J'hallucine O_o Je viens de passer les 200 pages sur Word (et écrit en petit avec petites marges, hein...) Le temps passe vite quand on s'amuse (ou qu'on est une acharnée)
Oh la la, il se passe quoi, là ? Ça fait une plombe que je n'avais pas eu tant de monde à qui répondre, ça fait trop plaisir !
Journal des reviewers :
Seulie : Clair, net et précis ! Chef, oui chef ! De suite !
Liline37 : Merci pour tes encouragements ! En fait, je me rends compte que mon acte 3 est très psychologique, encore plus que le 2. Astarion et Silesta sont bien bien liés et on commence à toucher plus loin dans le cœur et l'affect profond. J'espère avoir trouvé le bon équilibre.
On arrive bientôt à Hautelune, on y arrive, encore un peu de patience :) On va entrer dans la meilleure partie, le « cran au-dessus ». Je me suis un peu torturée avec la réaction d'Astarion pour son reflet. À ce stade de la relation, je ne pouvais pas sombrer dans l'effusion sentimentale mais je ne pouvais pas non plus le laisser indifférent. On dirait que j'ai fait le bon milieu, ça me rassure !
Caroline-eyes : Oh, une nouvelle tête ! Comment ça fait plaisir ! XD Je constate que tu viens de commencer par le début, j'espère que ça n'a pas été trop indigeste :) En tout cas, welcome on board et au plaisir de recueillir tes avis !
Annabesse : Encore quelqu'un ! Merci merci ! Ravie de te compter aussi dans l'aventure !
RingoLemonadeCandy : Je ne pouvais pas laisser my best boi Barcus mourir :) Petite pensée pour Nere qui a été salement charcuté lors de sa décapitation rituelle.
J'en profite pour remercier les lurkers qui ont tagué l'histoire dans leur favoris et/ou alertes ! J'en conclus que l'histoire vous plaît, même si j'ignore en quoi lol. Ça reste une forme de soutien qui me touche beaucoup, merci à vous !
Avant d'aller à Hautelune, j'ai quelques petits éléments scénaristiques à ajouter... et une cut-scene à mettre.
CHAPITRE XIX – DES VISITES INATTENDUES
Silesta peina à trouver le sommeil quand elle partit se reposer. Son esprit tournait trop vite à cause des derniers événements et aussi parce qu'une part d'elle redoutait le moment de fermer les yeux. Ses rêves allaient-ils la mener quelque part comme elle l'avait espéré ? Et si oui, trouveraient-ils une résonance avec la terrible expérience de la fleur de susurreau ?
Elle roula une nouvelle fois sur sa paillasse, agitée. Elle devait se détendre sinon elle ne serait bonne à rien pour la suite de son périple. Une curieuse sensation la traversa, ni bonne ni mauvaise. Quand elle rouvrit les paupières, la jeune femme n'était plus dans Malforge. D'énormes rochers sombres en lévitation se détachaient dans une voûte céleste parme clairsemée de volutes blanches et piquetée d'étoiles brillantes comme des diamants.
Elle se redressa sur son séant en trouvant à quelques mètres d'elle la silhouette gracile et élancée d'une femme aux longs cheveux cendrés.
« Je t'avais dit que que je reviendrai. »
L'inconnue se tourna vers Silesta. Ses immenses yeux vert forêt reflétaient un mélange de calme et d'inquiétude.
« Tu as refusé d'utiliser le pouvoir du parasite. Tu penses que tu n'en as pas besoin, que c'est dangereux. Mais tout ne s'est pas passé comme tu l'espérais. »
La jeune femme rousse se souvint du moment où la voix de l'elfe lui avait suggéré de prendre la larve de Dror Ragzlin, larve qu'elle avait fini par tuer. Elle demeura silencieuse car elle savait qu'il était inutile de mentir. Cette elfe la regardait comme si elle scrutait les moindres recoins de son âme. La femme avait quant à elle bien conscience de ce désespoir de vouloir se débarrasser du parasite.
« Je te comprends. Hélas, tu cherches des solutions au mauvais endroit, déplora l'elfe avec désolation.
