La suite un peu plus tôt que prévu. Parce que je m'ennuie.

Journal de la revieweuse :

Liline37 : En effet, ce chapitre est le plus plombant de tous, j'y suis allée fort avec Silesta. Au départ, je ne connaissais pas les spécificités mage/occultiste/ensorceleur par rapport à la magie et quand j'ai découvert que les ensorceleurs étaient des mages naturels, j'ai bondi de joie car ça collait à mon histoire de magie naturelle en dormance. Du pain béni.
Et non, je n'ai pas multiclassé Silesta dans ma partie (c'était ma 1ère run, je ne savais pas comment faire). Elle est restée ensorceleuse de bout en bout et c'était assez marrant avec les retours de magie sauvage inopinés XD
Je n'en ai pas fini avec elle. Silesta a encore quelques petites spécificités de mon crû avec sa magie. Il faut dire qu'elle est spéciale et elle a vécu des événements traumatisants, certes, mais spéciaux aussi. Déjà à cause de ce que lui a fait Iwen et ensuite suite à ce qui s'est passé avec le Conclave.

Dans la vie, je veux croire au retour de karma, même s'il ne s'est jamais manifesté face aux personnes que j'aimerai voir se prendre le retour du bâton. Je prends une partie de ma revanche ici.


CHAPITRE LXVII – ENDORMIE

« Silesta ? Une ensorceleuse ? répéta Gayle, abasourdi.

_ Oui, mais elle n'en a pas conscience. Sa magie ne s'est jamais manifestée et est restée en veille, répondit Layos qui ouvrait la marche. C'est rare, mais possible. »

Guidés par le jeune demi-elfe, les aventuriers traversaient la ville à vive allure, slalomant entre les passants qui remontaient la rue en contre-sens.

« Dans notre jargon, nous appelons les ensorceleurs comme elle des Endormis, poursuivit le garçon.

_ « Nous » ? Qui, « nous » ?

_ Le Conclave du Sceau de L'Aurore. Le symbole que Valyn avait en dessin. Iwen Calis a vu en elle une aubaine pour soigner sa sœur malade mais il y a un an environ, il a compris à ses dépens qu'un Endormi peut représenter une vraie menace. Et pourtant, il recommence.

_ Quel genre de menace ? » se risqua Astarion avec appréhension.

La place dans laquelle le groupuscule déboula leur parut bien familière. Tous reconnurent cet immense bâtiment austère qui avait tout d'une prison avec toutes ces fenêtres grillagées. Le sanatorium le Jardin de l'Aube.

La surprise aurait pu s'arrêter ici mais bien au contraire, elle monta d'un cran lorsque Layos guida ses accompagnateurs vers une porte dérobée située à l'arrière de la maison de repos. Plus interpellateur encore, une minuscule gravure à peine perceptible pour l'œil inattentif ornait la plaque de la poignée de porte du fameux symbole triangulaire.

Sans comprendre d'où lui venait cet horrible pressentiment dans ses entrailles, Astarion arrêta l'adolescent d'une main sur l'épaule et le fit se retourner pour lui réitérer sa question avec plus d'empressement. L'association de Silesta avec menace mettait à mal son esprit déjà rongé d'inquiétude.

Layos pinça les lèvres dans une moue mal à l'aise. Le cri d'un patient qui résonna quelque part dans une chambre au-dessus de leurs têtes ajouta sa note de malsain à l'instant. Les pupilles de Gayle arrêtèrent tout à coup leurs mouvements latéraux et il cligna, le teint un peu blanc.

« Layos, ne me dis pas que... articula douloureusement le magicien.

_ Si. Les patients de ce sanatorium sont des Endormis. Des Endormis qui ont connu la fin la plus clémente à leur condition. »

Le demi-elfe s'ébroua en pestant et se remit face à la porte. Leurs questions étaient légitimes mais elles n'étaient pas utiles pour l'instant. Ce qui comptait, c'était de vite retrouver Valyn et arrêter Iwen Calis avant qu'il ne la tue ou pire encore.

