Journal des reviewers :

Seulie : Vi, une trop bonne âme pour notre Astarion. Pas facile de concilier le côté bon samaritain avec celui plus retors de notre gredin préféré, c'était peut-être le truc le plus difficile avec lequel jongler. Heureusement qu'il y a des moyens faciles de gagner de l'approbation sans trop semer le chaos autour.

Liline37 : Exactement, faut pas tomber (trop vite et facilement) dans le fangirlisme. Et puis, il ne faut pas oublier que notre Astarion n'aime pas les trop bonnes actions, ça rajoute de la difficulté quand tu veux lui faire tisser des liens avec quelqu'un de trop sympa.
Ta théorie est très juste, reste à savoir maintenant le pourquoi du qu'est-ce XD
Tu as bien de la chance avec ton acte 3 ç_ç Franchement, si je n'avais pas eu à gérer toute l'histoire principale, j'aurais fait la quête d'Astarion, l'histoire de Silesta et basta. Mais non, faut construire tout le truc jusqu'à la baston de fin. Du coup, j'essaye d'intégrer des moments « hors quêtes » entre deux gros évents mais je ne sais pas... Je suis pas super satisfaite mais en même temps, je ne vois pas comment faire autrement.

Allez, go sauver des gens !


CHAPITRE XVIII – ÉCHANGES MUTUELS

« Vous libérez aussi les esclaves gnomes. »

Silesta soutint les œillades hautaines de ses interlocuteurs en faisant de son possible pour ignorer celles de ses alliés. Après quelques secondes de silence, Brithvar et Kur eurent un rire froid.

« Vous en demandez beaucoup. Sachez qu'en affaires, il faut qu'un échange soit équivalent, ricana le nain. Je reconnais que votre audace me plaît bien. »

La concernée eut un sourire narquois et s'inspecta les ongles avec nonchalance.

« Nous pourrions tout aussi bien rapporter à Thrinn votre petit projet de mutinerie, histoire de voir ce qu'elle en pense ? » Elle serra le poing dans son dos pour se donner le courage de prononcer les mots suivants qui la répugnaient. « La vie de Nere contre celles d'une poignée de gnomes et une lanterne, ça me paraît plutôt équivalent. »

Lequel des deux arguments fit le plus mouche, mystère. En tout cas, les duergars, quoique irrités par la menace, se consultèrent silencieusement un instant puis Brithvar lâcha un grognement d'abandon. Très bien, Nere contre les gnomes mais ils devraient d'abord s'occuper du sauvetage de l'âme éveillée.

« Maintenant, du balai. Vous me pompez l'air », finit-il par grommeler en repartant avec Kur.

Une fois qu'ils furent à nouveau entre eux, Silesta se prépara à affronter les remontrances de ses camarades. Gayle ne s'offusqua pas car il avait décelé depuis longtemps la bonne âme de la jeune femme rousse tandis que Lae'zel la houspilla de se risquer à ce genre de prise de décision. La saltimbanque ne se démonta pas ; après tout, demander la libération de ces pauvres gnomes ne leur coûtait rien de plus ni en logistique, ni en temps. Elle était en paix avec sa conscience. Quand elle rencontra les iris rubis d'Astarion, Silesta ne sut déterminer son état d'esprit par rapport à son choix ; aussi préféra-t-elle prendre les devants :

« Soyons très clairs : si mes défauts vous déplaisent, j'en ai plein d'autres. »

Le roublard étira un sourire amusé à cette évocation. Cette femme était aussi bornée qu'elle entretenait malgré elle son attrait avec toujours plus de soin.

« Vous êtes toute pardonnée, ma bonne amie. Votre sens de la mise en abîme est admirable : menacer une mutinerie d'une autre trahison ? J'adore. Essayez juste de ne massacrer personne avant que nous ne trouvions Nere. »

Elle cligna des yeux, incertaine. Apparemment, l'incident était clos (?). La façon de raisonner d'Astarion la surprendrait toujours.