_ Halsin a dit que ces larves étaient modifiées magiquement à Hautelune, objecta Silesta, convaincue qu'elle et ses compagnons allaient dans la bonne direction. Que pourrions-nous faire d'autre ? »
L'elfe confirma que le druide était dans le vrai ; la larve était bien protégée par une magie inhabituelle qui empêchait son extraction et tant que la source de cette magie ne serait pas détruite, toute tentative de retirer la larve tuerait son porteur. La jeune femme rousse sentit la peur traverser son visage à ces mots et son interlocutrice le vit sans effort.
« Tu as bien compris que ces larves étaient des serviteurs prêts à obéir. Les infectés entendent la voix de l'Absolue et la prennent pour une divinité, voilà comment le « culte » se répand. Quand l'ordre de la transformation sera émis, tous se changeront en flagelleurs mentaux dans la seconde. L'ordre de ta propre transformation a déjà été donné à maintes reprises. Mais par chance, tant que vous porterez l'artefact avec vous, tu en seras protégée. »
Les iris gris de Silesta allèrent et vinrent dans le vide pendant que ses pensées s'entre-connectaient jusqu'à une conclusion qui agrandit ses yeux.
« Vous... Vous êtes dans l'artefact porté par Ombrecoeur ? C'est comme ça que vous nous tenez à l'écart de cette influence de l'Absolue ? »
Son ébahissement grimpa d'un cran quand l'inconnue confirma d'un signe de tête. Son cerveau noua de plus en plus de liens alors qu'elle rassemblait toutes les informations qu'elle avait. L'artefact gith, la chasse infernale du culte pour le retrouver, la mission d'Ombrecoeur...
« Avez-vous volé cet artefact ? »
L'elfe acquiesça encore et avoua avoir volé ce pouvoir à la reine gith Vlaakith en personne ; un pouvoir dont elle avait besoin pour maintenir son règne sur les githyankis et pour lequel elle serait prête à tout afin de le récupérer. Sans lui, Vlaakith serait incapable de faire face à la renaissance d'un empire illithid, sans parler du risque de mutinerie si son peuple venait à apprendre qu'elle lui mentait. Silesta écoutait mais c'était comme si les mots coulaient sur sa capacité à les comprendre sans s'imprégner. Elle ne pensait qu'à Lae'zel et à la crise qu'elle ferait si elle avait entendu cela. Sa reine bien aimée, celle pour laquelle elle respirait, vivait, existait, un imposteur ?
Toutes ces informations tourbillonnaient dans son esprit dans une bouillie indigeste qu'elle peine à digérer et plus elle fixait cette inconnue, plus Silesta se sentait dépassée.
« Qui êtes-vous ? »
Sa voix sonna presque comme une supplique à ses oreilles. Elle était désespérée de savoir qui était ce visage inconnu qui, pour une raison étrange, avait quelque chose de doux et de familier. L'affabilité de l'elfe s'obscurcit un bref instant.
« C'est compliqué. Mais je suis une aventurière, comme toi, sourit-elle pour la rassurer. Tout comme toi, j'ai été infectée par un parasite de flagelleur et tout comme toi, je cherche à m'en libérer. »
Pendant longtemps, elle avait cherché à fuir ce fléau jusqu'à presque y parvenir. Presque. À présent, une nouvelle chance se présentait.
« Grâce à toi. Tu peux aller là où je ne le peux et moi, je peux te protéger. » Sa voix vibrait d'espoir. « Ensemble, nous pouvons réussir. »
Le bruit lointain d'une détonation brisa son sourire et ferma son visage. Ça reprenait. Elle devait y aller.
« Nous sommes assaillies d'ondes télépathiques. Vlaakith et l'Absolue n'auront de cesse que de récupérer l'artefact, dit-elle avec gravité avant de se tourner vers Silesta. Je tiens bon comme je le peux mais tôt ou tard, je serai submergée. Poursuis ta route vers Hautelune, trouve la source magique qui contrôle les parasites et détruis-la. Va, notre survie en dépend. »
Silesta ouvrit les paupières sur l'ombre du plafond rocailleux de Malforge, le souffle presque court. Aucun son autour ne lui parvenait à l'exception de ses pensées confuses qui hurlaient dans sa tête. Elle se redressa et manqua un battement en découvrant Lae'zel qui se tenait droite comme un piquet pendant qu'elle montait la garde. Silesta ne remua pas d'un cil pendant un long moment d'hésitation. Non. Elle ne pouvait pas parler de ce qu'elle venait d'apprendre, pas de la partie concernant Vlaakith du moins. La foi farouche de la githyanki n'avait d'égal que sa vaillance et rien de ce que Silesta avait appris ne lui permettrait d'argumenter. Ce n'était pas une bonne idée.
