* sort les pompons *

Pour fêter l'immense succès de BG3 aux Game Awards hier, je poste la suite avec un peu d'avance ! GG LARIAN !

Yaaaaaaaaaaaaaaay ! Hip hip hip hourra et banzaï pour l'inégalable, génialissime et si précieux Neil Newbon qui n'a pas volé son award du meilleur comédien de doublage 2023 ! Je suis tellement contente pour lui ! Sa dévotion et son talent déployés pour donner vie à Astarion méritaient d'être récompensés comme il se devait. C'est grâce à des personnes comme lui que je trouve le doublage aussi génial et fascinant. Il devait gagner et cela n'a été que justice. Magnifique discours au demeurant. J'espère que sa carrière explosera d'un milliard de magnifiques projets.

Love you, Neil !

Journal des reviewers :

Seulie : Je devais passer par les Tréfonds pour une raison évoquée dans ce chapitre en plus du fait que je n'avais pas du tout envie d'aller à la crèche. Le souci, c'est qu'en faisant ça, je me suis aperçue tardivement que je passais à côté d'un perso clé pour la suite de l'acte 3 et c'est là que j'ai bataillé pour rattraper le bouzin après... -_- M'enfin, on y est pas encore.
J'adore cette musique, je la passe en boucle en ce moment et j'arrête pas de penser à mes deux loulous. 3 Merci pour tes encouragements, j'en ai bien besoin. Faut pas que je regarde mon document-trame à suivre, ça me fait voir tout ce qui me reste à faire XD

Liline37 : Ah Drizzt ! L'idole de notre Astarion qui voulait lui piquer ses armes (il me semble) et Ombrecoeur qui avait presque succombé à ses « yeux lavande ». XD Oui, depuis que j'ai vu cette session de D&D avec le casting du jeu, ça m'a presque donné envie de lire l'histoire de Drizzt. Je le ferai sans doute dès que je le pourrais, en fait.
Je savais pas trop comment gérer l'après-nuit par rapport aux autres où même Silesta. Dire ? Pas dire ? Chambrer ? Réprimander ? J'ai joué la facilité avec le « on sait tous mais bon, on a plus important à gérer donc passons à autre chose, voulez vous ? » mais la prochaine fois, ils ne s'en tireront pas à si bon compte XD
Et vi, j'avoue, Gayle est trèèèèèèèèèèèèèès légèrement jaloux là, même s'il est plus inquiet pour Silesta face au grand méchant loup Astarion et aussi par rapport à son orbe qui le travaille pas mal. Après tout, notre magicien n'est-il pas le plus facile à séduire ? Tout le monde se plaignait de lui ! Alors, je colle à la réalité du jeu. Silesta a tout pour lui plaire humainement parlant alors, go. Ce n'était pas du tout prévu au départ mais en allant, j'avais aussi envie d'impliquer un peu notre Gayle chéri.
Ça me touche beaucoup ce que tu me dis sur ton envie de reprendre et je ne peux que t'encourager. Une fois qu'on s'y remet, ça revient quasiment tout seul. Si tu publies ici, je serai ravie de lire ça et te reviewer, ce ne serait que la moindre des choses ! J'espère que tu trouveras le temps/la force/l'envie de sauter le pas !

Et si on avançait un tantinet sur le passé de certain(e)s ?


CHAPITRE XVI – CE QUI SE CACHE EN MOI

Silesta se rendit auprès de Lae'zel pour prendre de ses nouvelles. Même après avoir presque tutoyé la mort, la fière guerrière githyanki ne se déferait jamais de sa prestance, et surtout pas quand sa meilleure ennemie était en train de la soigner. Ses yeux reptiliens obstinément tournés sur les stalactites au-dessus de sa tête, Lae'zel marmonnait dans sa barbe des grognements inaudibles qui devaient laisser entendre qu'elle pouvait s'en sortir seule.

« Elle est frustrée d'avoir été mise à terre aussi vite, traduisit Ombrecoeur à l'attention de l'arrivante.

_ Je la comprends. Qu'une simple saltimbanque en fasse plus qu'elle sur un spectateur de cette taille, je l'aurais mauvaise aussi, concéda Silesta avec une fausse condescendance.

_ Chk. Vous avez juste eu de la chance », trancha Lae'zel de mauvaise grâce.