Layos pinça sa lèvre inférieure entre ses doigts et la tira vers le bas, dévoilant à la porte une gravure magique du symbole du Conclave du Sceau de l'Aurore à l'intérieur de sa lèvre. Tous eurent une petite grimace douloureuse à la vue de ce tatouage lumineux ; ça ne devait pas faire du bien à cet endroit-là.

La porte s'ouvrit face à ce mot de passe incongru et Layos s'engouffra dans le couloir sombre qui s'enfonçait vers un sous-sol avec les aventuriers à sa suite.

« J'espère qu'il n'est pas trop tard, murmura le garçon entre ses dents. Calis bénéficie de toutes nos installations magiques. S'il brise l'un des sceaux... Le mien sera le moins résistant. Si Valyn récupère ses souvenirs... Oh, que Mystra nous vienne en aide.

_ C'est donc bien le Conclave qui a opéré ces sceaux de contention sur Silesta ? comprit Ombrecoeur. Et comment se fait-il que tu la connaisses aussi bien ?

_ Pour vous donner la version courte de l'histoire : je suis empathe, répondit-il en agitant une nouvelle fois ses mains gantées. J'ai vu ses souvenirs et c'était... »

Le silence qu'il s'imposa fut encore plus criant que la façon qu'il eut à se mordre la lèvre. Il secoua la tête et alluma une nouvelle rangée de torches accrochées au mur d'un geste impatient de la main.

« Si vous veniez à me toucher directement, je pourrais lire en vous comme un livre. Mais je vous le déconseille. Ce n'est pas l'expérience la plus agréable. »

Gayle se retint d'en rajouter car le moment n'était vraiment pas le bon mais il était impressionné par leur jeune guide. Layos avait beau sortir tout juste de l'enfance, il dégageait une aura magique qui rappelait au magicien d'Eauprofonde un autre jeune prodige aux dents longues qu'il avait plus que bien connu : lui-même.

L'homme avait toujours éprouvé une sorte de mépris concurrentiel pour les ensorceleurs mais ce garçon lui imposait une forme de respect. S'il avait été approché par le Conclave pour mettre sa magie à contribution, ce n'était pas pour rien. Layos était donc l'un des auteurs des sceaux de Silesta ? C'était tout bonnement incroyable pour un ensorceleur aussi jeune...

L'adolescent eut un sourire en coin suffisant comme s'il avait perçu l'intérêt de son aîné pour lui.

« Je regrette, maître magicien. J'ai déjà été et resterai l'apprenti de ma mentor. Et puis, j'ai toujours été un instinctif, pas un rat de bibliothèque.

_ Ça tombe bien. Je déteste les prétentieux, se défendit l'homme avec vexation. Et je ne prends pas d'apprenti, je ne suis pas professeur.

_ J'aime beaucoup ce petit », apprécia Astarion avec amusement.

Tout en prenant soin de ne pas se perdre dans le dédale de couloirs qu'ils arpentaient, Layos profita du peu de temps qu'ils avaient devant eux pour s'expliquer davantage : le sanatorium le Jardin de l'Aube était à la fois une couverture et une extension du Conclave du Sceau de l'Aurore. La congrégation magique avait pour but d'identifier et de récupérer les Endormis pour éviter qu'ils ne causent des carnages.

Un Endormi ne le restait jamais et les issues étaient rarement heureuses. En mettant de côté les quelques uns qui finissaient par s'éveiller enfin en tant qu'ensorceleurs, les Endormis les plus chanceux perdaient l'esprit sous la pression exercée par leur magie latente ; ceux-là étaient alors directement intégrés au sanatorium pour être surveillés et espérer leur accorder une vie la plus paisible possible.