Dopée d'une adrénaline qui galopait dans ses veines comme un cheval sauvage, la jeune femme quitta sa paillasse et alla tempérer le flot de son agitation dans l'exercice. Elle se hissa sur sa barre d'acrobatie et transféra sa concentration dans l'étirement gracieux de ses figures. Après quelques drapeaux humains un peu rigides, les muscles de la saltimbanque finirent par se détendre et elle se perdit dans le vide relaxant de son art.
Elle ne redescendit de son perchoir que lorsqu'elle vit Lae'zel aller chercher Gayle pour mettre fin à leur escale. Il était temps de repartir. Silesta se laissa glisser en bas de sa barre et alla rejoindre le centre du camp. Elle récupéra sa gourde et s'octroya quelques gorgées d'eau requiquantes pour son corps éprouvé. Elle avait tant relâché son esprit qu'elle ne perçut pas tout de suite la présence discrète qui passait dans son dos.
« Ne serait-ce pas ma petite douceur aux joues rosies, ronronna la voix d'Astarion qui se pencha à son oreille. Vous viendrez me rejoindre la nuit prochaine, n'est-ce pas ? Je suis resté quelque peu sur ma faim... »
La tiédeur de son souffle dans son oreille doublée de cette invitation charnelle fit presque évaporer l'eau que la jeune femme venait de boire. Là, cela faisait vraiment beaucoup d'émotions à gérer en peu de temps. Astarion avait le don fabuleux de toujours frapper quand elle était la plus facile à atteindre, à croire qu'il avait un radar.
Si sa raison intellectuelle exigeait d'abord de Silesta de parler au vampire de ce qu'elle avait appris de ses stigmates, sa dignité représentative l'exhortait de se reprendre.
« Petite douceur ? répéta-t-elle en essayant de garder un air dégagé. Vous pouvez faire mieux que cela.
_ Oh, mais certainement. Avec grand plaisir », répondit l'elfe sans se démonter.
Il s'accorda une courte réflexion.
« Que dites-vous de celle-ci : J'ai soif de vous voir. Je crois que je donnerai l'éternité de ma vie ne serait-ce que pour vous parler une minute des choses les plus indifférentes. »
Il savait y faire. Silesta devait le reconnaître, son sens du verbe était exquis. Les lèvres d'Astarion se courbèrent d'un mince sourire joueur.
« Moins exquis que vous quand vous soupiriez mon nom entre mes bras, lui glissa-t-il avec sensualité avant de repartir dans ses pensées. Hmm... Permettez-moi un autre essai : la moindre parcelle de votre corps est un appel à la tentation, comme si les dieux vous avaient créée pour me mener à ma perte. »
Le ton, les yeux, le geste, tout était millimétré comme sur du papier à musique. Une sérénade sans fausse note dont le dandy roublard était le musicien prodige. La jeune femme se laissa avoir et pouffa un peu. Il était trop fort pour elle.
« Vous êtes impossible. »
Astarion savoura sa victoire avec une exclamation satisfaite.
« Je pourrais tenir toute la journée avec les flatteries. Mais est-ce vraiment ce que vous voulez ? »
Son interlocutrice ne souriait plus, mise à quia par la profondeur soudaine de sa voix et de ses traits presque adoucis.
« Et si j'essayais ces quelques mots... ceux que chacun aime à entendre, dit-il comme s'il cueillait dans l'air les nouvelles notes de sa prochaine mélodie envoûtante. Je vous aime. »
Tout son être se coupa du reste de l'environnement, sauf peut-être la course de son sang qui quittait son ventricule dans de vives pulsations. Silesta eut un moment de vide. Quoiqu'au début doucement amusée par les efforts déployés par Astarion dans ce petit jeu, elle éprouvait à présent une étrange sensation dans son ventre. Quelque chose de bancal qui égratignait la perfection du tableau devant elle. Elle pria pour que le feu dans ses joues ne l'incendiât par trop et ne sut pas comment son cerveau parvint à envoyer l'instruction à sa bouche de répondre :
« Ce serait mentir. »
Ces mots lui brûlaient la langue. Pire, elle les vomissait.