Fiers de leur marché qui leur assurerait – si tout allait bien – d'avoir une lanterne lunaire pour fouler les terres maudites de Hautelune, les aventuriers continuèrent d'arpenter la pénombre du temple jusqu'à pénétrer dans une grande salle qui baignait dans la chaleur et la lumière mordorée de la lave en fusion. Sous leurs pieds, une passerelle de fer laissait voir une rivière de magma s'écouler pour se jeter un peu plus loin en cascade en contrebas. Des paillettes de feu voletaient dans l'air saturé de surchauffe. La violence de la luminosité soudaine leur fit presque mal. Du fond de la salle, ils entendirent les braillements colériques d'une femme. Après quelques pas, ils découvrirent celle qui devait être le sergent Thrinn en train de surveiller la demi-douzaine de gnomes crasseux et épuisés qui s'affairaient à déblayer les gravas d'un immense éboulement autour d'une porte. Vu l'ampleur de l'incident, il était certain que cela leur prendrait bien trop de temps, d'autant plus qu'ils étaient bien mal en point. C'était à peine s'ils tenaient debout et les tressaillements dans leurs bras trahissaient la douleur qu'ils subissaient. Silesta serra les dents face à ce triste spectacle.

La duergar aux cheveux de neige accueillit les arrivants d'un ton glacial, ce qui n'apparut que comme un détail quand ils remarquèrent qu'elle était pieds nus. Ils se remémorèrent Gekh qui avait dit être à la recherche d'une gnome voleuse de bottes. Si la situation n'avait pas été celle qu'elle était, il y aurait de quoi rire.

« Quoi encore ? aboya-t-elle, son visage grège perlé de sueur. Je n'ai pas de temps à perdre av... »

Thrinn s'interrompit, prise d'un vertige au même moment où un picotement titilla les larves de flagelleur mental. L'effet fut rapide mais il renfrogna davantage la naine. Des âmes éveillées ? Cette sale rakkah de vigie aurait pu la prévenir.

« Vous venez m'aider ? Parfait. Des galeries se sont effondrées et l'âme éveillée Nere est prise au piège au milieu de gaz toxiques, un foutu piège laissé par les précédents occupants. Si on ne le sort pas d'ici rapidement, l'Absolue aura nos têtes.

_ Qu'espériez-vous trouver au juste ? se hasarda Ombrecoeur avec curiosité.

_ L'entrée d'un temple ancien. « Ordres du général », a dit Nere. Il doit y avoir quelque chose d'important caché là-dedans. Il m'a demandé de recruter des infidèles, mais tout le monde n'est pas prêt à accepter la vérité de l'Absolue. Je risque d'avoir une émeute sur les bras si je ne les paye pas rapidement. »

Tous se firent violence pour garder l'air le plus neutre possible. Thrinn ne croyait pas si bien dire. Les aventuriers s'accordèrent un moment pour constater l'ampleur de la tâche. La roche était lourde, en gros morceaux ; rien qui ne bougerait manuellement ou qui mettrait une éternité à se casser. Une pensée ironique traversa Silesta : on s'était moqué d'elle parce qu'elle détruisait ce qui l'entourait pendant les combats et voilà qu'il fallait à présent...

Une lumière éclaira son esprit et peignit un sourire sur son visage.

« Nous allons prendre le relais. »

Thrinn la remercia pour son soutien et laissa le champ libre. Gayle prévint tout de suite Silesta : son sort de la main du mage pouvait certes se montrer efficace mais pas à ce point. La jeune femme secoua la tête et fouilla dans son sac fébrilement.

« Je pensais à quelque chose de moins subtil », s'enthousiasma-t-elle en sortant des petites coques de terre cuite.

Des grenades pleines de poudre à canon, un excellent investissement réalisé chez les gobelins. Intelligemment placées à des points stratégiques avec une bonne mise à feu et le tour était joué. La jeune femme approcha de l'éboulement et entendit les gnomes qui chuchotaient nerveusement. De ce qu'elle comprit, l'une des leurs s'était enfuie avec de la poudre explosive et ils s'interrogeaient sur la légitimité d'en parler au sergent pour récupérer cette poudre et vite déblayer le passage. Ils se turent aussitôt et reculèrent de peur quand Silesta fut à leur hauteur.

« Du calme, chuchota-t-elle. Nous sommes là pour vous aider. »

Les gnomes se rassérénèrent en comprenant qu'elle n'était pas là pour les brimer davantage et furent encore plus soulagés en la voyant sortir des explosifs. L'un d'eux lui demanda si elle avait aperçu leur camarade Philomène, celle qui avait pris la poudre d'escampette en plus de la poudre runique. Il fut déçu quand Silesta lui répondit par la négative et se contenta de se rassurer en espérant que son amie fût saine et sauve.

