Argh... L'acte 3 est une torture à écrire... Tellement d'événements à enchaîner et j'ai gardé les meilleurs pour la fin... ç_ç
Journal des reviewers :
Seulie : Mdr le bad trip, oui, je n'avais pas vu le truc sous cet angle mais cela peut s'y apparenter en effet XD Même si je n'y crois pas, espérons que cette noble distinction au GOTY rameute de la commu. On peut toujours rêver !
RingoLemonadeCandy : Viiiii ils sont trop chous. Tellement que ça devient difficile de pas sombrer dans la guimauve au stade où j'en suis XD Dur dur !
Liline37 : Pour teaser un peu, on se re-penchera très sérieusement sur Silesta pendant l'acte 2. D'ici là, je distille.
La partie de D&D m'a fumée, je ne sais pas où j'ai le plus ri entre Astarion en fanboy, Gayle avec des concombres sur la tronche (Tim a un excellent sens de l'humour aussi, j'adore), Ombrecoeur en nounou de diablotin ou Lae'zel qui voulait tout péter XD Je regarderais volontiers une campagne entière avec eux tous, c'était savoureux.
50 chapitres, oui, tu t'engages sur du au moins aussi lourd que moi. Je n'aurai qu'un mot : courage ! Parce que franchement, au bout d'un moment, tu as beau avoir la motivation, ça draine.
On repart !
CHAPITRE XVII – MALFORGE
« Êtes-vous certaine qu'il ne s'agissait pas d'un rêve ?
_ C'était un souvenir, le commencement d'une bribe. »
Nos aventuriers s'étaient réunis autour du feu pour manger et Silesta était au centre de l'attention. Si la veille, la jeune femme n'avait jamais été au plus bas, elle était maintenant animée d'une fébrilité excitée, dopée par cette fissure qui s'était créée dans son esprit. Pour elle, il n'y avait aucun doute : ce qu'elle avait entrevu n'était pas le fruit de son imagination. Elle rapporta à ses comparses ce vide qui habitait ses songes depuis qu'elle avait été kidnappée sur le vaisseau illithid et pour la première fois, les limbes s'étaient ouvertes.
« Avez-vous reconnu cette personne ? questionna Ombrecoeur.
_ Hélas non, c'était trop fugace. Je n'ai pas reconnu l'endroit non plus. »
Sa vision s'était évanouie avant d'avoir pu préciser le moindre trait, la moindre ébauche de contour. La frustration était énorme mais l'évolution était indéniable, aussi fragile était-elle. Lae'zel tempéra un peu ses hardeurs en lui faisant remarquer à Silesta qu'elle n'était pas plus avancée qu'auparavant mais celle-ci se refusa d'atténuer cet optimisme qui imprégnait chaque fibre de son être.
« Si une brèche s'est créée dans ma mémoire, il ne tiendra qu'à moi de l'agrandir. »
Le mot « brèche » fit tilter Gayle qui l'associa presque aussitôt à l'incident de la veille avec le susurreau. Pour le magicien, il était certain que les deux événements étaient corrélés sans pour autant pouvoir l'expliquer. La violence de la réaction provoquée par l'arbre magique avait déclenché quelque chose dans l'esprit de Silesta, mais pourquoi ? Pourquoi le susurreau et pas tout ce qui avait été essayé auparavant ? Le sort d'Ombrecoeur, la potion de Nettie ? Ces interrogations l'interpellaient mais rien dans tout son prodigieux savoir ne lui offrait de réponse. Une part de lui s'inquiétait pour sa jeune amie tout comme une autre part ne pouvait que se réjouir de la voir à nouveau pleine d'énergie.
« Avez-vous un plan ? Hormis dormir en priant pour que vos rêves vous en dévoilent davantage, s'enquit Astarion qui voulait suivre l'affaire de près.
_ Oui, affirma l'humaine avec détermination. Je veux aller chez les sélunites. »
Comme elle l'avait anticipé, Silesta remarqua l'expression offensée d'Ombrecoeur et se hâta d'expliquer sa décision. N'en déplaise à sa camarade sharéenne, ce qu'elle avait lu des rituels purificateurs des acolytes de la déesse lunaire l'avait marquée et elle était convaincue que cette alternative pouvait être la bonne. Elle se devait d'essayer. La prêtresse fronça du nez.
