Meh. Pour les écrivains, avez-vous déjà ressenti cette lassitude pas motivée quand vous devez écrire des parties « chiantes » alors que vous n'attendez qu'une chose, écrire les passages clés ou forts de votre récit ? Eh bien je suis en plein dedans. Et c'est pas drôle. -_- C'est dangereux aussi. Si je me laisse trop gagner par ça, je vais vouloir compenser en faisant du Astarion x Silesta. Dur.

Journal des reviewers :

Seulie : Argh, désolée ! Quand je dis que j'ai envie de susciter des émotions dans mes écrits, je ne pensais pas vraiment à ça lol Mon moi écrivain est contente de l'efficacité mais mon moi humain culpabilise. Désolée !

Liline37 : Cela me rassure d'entendre que j'ai réussi à donner un rythme correct. Quand je me relis, j'ai souvent l'impression que ça va trop vite. J'essaie de donner la même consistance à chaque chapitre et de faire en sorte qu'il s'y passe au moins un événement « majeur » pour ne pas donner une impression de remplir les pages pour rien.
En fait, je crois que tout le fandom est parti sur le site AO3 mais la commu française, c'est encore pire lol. Pour le combat, si tu parles de Minthara, je n'ai aucun mérite, j'ai fait pareil dans le jeu. J'avais tellement peur de faire trop de longs repos et de faire sceller le bosquet que j'ai préféré sacrifier mes loots au lieu de m'esquinter encore plus avant de sortir (oui, j'ai buté tout le camp sur le chemin du retour, mais bon, il faut bien XP un peu mdr)
Ha ha ! Si mon humble travail t'inspire pour tes activités, je n'en suis que plus honorée ! :) Ravie de te compter parmi les fidèles de cette fic.

Hmmm... N'aurait-on pas oublier de présenter quelqu'un ?


CHAPITRE XIII – OMBRES ET LUMIÈRES

Avec l'épuisement causé par l'incident de la galerie, la moiteur de l'été et la farouche volonté de mettre le plus de distance possible avec le temple en ruines, nos amis n'avaient jamais été aussi las de marcher. Ils étaient fourbus et toutes leurs pensées n'étaient dirigées que vers une chose : un coin tranquille pour se reposer. La bonne nouvelle qui leur apporta un peu de réconfort était d'apprendre que le tunnel les avait fait sortir du bon côté ; ils étaient plus proches du Bosquet d'Émeraude qu'ils atteindraient sans problème le lendemain.

Après une heure de marche à éviter les sentiers, le groupe jugea qu'ils étaient en sécurité et se décida à s'arrêter sur un petit plateau bordé par des hauteurs calcaires. Cela leur permettrait d'être un peu plus à couvert que dans une clairière. Lae'zel s'occupa d'allumer un feu alors que Gayle installait tentures et tapis pour leur confort et Silesta aida Ombrecoeur à préparer de quoi se sustenter.

Le repas fut assez silencieux car tous préféraient se focaliser sur leur appétit. Il fallait dire qu'ils s'étaient beaucoup dépensés. La nuit était douce et agréable, bercée par un hululement de chouette dans les arbres. Cette félicité naturelle était comme un remède contre l'agitation et les sensations fortes vécues durant la journée.

Perdue dans la contemplation du feu, Silesta ne remarqua pas tout de suite que Gayle avait fini par sombrer dans un profond sommeil après s'être étendu « juste pour se détendre un peu ». Il avait à peine tenu plus longtemps que Lae'zel qui était partie dormir peu après le dîner. L'humaine se leva et s'agenouilla pour débarrasser le magicien de la coupe qu'il tenait encore dans sa main pour ne pas le gêner.

« C'était donc bien un instrument que j'avais vu dans votre dos, l'interpella la voix d'Ombrecoeur derrière elle. Étrange vièle. Je n'en avais jamais vue ainsi. »

Silesta porta la main à son dos. Elle en avait complètement oublié l'existence de l'objet. C'était un miracle qu'il n'eût pas été trop abîmé ou même détruit, surtout dans le tunnel. La saltimbanque retourna s'asseoir et posa la caisse de l'instrument sur sa cuisse.

