Ça y est ! J'ai fini BG3 !
Fichtre, jusqu'au bout, cette master-class aura été énorme. Comme beaucoup, je suis un peu déçue de la fin, pas assez complète à mon sens (et bugguée en plus JUSTE pour Astarion...). J'espère que j'arriverai à donner une fin correcte pour mes deux zozos. À l'heure actuelle, je commence seulement à voir une ébauche de direction pour mon épilogue. Je suis toujours à me torturer entre ce que je veux (un vrai happy ending) et ce que ma conscience scénaristico-réaliste exige, notamment par rapport à la condition finale d'Astarion et la vérité sur Silesta. Argh, donnez-moi la force...
Tout ça pour dire que je vais reprendre l'écriture ! J'ai tout l'acte 3 à coucher sur le clavier. J'ai assemblé le squelette d'ordre des péripéties pour garder un max de cohérence entre les quêtes de tout le monde et le côté « urgent » de la quête principale. La tâche est énorme mais je ne reculerai pas. Je finirai ce que j'ai commencé, ne serait-ce que pour remercier mes rares fidèles reviewers :) Souhaitez-moi bonne chance !
Journal des reviewers :
Seulie : Il y avait vraiment un nain grillé dans le camp, c'est ignoble XD Mais comme ça m'a fait rire, je l'ai gardé.
Daidai : Sans pour autant esquiver TOUS les combats, disons que j'ai joué aussi fin que possible. Le combat de Cazador sera comme celui d'un certain nécromancien et d'un certain élu de l'acte 2. Je n'ai pas pu y couper mais j'ai fait de mon possible pour rendre la chose digeste et crédible.
Liline37 : Mdr, Silesta est une grande gentille, il faut savoir lui donner de quoi tenir tête quand même. Elle résiste, elle résiste. Mais pour combien de temps encore ? Hé hé.
C'est tipar !
CHAPITRE XI – DANS L'ANTRE GOBELINE
Le groupe approcha de l'entrée du temple principal qui était gardée par un ogre tout aussi monumental que le point de passage qu'il surveillait. Enfin, surveiller était un bien grand mot : le monstre se contenta de survoler de ses petits yeux enfoncés les arrivants et leur céda le droit d'entrée sans plus de cérémonie. S'ils avaient pu arriver jusqu'ici, c'était qu'ils avaient le droit.
La porte grinça longuement dans ses gonds et s'ouvrit sur un couloir éclairé de torches et le bruissement de voix plus loin dans la pièce centrale suivante. D'autres gobelins étaient perchés dans les hauteurs tout comme d'autres gardaient aussi l'accès à la suite du bâtiment. Une fois les visiteurs arrivés à sa hauteur, la sentinelle en charge du passage leur ordonna de donner le motif de leur venue.
Ombrecoeur jeta un coup d'œil rapide par-delà le péage et entraperçut dans la mauvaise lumière de l'immense salle devant elle une gobeline au centre d'une sorte d'estrade qui parlait à ses congénères. Ils faisaient silence tandis que sa voix éraillée déclamait avec distinction et ferveur. Ce devait être la chef dont elle avait entendu parler.
« Nous avons audience avec l'âme éveillée Haruspia », déclara la cléresse avec aplomb.
Le gobelin l'observa de haut en bas puis jeta un coup d'œil derrière lui avant de grommeler quelque chose qui devait s'apparenter à une acceptation de laisser-passer. Les créatures s'écartèrent et nos aventuriers avancèrent.
Si Ombrecoeur n'avait pas reconnu tout à l'heure que ces lieux étaient à l'origine un temple dédié à Séluné, il n'y aurait eu guère grand chose permettant de le savoir. Des débris de planches ou de pierre jonchaient le sol ici et là ainsi que des anciens bancs vernis poussiéreux ; des « ornements » primitifs gobelins faits de crânes et de toiles sales et déchirées côtoyaient des dessins tribaux peints sur la pierre érodée ; le pire de tout étant cette affreuse estrade centrale formée d'un escalier rustique dont le pinacle se dressait d'ossements et de carcasses animales.
C'était là que se tenait une gobeline à la peau caramel aussi brune que les longues plumes qui décoraient ses épaulières. Un crâne gros comme celui d'un bébé reposait sur son front et une cicatrice fermait son œil droit. Au pied de son estrade, d'autres gobelins l'admiraient d'un sage recueillement.
La prêtresse Haruspia remarqua bien vite l'étrange comité qui l'approcha et plissa son œil unique.