« Vous vous êtes laissé endormir par ces sornettes ? déplora-t-elle avec déception. Et si vous vous trompiez ? Vous n'en serez que plus amère et Séluné n'aura que faire de votre souffrance. Pourquoi n'acceptez-vous pas ce vide qui vous préserve peut-être de quelque chose de plus effrayant encore ? Rappelez-vous votre malaise.
_ Parce que l'oubli ne fait pas partie de mes préceptes, contrairement à vous. »
Elle n'en voulait pas à Ombrecoeur, elle souhaitait juste qu'elle comprenne. Depuis le début de son aventure et malgré les nombreux échecs, Silesta n'avait jamais pu se résoudre à délaisser complètement ce passé oublié et se contenter d'avancer dans sa quête. Elle devait savoir. Les enseignements de Shar ne lui avaient pas été inculqués comme ils étaient gravés dans l'âme d'Ombrecoeur, elle ne pouvait donc pas avoir la même vision que la cléresse.
« Je n'ai pas décidé cela pour vous provoquer, Ombrecoeur, lui dit-elle doucement. Je ne fais que saisir la chance qui se présente à moi et maintenant qu'elle est à ma portée, j'exploiterai toute piste possible. » Sa phrase mourut dans les yeux sanguins d'Astarion assis en face d'elle. « L'espoir naît quand tout est désespéré. »
À présent qu'elle tenait elle aussi le maigre fil brillant de l'espérance, elle comprit pleinement qu'au fond d'elle, elle était dans la même situation que son allié. Ses souvenirs étaient pour elle ce que la liberté était pour lui. Elle crut déceler à ce moment-là une once d'approbation reconnaissante dans les traits sages du vampire. Sans moquerie, sans grandiloquence. Il acquiesçait simplement.
Ombrecoeur finit par abandonner, un peu de mauvaise grâce. Silesta l'avait bien acceptée en dépit de ses croyances, elle se devait de respecter les siennes même si elle n'était pas d'accord.
« Je crains qu'il n'y ait pas beaucoup de temples sélunites dans les Tréfonds Obscurs, objecta Gayle. Nous verrons chemin faisant. »
Silesta approuva. Elle n'était pas pressée, elle se contenterait de ce qu'elle trouverait au fil de l'eau.
Vint le moment de reprendre la route. Chacun récupéra son paquetage et le groupe s'en retourna. À force d'évoluer dans la pénombre des Tréfonds, Gayle, Lae'zel et Silesta commençaient à s'habituer au flou qui les entourait, quoiqu'une certaine forme de fatigue visuelle se faisait aussi ressentir. Ombrecoeur et Astarion avaient beau être privilégiés par leur ascendance féerique qui leur permettait de voir un peu mieux dans le noir, ils n'en demeuraient pas moins lassés aussi et le dérèglement biologique causé par l'absence de lumière naturelle n'aidait personne. Même Astarion qui était pourtant le plus habitué n'était pas à son aise.
Ils errèrent longtemps au gré des chemins tracés dans la pierre. À plusieurs reprises, le sol trembla légèrement sous leurs pieds. Ce n'était pas la puissance d'un séisme, plus comme quelque chose qui traçait sa route dans une galerie souterraine. Tous s'immobilisèrent sans un bruit à chaque fois pour taire leur présence. Peu importe ce qui provoquait ces secousses, cette chose était assez grosse pour affecter le terrain mieux valait ne pas la déranger.
Quelques heures plus tard, la grotte parut s'ouvrir davantage. Des ponts ainsi que d'autres passerelles de bois apparurent de plus en plus. Enfin des signes de civilisation, même rudimentaire. Très vite, des structures plus alambiquées se dressèrent entre les gros champignons sinueux et des petites cabanes rustiques couvertes de filets en cordages partiellement en bon état longèrent les murs de roche. Le silence régnait, à peine interrompu par le craquement du bois lorsque les aventuriers approchèrent. C'était un village dans un triste état de décrépitude qui s'étalait en longueur dans une brume dont la lueur parme était alimentée par des petits cristaux.