Venaient majoritairement après les cas les plus simples mais funestes : l'Endormi mourait en se faisant consumer de l'intérieur. Hélas, cette issue ne faisait pas suite à une longue agonie mais plutôt à une éruption brutale et inopinée de magie ; ces Endormis-là ne pouvaient que rarement être trouvés à temps par le Conclave et étaient les plus dangereux.

Layos eut un silence.

« Et enfin... vous avez les oiseaux rares comme Valyn. »

Les entrailles d'Astarion se tordirent de plus belle. Depuis que ce gosse avait ouvert la bouche devant cette fontaine, il n'avait eu aucune parole rassurante concernant sa compagne. Il allait devenir fou.

« C'est à dire ? demanda Lae'zel pour crever l'abcès.

_ Valyn est une Endormie d'un genre que le Conclave n'a que trop rarement vu. Suite aux horreurs que lui a fait subir Iwen, elle a explosé. Littéralement. Mais elle n'en est pas morte. Enfin... pas tout à fait. Nous l'avons récupérée après son éruption et l'avons stabilisée avec un sceau de contention. De ce que vous m'avez expliqué, le sceau de ma mentor a tenu bon et Valyn est restée en stase, se réjouit faiblement Layos sous un sourire en demi-teinte avant de le perdre. Mais si ses protections venaient à sauter, cette fois... »

Un frisson d'effroi ébranla son auditoire. Lae'zel secoua la tête sans comprendre. Et Iwen Calis dans tout cela ? Travaillait-il déjà pour le Conclave du Sceau de l'Aurore ? Pourquoi l'organisation l'avait-elle laissé commettre ses atrocités ?

L'adolescent pesta de colère comme s'il venait d'être accusé à tort d'un crime odieux. Repenser à cette ironie du sort lui donnait la nausée.

« Ha ! Cette pourriture ne faisait pas partie de nos rangs à cette époque. Il est arrivé quelques jours après que nous ayons remis Valyn en liberté sans ses souvenirs. Un de nos membres a croisé Calis par hasard lors de la récupération d'un Endormi que ce monstre devait chasser pour sa sœur. Sa capacité à détecter les Endormis a plu à notre grand maître qui l'a tout de suite fait entrer au Conclave. Je ne l'ai pas reconnu tout de suite à cause du masque qu'il porte mais quand j'ai entendu sa voix... »

Il cracha quelque chose en elfique et vu le haussement de sourcils d'Astarion et d'Ombrecoeur, ce n'était pas quelque chose qu'il fallait demander à traduire.

« Hélas, ma mentor et moi ne pouvons pas le dénoncer car cela viendrait à révéler que nous avons désobéi à nos ordres. »

Les aventuriers s'épièrent du coin de l'œil. Il leur manquait encore pas mal d'éléments de réponse mais le principal leur avait été dévoilé : Silesta courait un grave danger entre les mains d'Iwen Calis.

Comme ses camarades, Astarion avait écouté religieusement les précieuses explications de leur jeune guide pour enfin comprendre de quoi il en retournait mais parmi tout ce qui avait été dit, il n'y avait qu'un seul élément qui tournait encore et encore dans sa tête.

« Layos. »

L'adolescent regarda le vampire en coin.

« Tu vas me raconter ce qui s'est passé entre Iwen Calis et Silesta.

_ Astarion, l'arrêta Ombrecoeur en fronçant les sourcils de désapprobation. Cela appartient à Silesta. Vous n'avez pas à... »

Le rictus cruel et carnassier dont la gratifia le roublard l'effraya au point de la faire reculer d'un pas en arrière. Il avait l'air encore plus possédé que face à Cazador.

« Silesta a fait de moi un homme meilleur, sourit-il dans un calme de gel qui ne seyait pas du tout au brasier de sang qui dévorait son regard vide. Elle n'approuverait pas que j'égorge un homme sans bonne raison. » Il baissa à nouveau les yeux sur Layos et sa voix perdit quelques octaves. « Qu'est-ce qu'il lui a fait ? »

Son interlocuteur ouvrit la bouche pour lui répondre avant de sursauter légèrement, l'oreille tendue.