« Je vous en prie mademoiselle, faites vite, implora-t-il. Les nôtres sont aussi coincés avec ce drow, ils ne tiendront pas longtemps. »

La jeune femme commença à placer ses explosifs lorsqu'une voix hachée mais vindicative se mit à résonner dans son crâne.

« Une â... eillée... ? Enfin ! Déblayez... vite... étouffer ! »

Le feu du magma disparut autour d'elle. Elle était comme dans ses songes, entourée de brouillard sauf qu'elle était ici dans une mélasse verdâtre épaisse qui ne laissait entrevoir que des tas de gravats et quelques minuscules silhouettes en mouvement. Le souvenir de sa mésaventure dans le tunnel des gobelins la fit frissonner. Même pour un drow, Nere ne voyait pas plus qu'un autre dans une telle purée de pois. Le lien psychique finit par se rompre en laissant derrière lui la colère impatiente de l'âme éveillée coincée. Silesta secoua la tête, elle-même courroucée par transfert. S'il n'y avait pas eu la lanterne et les gnomes, elle aurait laissé ce sale type dans son tombeau de pierre.

L'humaine s'occupa de placer les charges de poudre à canon, assistée par les gnomes qui lui pointèrent les endroits-clés pour maximiser l'efficacité de l'explosion. Une fois cela fait, les gnomes et leurs geôliers s'éloignèrent en toute hâte des décombres, suivis par l'artificière en herbe qui rejoignit ses compagnons. La chaleur la mettait en nage. Quand elle jugea être assez loin, la saltimbanque se tourna vers Gayle.

« Prêt à mettre un peu de chaos ? »

Le magicien haussa un sourcil intéressé, une flamme dansant dans sa paume.

« Il faut bien commencer quelque part. »

D'un mouvement ample du bras, l'homme lança la boule de feu qui s'écrasa contre la roche. Une grappe d'explosions s'enchaîna dans un prodigieux vacarme doublé d'un violent tremblement et un souffle les balaya si fort qu'ils eurent tous un mouvement de recul. Une odeur âpre et épaisse de fumée satura l'atmosphère tandis qu'un nuage verdâtre commençait à s'évaporer lentement de l'ouverture béante dégagée. Les gnomes appelèrent les leurs dans des cris empreints d'espoir et d'appréhension. Lorsqu'ils approchèrent de l'entrée de la salle, les aventuriers virent une petite ombre émerger du nuage toxique et courir vers eux.

« Beldron ! » s'écria un des gnomes en allant récupérer son ami avant qu'il ne marche dans les cendres brûlantes laissées par l'explosion.

Silesta ne put s'empêcher de sourire, heureuse et soulagée. Hélas, sa joie fut de courte durée quand les gnomes se turent tous d'un seul coup, les visages fermés par la crainte en voyant une grande silhouette sombre sortir à son tour du trou. Grand et élancé, son visage gris perle et ses cheveux mi-longs blancs salis par la poussière, Nere semblait tout aussi méprisable que sa voix l'avait laissé entendre si l'on en jugeait le « Enfin ! » écœuré qu'il lâcha à son arrivée.

« Bons à rien d'esclaves ! tempêta-t-il en fusillant les gnomes de ses yeux framboise. Votre incompétence aura causé ma perte. »

Dans un geste plein de rage, le drow lança une vague d'énergie sur la gnome qui était la plus proche de lui et la malheureuse tomba directement dans le bassin de lave en contrebas. Silesta étouffa une exclamation d'horreur muette, fermement arrêtée par Ombrecoeur qui lui retint le bras dans le dos. Le hurlement qui ébranla les murs la fit trembler. Elle serra fort les paupières et ferma son esprit à ce qu'elle sentait gronder en elle.

« Assez, somma Gayle entre ses dents. Laissez-les. »

Nere sembla remarquer leur présence seulement maintenant qu'il les toisait avec jansénisme. Une âme éveillée qui se souciait du sort des faibles ? Voilà qui était fort curieux.

« Ce n'est pas tant pour les gnomes, se défendit Astarion avec légèreté. On nous a juste demandé de nous occuper de vous.