« Ha, vous n'êtes pas comme les autres, vous. Si vous avez reçu la bénédiction de l'Absolue, vous devez aussi recevoir la mienne. » Elle tendit la main vers eux. « Qui commence ? Tendez votre bras, que je puisse marquer votre chair. »
Le regard de Silesta glissa vers le brasero qui crépitait près de l'estrade et dont les tisons laissés dedans étaient chauffés à blanc. Elle se figea.
« J'imagine que cette marque sert à quelque chose ? subodora-t-elle d'une petite voix pas rassurée.
_ Elle prouve votre dévotion pour l'Absolue. Tous les membres du camp seront bientôt marqués. Et vous aussi, vous devrez l'être. »
Le silence qui s'ensuivit fut bref car Lae'zel s'avança et présenta son bras sans ciller. Son regard était métallique et déterminé. La prêtresse eut un sourire satisfait et alla chercher l'un des tisons. Elle saisit la githyanki par le poignet et apposa le fer dans sa paume.
Les paupières de Silesta se scellèrent dans la brûlure et la douleur qui traversa Lae'zel. Le noir obscurcit son esprit et une sensation familière la traversa. Cette gobeline avait elle aussi une larve. L'image d'un homme séduisant aux cheveux de jais donnant des instructions à Haruspia s'imprima. L'un des trois Élus vus avant d'entrer dans le camp ?
L'âme éveillée eut un petit ricanement et remit le tison dans le feu.
« Je sens votre présence dans ma tête. Néanmoins, ça marche dans les deux sens. Moi aussi, j'ai vu des ombres étranges dans votre esprit. Je peux peut-être vous aider. Entre âmes éveillées, il faut savoir s'entraider. »
Ils retinrent leur souffle et s'épièrent discrètement. Les âmes éveillées étaient en mesure de communiquer entre elles par le biais de leur larve ? Voilà une information des plus intéressantes quand on savait qu'il y avait encore deux âmes éveillées dans ce bastion. Cette Haruspia venait-elle aussi de proposer son aide pour la larve ?
« Pourrions-nous parler de ceci en privé ? lui demanda Lae'zel. C'est un sujet très sensible. »
Le calme olympien que la guerrière affichait n'avait rien d'habituel et provoqua une onde d'incrédulité chez ses comparses. Avait-elle une idée en tête ?
Haruspia hocha la tête avec satisfaction et fit un signe de tête vers l'arrière.
« Bien sûr. Je préfère même que ces autres moins que rien restent en dehors des affaires des âmes éveillées. Venez dans ma chapelle. »
La githyanki eut un bref coup d'œil à l'adresse des autres et son sourire prédateur fut tout aussi fugace. Elle avait une idée en tête. Gayle, Ombrecoeur, Astarion et Silesta laissèrent donc leur amie suivre la gobeline dans une salle latérale située plus loin. Quoi qu'elle prévoyait de faire, il fallait espérer que le risque encouru avait été bien calculé.
Silesta allait s'enquérir de la suite des opérations lorsque des cris abominables retentirent entre les murs. Quelqu'un était en train de subir quelque chose d'horrible. Cette voix était encore jeune et claire, ce n'était pas un gobelin. L'humaine ferma douloureusement les yeux à ces supplications déchirantes.
« On dirait que quelqu'un s'amuse bien », fit remarquer Astarion en levant le menton vers la source du vacarme.
Les cris continuaient et se perdaient dans l'écho avec de plus en plus de violence. Silesta sentait son corps se tendre au fur et à mesure comme la corde d'un arc. Elle fit soudain volte face et s'élança vers la volée de marches qui menait vers les cris en ignorant l'appel de ses compagnons. Et si c'était Halsin ?
La jeune femme ne sut pas comment elle se retrouva enfin à l'entrée d'une salle qui avait été transformée en cellule. Au fond de celle-ci, un brasero éclairait le spectacle d'un homme roux dans la moitié de sa vingtaine d'années écartelé à un chevalet de torture. Son visage était tuméfié par de nombreux coups reçus, ses yeux injectés de sang et son corps marqué de dizaines de sévices était couvert de sang coagulé. À ses pieds, deux gobelins armés de matraques de fortune prenaient grand plaisir à le frapper.
« Tu vas parler, oui ? Où sont partis les autres qui étaient avec toi ? »
L'homme cria sous les coups, suppliant ses bourreaux d'arrêter.