L'humaine sourit, heureuse de la savoir en forme malgré tout. Elle revenait quand même de loin. La saltimbanque laissa sa comparse aux bons soins de leur guérisseuse et rejoignit Gayle qui scrutait l'étendue de roche noire auréolée ici et là des lueurs blafardes de la faune mycosique. À en juger sa mine sérieuse, il devait penser la même chose que les autres : était-ce une bonne idée d'être venus ici et par où continuer ? La jeune femme resta silencieuse pour ne pas perturber ses pensées. Il finit par se tourner vers elle, en quête muette d'un avis. Elle lui retourna un haussement d'épaules avec un sourire hésitant mais plein de bonne volonté.

« On s'adaptera comme on le faisait jusqu'ici. »

Elle s'attendait à ce qu'il lui réponde par un trait d'humour, mais non. Gayle était aussi terne que leur environnement. Silesta perdit son sourire. Voilà l'opportunité qu'elle attendait depuis longtemps.

« Votre condition ne s'améliore pas, n'est-ce pas ? »

Gayle eut un bref mouvement de tête par-dessus son épaule puis baissa les yeux.

« La consommation de Trame semble avoir de moins en moins d'effet. Je n'ose imaginer si... » Il se reprit, plus sombre encore. « Non. Je n'ose imaginer quand l'effet de satiété aura disparu complètement. »

Silesta se mordit la lèvre. Voilà donc pourquoi il était si préoccupé ces derniers jours. Elle voulut lui répondre mais elle se retint. Gayle était en proie à un doute extrême et il se demandait visiblement comment il devait s'en défaire. Voir son aîné d'ordinaire si sûr de lui et jovial plier sous le poids de l'angoisse lui fit tout drôle. Avec Lae'zel, Gayle avait été jusqu'ici un pilier fiable et sans faille qui se craquelait à présent. Ce ne fut que là que Silesta réalisa qu'il était aussi pétri de fissures, comme eux tous. Elle eut mal pour lui et ne pas savoir quoi faire la frustrait.

« Gayle... »

Il ferma douloureusement les yeux en secouant la tête. Même si sa sollicitude le touchait, Silesta était à les lieues de ce qu'il en était vraiment. Après quelques instants face à lui-même, le magicien se tourna vers elle, l'air encore plus grave mais déterminé.

« Je ne peux plus taire ce qui se passe, ce serait inconsidéré de ma part. »

Accompagné de Silesta, il alla retrouver les trois autres qui finissaient de se remettre de leurs émotions respectives et les appela à l'écouter.

« Le moment n'est pas des meilleurs mais il faut que je vous parle, c'est très important, énonça-t-il en les considérant un à un. Je vous dois la vérité. Vous devez savoir qui j'étais et ce que je suis réellement. »

Le silence se fit et tous le guettèrent avec appréhension. Gayle se présenta alors comme l'ombre de la promesse qu'il détenait autrefois et que certains qualifieraient de magicien prodige. Depuis son plus jeune âge, ses prédispositions et son talent naturels pour la manipulation de la Trame étaient évidents, semblables à ceux d'un artiste de génie qui maniait le pinceau ou la plume avec une telle virtuosité que les yeux de maîtresse de la magie elle-même finirent par se poser sur lui.

« La Dame des Mystères ? La déesse Mystra ? » articula lentement Ombrecoeur, ébahie.

Gayle acquiesça tristement. Elle fut d'abord sa mentor et au fil du temps, elle devint sa muse puis sa maîtresse. Astarion siffla d'admiration.

« Vous savez vous entourer, vous. Et puis, abaisser une déesse au rang de muse... Je suis presque impressionné.

_ Notre lien était complet. Par le corps, l'esprit, l'âme, se remémora le magicien avec douceur avant de froncer les sourcils. Et pourtant je désirais encore plus que cela. Les dieux se gardent bien de révéler toute l'ampleur des possibilités de la Trame aux mortels mais quand j'étais avec Mystra, je me tenais au bord de cette limite et des merveilles qui s'y trouvaient au-delà. J'ai fini par outrepasser cette limite. »

Gayle voulait plus que ce que la déesse même de la magie ne lui offrait déjà et en dépit de ses supplications, il n'eut rien de plus. Alors il voulut prouver qu'il était digne de ses ambitions. Au cours de ses études, le magicien avait découvert l'existence d'un livre qui contenait un fragment de Trame fracturée qui s'était perdu des suites d'un immense cataclysme.