« Du brouillard, souffla Lae'zel. Ça veut dire qu'il doit y avoir un point d'eau non loin. »
Ils avancèrent à pas feutrés, guettant le moindre recoin. Il n'y avait pas âme qui vive et s'il devait y en avoir, quel peuple allaient-ils trouver ? Un court ponton en rondins de bois courrait de quelques mètres sur les hauteurs un peu plus loin. En arrivant au bout, ils découvrirent la plage d'une petite crique qui fermait le village et un grand lac noir qui s'enfonçait dans les ténèbres. Voici donc leur fameux point d'eau. Un détail attira l'attention d'Ombrecoeur en contre-bas :
« Il y a des bateaux, nous ne sommes sûrement pas seuls.
_ Je ne le vous fais pas dire. »
Le groupe se tendit en entendant cette voix grave s'élever sur une plate-forme voisine. Une silhouette courte et trapue se découpa dans l'ombre, si sombre que Silesta dût plisser les paupières pour comprendre qu'il s'agissait d'un nain. Sa peau bise se confondait dans le cuir noir de son habit et seuls ses cheveux et sa barbe clairs se détachaient dans la faible luminosité. Armé d'une lourde hache, le nain jaugea les visiteurs d'un œil sévère.
« Des habitants de la surface, analysa-t-il dans un grognement. Vous êtes discrets mais pas assez, je le crains. Le bruit attire les ennuis par ici. Je vais vous faire taire avant que vous ne me mettiez dans la mouise. »
Ses énormes poings enserrèrent le manche de sa hache. Astarion étira un rictus carnassier, attaqué dans sa fierté d'arpenteur des ombres.
« J'aurais pu vous égorger avant même que vous ne me remarquiez mais je ne l'ai pas fait. N'essayez même pas. »
Le nain réprima une grimace agacée, quelque part refroidi par l'aura glacée qui émanait de cet elfe.
« Psst. Si vous me gênez dans ma chasse, vous êtes morts. »
Il expliqua alors être sur la traque d'une esclave gnome en fuite. Elle avait volé une paire de bottes qu'il avait en charge de ramener à sa supérieur. L'elfe eut un rire narquois.
« Oh, cela me dit vaguement quelque chose, minauda-t-il en tapotant sa besace. Je me disais bien qu'elles étaient de trop bonne facture pour appartenir à un gnome. »
Silesta lui jeta un regard en coin. Il avait une idée derrière la tête. Son plan sembla fonctionner car le duergar se redressa. Il avait trouvé la fugitive ?
« Montrez-moi, ça.
_ Ta ta ta, l'arrêta l'elfe en secouant un index infantilisant. Votre incompétence n'est pas de mon fait et vu que vous étiez prêt à nous tuer à vue, permettez-moi d'émettre une certaine réserve vous concernant. »
Ses compagnons se tendirent un peu. L'insolence culottée d'Astarion était un double tranchant des plus angoissants. Sans se départir de son assurance, le vampire proposa un marché à son interlocuteur : il les laissait emprunter un bateau et ils s'occuperaient de faire la commission pour lui en omettant les détails peu glorieux au chef. Le nain eut une expression pincée, passablement furieux. Se joua alors un duel entre lui et la splendide arrogance du roublard qui décidément excellait dans l'art de la duperie.
« Nous pouvons tout aussi bien vous tuer directement, vu votre piètre efficacité », ajouta Lae'zel dans un frémissement impatient.
Personne ne sut si la githyanki souhaitait appuyer la filouterie d'Astarion ou si elle perdait simplement son sang froid. Toujours fut-il que l'effet escompté se produisit : le nain finit par abandonner et ordonna à ses acolytes cachés postés tout autour de les laisser passer.
« Allez-y. Faites demander le sergent Thrinn de la part de Gekh. Référez-en directement à elle, pas à l'âme éveillée. »
Une âme éveillée. Les forces de l'Absolue sévissaient donc aussi dans les Tréfonds Obscurs ? Trop heureux d'avoir évité un conflit inutile, le groupe longea les passerelles de bois vers les échelles de cordes menant à la plage. Gayle ne put s'empêcher de faire une remarque discrète à son comparse roublard : lui qui s'affichait clairement comme un agent du chaos, cela ne lui ressemblait pas d'esquiver un affrontement sans sommation. L'éclat sardonique qui ourla les lèvres d'Astarion compléta sa réponse :
« Certes. Je voulais juste l'humilier. »
Cela avait le mérite d'être clair.