Comme face à Arabella, le son environnant se coupa tout à coup aux oreilles de la spectatrice tétanisée d'horreur. Son cœur martelait dans sa gorge et ses mains se firent moites. Au battement de cils suivant, elle se tenait juste derrière les gobelins qui sursautèrent de surprise.
« Tu viens pour t'amuser aussi, petite ? », persifla le meneur des opérations.
Le pauvre prisonnier tressaillit sur son chevalet en croisant le regard de l'arrivante. Il était vide comme l'infinité d'un ciel chargé de foudre dans une journée d'été étouffante.
« Je vais prendre le relais. »
Les mots lui parvinrent étouffés comme si elle était bâillonnée. Le gobelin éclata d'un rire cruel.
« J'adore ce regard. Vas-y sans retenue. Fais-le chanter !
_ Non ! Par pitié ! » s'écria le supplicié en gigotant.
Elle tourna lentement la tête vers le brasero près d'elle. Des tisons rougeoyaient entre les charbons, accompagnés d'autres « accessoires » qui attendaient sagement dans leur coin d'être utilisés pour infliger mille tourments. Silesta s'empara d'une masse hérissée de pointes acérées puis d'une crosse de lance. Elle entendit les gobelins applaudir sa « conscience professionnelle » et se planta devant le malheureux en ancrant sa posture.
Sa conscience se perdit dans l'effroi qui vibrait dans les yeux bleus du jeune homme.
« Silesta ! »
Elle cligna des yeux et se retourna. Ses amis se tenaient à l'entrée de la cellule, l'air choqué. À ses pieds, gisaient les corps des deux bourreaux à la peau verte, l'un avec le crâne fracassé par la masse, l'autre avec la crosse de lance plantée dans l'œil. Silesta écarta ses doigts souillés de sang et laissa retomber les armes par terre. Elle ne se rendit compte que son corps tremblait aussi fort qu'une feuille sous une tempête que quand Gayle la prit par les épaules. Les voix mirent du temps à se clarifier à ses oreilles.
« … pas attirer les autres. Il faut cacher les corps, disait Ombrecoeur à toute vitesse.
_… s'est passé ? Ça va ? », s'enquérait Gayle en essayant de capter le regard de la saltimbanque.
Cette dernière se tourna vers le supplicié qui semblait tout aussi perdu qu'elle.
« Je ne pouvais pas... le laisser ainsi... »
Le magicien échangea un regard circonspect avec Astarion. Leur amie avait conscience de ce qu'elle avait fait mais pas de la façon dont elle l'avait fait. La jeune femme qu'ils venaient de voir exécuter si implacablement ces gobelins n'était pas la Silesta qu'ils connaissaient jusqu'ici et pourtant, elle contemplait son œuvre avec un détachement enveloppé de haine sidérant.
« Je vous en prie, libérez-moi, supplia l'homme sur le chevalet.
_ Nous venons à peine de nous rencontrer, railla Astarion en lui faisant face. Si vous nous disiez d'abord qui vous êtes, l'ami ?
_ J-Je m'appelle Liam. J'étais en expédition avec une petite équipe, nous étions à la recherche d'une relique appelée Chantenuit, haleta le prisonnier avant de s'agiter nerveusement. Je vous en prie ! Je dois vite rentrer au Bosquet d'Émeraude et les prévenir qu'ils sont en danger.
_ Chantenuit ?
_ Oui. Un magicien du nom de Lorroakan nous a payés pour la lui rapporter. I-Il y a un passage caché s-sous ce temple qui doit mener à Chantenuit. On pensait que le temple était désert m-mais...
Silesta quitta le giron de Gayle et ramassa la clé du gobelin énucléé pour libérer le malheureux de ses entraves. Le pauvre homme se laissa choir au sol, secoué de spasmes musculaires incontrôlés. Le vampire roula des yeux de ne pas pouvoir s'amuser plus tandis que la jeune femme aidait Liam à se redresser.
« Vous faisiez partie de l'expédition qu'avait rejoint l'archidruide Halsin ? comprit Ombrecoeur qui revenait d'une cellule voisine reculée dans laquelle elle avait caché les cadavres gobelins.
_ Oui. I-Il s'est transformé en ours quand on s'est fait prendre. Je n-ne sais pas s'il est encore en vie.