« Cachez-vous. »

Sans laisser le temps à ses accompagnateurs de réagir, il ouvrit la porte qui se trouvait près d'eux et les poussa de l'autre côté avant de la refermer.

« Layos ? » l'apostropha une voix masculine.

Le garçon fit volte face et se contenta de repousser discrètement la porte du pied sans la claquer. Depuis la rainure laissée par l'entrebâillement, les aventuriers virent leur sauveur mettre les mains dans son dos pour s'incliner.

« Grand Maître Welvyr. »

Ils retinrent leur souffle. Grand Maître ?

La silhouette élancée d'un elfe à la longue chevelure bleu nuit s'arrêta près de Layos et l'homme lui répondit d'un signe de tête. Les espions contractèrent leurs muscles en voyant Welvyr promener son regard autour de lui comme s'il se doutait que quelque chose de louche se tramait.

« Tu n'es pas avec Brynja ? demanda-t-il au garçon.

_ Elle m'a accordé une petite pause. »

Astarion en aurait sifflé d'admiration si cela ne lui risquait pas d'être découvert. Ce gosse avait la voix qui ne tremblait pas quand il mentait. Décidément, ce petit lui plaisait bien.

Layos serra un peu ses doigts dans ses paumes et demanda au grand maître s'il avait eu connaissance de l'arrivée d'une Endormie qui serait entrée dernièrement au sanatorium. Humaine, quarante ans environs, longs cheveux châtains aux reflets roux, catatonique.

« Tu parles de Feyre Calis ? »

Layos tressaillit en même temps que ceux qui épiaient sa conversation. De toute évidence, il ne s'attendait pas à ce que Welvyr devine de qui il parlait.

Même sans le voir, les aventuriers devinaient sans mal l'hébétement qui avait pris place sur le visage de l'adolescent. Le frottement nerveux de ses doigts contre ses paumes le trahissait. La conversation risquait de déraper. Ils se tendirent, prêts à toute éventualité.

« Vous la connaissez ? se hasarda Layos pour détourner l'attention de son trouble.

_ Bien sûr, Iwen m'en a parlé dès le premier jour. C'était d'ailleurs la seule condition qu'il m'a imposée pour rejoindre le Conclave : l'autoriser à accueillir sa sœur ici pour qu'il puisse veiller sur elle tout en parachevant ses connaissances sur nos pratiques. Je reconnais que cela peu paraître peu éthique, mais si l'un de nos membres nous propose un sujet d'étude de son plein gré, je ne puis laisser passer cette chance.

_ Est-elle au sanatorium ?

_ Non. J'ai alloué à son frère la salle de rituel de consommation car elle n'est pratiquement jamais utilisée, répondit Welvyr en fronçant légèrement les sourcils. Tu sembles bien intéressé. J'avais cru pourtant comprendre que tu n'aimais pas trop Iwen ? »

Le ton de l'elfe laissait clairement entendre qu'il soupçonnait quelque chose. Nouveau frottement de doigts chez Layos dont la rapidité indiquait son impatience à vite rejoindre cette salle dont parlait le grand maître.

Face au silence de son cadet, l'elfe plissa ses petits yeux gris sur lui. Sa voix se fit plus accusatrice.

« Layos Percebois. Croyais-tu vraiment que je ne m'en rendrais pas compte ? »

Le silence se densifia et l'oxygène se fit rare. Les espions se raidirent encore plus. Ça allait dégénérer.

Layos et Welvyr se jaugèrent l'un l'autre dans une tension palpable jusqu'à ce que le grand maître n'esquisse un sourire désolé.

« Je sais que tu es jaloux qu'Iwen ait pu rentrer si vite au Conclave alors que tu as été contraint à un apprentissage avec Brynja. Tu es doué, mon garçon. Mais ne laisse pas tes capacités te gonfler d'orgueil.