« Eh bien, cela pourrait être vrai. Au moins le temps d'une nuit », nuança le vampire avec indulgence.
Jugeant qu'il avait accédé à la demande de sa « petite douceur », il regagna sa parfaite assurance comme il aurait remis un manteau. Même s'il se délectait de lui déclamer ses meilleures phrases, il était bien plus enclin à ce qu'ils jouissent ensemble une nouvelle fois de la rencontre de leurs talents respectifs.
Paradoxalement, la coquinerie qu'il dégageait fit plus redescendre Silesta sur terre qu'elle ne l'émoustilla. Encore cette impression bancale.
« Vos marques dans le dos. Ce serait de l'infernal. »
La flamboyance d'Astarion se brisa comme le verre.
« Comment ? »
Silesta lui rapporta son échange avec Gayle en précisant bien qu'elle n'avait rien dit de la provenance de ces signes. Le visage de l'elfe s'affaissa dans une angoisse mal cachée. De l'infernal ? Cazador était un être diabolique métaphoriquement parlant, rien de plus. Qu'avait-il à voir avec les Enfers ? Quand l'humaine demanda à son compagnon s'il avait déjà vu Cazador écrire ou même converser en infernal, Astarion répondit d'abord que non avant de se modérer ; du moins, il n'en avait pas été témoin.
« Cela ne change en rien ce que je disais. Cela ne me dit rien qui vaille mais j'ai un coup d'avance sur Cazador, quoi qu'il cherchait à faire. Et je compte bien en tirer parti pour lui faire payer ce qu'il m'a fait. »
La froideur de la vengeance qui taillait ses mots de rebords tranchants ne laissait pas de place au doute : il était déterminé à mettre fin à ses tourments et surtout à la vie de son bourreau. Silesta préféra ne rien dire. Passer de la perspective d'une prochaine nuit sensuelle à la planification d'un funeste châtiment, il n'y avait qu'avec Astarion qu'elle pouvait voir une telle palette d'extrêmes.
« Tout va bien ? s'enquit Ombrecoeur qui passait près d'eux.
_ Oui, oui », mentit la jeune femme rousse à demi mot.
Elle hésita à parler de sa nouvelle rencontre avec la visiteuse nocturne mais se ravisa. Elle ne se sentait pas la force d'affronter une nouvelle foule de questions et encore moins une confrontation avec Lae'zel. La githyanki comprendrait tout de suite que l'artefact avait été volé à son peuple, même si elle ne mentionnait pas Vlaakith. Cela aurait été plus simple si elle avait rêvé de son brouillard habituel, ce serait donc pour la prochaine nuit... avec Astarion ? Silesta glissa lentement ses yeux de pluie en biais vers son voisin qui allait récupérer ses armes. Elle n'avait même pas pu répondre à son invitation.
« Nous verrons bien. »
Après avoir mangé rapidement, la jeune femme se dépêcha de rassembler son paquetage. Il était temps de regagner la surface. Le groupe plia bagage et Gayle s'occupa d'éteindre le brasero avant de reprendre le chemin des quais avec les autres.
Maintenant qu'ils n'étaient plus sous les ordres d'une âme éveillée tyrannique, les duergars semblaient s'être éparpillés car ils étaient moins nombreux que la veille. Sans doute étaient-ils partis dans d'autres recoins de Malforge à la recherche de quelque trésor perdu. Toujours fut-il que nos amis se retrouvèrent bien vite face à la grille forgée menant à l'élévateur. Après l'avoir ouverte, ils s'entassèrent dans la petite cage exiguë et eurent à compter sur la poigne de fer de Lae'zel pour débloquer le levier rouillé. Le sol trembla quand la machine se mit en branle et une faible poussée ondula dans leur ventre. La montée fut plus rapide qu'ils le pensèrent et la roche qui défilait devant eux aboutit sur un nouveau rideau de ténèbres percées par une lueur plus loin. Ils étaient dans le tunnel d'une montagne. Le groupe longea le couloir rocailleux et tous grimacèrent lorsque le soleil de la mi-matinée vint matraquer leurs yeux fatigués par l'obscurité.