_ L'Absolue exige leur sacrifice et pourtant, vous osez défier sa volonté ? méprisa Nere. Oh, ce doit être une épreuve... Mais oui. L'Absolue cherche à éprouver ma foi. »

Il ordonna alors à Thrinn d'arracher le cœur de ces importuns pour le donner en pâture aux rothés. S'ils étaient de vraies âmes éveillées, la déesse les épargnerait. Lae'zel porta la main à son fourreau, lassée d'avoir à supporter ces paroles.

« On dirait que c'est l'heure de la paye, nain. »

Resté silencieusement en retrait, Brithvar tira sa dague au clair et la pointa sur le drow d'un air menaçant.

« Vous nous devez une décade de salaire, Nere. C'est le moment de solder les comptes. À moi, les gars ! »

Les acolytes du mercenaire prirent les armes à leur tour, bien décidés à en découdre une bonne fois pour toutes. Le sergent Thrinn cria à la mutinerie et les vociférations des duergars retentirent de partout. Voilà qui mettait fin aux négociations. En comprenant que le vent était en train de tourner, les gnomes agrippèrent leurs pioches, prêts à se défendre et surtout à se battre pour leur liberté. Le mouvement de foule qui embrasa tout à coup l'espace prit tout le monde de court. Des duergars se battaient entre eux, Brithvar essayait d'en découdre avec Thrinn et Nere avait décidé de s'attaquer directement à ceux qu'il considérait comme des traîtres à l'Absolue. Alors que ce dernier s'était tourné vers Lae'zel, le drow fut repoussé droit dans le nuage toxique de la salle piégée par une vague d'énergie de Gayle, le temps pour le magicien de paralyser d'une poigne électrique le nain qui fonçait ensuite sur lui.

Silesta fit glisser les chaînes de ses bolas et les saisit à mi-longueur. Il y avait trop de monde et peu d'espace pour se permettre des mouvements amples. Elle alla prêter main forte à un gnome au crâne lisse qui se faisait dépasser par les assauts de deux nains. Un petit coup de bolas pour déstabiliser et une pioche prestement abattue pour terminer et le tour était joué. Elle n'eut cependant guère le temps de célébrer sa petite victoire qu'un violent coup l'expulsa avec la puissance d'un rothé lâché à pleine puissance. La jeune femme retomba plusieurs mètres plus loin et la chaleur extrême de la lave en fusion toute proche lui enveloppa la tête. Elle n'avait pas été loin de finir comme la pauvre première victime de Nere.

« Hurgh... »

Elle roula péniblement sur le côté pour s'éloigner tout de suite du rebord, le souffle coupé par l'impact. C'était le chaos autour d'elle. Les plus vaillants étaient sans aucun doute les gnomes dont les faibles moyens décuplaient leur rage de combattre. Silesta vit même l'un d'eux se servir d'une bouteille comme arme de fortune et l'écraser sans pitié sur le crâne de Thrinn. Ça sentait le règlement de compte à plein nez et personne ne pourrait lui retirer ça. En plus des éclats de verre, un liquide visqueux forma une plaque brillante au sol et le passage d'un duergar qui vacilla lors de sa traversée fit comprendre à Silesta qu'il s'agissait d'huile.

L'éclat qui illumina ses iris de pluie trouva un écho qui fut loin d'être une surprise : perché dans les hauteurs d'un balcon qui surplombait la salle, Astarion commençait à préparer une flèche dont l'embout indiquait qu'elle était prévue pour être enflammée. Il avait pensé la même chose.

La joie de l'humaine fut de courte durée : telle qu'était la configuration actuellement, cela ne servirait à rien car les dégâts seraient minimes. Tout à coup, une pulsation psychique traversa sa tête et la voix pressée d'Ombrecoeur lui intima de ne pas rester au centre de l'espace. Silesta comprit que l'ordre concernait plus Gayle et Lae'zel qui s'étaient mis à deux sur Nere mais la jeune femme se redressa dans le doute pour aller contre un mur. Ses deux camarades entendirent aussi l'appel muet et battirent en retraite après que le magicien eût lancé un dernier sort sur le drow pour le ralentir. Silesta vit alors Ombrecoeur lancer quelque chose vers la flaque d'huile. Un petit objet inconnu à la forme étrange heurta le sol et une onde pulsa à son impact dans un rayon de quelques mètres. La seconde suivante, les duergars et Nere restés à portée furent violemment attirés en un gros paquet agité droit dans la flaque d'huile comme si un énorme trou noir les y avait aspirés. Silesta ouvrit la bouche, épatée, à l'instar d'Astarion qui eut aussi un moment de surprise puis il enflamma sa flèche, visa et tira.