Deux embarcations attendaient sagement au bout du ponton. Leur conception plutôt agressive mélangeait un squelette principal fait de grosses arêtes de poissons auquel avaient été ajoutées des planches de bois pour former la coque et le pont. La voile, elle, avait été fixée vers la poupe comme un éventail de toile et d'arêtes. Silesta se demanda quel type de créature pouvait produire ce genre d'ossature.
Tous montèrent à bord et Gayle fut chargé de monter sur la petite plate-forme surélevée qui constituait le poste de pilotage. Après tout, il venait d'Eauprofonde, il devait avoir plus l'habitude des bateaux – dixit Astarion. Ombrecoeur alluma les torches du radeau, l'éventail de la voile se déplia puis l'embarcation glissa sans bruit.
Les eaux du lac étaient d'encre. Insondables, sans début ni fin, elles se perdaient dans les ténèbres environnantes. La surface terne de l'eau était plus terrifiante encore que le reste des Tréfonds Obscurs. Ici, il n'y avait plus aucune source de lumière pour les guider. Seule l'aura des torches les sauvegardait de la cécité absolue et pourtant l'orangé faiblard des flammes semblait se faire engloutir passé quelques mètres. Par chance, quelques silhouettes fugaces de champignons apparaissaient tout à coup sur les côtés, délimitant in extremis les rebords de la grotte à ne pas frôler. Assise sur les marches menant au pont supérieur, Silesta laissait Ombrecoeur et Astarion guider Gayle grâce à leurs yeux elfiques et surveillait la brume qui les entourait, l'oreille tendue.
Au bout d'un moment, la jeune femme perçut un clapotis au loin en plus de celui de leur radeau. Elle redouta la visite surprise d'un monstre aquatique jusqu'à entrevoir les flammèches vacillantes de torches qui s'approchaient. Une autre embarcation jumelle à la leur les rattrapa et un petit équipage d'autres nains duergars les aborda à bâbord. Un nain à la peau acier et dont le visage était presque masqué par son tatouage les apostropha :
« Hé, vous ! Qu'est-ce que vous faites sur le radeau de Gekh ? »
Une fois les radeaux côté à côte, le nain sauta sur leur embarcation en la scrutant de la proue à la poupe. Ne voyant pas son collègue, il somma les intrus de décliner leur identité. Lae'zel vint se planter devant lui, aussi avenante qu'à l'accoutumée.
« Laissez-moi traverser. Je porte la marque », ordonna-t-elle en présentant sa paume.
Silesta avait presque oublié que la guerrière s'était fait marquer lors de leur passage chez les gobelins. C'était une bonne idée de jouer de cet atout qui pouvait leur ouvrir bien des portes. Son instinct lui dictait qu'Astarion ne devait pas penser de même car l'espièglerie qui dansait dans ses prunelles laissait entendre qu'il aurait plus été du genre à balancer le nain par-dessus bord. Un agent du chaos, cela lui correspondait bien.
Le duergar reconnut la marque sans montrer plus de soumission ou de défiance.
« Bon. On va vous escorter jusqu'à la berge et vous irez vous expliquer auprès du sergent, décréta-t-il avant de se tourner vers son équipage. Vous autres, continuez à patrouiller. Je ramène le colis au bercail. »
L'embarcation naine disparut rapidement dans l'obscurité et le duergar s'attela à reprendre le gouvernail à Gayle, bien plus habitué à la navigation. Le radeau reprit sa route silencieuse jusqu'à ce que les lueurs d'un campement émergèrent dans le brouillard. Petit à petit, la lumière se fit plus forte et le lac se resserra en un couloir d'eau plus étroit. Des immenses statues de granit noir sublimées de quelques détails à la feuille d'or les accueillirent au portail d'entrée. Ombrecoeur ouvrit de grands yeux face à cette impérieuse femme armée d'un cimeterre dans chaque main, les bras croisés au-devant de la poitrine, son regard aveuglé par une large coiffe et tourné vers les cieux.
« Dame Shar... »
Le raclement d'un mécanisme qui s'activait gronda entre les murs caverneux et le portail s'éleva au-dessus des eaux pour laisser le radeau entrer vers les quais d'une installation bien plus grande que les aventuriers ne l'auraient cru de prime abord. Un groupuscule de duergars servit de comité d'accueil à la petite équipée. Une naine à l'œil sévère et au crâne lisse comme une boule de cristal les darda avec exaspération, les mains sur les hanches.