« Et si, me dis-je, et si je rendais à la déesse ce morceau d'elle-même, après tout ce temps ? Dans ma grande naïveté, j'espérais que ce geste la ferait changer d'avis à mon sujet. »

Silesta comprit au ton qu'il employait que l'issue n'avait pas été celle qu'il espérait. Elle lui demanda doucement ce qu'il se passa alors avec le livre. Pour toute réponse, Gayle posa un genou à terre et lui offrit sa main.

« Posez votre main sur mon cœur. Je vais vous montrer. »

Elle hésita puis s'exécuta. Gayle apposa les siennes par-dessus et une langueur ondula dans la tête de la saltimbanqye quand l'homme lui ouvrit son esprit. Les abysses l'étreignirent. Le livre. Les vrilles obscures du chaos qui la submergeaient pour l'enserrer d'une oppression à peine soutenable. Une douleur indicible. Secouée d'un frisson qui raidit son corps, Silesta écarquilla des yeux effarés sur l'homme à ses pieds.

« Co... Comment êtes-vous encore vivant ? souffla-t-elle d'une voix brisée.

_ Dans mon malheur, je n'ai pas été tué sur le coup lorsque j'ai absorbé ce fragment, cela aurait été trop simple. Ce n'était que le début. »

Il relâcha sa main et se remit debout. Ce fragment, cet « orbe » de Néthéril encastré dans sa poitrine nécessitait d'être nourri. Tant qu'il était fourni en Trame depuis des supports suffisamment puissants, il restait en stase. Et s'il venait à devenir trop instable...

« Vous en mourrez, acheva Lae'zel sans fioriture.

_ Pire. J'exploserai. »

Gayle n'estimait pas exactement l'amplitude concernée mais de ce qu'il connaissait de ce type de magie, l'infime fragment qu'il avait en lui suffirait à rayer de la carte une cité comparable à Eauprofonde.

Le silence qui prit place frémissait autour d'eux, teinté de choc et de peur. Pouvait-il en être autrement après avoir appris que l'un d'entre eux portait une bombe prête à exploser ? Gayle mesurait pleinement la portée de ce que son secret était en train de provoquer chez ses accompagnateurs qui devaient se sentir trahis en plus du reste.

« Juste un mot de vous et je m'en irai. Je le comprendrai », déclara-t-il.

Silesta ouvrit la bouche, muette. Les visions qui l'avaient traversée étaient encore bien trop vivaces pour réfléchir clairement. L'implacable Lae'zel fut la première à s'exprimer, durement mais réalistement :

« Vous représentez un danger aussi instable que fatal. Nous devrions vous tuer avant que vous nous annihiliez dans votre déflagration.

_ Nos larves peuvent nous prendre aussi par surprise, objecta Ombrecoeur. L'artefact nous protège pour l'instant, oui, mais en sera-t-il toujours ainsi ? »

D'abord impassible par ses pensées, Astarion fit une moue agacée.

« Je ne me suis pas affranchi de la lumière du jour pour finir englouti dans celle d'une supernova, commença-t-il avant de se parer à nouveau de son éternel sourire amusé. Mais ! Que serait une aventure sans son petit grain d'inconnu mortel ? Et rien que par respect pour votre culot d'avoir mis une déesse dans votre lit, vous avez mon soutien. »

Cela restait un argument comme un autre. Ne restait que la jeune femme rousse pour qui le voile s'était à présent levé. Évidemment qu'elle ne laisserait pas Gayle tomber. Elle le lui avait déjà promis le soir où il lui avait avoué une part de son problème. Ils avaient commencé ensemble, ils iraient jusqu'au bout ensemble.

Gayle déglutit, submergé par un soulagement visible. Ils n'avaient pas idée de ce que leur confiance lui inspirait. Il soupira avec un sourire ragaillardi.

« Du plus profond de mon cœur, le vrai, pas celui qui nous menace, merci. Merci à vous tous. Je comprendrais si vous vous détourniez de moi et je serais touché si vous restiez avec moi. Dans tous les cas, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour ne pas vous décevoir. Si vous gardez espoir alors que je me tiens au bord d'un précipice, j'en ferai de même. Je me battrai.»