Le trait de feu siffla et un feu d'artifice embrasa la grappe humanoïde prise au piège. Les piégés hurlèrent alors que des pans de leurs habits prenaient feu et se mirent à courir de douleur et de panique dans tous les sens. Après avoir apprécié quelques instants ce spectacle décousu et atroce, l'archer consentit à abréger les souffrances des nains de flèches habilement placées et laissa le soin aux gnomes de finaliser leur vengeance en poussant directement Nere dans la lave d'un mouvement commun.

Silesta se hâta de rejoindre Ombrecoeur, avide de savoir comment elle avait réussi ce coup de génie.

« Un petit souvenir du nautiloïd », s'amusa la demi-elfe en lui montrant une curieuse coquille dont l'origine n'était clairement pas de Faerûn.

Sa camarade reconnut le drôle de projectile et se souvint en avoir ramassé un sur la plage après le crash. Elle n'oublierait pas cette utilité.

Nere et les pro-Thrinn mis hors d'état de nuire, nos amis retrouvèrent Brithvar qui tonitruait contre les gnomes pour avoir transformé en tas de chair fondue celui qui lui devait de l'argent. Le gnome au crâne lisse ne se démonta pas et sortit une clé de sa poche.

« Nere a laissé tomber ça dans la bataille, je crois que c'est pour son coffre personnel. »

Le nain lui arracha la clé des mains en le menaçant d'un sort cruel s'il n'avait pas la possibilité de récupérer son dû.

« Cessez vos giries, blâma Astarion, lassé. Le marché consistait à sortir Nere de son trou. Rien ne précisait dans quel état. Nous avons fait notre part.»

Ses acolytes furent presque désolés pour le duergar. Voilà que leur pâle compagnon pinaillait comme un diable ; ils en entendaient presque la voix de Raphaël ricaner. Brithvar retint un juron et tourna les talons vers un coin de la salle où se trouvait un coffre orné de dorures.

« Quand je vous entends employer le mot « giries », je me rends compte que vous avez plus de deux cent ans, glissa discrètement Gayle au vampire.

_ Quand je vous entends vous étonner du mot « giries », je me rends compte que vous êtes presque un gamin pour moi », répondit ce dernier du tac au tac.

Le duergar glissa la clé dans la serrure du coffre. Un petit déclic retentit et la cache s'ouvrit. À en juger les prunelles brillantes de satisfaction du nain, sa précieuse solde et même plus encore devait y être.

« La lanterne et les gnomes libres », rappela Silesta pendant qu'il s'en mettait plein les poches.

Les gnomes ouvrirent de grands yeux ébahis en l'entendant. Brithvar grogna un « D'accord, d'accord » plein de mauvaise grâce puis il tira du coffre un objet longiligne qu'il lança vers le groupe et que Lae'zel attrapa au vol. C'était un long bâton arqué sur l'extrémité à laquelle était accrochée une lanterne de fer forgé ornée de pointes en épines. Les entrelacs de fer qui décoraient les vitres empêchaient de voir l'intérieur et pourtant, une vive lumière blanche emplissait le bocal. C'était bien la précieuse lanterne lunaire qu'ils recherchaient, aucune erreur possible.

« Votre calvaire est fini, sourit Silesta au gnome chauve. Si vous deviez quitter les Tréfonds Obscurs, ne prenez pas l'élévateur à l'est des quais. Vous vous retrouveriez dans une zone dangereuse.

_ Vous parlez de Hautelune ? Je sais. Je pensais trouver mon ami Wulbren ici mais quand j'ai été capturé par ces duergars, j'ai appris qu'il avait déjà été emmené là-bas. Il n'a jamais su s'entourer, déplora-t-il en soupirant avant de lui sourire. Mais je me dois d'abord de vous remercier. Mes amis et moi vous devons la vie. Je m'appelle Barcus. Barcus Wroot. Pourquoi avoir pris ce risque pour nous ? »

La jeune femme fut honnête et reconnut que leur sauvetage était un bonus qui n'était pas prévu en premier lieu dans leur quête. Juste pour elle-même, elle devait aussi s'avouer que la souffrance et la torture gratuites infligées aux autres réveillaient en elle des réactions immédiates. Quand cette gnome avait été tuée par Nere, elle aurait pu succomber à son état second, comme chez les gobelins.