Le changement de luminosité était si violent que Gayle mit un moment avant de pouvoir déchiffrer l'écriture gravée dans les plaques d'un panneau de signalisation à la fourche d'un carrefour : « Ouest : Reithwin / Est : Route du Renouveau ». Le nom de Reithwin avait été rayé par de brusques stries de burin avec la hargne de vouloir le faire disparaître. Comme si cette destination ne devait être envisagée par personne. Après une rapide vérification, les aventuriers se rendirent compte qu'il y avait une autre sortie de l'autre côté du tunnel dans lequel ils avaient débouché. Cependant, la lumière extérieure par là-bas était si faible qu'elle était à peine remarquable. Une lumière engloutie par des ténèbres denses.
« Nous avons notre chem... »
Gayle s'interrompit, interpellé par quelque chose sur le chemin menant à la Route du Renouveau. Il y avait quelqu'un qui marchait vers eux. C'était un vieil homme dont la longue barbe grise tranchait sur le rouge bourgogne de sa tunique et du chapeau pointu qui faisait ballotter son pompon à l'arrière de sa tête au gré de sa démarche lente mais assurée. Sa tenue et le bâton qu'il tenait comme une canne de marche criaient son statut de magicien. Circonspects par la présence d'un vieux mage seul et sur des routes de campagne, les aventuriers l'observèrent avancer jusqu'à ce qu'il fût assez proche.
« Elminster ? » s'étonna Gayle en reconnaissant l'étrange pèlerin.
Silesta cligna des yeux. Ils se connaissaient ?
Une lueur étincela dans les petits yeux fatigués du vieil homme en réalisant qui se tenait face à lui puis ses sourcils broussailleux creusèrent des rides fâchées.
« Lui-même, Gayle, répondit-il de sa voix éraillée par les années. Et il est fort contrarié d'avoir eu à sacrifier ses plus belles bottes pour parcourir tant de chemin pour vous. »
Son attitude ronchonne et sa façon d'être furent l'évidence même pour Silesta qui se tourna en toute innocence vers son allié.
« C'est votre grand-père ? »
La réaction immédiate qui ébranla les deux hommes eut tôt fait de lui faire comprendre qu'elle se trompait. Avant que son homologue ne prenne ombrage de la méconnaissance de sa camarade, Gayle se chargea d'éclairer sa lanterne : cet homme était Elminster Aumar, autrement connu sous le nom de Sage de Valombre, l'un des plus puissants mages que Faerûn eût jamais connu et dont les multiples exploits abreuvaient les chants des bardes sans jamais se tarir.
Oups. La saltimbanque se mordit les lèvres de honte et s'inclina en priant l'offensé d'excuser l'ignorante saltimbanque qu'elle était.
« Ne rougissez pas, mon enfant, la rassura Elminster qui trouvait en fait sa candeur plutôt drôle. Vous avez bien assez à divertir les foules pour vous pencher sur de vieilles histoires. Il faudrait tout de même que je vous raconte la fois où j'ai...
_ Elminster, vous dites avoir fait tout ce chemin pour me trouver, n'est-ce pas ? Dans quel but ? » coupa Gayle avec une impatience teintée d'appréhension.
_ J'ai été mandé de tout faire pour vous retrouver. C'est Elle qui m'envoie, Gayle. Vous savez de qui je parle. »
Il n'était pas le seul. Le même prénom s'imprima dans l'esprit des spectateurs silencieux : Mystra. Il n'en fallut pas plus pour que le magicien d'Eauprofonde ne troque sa calme prestance habituelle pour un frisson agité. Quelle était la raison de tout ceci ? Pourquoi ?
« Jeune homme, vos vicissitudes loin d'Eauprofonde auraient-elles fait fi de votre sens du décorum et de votre patience ? admonesta Elminster avec sévérité. Voilà des jours que j'erre sur les chemins sans avoir mangé quelque chose de décent ni bu autre que ce que le ciel daignait m'offrir. Une miche de pain, une tranche de fromage et un verre de vin serait-il trop demander avant de pouvoir vous exposer diligemment le motif de ma visite ? »
Si elle n'avait pas été corrigée juste avant, Silesta aurait mis ses deux mains au feu qu'Elminster était le grand-père de Gayle tant son comportement épousait celui d'un aïeul bourru qui râlait contre l'insolence de la jeunesse. La jeune femme devina aux figures pincées de ses autres camarades que la requête d'Elminster ne les enchantait pas mais après ce qu'ils avaient appris sur Gayle et son infortune avec la déesse de la magie, ils n'avaient d'autre choix que d'écouter ce que l'homme avait à dire.