_ Il l'est d'après ce que l'on sait, le rassura Silesta. Partez vite d'ici, soyez prudent. »
L'homme serra ses mains dans les siennes en la remerciant une dernière fois et disparut dans l'obscurité des couloirs. Un curieux silence s'installa alors entre les murs de pierre mais surtout autour de Silesta dont le geste, bien que bienveillant dans le fond avait été dérangeant dans la forme. Ombrecoeur avait vu dans la virtuosité du geste la même inflexibilité que les sharéens montraient lors d'épreuves imposées par leur déesse tandis que Gayle, lui, estimait que cela tenait plus d'une sorte de réponse viscérale à une quelconque injonction de l'esprit, bonne ou mauvaise. Quant à Astarion, cette envie de mort qui avait vidé ces yeux de pluie de leur étincelle l'intriguait au plus haut point. D'où provenait-elle ?
Il ne se rendit pas tout de suite compte que ces mêmes iris s'étaient mêlés aux siens. Ils n'étaient plus de plomb froid mais un voile lointain planait encore devant eux. Silesta ne parla pas et pourtant, il percevait encore un écho froid en elle. Quelque chose d'intense et de résigné.
Un cliquetis d'armure derrière eux les fit se retourner. C'était Lae'zel qui venait les retrouver. Elle scanna la cellule d'un œil circulaire et s'attarda sur les flaques de sang encore chaud au sol.
« On dirait que j'ai raté quelque chose. Dommage, annonça-t-elle nûment.
_ Et Haruspia ?
_ Il n'est guère prudent d'inviter une inconnue dans ses quartiers. »
Il n'en fallut pas davantage pour comprendre que la prêtresse avait été envoyée ad patres. L'un des premiers leaders n'était plus, il n'en restait donc que deux.
« Il ne leur faudra pas longtemps pour découvrir qu'un chef manque à l'appel, objecta Ombrecoeur. Il ne faut pas traîner.
_ J'y ai pensé. En revenant, j'ai dit aux gobelins que l'Absolue s'était manifestée à la prêtresse et qu'elles avaient besoin de s'entretenir ensemble pour la suite des événements. Cela nous laisse une marge de manœuvre.
_ Votre main, ça va ? s'inquiéta Silesta en voyant la brûlure dans la paume de la githyanki.
_ Je serais bien faible de ne pouvoir endurer si peu.
_ Qui s'attendait à une autre réponse ? soupira Astarion en levant les yeux au ciel. Nous sommes de nouveau au complet et nous avons fait notre bonne action du jour, nous allons couper la tête suivante ou nous allons chercher Halsin ?
_ J'ai trouvé un corridor depuis la chapelle de la prêtresse mais il ne menait pas aux geôles, il avait l'air de s'enfoncer loin vers une partie détruite du temple. »
Silesta tilta à cette évocation : ne serait-ce pas le passage dérobé dont avait parlé Liam à propos de cette relique, Chantenuit ? Gayle approuva son hypothèse mais rejeta l'idée très vite ce n'était pas leur objectif principal. Ils devaient continuer de progresser jusqu'à tomber soit sur un nouveau chef du camp soit sur Halsin.
Alors que Lae'zel et Ombrecoeur emboîtaient le pas du magicien dans la pénombre du couloir, Astarion passa près de Silesta et passa négligemment le revers du doigt sur la joue de cette dernière. Il y recueillit un reste de sang qu'il suçota sans grand intérêt et poursuivit son chemin en réprimant une grimace dédaigneuse. Le sang de gobelin était des plus amers, rien n'était bon à garder.
Encore groggy au point de ne même pas relever le geste du roublard, la jeune femme se frotta la joue avec son poignet et manqua de se remettre du sang à cause de ses doigts rougis. Elle ne comprenait pas bien ce qui s'était produit dans cette cellule. Elle revit le mouvement de ses bras armés partir avec puissance et fermeté, la pression plus forte sur son bras gauche que sur son bras droit. Elle entendit les exclamations étouffées dans la stupeur et le sang et enfin, le silence. La félicité de la douleur qui s'était tue. Avait-elle peur ? Oui. Plus que tout et pourtant, une forme de soulagement l'embrassait tout entière. Elle inspira profondément pour s'aider à déglutir cette émotion bancale qui l'envahissait et partit en petites foulées rejoindre les autres.