La tension de l'atmosphère s'évanouit doucement, même si elle laissait en son sillon une arrière-pensée bien funeste. Gayle était en sursis et eux avec. Pourvu que sa bombe tînt suffisamment longtemps pour leur laisser le temps de se défaire de leur parasite ou de trouver une solution pour la faire taire sans se déclencher.

Lae'zel était à présent opérationnelle, rien ne les empêchait de poursuivre leur route. Le groupe quitta vite la corniche des drows pétrifiés et décida de continuer vers l'ouest.

La dangereuse situation de Gayle était sur toutes les bouches, notamment à propos de ce que le magicien comptait faire s'il venait à sentir qu'il perdait le contrôle de son orbe. Il avait déjà anticipé ce moment tant redouté : il s'assurerait d'être le seul à payer pour sa bêtise et s'éloignerait le plus possible pour que la détonation fasse le moins de dégâts possible. Les Tréfonds Obscurs étaient une bonne option, maintenant qu'il y était. Avec de la chance, la surface de Faerûn ne souffrirait pas.

« Et en partant aussi du principe que j'aurai encore la conscience de le faire car une fois hors de la portée protectrice de l'artefact d'Ombrecoeur, je me transformerai sans doute très vite en flagelleur mental, fit-il remarquer avec amertume.

_ Nous trouverons une alternative, se jura Silesta. Même si vous avez péché par orgueil, c'était aussi par amour, n'est-ce pas ? Mystra n'a-t-elle pas été sensible à cela ?

_ Vous avez bien plus d'empathie et de compassion que les dieux, mon amie. Non. Elle m'a désavoué après cette histoire. »

Elle entendit qu'il était peiné, son cœur avait été brisé. Il était ou avait été très amoureux de cette déesse et il souffrait encore de l'avoir perdue. La jeune femme rousse préféra ne pas remuer le couteau dans la plaie et n'insista pas plus. Gayle venait déjà de s'exposer à un grand risque, inutile de le mettre plus à mal.

Ils arpentèrent les routes arides des Tréfonds Obscurs tout en tendant l'oreille au moindre son à leur portée. Rien ici ne leur était familier et la rencontre surprise avec le spectateur les avait échaudés ; même les champignons pouvaient en avoir après eux ! Ces derniers d'ailleurs étaient autant une source de questionnement curieux que d'appréhension. Ce gros bolet phosphorescent vert était-il comestible, contrairement à cette petite grappe rosée tachetée de points lactescents qui était peut-être vénéneuse ? À leur grand dam, aucun d'eux n'était assez au fait de la biologie souterraine pour se risquer à la moindre expérience. Il faudrait tout miser sur les lacs et leurs poissons dès qu'ils en trouveraient un, en espérant que leurs vivres leur permettraient de tenir jusque là.

En plus de l'environnement inconnu, la distorsion du temps induite par l'absence de lumière naturelle était plus perturbante encore. Quelle heure était-il ? Le milieu d'après-midi ? Le soir ? La nuit était-elle déjà tombée ? La pénombre permanente laissait sur eux une sensation sournoise à peine descriptible entre une fatigue imperceptible et une désorientation sans gravité. Le plus simple pour eux serait donc de s'en remettre à ce que leur dicte leur corps. Tant qu'ils n'étaient pas fatigués, ils continueraient.

Au bout d'un moment, alors que le terrain montait de plus en plus en pente, la pénombre disparaissait dans une douce clarté opaline. L'air avait changé aussi, comme s'il était plus dense. Les aventuriers intrigués continuèrent vers la source lumineuse jusqu'à se trouver devant les énormes racines noueuses d'un arbre à l'écorce aussi flétrie qu'une vieille femme centenaire. Les quelques branches qui perçaient le tronc se paraient de petites feuilles céruléennes dont la lueur réverbérante créait une atmosphère apaisante presque céleste. Un délicat parfum sucré de miel flottait à présent autour du groupe et sa provenance fut vite trouvée : elle venait d'une immense et magnifique fleur au cœur bleu nuit fermé comme une tulipe et aux larges pétales externes à la forme triangulaire qui rappelaient la feuille de l'érable.

Alors qu'ils s'approchaient, Silesta remua, saisie d'une drôle d'impression. Était-ce le parfum douceâtre de cette fleur qui lui montait trop à la tête au point de l'écœurer ? Toujours fut-il que Gayle et Ombrecoeur marquèrent aussi un temps d'arrêt, l'air étrange.

