réunie Nelly pour Bella ou dans leur hangar avec les petits nouveaux de la Royale, mais… Les choses n'étaient plus comme avant. Ce n'était pas de mauvais changements, ça non. C'était différent et même plutôt cool, seulement… Seulement voilà, il y avait des jours où Jordan se retrouvait à jongler sans conviction, perdait le contrôle de la balle sur une erreur de débutant et s'en allait la chercher en traînant les pieds. Comme il soupirait et se penchait pour la ramasser, il entendit un cri (enfin, ça tenait pas mal du couinement), suivi d'un choc sourd. Il se redressa et vit un corps rouler sur la pente dans une série de « Aïe ! », « Non ! », « Ouille ! », « Stop ! » paniqués avant de finir sa course tout couvert d'herbe et de terre.
Jordan courut l'aider à se relever. Sonné, Dylan balbutiait.
-Je p-passais… Je passais par là. Tu avais l'air t-triste, j'ai cru que… J'ai v-voulu… Mais j'ai trébuché et… Est-ce q-que ça va ?
-C'est toi qui demandes ça ? S'amusa le sportif.
-Je ?… Ah ! Oui, je… Je n'en rate p-pas une, c'est vrai…
Mais le sourire avec lequel Dylan essaya de dire cela se mua en une grimace de douleur lorsqu'il posa le pied droit. Il bascula, heureusement rattrapé par Jordan. Le visage contre le torse de l'autre jeune homme, il rougit jusqu'à la racine des cheveux en tentant maladroitement de recouvrer son équilibre.
-P-pardon ! Je suis d-désolé !
-C'est bon ! S'esclaffa le sportif. C'est bon, laisse-moi faire ! Si tu t'es blessé, faut qu'on aille aux urgences. Je vais te porter !
C'est ainsi que, suffoqué d'embarras, Dylan se vit chargé sur le dos de Jordan dont il tenait le ballon. Gravissant la pente et regagnant la route longeant la rivière, puis le pont l'enjambant, le sportif gloussait encore par intermittence.
-J'avais jamais vu une chute aussi cartoonesque ! Finit-il par commenter. Quand je vais raconter ça aux autres ! Qu'est-ce que tu faisais dans le coin ?
-Ma mère m-m'a envoyé à l'épicerie mais il y avait des t-travaux sur la route interdisant le p-passage même aux piétons. En p-prenant un autre chemin pour c-contourner, je me suis p-perdu…
Jordan éclata franchement de rire.
-Et t'as atterri au niveau de la rivière ?! C'est à l'opposé des rues commerçantes ! T'as pas un GPS sur ton portable ?
Les images étant plus parlantes que n'importe quelle explication, Dylan tint d'une main la balle contre le sportif et de l'autre sortit son téléphone de sa poche. Les fissures de l'écran rendaient le tactile capricieux, mais l'appareil fonctionnait encore. Le jeune homme alluma l'application et montra le portable à Jordan. Des routes apparaissaient et disparaissaient toutes les dix ou quinze secondes de chargement, et les noms ne s'affichaient pas plus que leur propre position. Définitivement hilare, le sportif conclut ainsi ;
-On ne doit pas s'ennuyer, avec toi ! Faut qu'on se voie plus souvent !