Les aventuriers rasaient les murs pour éviter de croiser trop de gobelins et risquer de se faire questionner. Une chance pour eux que le temple fut grand et les occupants moindre qu'ils l'avaient redouté. L'écho de leurs pas se perdait dans celui du vide des couloirs qu'ils arpentaient, longeant cellules désertes et autres pièces dont l'usage premier s'était perdu avec l'arrivée des gobelins. Ils guettaient chaque grille de fer qui passait à leur portée autant qu'ils tendaient l'oreille dans l'espoir de trouver ou d'entendre un ours derrière les barreaux. Hélas, il n'en fut rien. À défaut de trouver Halsin, ils n'hésitèrent pas à fouiller tout ce qui passait à leur portée. Nombreuses vasques et amphores s'empilaient dans les coins entre deux caisses de bois et bien que la plupart fussent vides, certaines recelaient quelques munitions fort bienvenues.
À mesure qu'ils progressaient, les murs s'éclairaient davantage ; ils devaient se rapprocher d'une nouvelle grande salle. Ils traversèrent un pont de fortune qui enjambait une crevasse dont la profondeur laissait s'échapper des crissements sonores peu rassurants. Peu importe ce qui vivait là-dedans, personne ne voulait s'engager à vérifier. De l'autre côté du chemin de planches branlantes, une nouvelle salle s'offrait à eux. La porte entrouverte laissait échapper la lumière dansante de flammes ainsi qu'un chant qui s'élevait au-dessus de voix plus discrètes. Lae'zel poussa lentement la porte pour les faire passer.
Si les torches de la salle n'avaient pas été là, nos amis n'auraient pas tout de suite vu qu'une partie du sol s'était effondrée presque à leur entrée, ne laissant qu'un grand vide sombre donnant tout droit dans une fosse dans laquelle se muaient presque sans bruit des araignées géantes aux mandibules acérées. Voilà donc le fameux bruit. De l'autre côté de la faille, un groupuscule de gobelins faisait face à une longue estrade de pierre vivement éclairée par deux braseros aux extrémités et des bougies tout le long. Au sommet de celle-ci se dressait un hobgobelin massif à la peau rouge et aux cheveux noirs absorbé par l'incantation qu'il chantait tout en exécutant des gestes lents en direction du sol. Silesta baissa le nez et remarqua une forme allongée par terre, juste entre l'estrade et les autres gobelins. Elle écarquilla les yeux lorsqu'elle découvrit ce que c'était : un flagelleur mental. Celui-ci devait être mort car il ne remuait pas d'un tentacule pas plus qu'il ne semblait être ligoté.
« Shuugaan, A shuulkac. O taash okec dor... récitait le hobgobelin avec ferveur. Parle, cadavre ! Révèle tes secrets à l'Absolue ! »
À en juger sa prestance et l'assistance qui le regardait faire dans un respect religieux, il devait s'agir d'un deuxième leader du camp. Et étant donné qu'il n'était pas drow, nul doute que c'était Dror Ragzlin qui se tenait face à eux.
Ce dernier pesta de frustration à la fin de son incantation et reprit de plus belle avant de s'interrompre, interpellé par l'étrange comité qui venait d'approcher. Il se redressa et fixa son attention droit dans la clarté des yeux d'Ombrecoeur qui était la plus proche de lui. Comme précédemment avec Haruspia, Silesta sentit sa larve remuer et le décor mourut autour d'elle pour laisser place à la vision de Dror Ragzlin s'inclinant avec respect face à l'elfe âgé en armure aperçu en vision après l'avant-poste. Ce dernier mentionnait une arme et les récompenses qui s'accompagneraient de sa trouvaille.
Elle rouvrit les yeux sur le hobgobelin qui désigna le flagelleur mental à ses pieds d'un signe du menton.
« Ça vous dit de parler à un poulpe mort ? »
Tous baissèrent la tête vers le cadavre. Même rendu inoffensive dans la mort, cette créature exhalait encore la peur qu'elle pouvait susciter de son vivant. Difficile de dire ce qui était le moins supportable entre la « bouche » fendue de tentacules luisants ou la proéminence déformée du crâne de la créature. Un frisson remonta l'échine de Silesta à cette vision. À y regarder de plus près, ce n'était pas celui qui lui avait implanté la larve sur le nautiloid mais il devait être à son bord.
« Que faites-vous avec lui ? interrogea Gayle.