Barcus se contenta de lui sourire avec reconnaissance et serra sa main dans les siennes.

« Merci beaucoup en tout cas. Prenez soin de vous et soyez prudents, vous et vos compagnons. »

Après un dernier salut de gratitude, les gnomes des Profondeurs se hâtèrent de quitter cet endroit de cauchemar et la même envie tenaillait les aventuriers... s'ils n'étaient pas aussi éreintés par leurs tribulations. Ils avaient la lanterne lunaire pour atteindre Hautelune, ils savaient où se trouvait leur porte de sortie des Tréfonds Obscurs et ils avaient écarté tout danger immédiat. Il fut donc décidé de s'accorder un repos bien mérité avant d'entamer leur remontée vers la surface. Malforge était un endroit plutôt sécurisé qui ferait tout à fait l'affaire. Le groupe s'en alla trouver un coin reculé dans les ruines pour se poser, assez à l'écart pour laisser les duergars entre eux et se faire oublier d'eux. Une zone isolée où les ruines étaient plus présentes que le temple en lui-même fut choisie pour sa position surélevée – on ne sait jamais - son espace et la présence de braseros qui faciliteraient la création d'un feu.

Chacun s'installa, bienheureux d'enfin s'accorder une pause. Ils en profitèrent pour se restaurer, pendus au fil de la suite de leur périple. Tous se demandaient à quoi pouvaient bien ressembler ces fameuses terres maudites dont parlait Halsin et ce qui les attendait avec le culte de l'Absolue. D'un côté, ils avaient tous hâte de quitter les entrailles de la terre mais la perspective qui se présentait à la surface n'était pas réjouissante non plus.

« Au moins, nous serons protégés, apprécia Gayle en admirant la lanterne. Quel étrange objet magique...

_ Je vous arrête tout de suite, ce n'est pas à manger », prévint aussitôt Ombrecoeur.

Ils rirent un peu. Silesta se rendait compte que dans son malheur, elle était plutôt bien entourée en dépit de l'éclectisme des caractères qui l'accompagnaient.

« Je m'occupe du premier tour de garde, décida-t-elle. Vous pourrez vous reposer tranquillement. »

Elle leur devait bien ça après avoir voulu jouer les négociatrices ambitieuses. Ses alliés la remercièrent pour son dévouement et chacun vaqua à ses occupations pour se détendre. Bien installée devant le feu, Silesta prit son ehru et entama sa veille par quelques notes suaves pour s'entraîner. Cela lui avait manqué. Emportée par la mélodie langoureuse, la saltimbanque se perdit en oubliant le temps entre deux pensées vagabondes.

Quand elle eût fini, elle rangea son instrument et s'étira longuement avec délice. Faire un peu le vide lui avait fait du bien. Elle tendit tout à coup l'oreille. Une voix effleurait le silence nouvellement réinstallé et elle la reconnut tout de suite. Dans la pénombre de sa tente, Astarion maugréait à voix basse. À qui parlait-il ? Ses autres compagnons étaient à portée de vue pourtant. Intriguée, Silesta se leva et approcha. Elle trouva le roublard torse nu, à se tortiller avec une main dans le dos.

« Une ligne avec une fourche... un F ? Ou un E ? », cherchait-il en contorsionnant son poignet vers son omoplate.

Il étouffa un grognement colérique. Qu'était-il censé interpréter comme signe ? S'agissait-il au moins d'une lettre ? Il allait devenir fou.

La spectatrice silencieuse comprit ce qu'il essayait de faire et s'étonna de son entreprise :

« Je croyais que le poème de Cazador vous laissait indifférent ? »

Le vampire sursauta en l'entendant et se retourna.

« Oh, c'est vous. Je le reconnais, je suis intrigué depuis que vous m'en avez reparlé. J'essaye de lire mes cicatrices par le toucher, mais je n'y arrive pas, regretta-t-il. Cette langue pourrait être du rashémi que cela en serait du pareil au même. »

Sa déception était perceptible même s'il cherchait à la dissimuler sous son assurance habituelle. Silesta attendit quelques instants, en vain. Cet homme avait vraiment la carapace coriace.