« C'est un erhu. Il se manie comme une vièle avec un archet mais son son est plus lancinant et mystique à mon sens. »

À présent qu'elle faisait courir ses mains sur les cordes le long du manche en bois, Silesta réalisa que ses gestes n'étaient pas aussi assurés et fluides que les fois précédentes, bien que la sensation familière fût bien là. Elle avait déjà tenu ce type instrument entre ses mains mais elle ne s'en servait pas autant que ses bolas. Ses doigts pincèrent mécaniquement les cordes.

« Après la danse, la jonglerie et les acrobaties, vous êtes musicienne ? Vous êtes une barde en réalité, décréta Astarion avant d'étirer un sourire teinté de défi. Vous nous chantez un petit quelque chose ?

_ Je ne suis pas une barde, répliqua aussitôt la concernée, presque par automatisme. Si je travaillais dans un cirque, il n'est pas étonnant que je sois polyvalente. »

Sa main valide alla chercher l'archet tendu d'une mèche en crin de cheval et la jeune femme abandonna son esprit à ses sens en veille. La corde glissa sur les deux autres et laissa échapper quelques premiers sons maladroits et peu gracieux. Elle grimaça. Cela confirmait bien ses dires. Elle ferma les yeux et poursuivit. Ses phalanges finirent par se courber et glisser avec plus de précision alors que l'archet caressait ses deux cordes dans des mouvements plus suaves. Les sons langoureux du erhu s'affinèrent et s'enchaînèrent avec moins d'hésitation et de faussetés. La mélancolie de la musique gagna de plus en plus la musicienne et la porta vers une émotion encore jamais ressentie. Les accords lui parlaient et ses lèvres s'en firent interprètes :

Je suis une enfant des dieux
Installée au-dessus de cette terre décadente
Comment puis-je vivre sur un tel endroit ?
Ce n'était pas ce pourquoi je suis née

Ma course succombe à une soudaine rafale de vent
J
e risque de tomber à tout moment
Mais mes chaînes ne le permettront pas

T'ayant livré mon cœur
Mes sentiments pour toi gisent désormais éparpillés
Je ne sais toujours pas comment les rassembler

Dis-m'en plus sur tes raisons
Jusqu'à ce que je m'endorme
Je suis terrassée de remèdes qui ne fonctionnent pas
Ici, il n'y a aucun son
En quoi devrais-je croire ?

Je suis une enfant des dieux
Ces sons d'angoisse laissent des cicatrices sur mon dos
Je ne peux pas rester en ce monde
C'est mon unique pensée, je n'ai ma place nulle part

La douleur, un mur d'un froid glacial
Quelle est la prochaine chose qui m'affaiblira ?
Ne tends pas la main, même à la fin
Toi, de tous ces gens
Tu me sauveras du silence

Le dernier mot mourut sur une larme discrète qui avait roulé le long de sa joue. Silesta papillonna des paupières, surprise de cette montée nostalgique qui l'embrassait toute entière. Sa tête était toujours aussi vide de souvenirs qu'auparavant mais son inconscient débordait de paroles inaudibles.

« C'est très joli, la félicita doucement Ombrecoeur.

_ Mais ce n'est pas de moi, se rembrunit la musicienne d'une voix rauque en rangeant l'instrument précipitamment. Ce n'est qu'un... qu'un réflexe. Rien de plus. »

Le ton dans sa voix durcie jeta un froid autour du feu de camp, assez pour faire fuir Ombrecoeur qui préféra écourter la soirée en annonçant aller se coucher et prit congé pour rejoindre sa paillasse.

Silesta se retrouva une nouvelle fois seule face à ses questions et ses émotions sans image ; celle qui l'occupait en cet instant la déstabilisait complètement. Au contraire de ses découvertes pour la danse ou l'acrobatie qui l'avaient rendue heureuse et épanouie, c'était à présent une mélancolie inconnue qui pinçait son cœur. Ce n'était pas le contenu des paroles qu'elle venait de chanter qui la chamboulait autant, c'était ce que sa tête refusait de lui montrer. Qu'avait-elle perdu pour que cette chanson sans auteur la remuât ainsi ? Ou qui ?

Un autre point d'interrogation dépourvu de chaleur s'ajouta à sa confusion, plus sombre, plus inquiétant. L'épisode dans la chambre de torture lui revint et lui fit fermer les yeux. Pourquoi cette violence viscérale avait-elle pris le dessus et d'où venait-elle ? Ce n'était pas elle, n'est-ce pas ? Tous ces vides sans couleur éprouvaient sa confiance en ce qu'elle pensait connaître d'elle-même.