_ Pardonnez-moi, Grand Maître. Je le reconnais, répondit Layos sans faiblir tout en ventilant son soulagement par ses mains qui s'ouvraient et se fermaient dans son dos. Dame Brynja est une mentor d'exception mais elle n'est pas facile à vivre. Mais il est vrai aussi qu'Iwen est quelqu'un de très... particulier en son genre. »

La pointe d'aigreur sarcastique qui avait percé sa voix fut la seule fausse note qu'Astarion remarqua dans cette mélodie mensongère parfaite.

Welvyr posa sa main sur l'épaule du garçon en signe de fierté.

« Tu es notre plus jeune membre depuis Brynja, Layos. Je n'ai aucun doute sur ce dont tu es capable. Tu as déjà passé l'une des étapes les plus difficiles. Devoir débattre du sort de cette Endormie non-consumée n'était pas rien. »

Nouveau silence entre eux, plus étrange, mais que les aventuriers comprirent. Il parlait du cas Silesta.

Après un temps, Layos étira un sourire espiègle.

« Je croyais que la pire étape était d'avoir été nommé apprenti de Dame Brynja ? »

Son habile entourloupe fonctionna et Welvyr s'esclaffa avec bonne humeur. Enfin, il tapota l'épaule du garçon et l'enjoignit de ne pas faire attendre sa taciturne mentor au risque d'encore faire trembler les murs de la congrégation. Layos acquiesça d'un signe de tête respectueux et laissa le grand maître s'éloigner en le surveillant jusqu'à le voir disparaître au détour du couloir. Il soupira de soulagement tandis que ses visiteurs clandestins quittaient leur cachette.

Une main pâle qui se posa aussitôt sur son épaule le fit un peu sursauter.

« Laisse tomber l'encyclopédie humanoïde qui te jalouse. Avec moi, tu auras le monde à tes pieds une fois que j'aurais poli tes talents. » La farouche conviction d'Astarion se mut vers la froide impatience d'un assassin. « En route vers cette salle de rituel et n'oublie aucun détail dans ton récit. »


« Ha ha ha ha ! Si j'avais su que raviver tes souvenirs allait te rendre si productive, j'aurais inclus ça dans mon protocole de l'époque. Allez, Valyn ! Revis pleinement nos merveilleuses trois années passées ensemble ! »

Iwen riait comme un dément, fou de joie. Cette salle prêtée par la congrégation était un trésor de praticité pour lui ; la logistique était tellement facilitée par rapport à son ancienne crypte. L'ensorceleur ne savait où poser les yeux tant il était enchanté par le spectacle qui s'offrait à lui. L'aura qui entourait Feyre brillait presque aussi vivement que les runes entourant son lit. Mais cette lumière n'équivalait pas celle qui brillait autour du collier de runes de Silesta.

« Quod exeatis sumo ! Quod exeatis sumo ! » scanda Iwen comme un dévot qui psalmodiait pour sa déité.

Il savait qu'il était inutile de répéter cette formule car le lien magique de transvasement avait déjà été posé sur son support mais cette excitation qu'il avait à rappeler à son ancienne victime qu'elle lui appartenait lui était trop délicieuse.

Son cou brillant d'une nouvelle pulsation lumineuse suite à ses incantations, Silesta cria encore alors que son corps se contractait sous un nouveau spasme.

La douleur était indicible. Son esprit était en proie à une tempête psychique qui avait la violence d'une vague déchaînée sur un frêle esquif. Toute sa vie perdue déflagrait dans son esprit trop étroit pour tout contenir d'un seul coup. Elle se noyait sous une myriade d'images, de sons et de sensations qui la brisaient. Elle était incapable d'endurer tout cela au point de ne pas avoir la force de prier la mort pour la prendre et enfin tout arrêter.