« Grimon ! C'est pas trop tôt ! On a des ennuis, lança-t-elle à son acolyte qui sautait sur le quai.
_ Qu'est-ce qu'il y a, Morghal ? rétorqua l'autre tout aussi abruptement. Le sergent s'est fait tringler par son âme éveillée adorée, Nere ?
_ L'âne éveillé, tu veux dire. Cet imbécile a déclenché un éboulement et il s'est retrouvé coincé comme un rôt qui refuse de sortir.
_ Tu te fous de moi. Il a craché l'or, au moins ? »
La femme pesta, encore plus de mauvaise humeur. L'or était coincé avec lui et le sergent Thrinn avait le bras qui avait triplé de volume à force de faire fouetter les esclaves gnomes pour aller dégager l'âme éveillée.
Les aventuriers quittaient silencieusement leur bateau tout en laissant leurs oreilles traîner le long de la conversation et observèrent un peu l'endroit où ils venaient d'atterrir. Ils se trouvaient sur les docks d'un immense complexe qui avait vu défiler les âges s'ils en jugeaient par les fissures dans la pierre ou les gravas qui jonchaient le sol. Tout rappelait l'ancien temple sélunite qui servait de camp aux gobelins à la différence que les ornementations qui avaient subsisté aux affres du temps étaient toutes faites de marbre noir. D'autres statues à l'état plus ou moins bien conservé se dressaient dans presque chaque coin, toujours cette femme fière dressée dans toute sa splendeur. Ils étaient dans un ancien temple sharéen, sans aucun doute celui que Halsin avait mentionné.
La dénommée Morghal promena ses iris charbonneux sur les curieux arrivants qui accompagnaient son collègue et demanda à ce dernier qui ils étaient. Des esclaves supplémentaires pour les fouilles ?
« On nous a demandé de faire notre rapport au sergent, répondit simplement Gayle avec un regard de biais à Grimon.
_ Ouais, confirma celui-ci. Ils étaient sur la barcasse de Gekh. Les barges de l'Absolue, tu sais... »
La naine plissa les yeux avant de grimacer, prise d'un léger vertige qui fit écho à celui qui s'empara des aventuriers. La duergar n'était pas porteuse d'une larve et pourtant, une connexion s'était créée. Une fois le lien rompu, Morghal se redressa.
« C'est donc vrai... J'ai senti un picotement, dit-elle avant de bomber le torse avec suffisance. Vous l'avez entendu, votre crétin éveillé nous doit une jolie somme. Vous voulez entrer dans Malforge ? Par ici la monnaie.
_ Vous n'aurez rien du tout. »
Silesta se raidit aussitôt et plaqua sa langue contre son palais. Oups. Peut-être avait-elle été un tantinet trop téméraire et véhémente sur ce coup-là. Son côté écureuil avait été plus fort qu'elle. Juste dans son dos, elle percevait l'amorce de mouvement de Lae'zel qui se préparait en cas de dérapage. À son immense surprise, Morghal eut un rire gaillard et se détendit.
« Ha ha, ça va. Vous êtes tendue comme un arc, je vous faisais marcher. » Elle cessa de rire, beaucoup plus sombre. « Mais je vous préviens : si l'autre ne règle pas ses dettes rapidement, vous comprendrez votre douleur, vous et votre petite bande de fanatiques. »
L'humaine sentit ses muscles fondre et se contenta de hocher la tête sans rien dire. Cela lui servirait de leçon. Le groupe quitta vite les quais et empruntèrent l'escalier unique qui s'offrait à eux pour continuer.
Des duergars s'affairaient de partout dans les ruines en bazar. Des caisses et des tonneaux s'entassaient dans les coins au milieu de pans de murs détruits ou de statues en morceaux. Un peu à l'écart, ils virent des cages en fer, certainement pour le transport des esclaves mais pas que : dans l'une d'elles, le cadavre sévèrement torturé d'une drow gisait. La porte de la cellule était ouverte. Cette femme était visiblement là depuis un moment et pourtant, son corps n'avait pas été débarrassé.
« Elle sert d'exemple, murmura Ombrecoeur, l'air sinistre. Une esclave qui a essayé de s'enfuir ?