« Vous vous tracassez encore pour votre amnésie ? »

Elle sursauta légèrement. Elle en avait oublié la présence silencieuse d'Astarion près du feu. Celui-ci l'observait simplement mais sa clairvoyance était redoutable. Silesta comprit qu'elle ne s'en tirerait pas avec ses pirouettes habituelles, d'autant plus qu'elle ne se sentait pas la force de mentir. Elle se savait vulnérable et elle n'aimait pas ça car c'était contraire à ce qu'elle était : une artiste, quelqu'un qui divertissait les autres. Elle se trouva bête à cette pensée : où était donc la scène sur laquelle elle devait se représenter ? Nulle part. En outre, était-il raisonnable de montrer telle figure à Astarion ? Qu'importe, elle ne voulait pas lutter. Elle ravala l'aigreur qui s'insinuait en elle en essayant un sourire amer.

« Cela ne vous effrayerait pas ? Ne pas savoir de quoi vous êtes fait ?

_ Vous savez, je ne voyage pas avec vous pour votre personnalité. »

Elle souffla du nez. Astarion avait beau être multi-facettes, il allait toujours droit au but. Son insolence avait de quoi énerver et pourtant, Silesta ne lui en voulut pas. Après tout, tout cela ne le concernait pas, qu'en avait-il à faire ?

Le vampire devinait l'émoi qui tenait la jeune femme et une lointaine part de lui compatissait. Il peinait lui-même à garder en mémoire sa vie d'avant. Avant lui. Ces deux cent dernières années n'avaient fait que le réduire à l'état de souffre-douleur pour Cazador. Cela était affreux, certes, mais il était quelque chose. Cette femme, en revanche...

« Nous sommes tous faits de lumière et de ténèbres, certains ont plus d'ombre en eux que d'autres, énonça Astarion en levant la tête vers les étoiles, marquant un temps de silence. Mais ce n'est pas votre cas, Silesta. » Nouvelle pause avant de compléter comme pour se justifier. « C'est un arpenteur des ombres qui vous le dit. »

Ce qu'il venait de dire n'était pas grand-chose en soi et pourtant, ses mots suffirent à distiller une soudaine chaleur dans la poitrine de Silesta. C'était comme une cuillerée de miel dans un lait chaud pendant une rude soirée d'hiver glacial. L'humaine était incapable de détacher ses yeux d'Astarion tant elle était prisonnière de cette espèce d'absolution qu'il venait de lui accorder inconsciemment. Cela en était d'autant plus marquant que cela venait de lui. Il n'était pas vraiment du genre à s'inquiéter pour les autres si la situation ne l'exigeait pas.

Le roublard remarqua la drôle de figure de la jeune femme sur lui et comprit qu'il s'était écarté de son cadre. Il s'éclaircit la voix en redressant sa posture.

« Bref, je veux dire : ne soyez pas trop gentille non plus. Vous seriez terriblement insipide, se reprit-il avec une once de dédain. Je préfère votre petit côté charlatan. »

Elle eut un rire en son for intérieur. Elle était débarrassée du poids sur sa conscience et voulait conserver cet état d'esprit serein et heureux. Elle se leva pour aller se coucher.

« Je préfère vous laisser jouir de ce talent, maître roublard », lui glissa-t-elle avec une révérence respectueuse. Elle lui sourit doucement. « Bonne nuit, Astarion. »

L'elfe la laissa s'éloigner sans rien dire, entre deux pensées étourdies qui le laissaient circonspect. Il n'était guère habitué à ce genre de visage empreint de... qu'était-ce au juste ? Parmi les sourires qu'il avait déjà vus, il ne connaissait que la cruauté sadique de Cazador et la concupiscence manipulée des cibles qu'il avait chassées. Celui-ci n'était ni l'un, ni l'autre.

Il secoua la tête et s'en retourna à sa paillasse. Le plan ne changeait pas.

Quel étrange et incommodant mélange constituait la brûlure des yeux fatigués qui ne demandaient qu'à se fermer pour dormir et le corps qui grésillait encore d'énergie, même faible. Silesta était en plein dedans. Les mains jointes sur elle, la jeune femme contemplait l'immensité de la toile céleste piquetée de petits diamants étoilés. Ses pensées vagabondaient sans pouvoir se fixer. Son amnésie et ses parts d'ombre, des notes langoureuses de erhu teintées de mélancolie, le bosquet des druides qu'ils rejoindraient le lendemain, l'incertitude quant à leur quête d'un remède, l'aide que Halsin devait leur apporter, Astarion.