« Voyons, Gayle. Où sont donc vos bonnes manières ? » s'offusqua faussement Astarion qui ne perdait jamais une occasion de se moquer.
Le magicien eut une profonde inspiration en retroussant ses lèvres pour s'empêcher une phrase malheureuse. Il abandonna. Même âgé de plusieurs siècles, Elminster ne réfléchissait qu'avec son estomac. Peut-être serait-t-il plus enclin à parler après avoir cessé de gargouiller de faim.
Pendant qu'Elminster s'octroyait une pause bien méritée en s'asseyant sur une grosse pierre, Silesta s'occupa de préparer une rapide collation qu'elle donna au vieil homme. Il la remercia chaleureusement pour sa gentillesse et s'attela à engloutir son repas avec l'entrain d'un adolescent en pleine croissance sous les regards fascinés et impatients du reste de l'assistance. Les minutes furent douloureuses pour le magicien de la bande dont la patience fut encore plus usée à la fin du repas lorsque que le vieil homme se perdit dans une logorrhée interminable sur les bienfaits de la lucidité retrouvée après un bon festin.
« Elminster. »
Les yeux bruns de Gayle étaient métalliques et sa voix d'un péremptoire sans appel si tranchant que même Elminster en fut perturbé. Le vieillard s'éclaircit la gorge en cherchant ses mots longuement et difficilement. L'embarras qui habitait ses prunelles bleu de glace était tel que Silesta elle-même commençait à se sentir nerveuse comme son ami.
« Gayle, mon garçon. Je suis ici pour un sujet de la plus haute importance, commença Elminster dans un souci de préambule. Je serai le plus direct possible. J'ai un message à vous transmettre de la part de Mystra. »
Lae'zel ne cacha pas sa surprise d'apprendre que la déesse envoyait un messager à leur encontre, ce à quoi Gayle lui répondit d'une placide indolence que Mystra avait les pieds bien trop délicats pour la rudesse des routes. Le Sage de Valombre reprit son cadet pour l'impolitesse dont il faisait preuve et lui expliqua que Mystra lui offrait une chance de se racheter. Gayle ne cacha pas son ahurissement. Mystra envisageait... de lui pardonner ?
« D'une certaine façon, rétorqua Elminster en dodelinant de la tête avec hésitation. Elle a bien conscience de vos mésaventures et elle sait pour le différend qui vous oppose à l'Absolue et son culte.
_ Une intervention divine ne serait pas de refus », s'ébaudit Silesta, pleine d'espoir.
C'était plus ou moins la raison de la présence de l'Élu de Mystra dans ces contrées reculées : l'Absolue représentait une menace pour tout ce qui vivait en ce monde, y compris les immortels, les dieux, la Trame, le tissu de la réalité en lui-même.
« Voilà ce pourquoi je suis ici, Gayle. Pour vous charger de la destruction de l'Absolue. Mystra pense que vous êtes le seul à pouvoir la vaincre. »
Il y eut un silence.
« Gayle. Tout seul, énuméra Ombrecoeur sans comprendre. Comment ça ?
_ L'orbe », murmura celui-ci.
Sous les bouches entrouvertes de surprise des autres, Elminster expliqua que la déesse de la magie lui avait conféré le pouvoir de stopper les aiguilles de l'horloge mortelle qui tournait dans la poitrine de Gayle. L'orbe ne pourrait plus échapper à son contrôle. Bien au contraire, Gayle serait désormais en mesure de déclencher son explosion quand il le souhaiterait. Ou plutôt quand il aurait trouvé le cœur de l'Absolue.
Silesta fut scandalisée par ce qu'elle entendait et se raidit sous l'effet de la colère en oubliant qui elle avait en face d'elle.
« Vous plaisantez ? C'est monstrueux ! C'est un ordre de suicide pur et simple !