_ Nous n'avons qu'à lui demander, décida Gayle en s'avançant vers la cellule. J'ai eu une lecture fort intéressante hier soir. »
Suivi de la curiosité de ses alliés, le magicien jeta un coup d'œil autour de lui pour s'assurer que la voie était libre et tendit la main au-dessus de la drow.
« Commuto in lingua mortua. »
Une lueur verte blafarde se dessina et traça un sigil étrange. À mesure que Gayle serrait et relevait son poing cerclé de magie nécromantique, le corps se souleva. La femme ouvrit ses yeux creux emplis de lumière glauque. Silesta restait hébétée face au spectacle. Voilà donc ce que lui avait apporté le livre de Thay ?
« Gayle... siffla Astarion en haussant les sourcils d'une agréable surprise. Si vous commencez à taquiner la nécromancie, nous allons pouvoir faire quelque chose de vous. Le chaos vous va bien. »
Le concerné resta concentré sur l'âme qu'il tenait au creux de sa paume.
« Qui êtes-vous ? l'interrogea-t-il.
_ Jhaam... Éclaireuse des Ménestrels... » ânonna la drow d'une voix désincarnée.
Les autres se consultèrent du regard. Les Ménestrels ? Ce groupe qui luttait dans l'ombre contre le Mal et les organisations qui cherchaient à le répandre ? Gayle poursuivit et demanda ce qu'une Ménestrelle venait faire à Malforge.
« Cultistes... menace envers la Porte de Baldur... ordres de Jaheira...
_ Jaheira ? répéta le roublard, impressionné. La Jaheira ? Celle-là même qui a déjà sauvé la Porte de Baldur par le passé ?
_ Où peut-on la trouver ?
_ Ultime Lueur... refuge... dans les ombres... »
Le sort finit par se dissiper et le cadavre retomba lentement au sol, laissant un silence à la fois admiratif du nouveau talent de Gayle mais aussi nerveux par les informations qui venaient d'être recueillies. De toute évidence, cette malheureuse éclaireuse avait été découverte, capturée et torturée par les forces de l'Absolue. Si les Ménestrels étaient déjà sur la piste du culte, cela représentait un atout non négligeable dans leur progression. Silesta se hasarda à demander si l'un de ses amis savait ce qu'était l'Ultime Lueur mentionnée, hélas ce nom n'évoquait rien à personne.
Ses yeux s'égarèrent plus loin sur un autre dock où elle aperçut deux nains occupés à jeter à l'eau une pile de cadavres gnomes très amochés. Ils étaient gravement brûlés quand ils n'étaient pas qu'un tas de chair en triste état. Ces pauvres hères devaient être les dommages collatéraux de l'explosion dont avaient parlé leurs hôtes. Cette morbide vision lui retourna l'estomac et fit ployer ses épaules de mal-être. Lorsqu'elle rencontra la mine réprobatrice d'Astarion qui la surveillait, la jeune femme n'en fut que plus amère.
« Je sais ce que vous vous dites, grommela-t-elle.
_ Je vous retourne la chose, répliqua le vampire. Vous allez nous faire une nouvelle crise comme chez les gobelins ? Pourquoi vouloir toujours sauver tout le monde ? Des gnomes, de surcroît. »
Elle fut piquée au vif par l'allusion à cet épisode malheureux de la chambre de torture qu'elle ne s'expliquait toujours pas. L'acidité de la vexation se répandit en elle plus vite qu'elle ne réfléchit.
« Parce que vous n'avez pas eu cette chance d'être sauvé, les autres méritent d'en être privés ? Le monde n'est pas qu'un abîme de ténèbres et de douleur sans fin. Il peut se montrer bon et avenant. Pour peu que vous vous laissiez faire. »
Silesta doubla Astarion sans demander son reste ni chercher à voir si ses paroles allaient le faire réagir. Qu'est-ce qui l'affectait le plus entre cette remarque piquante et savoir qu'hélas, elle ne pourrait rien faire pour aider ces pauvres gnomes ? Elle ne saurait le dire. D'où lui venait cette abjuration de l'injustice et de la souffrance ? Elle ne le savait pas. La vision pessimiste qu'Astarion avait de la vie la mettait aussi à mal, même si elle s'expliquait.
Le roublard la laissa partir en se mordant la langue. « Bon et avenant » ? En allant retrouver les autres, il remarqua que les traces de strangulation qui cerclaient la gorge de son précieux calice après l'affrontement contre le spectateur étaient encore visibles. Elle ne l'avait même pas blâmé pour cet épisode.