Ses doigts se resserrèrent un peu sur ses mains. Elle devait se rendre à l'évidence. L'énigmatique vampire était bien trop ancré dans sa tête ; elle ne pouvait plus s'interroger ou le nier. Il n'était plus question de jeu avec leurs joutes verbales ou de fierté : elle était attirée par Astarion, ni plus ni moins. Par son charme naturel, son bagout de miel ou cette imperceptible facette vulnérable qu'il ne laissait paraître qu'en de rarissimes occasions, impossible de dire si ce n'était pas simplement les trois. Les faits étaient là.

Silesta roula sur le côté avec un soupir d'abandon. N'avait-elle déjà pas assez à gérer pour...

« Hum ? Qu'est-ce que c'est ? »

Une faible lueur lilas venant de l'intérieur de son sac posé près d'elle venait de l'interpeller. La saltimbanque l'attrapa et regarda dedans. La lumière émanait d'une grosse pierre légèrement ovale et lisse qui prenait la place de sa paume. Elle avait dû la récupérer dans la salle du trésor chez les gobelins.

C'était une grosse améthyste aux profondes nuances entre le violet lavande et le prune, douce au toucher et pourtant froide contre la peau. Même dans l'obscurité de la nuit, Silesta distinguait nettement toutes ses variations de couleurs. Un frisson la traversa alors qu'elle la détaillait avec attention et une lumière éclaira son esprit. Cette sensation...

La jeune femme quitta sa couche et approcha à pas de loup du coin où Gayle dormait en prenant garde de bien rester dans les ombres. Elle s'agenouilla près du magicien qui dormait à poings fermés et plongea la main dans sa besace. Elle attrapa tout de suite ce qu'elle cherchait et fila tout aussi discrètement vers son point de départ.

Elle posa contre ses jambes repliées en tailleur l'effrayant livre de la Nécromancie de Thay dont les yeux blafards brillaient de lueur violacée. La même impression de malaise vécue dans la crypte cachée commença à s'insinuer dans ses os. Un simple coup d'œil à la bouche béante et à l'améthyste qu'elle tenait confirma l'hypothèse que la jeune femme s'était faite : la taille correspondait parfaitement.

Trop heureuse de pouvoir débloquer le livre pour Gayle et lui en faire la surprise au petit matin, Silesta glissa la sphère brillante dans la cavité hurlante. Les yeux étincelèrent d'une lumière inquiétante en même temps qu'un violent spasme la traversa. Elle retomba sur le dos de tout son poids, le souffle coupé.

Son corps était figé dans un bloc de glace brûlante invisible, des hurlements d'agonie terrifiants verbalisés par sa propre voix se répercutèrent aux quatre coins de sa tête dans une douleur indicible. Une terreur rampante commença à l'enlacer tel un serpent sournois. Si elle se laissait faire, elle serait perdue. Assiégée de panique par ses sens prisonniers, Silesta rassembla toute sa volonté dans ses mains et parvint à lâcher l'ouvrage maudit qui retomba dans l'herbe tendre. Ses paupières se rouvrirent et elle se jeta sur le côté pour éviter de toucher à nouveau le livre. Son cœur battait dans sa gorge sèche et tout son corps était courbaturé.

« Quelle... horreur... »

L'infortunée curieuse ne chercha pas à réitérer l'exercice. Elle attrapa le livre dans la pièce de tissu qu'elle gardait comme serviette et se se remit debout comme elle put, bien décidée à remettre cet objet de malheur là où il était. Tous les non-magiciens subissaient-ils autant de désagréments face à des objets magiques ?

Une fois retournée près de Gayle, Silesta fourra très vite le livre dans le sac en se promettant de bien prévenir son allié de ce qui l'attendait. Des voix toutes proches la firent s'immobiliser. S'était-elle fait remarquer ? Tapie dans l'ombre, elle tendit un peu le cou au-dessus d'un buisson avant de se raidir d'effroi face à ce qu'elle était en train d'assister.