_ J'essaie de le faire parler. L'Absolue dit que ce flagelleur mental avait une arme. Celui qui l'a tué s'en est sûrement emparé et s'est caché dans ce camp de pillards, grogna Dror Ragzlin de sa voix rocailleuse. Si nous trouvons celui qui l'a tué, nous trouvons l'arme. »
La tête de Silesta fut tout à coup envahie de signaux alarmés. C'était Ombrecoeur dont le visage trahissait son stress. Cette arme dont parlait l'Absolue n'était autre que l'artefact que la cléresse avait sur elle, ce même objet qui les avait tous protégés de la voix à l'entrée du camp. Ce hobgobelin ne devait pas découvrir que l'objet de sa convoitise était juste sous son nez. Nul doute que cette même injonction avait été transmise aux autres si l'on en jugeait la tension qui figeait leurs traits.
Gayle adressa à ses acolytes un subreptice signe de la tête avant de se tourner vers Dror Ragzlin.
« Allez-y, nous vous laissons faire. »
Ses compagnons ne soufflèrent mot et laissèrent le hobgobelin se pencher une nouvelle fois sur le cadavre.
« Je te l'ordonne. Parle et relève-toi. Lhuuc an ac akuul'dec shuulkokec ! »
Contrairement aux fois précédentes, quelque chose changea : une lueur verte blafarde se dessina au-dessus du corps et traça un sigil étrange qui, une fois disparu, fit léviter la créature hideuse au-dessus du sol.
Une boule noua la gorge de Silesta. Si ce flagelleur parlait, il pourrait reconnaître l'un d'entre eux ! Gayle avait-il bien conscience de cela en laissant faire ? La jeune femme observa le magicien en coin et le vit plisser les yeux en direction de Dror Ragzlin. Ce dernier sembla être pris d'une brève absence avant de secouer la tête. Elle comprit : Gayle faisait appel aux pouvoir de sa larve pour essayer de contrôler l'esprit de l'inquisiteur.
« Que faites-vous ici à Faerûn ? »
Dror Ragzlin fronça les sourcils, incrédule. Il n'aurait jamais posé cette question-ci ! Pourquoi avait-il demandé ça ?
Des images naquirent dans les esprits de l'assistance alors que les tentacules du flagelleur ondulaient autour de son corps. Un assaut de chevaucheurs de dragons rouges githyankis, leurs lames d'argent sorties au clair. Le brûlant des flammes dévorant des panneaux de contrôle illithids et des capsules faites de chair. Cette vision sembla plaire au hobgobelin qui pensa aussitôt que les githyankis savaient quelque chose. Gayle ferma les yeux tout en essayant de contenir la pression mentale croissante qui ployait sur lui.
« Pourquoi les giths en avaient-ils après ce vaisseau ? » poursuivit Dror Ragzlin, l'œil flamboyant.
Les ténèbres obscurcirent leurs pensées et le ciel se fendit pour déverser une flotte de nautiloids dévorant les astres. Les images se firent trop nombreuses et pressantes. Gayle laissa échapper un gémissement. Le corps du flagelleur retomba au sol, inerte, et Dror Ragzlin fut secoué d'un soubresaut.
« Non ! Non, je n'en avais pas terminé ! s'écria-t-il avec rage avant de baisser les yeux vers les spectateurs, encore plus furieux. Vous ! C'est vous qui avez fait ça ! J'ai senti votre présence glisser hors de ma tête ! Des traîtres ! Les gars, massacrez-les ! Pour l'Absolue ! »
Ni une ni deux, l'assemblée gobeline tira les armes et se rua sur eux. Le premier qui approcha se prit le bouclier d'Ombrecoeur en pleine face dans un gros bong ! sonore ainsi qu'un rebond droit dans la fosse aux araignées.
« Les tambours de guerre ! s'alarma Lae'zel en attrapant son épée. Il faut les détruire ou ils vont appeler des renforts ! »
Silesta leva les yeux vers les escaliers qui partaient de part et d'autre derrière l'estrade vers un balcon qui surplombait la salle. Un vieux tambour à la membrane faite en peau d'agneau usée s'y trouvait à mi-hauteur. Bolas en main, elle arma son bras de quelques moulinets et abattit l'un des poids droit sur le brasero le plus proche d'elle avant de s'élancer vers les marches. La cuve de cuivre vola et son contenu ardent se répandit dans l'air tel une pluie d'étoiles pour retomber en partie sur Dror Ragzlin qui n'avait pas quitté l'estrade. Le hobgobelin se cambra de douleur.
« Sale garce ! Ad lapide ! »
Les jambes de la jeune femme se bloquèrent tout à coup, la laissant s'effondrer contre les marches. Elle voulut se hisser sur les coudes et força de tout son possible mais son corps entier était plus raide que le tronc d'un chêne centenaire. Sa peur grimpa en flèche lorsqu'elle vit au-dessus d'elle un gobelin en train de lever la lame de son épée, prêt à l'abattre sur elle. Le sang battait à ses oreilles. Elle ne pouvait pas mourir ainsi !