« Puis-je vous offrir mon aide ?

_ Je... Ce n'est pas votre problème », se défendit Astarion, sur la réserve.

Elle roula un peu des yeux avec un soupir. Il rouspétait quand elle voulait aider les autres et faisait le méfiant quand venait son tour ? N'avait-il en fait pas compris comment elle fonctionnait depuis ce temps ?

« Savez-vous respirer par le nez, Astarion ?

_ Pardon ? Euh... oui ?

_ Alors bouclez-la et tournez-vous. »

Elle lui souriait simplement, naturellement, comme une mère patiente le ferait face à son enfant qui lui racontait des mensonges pour ne pas avoir d'ennuis. Face à tant de bonne volonté, l'elfe dût abdiquer et il lui présenta son dos.

Silesta perdit son sourire en redécouvrant les lignes et les courbes tracées de replis de peau blanchie et un frisson horrible la traversa. Quelle douleur avait-il supportée pendant la création de cette abominable marque ? Elle en avait mal rien que d'imaginer.

Elle tempéra son mal-être pour mieux embrasser l'immense dessin qu'elle n'avait qu'entrevu la dernière fois. Elle ne reconnaissait pas cet alphabet, si cela en était bien un. Il ne s'apparentait à rien de ce que son maigre savoir lui octroyait.

« Alors ? la héla le vampire avec impatience. Que voyez-vous ?

_ Attendez, je vais vous le dessiner. »

La jeune femme alla récupérer un parchemin et utilisa un bout de charbon comme plume de remplacement. Astarion resta immobile jusqu'à ce qu'elle eût fini et récupéra le morceau de papier qu'elle lui tendit. Par les dieux, il était à des lieues de ce qu'il avait imaginé.

« Qu'est-ce qu'il m'a fait ? murmura-t-il entre l'angoisse et la colère.

_ Savez-vous ce que ça dit ? »

Il soupira en secouant la tête. Deux siècles qu'il avait ça gravé dans sa chair et maintenant, il était enfin en mesure de voir. Même sans la signification de ces stigmates, ils étaient la création de Cazador et tout ce qui venait de lui n'était jamais une bonne chose. Nonobstant cela, même Cazador n'aurait pu prédire qu'Astarion se ferait enlever par les flagelleurs mentaux et quoi que ce bourreau avait prévu de faire de son serviteur, son plan était tombé à l'eau. Cela représentait un avantage non négligeable. Le vampire eut un regain d'assurance à cette pensée.

« Au fait, merci. C'est... Ce n'est pas rien. »

Plus que le « merci » qui était aussi rare chez lui que le sourire chez Lae'zel, ce fut la simplicité sincère de sa voix qui fit le plus d'effet à Silesta. Ce timbre sans ronronnement, presque timoré avait quelque chose de touchant. Elle se promit de faire son possible pour découvrir le fin mot de cette histoire de cicatrices qui tenait à cœur à Astarion. Si elle pouvait l'aider à être plus que ses yeux...

La jeune femme cligna des paupières. Ses yeux.

« Attendez. »

Alors que le vampire remettait sa chemise, Silesta l'approcha et se mit face à lui. Il la guetta, curieux.

« Nere m'a donné une idée quand il était sous les décombres, expliqua-t-elle en levant les yeux vers lui. Regardez dans mon esprit. »

Astarion plia un sourcil intrigué et ferma les yeux pour se concentrer sur sa larve. Le noir sous ses paupières s'évanouit et une silhouette pâle s'esquissa. Puis un visage. Ensuite des traits, des courbes autour d'un nez et enfin, une bouche. Il porta une main à sa joue et se vit en miroir faire de même. L'elfe ouvrit les yeux et il vit alors ses propres iris teintés de la couleur profonde du vin. La couleur de sa condition de rejeton de vampire. Aucun mot ne parvint à franchir ses lèvres entrouvertes. C'était lui. Après tout ce temps, son visage lui revenait comme un voyageur retrouvait son foyer après des décennies d'errance.

Silesta le laissa se perdre dans son esprit en espérant qu'il n'avait pas en écho le tambourinement de son cœur dans sa poitrine ni l'émotion que ce moment lui procurait.