Penchée au-dessus de Lae'zel en lui bloquant les bras avec ses pieds et l'appui d'une dague sous la gorge, Ombrecoeur tenait la githyanki en respect avec une froide détermination.

« Je n'ai pas oublié vos petites menaces de tout à l'heure, susurra la prêtresse avec un sourire supérieur. Vous m'y contraignez.

_ Épargnez-moi vos justifications, lâche ! cracha sa prisonnière avec fureur.

_ Si l'on me pose des questions, je n'aurais qu'à dire que vous vous transformiez. Personne ne vous regrettera. »

Silesta ne pouvait en souffrir davantage ; elle bondit de sa cachette et accourut vers les deux femmes.

« Vous n'allez pas recommencer ? Avez-vous perdu l'esprit ? Ombrecoeur, ne faites pas ça ! »

Un instant surprise par cette arrivée impromptue, Ombrecoeur ne perdit cependant rien de sa poigne envers sa captive.

« C'est de l'artefact dont nous avons besoin, pas d'elle.

_ Libérez-moi et vous allez voir », menaça Lae'zel de plus en plus frissonnante de rage.

La jeune femme rousse serra les dents. Depuis le début, ces deux-là étaient pire que chien et chat et pourtant, elles avaient tellement en commun – même si elles ne voulaient pas l'admettre. La situation risquait de dégénérer d'un moment à l'autre. Il fallait raisonner Ombrecoeur qui était la plus instable pour l'instant.

« Nous avons besoin de Lae'zel et vous le savez. Laissez-lui sa chance », implora l'humaine sans quitter la clarté de la dague du regard.

La détermination de la demi-elfe vacilla à ses mots et elle plongea ses yeux vert d'eau dans ceux de Lae'zel. Pouvait-elle vraiment lui faire confiance sans risquer de prendre un coup dans le dos ? Silesta grimaça douloureusement quand la githyanki persifla que les voleurs ne méritaient pas cette grâce. Lae'zel restait fidèle à elle-même, hélas.

« De grâce, cessez de vous raccrocher à votre fierté sans borne ne serait-ce qu'une seconde, voulez-vous ? vitupéra Ombrecoeur avec hargne. À quoi bon être ennemies ? Nous en avons bien assez autour de nous !

_ Oh, et que voudriez-vous que l'on soit ? Des amies ?

_ Ne présumons pas trop de nous-mêmes. »

La jeune femme à la tresse brune libéra l'otage de son entrave et recula prudemment en restant sur ses gardes. Soulagée de cette fragile trêve, Silesta chercha à la consolider avant qu'une nouvelle faiblesse ne la fît voler en éclat. Elle se tourna vers Lae'zel qui se relevait.

« Que pourraient faire nos prochains obstacles contre les fantastiques ravages vos deux ressentiments combinés ensemble et non l'un contre l'autre ? Rien. Absolument rien. Pensez-y. »

Elle guetta, presque en apnée, la réaction de la githyanki qui semblait considérer l'ensemble de ses options. Après quelques secondes, cette dernière eut un hochement de tête résolu, quoiqu'un peu de mauvaise grâce. La bombe était désamorcée.

« Sur ce, si le spectacle ou plutôt le non-spectacle est déjà terminé, bonne nuit », lança nonchalamment Astarion qui avait assisté à la scène en toute quiétude.

Et il se retourna sur sa paillasse comme si de rien n'était, laissant les trois femmes dans une circonspection bancale.

La nuit fut courte et compliquée pour Silesta au vu du galimatias d'émotions diverses qui l'avaient traversée durant. Après la vive querelle entre Ombrecoeur et Lae'zel, l'humaine avait eu peine à s'autoriser à s'endormir, d'autant plus que des relents glacés laissés par la Nécromancie de Thay s'étaient ajoutés à ses tourments sous la forme d'une pointe douloureuse logée dans la poitrine.

Ce fut la main de Gayle lui secouant doucement l'épaule qui la tira de son sommeil sans rêves mais hanté d'angoisse et d'opaque tension.

« C'est l'heure », l'appela le magicien.

La tête encore lourde de ses brumes oniriques, Silesta prit le poignet de Gayle pour le retenir avant qu'il ne parte.

« Le livre... marmonna-t-elle, la vision endolorie par le soleil. J'ai pu le déverrouiller...

_ Comment ?