« Quelque chose ne va pas, pointa Lae'zel à leur adresse. Votre attitude vous trahit.

_ Oui, vous semblez vidés, et ce n'est pas de mon fait, ajouta Astarion avec malice. Est-ce cette plante qui vous fait cet effet ? »

Gayle remua les mains en fermant les yeux, très concentré. Il lutta dans un effort intérieur pendant quelques instants comme s'il rassemblait toute sa magie avant d'abandonner.

« Ma magie se fait drainer par cette fleur. J'ai déjà entendu parler de ce phénomène. Cet arbre est un susurreau, il se nourrit de magie pour croître. »

Cela ne rassura pas du tout Silesta qui se sentait à présent presque oppressée. Ne valait-il mieux pas ne pas rester ici ?

« Ne vous inquiétez pas, tout rentrera dans l'ordre dès que nous serons assez éloignés, la rassura Gayle. Néanmoins, je ne peux m'empêcher de penser que le champ de suppression magique de cette fleur pourrait nous être utile.

_ Si ce n'est que ça, je veux bien en prendre un échantillon pour vous », répondit la saltimbanque en le doublant.

Elle tendit la main et se saisit de la tige.

Le noir.

Son corps, son âme, son esprit n'étaient plus. Rien d'autre qu'une explosion qui remonta depuis ses entrailles. Les sensations qui l'atteignirent étaient des typhons qui la pulvérisaient. Elle baignait dans la lumière aveuglante d'un big-bang originel tandis que mille lames la poignardaient sans relâche d'une violence inouïe. Elle hurla à faire éclater ses poumons mais aucun son ne lui parvint. Un galimatias indigeste de sons s'apparentant à des voix bourdonna tout autour. Rien d'intelligible ne put être capté. Elle n'était plus maîtresse de ses émotions qui déflagraient à pleine puissance. Elle était terrorisée. Elle était détruite. Elle était hors d'elle au point de tout faire disparaître. Un point douloureux la perça tel un tison chauffé à blanc que l'on enfonçait tout doucement, elle le sentait s'agrandir à mesure qu'il allait de plus en plus loin. Elle allait se briser en mille éclats de verre. Le brouillard blanc disparut une fraction de seconde.

« Enfuis-toi vite. Silesta. »

Ses yeux s'ouvrirent en grand et une inspiration millénaire sifflante gonfla sa poitrine.

« Shar soit louée, elle revient à elle ! Silesta ! »

Secouée de spasmes violents, Silesta cherchait à déployer en vain ses poumons comprimés comme si elle s'était noyée pendant de longues minutes. Son cerveau bombardé de messages affolés pensa un bref instant qu'elle était d'ailleurs tombée à l'eau car bien qu'elle ne pût remuer le moindre muscle, elle sentait tout son corps humide de sueur froide. Cette horrible sensation d'être prisonnière de son propre corps l'effraya encore plus. Elle voulut crier mais elle n'étouffa qu'un râle dévoisé par sa respiration saccadée.

« Respirez, Silesta. Calmez-vous. »

Une main fraîche et douce vint se poser sur son front de cauchemar et une tiédeur auréola sa tête. Ce ne fut que maintenant que la jeune femme entrevit le visage un peu blême d'Ombrecoeur au-dessus d'elle. Ses spasmes s'apaisèrent un peu mais sa respiration se faisait encore laborieuse. Son corps était de plomb, cimenté dans le sol tandis que ses muscles n'étaient que de coton. Elle racla ses doigts contre la roche pour les fermer en poings. Elle était vivante.

Ses yeux embrumés oscillèrent autour d'elle. Elle vit juste qu'ils s'étaient éloignés du susurreau ; sa douce pâleur était bien moindre là où elle se trouvait. Derrière Ombrecoeur, Gayle, Lae'zel et Astarion observaient d'un air interdit comme s'ils avaient vu un fantôme.

Après de longues minutes qui lui permirent de retrouver suffisamment ses esprits, Silesta tourna la tête vers ses compagnons presque aussi effrayés qu'elle.

« Q-Que m'est-il arrivé ?

_ Vous vous êtes effondrée comme si vous aviez été foudroyée sur place, répondit Gayle d'une voix blanche. On vous a cru morte jusqu'à vous voir convulser.