La voix d'Ombrecoeur raisonna en contrebas et une vague de tiédeur traversa ses pieds jusqu'à ses épaules. Silesta se hissa sur un bras et balança sans attendre son bolas dans le flanc de son assaillant qui fut éjecté de l'escalier pour retomber en bas. Puis elle bondit sur ses pieds et franchit le dernier mètre la séparant de sa cible. Un simple coup de masse habilement dosé suffit à détruire l'instrument avant même d'avoir pu servir.
Le sifflement d'une flèche à son oreille la fit s'accroupir. Un gobelin situé en haut de l'escalier à l'opposé d'elle était bien décidé à ne pas la laisser continuer. Le temps qu'il recharge son arbalète, la jeune femme se jeta dans le vide et attrapa au vol une corde pendante à une poutre, ce qui lui laissa juste le temps de traverser l'espace et gratifier son opposant d'un gracieux coup de botte en plein nez. Elle se réceptionna comme elle put sur le rebord du balcon et une petite poussée de ses deux bolas joints termina de se débarrasser de l'importun en l'envoyant droit une crevasse béante près de l'estrade. Le deuxième tambour ne fit pas plus long feu.
« Cela resta entre nous. »
En bas, les gobelins avaient acculé Ombrecoeur et Lae'zel contre le rebord de la fosse aux araignées. C'était soit les épées gobelines, soit les affreuses bestioles. Silesta regarda partout autour d'elle, même dans les hauteurs des poutres. Une idée, n'importe quoi. Un sourire illumina son visage puis elle chercha des yeux le meilleur archer de son équipée.
« Astarion ! »
L'elfe prit le temps de finir son adversaire d'une élégante botte de la rapière qu'il avait dénichée dans un coffre avant de se tourner vers la voix qui l'appelait. L'humaine lui pointait quelque chose en l'air. Il suivit la direction de son doigt avant de regarder en bas. Il sourit. Elle avait de la ressource pour une non-combattante.
Le roublard attrapa son arc, une flèche, visa et tira. Le projectile fendit l'air et alla se loger dans la chaîne qui retenait un brasero suspendu. Le maillon se brisa et la cuve brûlante chuta de tout son poids sur la tête du gobelin le plus en retrait du groupe qui menaçait Ombrecoeur et Lae'zel. Les autres créatures beuglèrent de surprise et de douleur alors que les charbons ardents leur retombaient dessus. Les deux femmes profitèrent de la confusion créée pour les expulser droit dans la crevasse et les cris redoublèrent sous les grincements d'alacrité des araignées. Après quelques douloureuses secondes ponctuées de sons atroces, le silence retomba entre les murs de pierre, jusqu'à ce qu'une voix familière féminine ne se manifeste dans un écho :
« Le parasite du hobgobelin. »
Silesta sursauta de surprise. La mystérieuse elfe de son rêve ?
« La larve, insista la voix dans son esprit. Prends-la, elle te sera utile. »
La jeune femme baissa les yeux sur le corps de Dror Ragzlin à ses pieds et assista au répugnant spectacle d'une monstruosité rampante bardée de petites dents et longue comme un pouce sortir de la cavité oculaire de son hôte. Par les dieux, cette chose était encore plus horrible que dans ses souvenirs. Et l'inconnue nocturne voulait qu'elle la prenne avec elle ? Silesta contempla l'ignoble créature se tortiller en poussant des petits cris stridents, emplie d'un dégoût qui la pétrifiait. Non, c'était au-dessus de ses forces. D'un coup de pied affirmé, la bestiole explosa sous son talon.
Une fois libérée de la tension qui raidissait ses muscles, Silesta se hâta de redescendre.
« Gayle, vous êtes blessé ? »
Le magicien se tenait le bras, du sang coulant entre ses doigts.
« Rien de méchant, la rassura-t-il. Une chance que nous nous en tirions aussi bien. Ma négligence aurait pu nous coûter cher. J'ai été trop présomptueux de ma force mentale. »
La jeune femme ne pouvait lui en vouloir d'avoir essayé, personne ne le pouvait. Chacun d'entre eux aurait sans doute tout fait pour éviter de se frotter à toute l'assemblée, il avait le mérite d'avoir essayé. D'ailleurs, ce qu'il venait de dire interpella son interlocutrice. Elle jeta un coup d'œil furtif aux autres qui étaient un peu plus loin et se pencha vers Gayle.