_ Un coup de chance. » Elle se redressa sur son séant. « Mais méfiez-vous. Cette chose est terrifiante. »

Elle se passa la main sur le visage pour s'éclaircir au mieux les idées. Gayle s'inquiéta de ses propos et lui demanda ce qui s'était passé. Son interlocutrice lui rapporta son expérience et lui conseilla une nouvelle fois de faire preuve de prudence s'il avait l'intention de consommer la Trame de ce livre. Elle n'osait imaginer les effets causés sur son organisme avec la pleine puissance magique de l'objet. La jeune femme fut interpellée par l'étrange voile qui obombra les traits habituellement joviaux du magicien après son récit.

« Gayle ?

_ Merci pour votre sollicitude, la rassura-t-il en secouant la tête. Je regarderai cela dès que possible. Mais vous, vous vous sentez mieux ?

_ J'ai encore une petite gêne mais rien de méchant, répondit-elle en se tapotant le sternum. Ça va aller. »

Gayle lui adressa un dernier sourire amical puis s'en retourna pour la laisser se préparer. Silesta était perplexe. Quelque chose ne tournait pas rond. Elle se souvint de son précédent échange avec son ami concernant son état particulier et il avait déjà laissé entendre que tout n'allait pas comme il le souhaitait.

La vision de Lae'zel qui terminait de préparer son paquetage interrompit sa réflexion. La saltimbanque se leva rapidement et alla retrouver sa camarade qui l'accueillit d'un geste bref du menton pour l'inviter à parler. L'humaine subodorait déjà la teneur de l'échange qu'elle s'apprêtait à engager mais sa conscience la contraignait.

« Par rapport à cette nuit, avec Ombrecoeur...

_ Il n'y a plus rien à en dire en ce qui me concerne », trancha aussitôt la githyanki.

Elle s'était attendu à pire.

« C'est bon à entendre, se contenta de répondre Silesta avec un sourire engageant.

_ C'est dans le conflit que les liens se renforcent. Néanmoins, je déconseille à Ombrecoeur de réitérer l'expérience. L'issue ne lui serait pas aussi favorable. »

Il eût été trop facile que les rancœurs se dissipent aussi facilement, n'est-ce pas ? D'un autre côté, Silesta avait envie de rire : si les tensions belliqueuses formaient le ciment de ses relations, Lae'zel aurait de quoi faire un palais majestueux avec quiconque croisait sa route. Satisfaite de savoir que ces deux collègues ne risqueraient – normalement - plus de s'entre-tuer, la jeune femme rousse prit congé de la guerrière pour aller s'adonner à ses étirements matinaux avant le petit déjeuner.

Après avoir mangé et récupéré leurs affaires, les aventuriers levèrent le camp et se remirent en route, direction le Bosquet d'Émeraude. Si tout se déroulait sans encombre, ils atteindraient leur destination pour la fin de la journée.

Sur le trajet, l'entretien futur avec Halsin était sur toutes les lèvres. L'espoir d'être enfin guéris grâce au druide s'était volatilisé mais une porte de secours s'offrait peut-être à eux. Ils ne devaient pas perdre la foi, surtout qu'ils n'avaient pas d'autre solution pour le moment. Silesta avait hâte de revoir Halsin ; il lui avait fait une très forte impression, un mélange de charisme brut et de douce sagesse qui vous donnait aussitôt confiance et invitait au respect. Et quel physique !

« Avez-vous déjà vu un elfe aussi imposant ? s'interrogea la jeune femme qui revoyait dans son esprit le druide la dépasser d'au moins une tête et demi. Ses bras sont aussi épais que moi. Vous croyez qu'il a un lointain sang orc dans sa généalogie ?

_ Il ferait en tout cas un excellent bouclier en cas d'attaque, reconnut Astarion en mimant une parade d'attaque.

_ J'espère surtout que ce qu'il aura à nous dire sur ce qu'il a découvert sur les larves ne va pas nous embarquer dans pire encore que les gobelins, pointa Ombrecoeur, plus réservée.

_ À mon avis... »

Gayle n'eut pas le temps de s'exprimer car un bref bruit non-identifiable se fit entendre. Lorsqu'ils firent volte-face, les aventuriers trouvèrent un homme mystérieusement apparu derrière eux. Il était brun et élégamment vêtu d'une riche tunique bleue brodée sur une chemise rouge à collerette. D'âge mûr, ce gentilhomme jouissait d'un beau visage aux traits lisses et affables, d'un nez droit et des yeux sombres à la fois rieurs et perçants. D'où sortait-il tout d'un coup ?