_ Avez-vous vu des choses ? questionna Lae'zel. Votre regard était révulsé de terreur et pire encore.»

L'humaine respira profondément, prise d'angoisse.

« N-Non. J'étais... Je ne sais pas. J'avais mal... si mal que je voulais en mourir. »

Elle porta une main moite à son sternum. Gayle fronça les sourcils face à ce geste. C'était là-même où la Nécromancie de Thay avait laissé une trace de son passage entre les mains de Silesta. La magie noire de ce livre impie couplée à celle du susurreau avaient apparemment créé une réaction épidermique des plus explosives. Toutes les propriétés de cet arbre n'étaient pas encore connues et le magiciein ignorait ce qui venait de se produire exactement mais c'était la seule explication plausible pour l'instant. Silesta fut effarée. Si elle avait su qu'elle en serait arrivée là, elle n'aurait jamais pris cet ouvrage maudit.

« Je suis restée inconsciente longtemps ?

_ Près de quatre heures je dirais. Même après vous avoir administré l'élixir de Halsin, lui annonça Astarion. Vous ne faites pas semblant dans la crise cardiaque. Nous étions donc en train de nous établir pour la nuit. À supposer que c'est bien la nuit. »

Elle n'en revenait pas. Son calvaire lui était apparu aussi bref qu'infini. Elle força sur sa tête mais le mal de crâne qui la prit la dissuada de chercher à revivre l'événement.

« Reprenez tranquillement vos esprits et rafraîchissez-vous un peu. Si vous vous sentez mal, n'hésitez pas », proposa Ombrecoeur en lui laissant une carafe d'eau et un linge.

Silesta la remercia d'un hochement de tête reconnaissant et se redressa pour se mettre en tailleur. Son cœur encore emballé n'était pas aussi apaisé que le reste de son corps. Elle se sentait vidée. Vidée et apeurée par ce qu'elle venait de subir. Était-ce vraiment le livre de Thay qui avait distillé toutes ces horreurs en elle ? Ou autre chose ?

Comme Astarion l'avait dit, ses compagnons avaient monté le camp. Ils avaient trouvé un petit plateau doucement éclairé par des cristaux et les tentes de chacun avaient été dressées tout autour. Silesta avait d'ailleurs été transportée à la sienne, un peu à l'écart, et de ce qu'elle vit, ses alliés avaient déjà mangé. Une part d'elle s'en voulut de les avoir retardés de la sorte.

Une goutte de sueur qui roula de sa clavicule à sa poitrine la sortit de ses pensées et la mit face à son état dégoûtant. La saltimbanque se saisit du linge qu'elle trempa dans l'eau et s'attela à se laver. L'eau froide qui glissait sur sa peau était ce qui lui manquait pour détendre ses muscles raidis. Chaque passage la délestait un peu plus de ses angoisses, même si elle ne pouvait les ignorer complètement. Une fois propre, la jeune femme refusa de remettre tout de suite son corset. Elle voulait respirer sans entrave.

Le camp était silencieux lorsqu'elle se hasarda à y faire quelques pas pour se purger l'esprit. Ombrecoeur était déjà couchée, épuisée par sa veille et les soins prodigués et Lae'zel montait la garde plus haut sur le chemin. Silesta fut traversée par un éclair de peur en découvrant Gayle plongé dans la Nécromancie du Thay avant de se calmer. En dépit de son extrême concentration presque hypnotique, le magicien ne semblait pas vraiment souffrir de sa lecture. C'était là que l'on voyait la différence avec un vrai utilisateur de la magie. La jeune femme resta tout de même un moment à surveiller son allié, peu rassurée par la malfaisance de l'objet qu'il tenait entre ses mains. Quand elle réalisa qu'il tenait bon, elle eut un triste sourire. Faisait-il cela pour comprendre quelle était cette horrible expérience qui l'avait plongée dans un semi-coma ?

Elle s'assit près du feu central et laissa ses yeux vagabonder au-delà des flammes. Les paillettes incandescentes se perdaient dans l'obscurité de la plaine noire au-devant dans une danse aérienne fascinante. Quand sa vue se resserra, Silesta s'égara par hasard dans l'ombre d'une tente carmine où son pâle occupant s'était réfugié pour savourer la distraction d'un livre. Lascivement installé dans le moelleux de coussins, Astarion faisait courir ses yeux le long des pages de l'ouvrage qu'il tenait contre sa jambe repliée devant lui, loin de tout, tel qu'il l'avait toujours été.