_ Je n'éprouve aucun plaisir à vous le dire, mon ami, mais telle est la volonté de Mystra, regretta Elminster. Vous serez le sacrifice qui mettra fin au règne de l'Absolue. Et par votre sacrifice, vous serez absous. Telle est sa promesse. Maintenant que mon message a été délivré, il ne m'incombe plus que de vous lancer le sortilège. »
La jeune femme rousse observa le vieil homme incanter lentement une formule magique, dévorée d'une impuissance densifiée par la résolution qui fermait le visage de Gayle alors qu'il laissait un flot de magie s'écouler dans son cœur. Quand le rituel fut achevé, c'était comme si Elminster avait pris cinquante ans de plus tellement son expression était lasse. Voilà qui était fait, sa tâche était accomplie.
« J'en remets Gayle à vos bons soins, dit Elminster aux autres et en s'attardant plus sur Silesta. Je compte sur vous pour le guider dans sa quête. »
Elle déglutit, la gorge serrée. Elle voulait autant approuver qu'elle voulait crier. Elle ne put qu'acquiescer péniblement.
« Adieu, mon ami, souffla l'aïeul à son cadet qui lui rendit un hochement de tête.
_ Adieu, Elminster. Je suis content qu'elle vous ait choisi vous. »
Ils ne surent combien de temps s'écoula jusqu'à ce que la silhouette du vieil homme disparût au loin sur le chemin tant l'atmosphère s'était épaissie et le silence était assourdissant. Une fois l'homme hors de sa portée, Gayle eut un soupir. Les rencontres avec Elminster avaient toujours quelque chose de mémorable mais il regrettait de ne pas avoir pu le présenter à ses alliés dans des circonstances moins sinistres. Hélas, la situation actuelle ne permettait plus ce luxe.
« Quelle ironie. Enfant, on tuait le temps et maintenant, je ne rêve que de le figer.
_ Vous considérez sérieusement la requête de Mystra ? s'horrifia Silesta, outrée.
La réponse fut tristement évidente. Bien sûr, c'était là la meilleure solution à leur problème. Rien n'était plus facile : trouver le bon endroit au bon moment, fermer les yeux et se laisser partir. La menace serait écartée, Faerûn serait sauvée, leurs ennemis ne seraient plus. Et lui avec.
« Mystra vous impose d'avoir foi en elle et pourtant, je n'en perçois aucune de sa part envers vous, fit remarquer Lae'zel à l'étonnement général. Est-il si impensable pour elle que vous ne puissiez détruire l'Absolue par vos seules capacités ? Ne saurait-elle reconnaître la valeur de ceux qui vous accompagnent ? Aussi exigeante puisse être ma reine Vlaakith, elle agit pour le bien de son peuple, contrairement à votre déesse qui ne s'inquiète que pour elle. »
Ces paroles furent aussi inattendues de la part de la githyanki qu'elles étaient dans le vrai et résumaient la pensée de Silesta. Elle ne pouvait se résoudre à laisser Gayle aller jusqu'au bout de cette demande insensée.
« Nous trouverons un autre moyen, lui jura-t-elle. Hors de question de vous laisser vous sacrifier.
_ S'il existait, je suis sûr que la déesse de la magie ou le plus grand magicien de tous les temps l'aurait déjà trouvé. Malheureusement, nous n'avons que cette option. »
Le magicien avait perdu toute sa verve, il était déjà prêt à sceller résolument son destin. Si la seule valeur qui pouvait encore briller aux yeux de celle qu'il aimait était sa mort la plus noble, il serait prêt. Il n'avait plus grand chose à perdre. Gayle finit par se rendre compte qu'il se montrait lugubre depuis bien assez de temps quand il vit les mines ternes ou irrésolues des trois femmes de son groupe. Astarion semblait aussi ennuyé mais dans une autre mesure.
« Nous n'en sommes pas encore là. Et puis, voyons le bon côté des choses : vous n'aurez plus à redouter un dérèglement subit de ma part. Tout est sous contrôle maintenant », tenta le magicien sur un semblant de légèreté.
Silesta n'arrivait pas à se laisser persuader comme elle savait qu'elle ne saurait persuader Gayle pour le moment. Au diable cette bombe, son ami avait déjà tout ce qu'il fallait pour mener sa mission sans y laisser la vie : le talent, le courage et des alliés avec lui. Elle ferait tout ce qui était en son pouvoir pour l'épauler et l'empêcher d'arriver à cette fin funeste.