L'inconnu regarda autour de lui comme s'il découvrait les lieux.

« Eh bien, eh bien, quel est donc cet endroit ? dit-il d'une voix traînante, le sourire en coin. Un chemin vers la rédemption ou une route vers la damnation ? Difficile à dire car votre périple ne fait que commencer. »

Loin de se laisser distraire par les visages préoccupés face à lui, il poursuivit sa réflexion solitaire.

« Qu'est-ce qui siérait le mieux à cette occasion, hmm ? Une comptine, peut-être ? La sourit rit, satisfaite : elle damait le pion au chat ! Soudain, une griffe sur sa tête ; elle pensait gagner, ou pas. » Il s'inclina brièvement sans se défaire de son sourire. « Bien le bonjour. Je suis Raphaël, pour vous servir. »

Pendant qu'elle l'avait observé, Silesta avait retrouvé en cet homme la même théâtralité que chez Astarion, à la différence que l'aura qui se dégageait devant elle avait quelque chose de bien plus malsain et inquiétant. De son arrivée impromptue à sa façon de se présenter, rien chez ce Raphaël n'était normal. Même ses compagnons semblaient plus enclins à la méfiance qu'autre chose.

« Charmante récitation, minauda Ombrecoeur en toisant leur hôte. Nous adressons-nous au chat ou à la souris ? »

Raphaël secoua la tête en haussant un sourcil amusé. Il n'était ni l'un ni l'autre, il se définissait plus comme le renard tapi dans les bois ; un observateur silencieux prêt à bondir de sa cachette.

« Ce que j'ai à vous dire nécessite un peu plus d'intimité et... de raffinement, oserai-je dire, poursuivit-il toujours aussi assuré. Cet endroit est bien trop perdu à mon goût. Permettez ? »

Un flash de lumière vive venu de nulle part irradia tout à coup jusqu'à tous les engloutir. La seconde suivante, le blanc aveuglant se dissipa pour laisser place à une immense salle digne des palais les plus majestueux. Sous une hauteur de plafond étourdissante, nos amis venaient d'apparaître dans une salle à manger somptueusement décorée. Une immense table octogonale offrait un appétissant festin servi dans de la vaisselle d'argent et qui n'attendait que d'être dégusté dans de belles chaises tapissées de cuir rouge. Charcuterie, poissons nobles, tartes et pains en tout genre, coupes de fruits brillants, tout était pour faire envie. Une cheminée plus grande qu'un homme brûlait d'un feu paresseux qui projetait ses flammes sur le sol et les murs de marbre anthracite aux dorures soignées. Tout ce luxe clinquant aurait de quoi émerveiller si cette téléportation surprise n'avait pas pris de court les aventuriers hébétés.

« Voilà qui est mieux, se félicita Raphaël qui se tenait devant l'âtre.

_ Où sommes-nous ? somma Gayle, sur ses gardes.

_ La Demeure de l'Espoir. Là où se reposent ceux qui sont fatigués et où mangent les affamés. Je vous en prie, profitez du souper. Après tout, ce pourrait être le dernier. »

L'onctuosité ronronnante dans la fin de sa phrase n'avait rien de bienveillant. Loin de se laisser séduire par son invitation, Lae'zel lui demanda ce qui lui faisait dire cela, ce à quoi Raphaël évoqua un « neuvième sens » avant qu'une colonne de feu ne s'abatte sur lui dans un tourbillon ardent. Le feu disparu, l'élégant gentilhomme avait revêtu une peau carmine et une massive double paire de cornes d'ébène sur son front, sans oublier d'immenses ailes en peau qu'il étira légèrement pour se détendre.

« Quand on parle du diable, on en voit le bout de la queue », susurra celui-ci, satisfait de son entrée.

Un diable. Les voilà invités d'un diable, rien que ça. Silesta était tendue, les mains près des dragonnes de ses bolas. Elle savait au fond d'elle que cela était complètement inutile face à ce type de créature mais elle en ressentait le besoin pour se rassurer, même si aucun signe d'agressivité ne se faisait voir.

L'hôte diabolique sembla percevoir la méfiance qu'il inspirait à ses hôtes.