Le groupe continua d'avancer dans le temple tout en furetant dans tous les recoins.
« Si cela ne tenait qu'à moi, je visiterais ce temple de fond en comble, avoua Ombrecoeur, transportée par les lieux.
_ J'opte plutôt pour la suite directe de notre avancée pour les Tours de Hautelune. Une âme éveillée morte par suffocation sous des rochers est une bonne âme éveillée, choisit pour sa part Lae'zel.
_ De même, dit simplement Astarion, plus sur la réserve que d'ordinaire. Laissons les duergars gérer leur problème. Vu l'inimité qu'il y a entre eux et ce Nere, une mutinerie se suffira à elle-même. »
Silesta garda le silence. Lae'zel et Astarion étaient dans le vrai. Rien ne les poussait à aller secourir ce type qui faisait partie de leurs ennemis. Leurs pas les conduisirent vers une immense grille en fer forgé qui attira leur regard sans remarquer tout de suite le duergar qui se trouvait non loin à côté. Il avait l'œil vitreux et sa posture nonchalante couplée à la présence d'une chope de bière dans une main laissait comprendre sans l'ombre d'un doute qu'il était ivre. Il apostropha les arrivants de sa voix rocailleuse :
« Hé ! Vous avez l'une des fameuses lanternes lunaires de Nere, jargh ? »
Tous se tournèrent vers le spécialiste de la magie qui secoua la tête, tout aussi ignorant que ses alliés. Une lanterne lunaire ? Le nain hoqueta.
« C'est une espèce de lampe des fées ou j'sais pas quoi. Si vous prenez l'élévateur sans ça, vous n'arriverez jamais à Hautelune vivants. »
Silence tendu en face. Cette grille était celle d'un élévateur vers la surface ? Vers les tours ? Voici donc le passage qu'ils cherchaient si ardemment. Le duergar ajouta que les terres de la surface étaient recouvertes par la mort noire qui vous étouffait en moins de deux inspirations.
« La malédiction des ombres, se souvint Ombrecoeur à voix basse. Nous approchons mais ce serait peut-être une bonne idée de chercher ce Nere tant qu'il en est encore temps.
_ Si cette lanterne est la clé de notre survie là-haut, nous n'avons pas le choix », reconnut Gayle, quelque part ennuyé par ce contre-temps.
Astarion roula des yeux en soupirant bruyamment. Tout ça pour un peu de noir ?
« On ne peut pas ignorer ce drow, insista Silesta qui pensait comme Gayle.
_ C'est ce qu'il y a pourtant de plus simple à faire. Nous n'avons qu'à continuer d'avancer », répliqua Astarion comme si cela était l'évidence même. Il finit par abdiquer sous la pression des regards. « Très bien. Puisqu'il le faut, volons donc au secours de Nere. Mais ne comptez pas sur moi pour me ruiner les ongles en creusant. »
Le groupe prit soin de mémoriser le chemin menant à l'élévateur avant de faire demi-tour vers d'autres profondeurs du temple. Celle qui était la plus enthousiaste était Ombrecoeur qui embrassait le moindre détail qui passait à sa portée. Ses observations rapportèrent que deux types d'architecture se côtoyaient, l'une bien plus ancienne que la deuxième, ce qui laissait entendre qu'après un très long abandon, les lieux avaient été ré-habités par de nouveaux occupants. L'autre élément qui soulevait le plus de questions était aussi la façon dont certains murs avaient été détruits. Il ne s'agissait pas d'un tremblement de terre ou autre mouvement de terrain car d'autres murs étaient toujours intacts. La façon dont la pierre avait été brisée portait à croire qu'elle avait été détruire par un impact puissant et lourd, comme un bélier furieux qui aurait foncé dedans. La présence de traces de souffre à ce même endroit signifierait de surcroît que la chose qui avait causé ces dégâts était de nature infernale et non l'un des nombreux rothés des profondeurs qu'ils avaient eu l'occasion de croiser dans Malforge.
« Une créature des Enfers, ici ? Pourquoi aurait-elle attaqué ce temple? » se demanda Silesta.