« Allons-y. Hautelune nous attend. »
D'un air maussade, Silesta alla récupérer son paquetage qu'elle avait posé dans un coin le temps du repos d'Elminster et suivit ses camarades qui s'en retournaient vers le tunnel dans la montagne quand la voix familière de la visiteuse nocturne se manifesta dans un coin de sa tête :
« Intéressant, cette détonation sur commande. Cela pourrait nous être utile. Ou nous entraver. »
Elle fronça les sourcils. Ce ne serait ni l'un ni l'autre pour la simple et bonne raison qu'elle veillerait sur son allié comme elle le faisait pour les autres. Elle ne le laisserait pas faire.
« Pense d'abord à toi. Tu as aussi ton propre fardeau à gérer. »
L'humaine eut un instant d'hésitation avant de secouer la tête pour s'en défaire. Cela la concernait elle seule.
« Il s'est passé quelque chose, Silesta. Même si je ne peux pas accéder à ta mémoire, je le sens moi aussi. »
Elle cessa aussitôt de marcher. Hélas, la femme s'était à présent tue. Son cœur se mit à marteler contre sa cage thoracique. Alors, son pressentiment était juste. Le susurreau avait bel et bien provoqué quelque chose.
La voix d'Ombrecoeur qui l'appelait la tira brutalement de sa torpeur. Silesta chassa ses pensées dans un coin de sa tête et pressa le pas ; de toute façon, elle ne pouvait qu'attendre de voir ce que son esprit lui réservait.
Le groupe entra de nouveau dans le tunnel et longea son enveloppante obscurité grâce à une faible flammèche émise par la paume de Gayle. Enfin, une ouverture de l'autre côté de la montagne s'esquissa par le reflet morne et gris de sa lumière. Lorsque les aventuriers parvinrent au bout, ce fut à peine s'ils le remarquèrent tant il faisait sombre.
Tout à coup, tous étouffèrent un étranglement. Une acidité fulgurante presque brûlante arrachait la muqueuse de leurs narines et de leur gorge et pourtant, aucune odeur de poison n'était perceptible. Imitée de Lae'zel, Silesta tomba à genoux en se tenant la gorge, autant paniquée par cette atroce apnée que par le souvenir de son violent malaise qui lui revint. Ses compagnons aussi souffraient, sauf peut-être Ombrecoeur qui ne faisait que tousser beaucoup. Entre deux râles de douleur, Gayle parvint à se saisir de la lanterne lunaire et la brandit. La lumière lactescente irradia autour d'eux et aussitôt, le venin invisible se dissolut dans l'air comme le soleil perçait les nuages après l'orage. Il leur fallut plusieurs minutes pour récupérer un souffle normal.
« Voilà donc la fameuse malédiction des ombres, haleta Lae'zel en se redressant. Ni Halsin ni les nains n'avaient exagéré. »
Elle ne croyait pas si bien dire. Entourés par la blancheur salvatrice de la lanterne, nos amis prirent un temps pour contempler le triste tableau qui s'étendait sous leurs pieds. La voûte céleste semblable à un morne ciel d'un soir d'automne n'était plus qu'un amas compact de nuages sales et épais d'où filtraient les rais mourants d'une lumière blafarde. La terre était sèche et grise, privée de sa couleur riche et la végétation qui subsistait n'était qu'un simulacre tordu, noir et sans vie. Là où les Tréfonds Obscurs avaient la bioluminescence de sa faune pour les sauver, les Terres Perverties par les Ombres n'avaient rien qui n'inspirait pas la mort et le désespoir. Plus rien ne dégageait la moindre parcelle de vie et la simple vision de ce triste décor suffisait à aspirer toute joie de vivre aux nouveaux arrivants. Même Silesta l'optimiste se sentit bien faible face au monochrome inquiétant qui l'entourait et le fut encore plus quand elle porta son regard plus loin dans l'horizon. De longues ombres longilignes s'élevaient par-delà la brume au sud-ouest.
« Les Tours de Hautelune. »
Ah... Cette cut-scene « Here's my little treat »... J'avais envie de m'essayer à lui trouver une autre réplique, juste pour voir. Le reste était tellement parfait que je n'ai pas eu le cœur de dénaturer le dialogue original.
J'ai bien aimé Elminster et le lien qu'il a avec Gayle, un mélange de bienveillance, chaperon, mentor et respect un peu paternel. Mais qu'est-ce qu'il cause...