« À part ça, comment vous sentez-vous ? »
L'homme comprit aussitôt à quoi elle faisait allusion si elle lui parlait à voix basse. Il fut touché de sa sollicitude et réalisait bien à quel point il pouvait la mettre en porte-à-faux vis-à-vis des trois autres. Une pointe de culpabilité vint se loger dans un coin de sa conscience. Il eut un soupir et baissa la voix à son tour.
« C'est compliqué. J'ai pu me procurer un nouvel objet à consommer mais... »
Silesta s'inquiéta et voulut en savoir davantage, hélas, leurs autres compagnons les rejoignaient. Elle garda le silence.
« Je suis curieux de voir comment vous vous en sortirez quand notre environnement ne nous fera plus de cadeau, lui lança Astarion avec amusement et une pointe de défi.
_ Je compterai sur les talents de mes alliés pour m'aider, répondit la jeune femme rousse avec confiance. Vous gardez mes arrières et je garde les vôtres ? »
Le roublard lui rendit un sourire complice. Ce marché lui convenait plutôt bien. Et quels arrières...
Ombrecoeur approcha Gayle et apposa la main sur sa blessure. Une lueur blanche illumina ses doigts et la plaie n'était déjà plus. Silesta fit la moue. Quel dommage que ces mains ne puissent pas en faire plus pour cette histoire d'amnésie.
Lae'zel balaya les lieux du regard, l'oreille tendue. Qui sait si le raffut de leur affrontement n'allait pas ameuter d'autres troupes.
« Plus le temps passe, plus nous prenons le risque de nous faire prendre, il faut continuer, dit-elle avant de se tourner vers Ombrecoeur d'un air mauvais. Mais avant, j'exige de savoir pourquoi vous détenez une relique gith, celle-là même que ces cultistes cherchent si ardemment. Je veux une explication. Ou votre tête. »
La demi-elfe lui rendit une œillade tout aussi noire et l'invectiva avec férocité de ne pas l'approcher.
« Attendez, vous pensez que c'est vraiment le moment de parler de l'artefact ? s'insurgea Silesta en les regardant tour à tour, sidérée.
_ Cet « artefact » est un héritage de mon peuple. Savoir qu'elle a dû verser le sang des miens pour l'obtenir m'est intolérable, fulmina la githyanki d'une voix frémissante de colère.
_ Cet objet est la seule chose qui nous empêche de devenir les esclaves de nos parasites, rappela Ombrecoeur avec ferveur. Soyez plutôt soulagée que je l'ai avec moi. »
L'escalade pouvait s'embraser en un rien de temps ou quelques mots. Silesta pria les deux femmes d'arrêter leur algarade tout de suite. Ce n'était ni le lieu ni le moment pour cela.
« D'autant plus que nous avons assez d'ennemis sur nos talons pour avoir à nous battre entre nous », ajouta Gayle avec fermeté.
Sa voisine rousse constatant que la lourdeur de l'atmosphère ne cessait de s'appesantir finit par se mettre entre ses camarades, plus inquiète de les voir s'écharper ici que de risquer de se faire prendre par les gobelins.
« Lae'zel, Ombrecoeur, de grâce. Ne perdez pas de vue notre objectif premier. Calmez-vous.
_ Oui, appuya Astarion. Vous avez vu tout à l'heure comment notre amie est capable de gérer ce qui l'ennuie, vous n'aimeriez pas finir comme ces pauvres gobelins, n'est-ce pas ? »
Si ce commentaire ironiquement malheureux n'avait aucunement l'objectif d'effrayer les deux ennemies, il eut le mérite de briser le cercle de tension car Lae'zel eut un mouvement de tête intrigué vers la saltimbanque. Silesta fit les gros yeux au roublard et insista une dernière fois pour continuer d'avancer. Après un dernier regard de défiance, la demi-elfe et la githyanki se rassérénèrent peu ou prou. Silesta eut un soupir intérieur de soulagement. Allaient-ils réussir à sortir de cet enfer indemnes ?
La réalité ? J'avais placé des tonneaux de poudre à canon bien tranquillement un peu partout pour Haruspia et Dror Ragzlin et j'ai foutu le feu. Simple et efficace. J'ai transmis ma passion de la destruction du décor à Silesta looooooool