Ombrecoeur haussa les épaules ; peut-être n'en sauraient-ils jamais rien. Son attention était accaparée par autre chose. Cela faisait plusieurs mètres qu'ils rencontraient des restes de squelettes et tous étaient caparaçonnés dans cette même riche armure sombre : des uniformes de Tribuns de la Nuit. Certaines armures étaient si enfoncées, presque fracassées sous les coups reçus, qu'il était difficile de les reconnaître de prime abord.
« Un jour, je porterai moi aussi cet uniforme. Je deviendrai Tribun de la Nuit. J'en fais le serment, murmura Ombrecoeur en serrant le poing.
_ Quoi qu'il en soit, massacrer un groupe de disciples de Shar n'est pas une mince affaire, nota sagement Gayle. Mieux vaut rester sur nos gardes si leur adversaire sévit encore ici. »
Après avoir laissé Ombrecoeur faire une courte prière à l'attention des Tribuns tombés il y a longtemps, le groupe reprit le chemin le long des quais là où les nains étaient plus nombreux, convaincu que c'était par-là qu'ils finiraient par tomber sur Thrinn ou l'éboulement causé par Nere. En arrivant au bout d'un escalier, ils attrapèrent le fil d'un échange animé entre deux duergars.
« … tirer cet empaffé de Nere de là. Les esclaves n'y arriveront jamais à coup de pioche, s'énervait un homme face à sa collègue féminine.
_ Ton plan est loin d'être infaillible, Brithvar. Je pense que... »
La naine se tut en entendant du mouvement derrière elle, imitée de son comparse qui fronça du nez avec dédain.
« Des âmes éveillées, ben voyons. T'en penses quoi, Kur ? On les fait payer à la place de Nere ?
_ Qu'est-ce qui vous fait croire que nous sommes des âmes éveillées ? » répliqua Silesta, lassée qu'on veuille encore les faire payer.
Brithvar ne se démonta pas, sûr de lui : il le savait à l'odeur. Toutes les âmes éveillées empestaient et le nez fin conféré par sa race ne le trompait pas. À vue de nez, il dirait même qu'un flagelleur mental avait pondu directement dans leur cervelle.
« Il va falloir qu'on vous ouvre la tête en deux pour vérifier tout ça. Sauf si vous payez, bien sûr », ajouta Kur avec un rictus.
Aïe. Ce qui avait été pressenti dès leur arrivée se confirmait : ces duergars ne supportaient pas Nere... ni ce qui s'apparentait à une autre âme éveillée.
« Ce doit plutôt être le doux parfum de Nere », minauda Ombrecoeur avec tout autant de dédain que leurs interlocuteurs.
Le nain pesta. Il était vrai que ce drow empestait comme les fosses des Enfers, elle devait avoir raison. Le dégoût passé, Brithvar se pencha un peu sur eux avec un sourire de connivence.
« En fait, vous pourriez m'être utiles. Ça vous dirait de vous faire un peu d'argent ? »
Astarion, qui avait senti souffler le vent de la filouterie, haussa un sourcil captivé. Qu'attendait-il d'eux exactement ?
« Thrinn veut se faire bien voir de l'Absolue, c'est pour ça qu'elle met autant de pression aux esclaves pour creuser et récupérer Nere. Mais nous, on s'en tape de cette Absolue. Tout ce qui nous intéresse, c'est l'or, et Nere en a plein les fouilles, expliqua le nain, encouragé par le sourire en coin croissant de l'elfe. Aidez Thrinn à libérer l'autre imbécile et moi et mes gars, on lui fera sa fête. Vous aurez votre part du butin, promis. Vous en êtes ? »
Le roublard n'aurait pu être plus comblé : une petite trahison bien ciselée comme il les aimait. L'appétence des nains pour l'argent ne pouvait mieux tomber. Ses alliés, eux, virent une meilleure opportunité bien plus rentable que celle de semer la zizanie.
« Très bien, mais à une condition, imposa Ombrecoeur en plantant ses iris d'eau dans ceux du nain. Nere possède une lanterne lunaire, nous la prendrons avec nous.
_ C'est non-négociable, appuya Lae'zel.
_ J'impose une autre condition. »
Les duergars se tournèrent vers la jeune femme rousse du groupe qui paraissait la plus déterminée des trois.
« Vous libérez aussi les esclaves gnomes. »
#Freethegnomes #Barcusbestboi