Silesta l'épia sans remuer d'un cil, traversée par un curieux sentiment paradoxal. Elle venait de caresser le voile de la mort alors que la veille, elle touchait les étoiles. Elle eut un mouvement lorsque le vampire leva le nez de sa lecture et accrocha ses yeux aux siens. En temps normal, elle se serait sentie un peu honteuse d'avoir été prise sur le fait mais pas ici. Elle ne voulait pas se retrouver seule avec ses pensées angoissantes. Tant qu'il soutenait son regard, elle n'aurait pas peur.

Après un temps, le roublard lui fit un geste de la tête pour l'inviter à approcher. Intriguée, Silesta eut quand même le réflexe de vérifier d'abord que son geste ne s'adressait à personne d'autre puis s'exécuta. Quand elle fut arrivée sous le petit dais d'entrée, Astarion la longea d'une œillade que la jeune femme ne sut traduire. De l'inquiétude ? De l'hésitation ? Une silencieuse interrogation ? Il finit par écarter son bras valide sur le côté dans une attitude de grand prince.

« D'ordinaire, je prône un minimum de manque mais vu ce que vous venez de vivre, je suppose que le sommeil se refusera à vous si vous restez seule. »

Une douce tiédeur descendit dans son ventre et un sourire perça les lèvres qu'elle pinçait pour se contenir. Silesta se laissa séduire par ce noble élan de magnanimité et alla se loger dans le creux de l'épaule d'Astarion qui poursuivit sa lecture comme si de rien n'était. Son accompagnatrice se fit aussi discrète et légère qu'une plume contre lui au point qu'il finit par presque l'oublier.

Elle ne parla pas, emprisonnée dans la fragrance de sa chemise. Ses démons intérieurs moururent sur l'instant. Le calme environnant sublimé par la présence même silencieuse d'Astarion lui était d'un réconfort sans pareil en plus de faire barrage à ses mauvaises pensées. Elle savoura juste l'instant, sans rien vouloir de plus que ce qui s'offrait à elle, à écouter l'effleurement des pages qui tournaient les unes après les autres. Quelques échos tendres de la nuit précédente s'invitèrent même dans son esprit, ravivés par la proximité de leurs corps.

Sa curiosité finit par la rattraper après de longues minutes.

« Que lisez-vous ? » demanda-t-elle en se redressant un peu sur les coudes pour être à hauteur de lecture.

Son attention s'arrêta en milieu de page et assembla les mots qui passaient à sa portée jusqu'à assembler... la description très imagée d'une nuit d'amour torride entre plusieurs protagonistes, le tout dans une prose aussi nette qu'ardente.

« Cela pourra vous donner des idées. »

Les joues roses, Silesta tourna la tête vers Astarion et s'immobilisa. Même s'ils avaient couché ensemble, l'elfe avait ce don prodigieux de vous regarder si densément que cela en était intimidant. La dernière fois que leurs visages avaient été si près l'un de l'autre remontait environ à vingt-quatre heures et pourtant, l'effet produit était toujours le même. Tel était le paradoxe d'Astarion : il engourdissait sa raison tout autant qu'il la rendait des plus lucides. Derrière ces grenats qui la guettaient avec amusement, Silesta revoyait le moment où ils avaient brillé d'envie de pouvoir ou s'étaient éteints dans une peur viscérale. Elle réalisa quelque chose.

« Je sens tellement de choses qui grondent en vous. Des choses sombres, dures. Légitimes, murmura-t-elle. Et moi qui suis... moi ? Je ne comprendrai jamais pourquoi vous m'avez... »

Elle se tut, incapable de finir sa phrase pour l'exprimer comme elle le voulait. Elle ne pouvait pas dire « choisie » car ce n'était pas ce qu'il s'était passé et aucun autre mot ne lui convenait non plus car rien ne décrivait ce qui faisait qu'elle se trouvait ici contre lui en cet instant.

La vampire la considéra en silence, insondable. Lui connaissait très bien les réponses à ses interrogations. Malgré tout, Silesta faisait preuve de plus de discernement qu'il ne l'aurait parié au premier abord et ce n'était pas quelque chose de souhaitable pour le bon déroulement de son plan.