« Allons donc, détendez-vous. Suis-je un ami ? Peut-être. Un ennemi ? Possible. Mais un sauveur ? Sans aucun doute.

_ Et de quoi un diable nous sauverait-il ? » lança Astarion.

Raphaël s'agaça ; à quoi bon feindre l'insouciance alors qu'une larve avait élu logis dans leur crâne ? Un cerveau et un parasite, l'un des deux était de trop sous ces petites têtes.

« Je peux vous arranger cela aussi simplement que ça », annonça le diable en embrasant ses doigts d'un claquement sec.

Il y eu un silence dans la salle de banquet. En dépit des circonstances qui n'étaient clairement pas de confiance, Silesta distingua le doute poindre sournoisement dans l'esprit de ses camarades. Ils n'allaient tout de même pas accorder la moindre once de considération à cette proposition, n'est-ce pas ?

Hélas, le diable était aussi clairvoyant que redoutable et se tourna vers la jeune femme rousse.

« En plus de votre parasite qui vous mange la cervelle, vous souffrez également d'un autre type de vide dans votre tête, mademoiselle. Je puis aussi vous aider. »

Elle sursauta légèrement. Même le miel le plus doux autour des mots ne lui ferait pas oblitérer ces yeux noirs démoniaques et ce sourire enrobé de mauvaise malice.

« Je préfère encore rester amnésique que traiter avec un diable ! Il en est de même pour ma larve. Je connais les basses méthodes de ceux de votre espèce. »

Raphaël ne prit pas ombrage de cette véhémence. Tout cela n'était qu'un triste déni de la réalité. Qu'à cela ne tienne, il avait le sentiment que ces hôtes finiraient par changer d'avis... avant de changer tout court.

« Faites donc. Allez donc trouver votre remède par vous-même, les invita-t-il d'un geste négligé du bras. Explorez, quémandez, volez. Épuisez toutes vos possibilités jusqu'à la lie. Et quand la dernière lueur de votre sursis s'en ira mourir dans les tréfonds du désespoir, vous viendrez ramper à ma porte. »

Le diable les prévint qu'il resterait dans l'ombre à les surveiller se tortiller en attendant ce moment puis d'un geste de la main, une nouvelle lumière emporta les aventuriers qui se retrouvèrent sur le chemin montagneux depuis lequel ils avaient été enlevés. La transition entre la pénombre du château et la lumière aveuglante d'un soleil d'été leur fut douloureuse.

« Tsk'va ! pesta Lae'zel entre ses dents. Avait-on besoin de se retrouver maintenant mêlés aux affaires d'un diable ?

_ Vous croyez qu'il pourrait vraiment faire quelque chose pour nous ? hésita Ombrecoeur d'une voix incertaine. Les diables ont d'immenses pouvoirs.

_ Il avait l'air très sûr de lui », accorda Astarion qui lui, l'était moins.

Silesta n'en croyait pas ses oreilles. S'écoutaient-ils seulement un instant ? Ils parlaient d'un diable ! Les êtres les plus vicieux maîtres dans l'art de la manipulation et de la duperie, capables de vous faire miroiter monts et merveilles en échange d'une contre-partie que l'on imaginait au pire raisonnable ou au mieux avantageuse mais qui au final se galvaudait toujours au détriment du malheureux contractant.

« Vous n'allez pas marcher dans cette combine. Ne voyez-vous pas qu'il se gausse de nous ? Nous ne sommes pas ses choses. »

Astarion eut un regard discret pour Silesta qui le capta par hasard et le soutint. Elle devina ses pensées et le vague écho de l'influence néfaste de Cazador qui les traversait. Il devait être le dernier d'entre eux à vouloir passer un nouveau marché.

« Silesta a raison, approuva Gayle avec gravité. Il n'est jamais bon de trop s'appesantir avec des forces qui nous dépassent. Les conséquences sont rarement celles attendues. Poursuivons notre route. »

Le ton dans sa voix laissait bien plus entendre que le simple sage conseil. Il parlait en connaissance de cause. Gayle était décidément bien sombre ces derniers temps ; hélas, ce n'était pas encore le bon moment pour essayer d'en discuter avec lui.


Yaaaaaaaay ! Raphaël aka the most magnificent (Disney) bastard est dans la place ! Comme je l'aime, cet escroc à la rime facile. Et quelle chanson ! XD

Fangirlisme en approche pour le prochain chap