Lorsqu'elle rompit la connexion psychique, Astarion semblait émerger d'un long coma tant il était retourné. Il dévisagea la jeune femme comme s'il la découvrait pour la première fois. Ce silence choqué fit d'ailleurs peur à cette dernière, craignant que sa surprise n'eût produit l'inverse de l'effet escompté. Elle voulait lui faire plaisir, pas le traumatiser ! Elle prit une pose élégante et tenta une voix chantante :

« Le nouveau concept du miroir sur pied », se présenta-t-elle avec déférence.

Il pouffa un peu, pris de court. L'étrange limbe dans laquelle il oscillait se dissipa doucement. Il ne s'était pas attendu à cela et il devait reconnaître que les émotions qui se bousculaient en lui étaient si vivaces qu'il en avait perdu sa contenance. Astarion finit par passer la main dans ses cheveux, à nouveau armé de son panache.

« Aussi parfait que je le pensais, s'ébaudit-il avec satisfaction avant d'ancrer profondément son regard dans celui de son miroir. Et quelle intensité. »

Elle devina qu'il voulait « ré-équilibrer les forces » parce qu'elle avait marqué un point avant lui. Tant pis si l'attraction qui la guidait à lui avait fuité lors de l'ouverture de son esprit. Oui, Astarion l'avait capturée et il en avait bien conscience, connexion psychique ou pas. Cela n'avait aucune importance car Silesta savait qu'au fond d'elle, peut-être pour la première et réelle fois, elle avait touché du bout du doigt l'âme insondable de cet homme.

« Je vous l'avais dit, non ? Pour peu que vous vous laissiez faire. »

La jeune femme hocha tranquillement la tête pour lui souhaiter bonsoir et après un dernier sourire, elle s'en retourna vers le feu de camp pour poursuivre son tour de garde. Astarion l'observa s'éloigner sans mot dire, encore confus par ses sensations qui infusaient son être.

La saltimbanque retrouva sa place en se laissant porter par sa bonne humeur et la pensée d'avoir pu aider son allié, même un peu, même peut-être maladroitement. Dans le silence du campement, elle fit vagabonder son esprit ici et là. Les gnomes avaient-ils pu retrouver un endroit sûr ? Et ce Barcus Wroot, allait-il se risquer à se rendre à Hautelune ? Que cherchait exactement le culte de l'Absolue dans ces ruines ? Que représentaient les scarifications d'Astarion ? Et plus brutalement : était-elle à la hauteur de tout cela ?

Elle baissa les yeux sur le bout de charbon qu'elle avait gardé en main et avec lequel elle s'amusait à gribouiller sur la dalle de pierre sans réfléchir et constata qu'elle n'avait pas été très inspirée : un cercle qui s'entrecroisait dans un triangle avec un autre cercle à l'intérieur et quelques autres traits épars. Rien de très artistique comparé à ce qu'elle avait contemplé juste avant. Elle reprit la feuille de parchemin et analysa encore les mystérieux symboles. Qu'est-ce qu'un psychopathe comme Cazador voulait incruster dans la peau d'un esclave ? Un acte de propriété ?

« Vous vous êtes découvert des connaissances en infernal ? »

Silesta bondit presque sur ses pieds tant elle fut prise par surprise par la voix de Gayle qui venait prendre la relève de sa garde. Perplexe par l'air sidéré que son amie lui renvoyait, le magicien pointa le parchemin qu'elle tenait.

« Ça. Ces caractères, c'est de l'infernal, réitéra-t-il comme si cela était évident. Qu'est-ce exactement ?

_ Vous savez le lire ? » pressa Silesta, le cœur prêt à sortir de sa poitrine.

Gayle doucha son espoir aussitôt : son érudition lui accordait certes de nombreuses connaissances sur divers langages magiques mais il se gardait bien d'en approcher certains comme l'infernal. Silesta fut déçue mais cette information n'était pas à ignorer. Elle en ferait part à Astarion dès qu'elle le pourrait. Pour l'heure, elle préféra ne pas donner plus de détails au magicien. De l'infernal. Si Cazador trempait dans ce genre de milieu, alors les inquiétudes du vampire étaient bien fondées. Cela n'annonçait rien de bon.


Ben oui. Pourquoi on pourrait pas utiliser nos larves pour rendre ce service à notre vampire préféré ?