« Le secret n'est pas d'être aveugle mais de savoir quand fermer les yeux, répondit-il en accompagnant la tête de la jeune femme vers son buste d'une faible pression de la main. Dormez. Si votre passage dans l'au-delà vous le permet. »

Silesta se laissa faire sans résistance. Sans doute avait-il raison, elle se posait trop de questions. Était-il si étrange de vouloir des raisons pour trouver du réconfort auprès de quelqu'un dans une situation aussi périlleuse qui était la leur ? Peut-être que oui. La jeune femme sombra une nouvelle fois dans la douce félicité sécurisante de son compagnon et ferma les yeux en lui soufflant un faible « Merci ».

Lorsqu'Astarion quitta sa lecture, Silesta s'était assoupie, recroquevillée contre son flanc. C'était là un détail qu'il avait déjà remarqué : elle dormait comme une enfant, sans méfiance, presque offerte. Elle était vraiment une cible trop facile et si la providence la fragilisait davantage en plus de son amnésie, il n'aurait aucune difficulté à en tirer profit.

Il lissa une mèche de cheveux d'argile entre son index et son majeur et laissa les fils cuivrés s'effiler doucement en un fin rideau, perdu dans la sérénité des traits endormis du visage près du sien. Oui. En temps normal, il aurait laissé passer plus de temps avant de la ramener à lui. Lâcher la bride pour mieux la resserrer. Et pourtant, une part de lui avait cédé quand son regard l'avait appelé de l'autre côté du feu. Bien qu'elle suivait l'éternel schéma qu'Astarion avait savamment peaufiné et magnifié au fil des décennies de sa longue existence, Silesta n'était pas comme les autres : elle avait cette pointe au fond de ses yeux de pluie qui cherchait à percer loin derrière le masque, là où ses prédécesseurs se contentaient de prendre ce qui se présentait à eux. Quelles étaient maintenant ces ténèbres qui l'avaient percée elle ?

« Que me réservez-vous encore ? »

Le brouillard opalescent était toujours là, opaque et aveuglant, et pourtant l'atmosphère à l'intérieur n'était plus la même. Quelque chose avait changé. De nuage dense comme du coton, il était devenu vapeur plus légère qui se dissipait au gré de ses mouvements. Les murmures qui flottaient dans le lointain eux aussi n'avaient pas bougé et pourtant, leurs intonations étaient plus précises. De la fébrilité s'en dégageait, une appréhension palpable entourée du risque de quelque chose d'interdit. Silesta suivit ces voix sans langue ni parole dans la brume bleutée. Qui était-ce ? Que disaient-ils ? Elle se sentit forcer sur sa bouche pour parler mais rien ne se produisit. C'était comme si elle n'existait pas dans ce pan d'existence, elle subissait sans être.

Les murmures l'entouraient, comme si leurs créateurs se tenaient de part et d'autre d'elle. Un coup d'œil à droite. Un autre à gauche. Il n'y avait pourtant que de la fumée bleutée, encore et toujours. Elle regarda droit devant.

La brume s'était ouverte. La pénombre. Une silhouette.

Silesta sentit ses doigts se fermer en poing au même moment où sa conscience réintégrait son corps. Elle serra le rebondi d'un coussin. La jeune femme se redressa en se frottant les yeux, prise d'un vague malaise mêlant mal de tête et tension. Elle était seule sous la tente, Astarion l'avait peut-être laissée pour aller chasser. S'il pouvait chasser quoi que ce fût dans les Tréfonds Obscurs.

La tête encore pleine de fumée, elle quitta la tente et croisa Gayle qui avait les traits un peu tirés lui aussi.

« Bonjour, le salua-t-elle. Vous n'avez pas bonne mine. C'est le livre ? Je vous ai vu avec. »

Le magicien eut un rire nerveux. Comment pouvait-elle encore s'inquiéter pour les autres après ce qu'elle avait vécu la veille ?

« Il est vrai que cet ouvrage était aussi redoutable à manipuler qu'il en avait l'air mais tout va bien. J'ai tenu bon et j'ai pu en tirer quelque chose. Malheureusement, rien qui ne permet d'expliquer ce qui vous est arrivé. Mais vous, comment vous sentez-vous ? Avez-vous pu dormir ?

_ Oui et j'ai vu quelqu'un. »


Ils sont trop chous, j'adore. Les adore.