Toujours à genoux et prisonnière de ses liens magiques, la jeune femme hurlait comme si cela lui permettait d'exorciser cet amas immonde dans sa tête. En vain.

Quand les réminiscences de ses années avec Iwen affluèrent à leur tour, une nouvelle vague de douleur la submergea. Son corps n'avait rien oublié du mal qui l'avait brisé et il retraçait chacun des tourments qu'il avait reçus. Les cris de souffrance devinrent suppliques déchirantes.

Iwen ne s'inquiétait nullement des cris qui résonnaient en écho dans la salle ; il avait pleinement confiance en l'efficacité du sort qu'il avait jeté au préalable pour imperméabiliser les murs extérieurs aux bruits. Pour celui qui passerait près de la porte, cette salle serait parfaitement silencieuse.

Il approcha du lit de Feyre et prit une de ses mains froides entre les siennes.

« Tiens bon. Tu te réveilleras bientôt, je te le... »

Le bruit de la porte qui se déverrouillait se fit se retourner.

Layos et les aventuriers marquèrent un temps d'arrêt face à la scène d'épouvante qu'ils découvrirent. C'était à la hauteur du récit glaçant d'horreur que le garçon leur avait fait à propos de ce psychopathe ; et encore, ils étaient persuadés que Layos n'avait pas tout dit des tortures que leur amie avait vécues.

Iwen se remit debout, d'abord sûr qu'il parviendrait à vite se défaire de ces importuns qui ne l'effrayaient pas plus que cela. Toutefois, quand son regard azur rencontra les rubis incandescents de cet elfe à la pâleur mortuaire, il crut avoir brièvement une vision de Pandémonium. Il reconnut peu après ses cheveux bouclés et sa silhouette. L'elfe qui accompagnait Valyn à sa réception.

Une nouvelle injure elfique que lui asséna Layos avec haine lui permit de s'extirper des enfers qui l'engloutissaient.

« Cette fois, vous ne vous en tirerez pas comme ça, Calis ! cracha l'adolescent. Welvyr vous punira d'avoir voulu mener un rituel de consommation sans approbation du Conclave. Et pour tout le reste ! Nous ne vous laisserons pas briser cette Endormie encore une fois. Laissez-la !

_ Ne te mêle pas de ça, petit arrogant, répliqua Iwen entre ses dents. Retourne dans les jupes de ta mentor ! »

D'un geste circulaire de la main, il dressa un mur de feu devant les arrivants qui tressaillirent quand les cris de Silesta se brisèrent tout à coup dans le silence. Elle venait de s'effondrer, inerte comme une marionnette au bout de ses fils.

La mâchoire serrée par la frustration d'un dilemme insoutenable, Astarion hésitait entre sa compagne et sa future victime et finit par rester focalisé sur Iwen. S'il n'avait pas eu la retenue de faire souffrir Cazador à petit feu, celui-là ferait une excellente compensation.

« Layos, file d'ici.

_ Mais...

_ Exécution. Il est à moi. Gayle, allez libérer Silesta. C'est une tâche pour vous. »

Ses camarades avaient envie de lui demander s'il avait pensé à autre chose pour son plan mais s'abstinrent. D'une part parce que le vampire avait reconnu un jour ne pas être un homme « de détails » mais surtout parce que le ton dans sa voix ne tolérait aucune entrave à son envie de massacrer Iwen Calis. Le Astarion face à Cazador s'était réveillé après avoir entendu l'histoire entre l'ensorceleur et la saltimbanque.

Le groupe se sépara alors et Layos repartit dans le dédale de couloirs.

Aidé d'un sort de résistance au feu et d'une courte téléportation, Gayle traversa le rempart ardent et courut vers le cercle magique retenant Silesta prisonnière. La tête renversée en arrière maintenue par sa laisse magique, la jeune femme n'était plus qu'un corps inerte.

Une vague d'énergie le repoussa brutalement sur le côté et contre le mur proche. Afin de surveiller son support, Iwen avait fait appel à des familiers élémentaires qui retiendraient les gêneurs et il n'était pas question de laisser ce magicien approcher son otage.

D'abord un peu sonné par le choc, Gayle ne dissimula pas un sourire revanchard.

« Enfin un ensorceleur à qui rabattre le caquet. Fichus privilégiés. Te occludo oculos. »

L'exclamation de rage d'Iwen le satisfit, à défaut de pouvoir lui nuire plus gravement. Ce petit sort d'aveuglement devrait le gêner un moment. Mieux valait ne pas se mettre en travers du chemin d'Astarion vers la vengeance.

Le magicien perdit vite sa bonne humeur en approchant son alliée animée dont la respiration sifflante était inquiétante, mais bien moins que l'effet yoyo qu'il captait sur son aura.

Se faisant violence pour repousser les visions horrifiques que créaient les échos du récit de Layos dans son esprit, Gayle rassembla sa concentration sur l'essentiel. Avant tout, il devait libérer Silesta de sa laisse avant qu'elle ne s'étouffe à petit feu ; il s'occuperait du cercle sous ses pieds après.

Après une courte prière à Mystra pour l'assister, le magicien essaya sur un coup de poker l'incantation retravaillée d'un sort qui était utilisé en temps normal pour libérer un familier invoqué.

Son génie paya. Les runes autour de la gorge de Silesta disparurent et l'atmosphère changea aussitôt autour d'elle. La seconde suivante, la jeune femme se redressa brutalement dans une inspiration millénaire comme si elle sortait d'apnée.

« Silesta ! Ça va aller, nous... »

Gayle dut se protéger les yeux avec ses bras quand le flash de lumière qui brisa les runes au sol éclata. À sa suite, une chaleur extrême le força à s'éloigner de plusieurs mètres. Il pensa que l'élémentaire de feu d'Iwen l'avait pris pour cible mais la réalité qui apparut quand il baissa les bras fut tout autre.

Silesta s'était mise debout, chancelante et la respiration aussi laborieuse que si le simple fait d'ouvrir ses poumons était un geste non-inné qu'elle devait forcer. C'était elle qui générait cette chaleur, ou plutôt l'aura magique qui l'entourait comme un bouclier ardent intouchable.

En fait, cette femme n'était pas Silesta.

C'était son spectre intérieur. Celui qu'elle avait nourri pendant près de trois ans.

Transi d'angoisse, Gayle appela son amie sans recevoir hélas de réponse ou de réaction. Son corps n'était plus porteur de la moindre âme.

Le regard à la fois mort et très alerte, la saltimbanque se mit à marcher en direction d'Iwen. Ses pas étaient lents, malhabiles, prêts à flancher pour la faire tomber. Mais elle marcha encore, soutenue par la pression colossale de sa magie qui n'avait désormais plus rien pour la contenir et qui semblait s'abreuver de l'atmosphère environnante au point la compresser et la rendre irrespirable.

Tous les acteurs présents dans la salle de rituel se figèrent et des regards livides se tournèrent lentement vers la cause de cette chaleur incendiaire.

Les aventuriers eurent à reculer à leur tour pour ne pas frôler de trop près le brasier vivant qui avançait tout en happant l'air en de grandes goulées sifflantes. Aucune de leurs injonctions n'atteignit Silesta, pas même celle d'Astarion qui en avait délaissé sa proie si cruellement désirée et qu'il n'avait pas encore pu approcher assez près.

« Que... Qu'est-ce que... balbutia Iwen, pris d'anxiété face à cette vision de cauchemar. Ça ne va pas recommencer ! »

Le teint encore plus pâle que le vampire, Iwen ordonna d'une voix tremblante à ses familiers élémentaires d'attaquer Silesta. Celui d'eau devint vapeur en arrivant à deux mètres d'elle, celui de feu se fit directement aspirer par celui du bouclier et le goliath de terre rougeoya en quelques secondes comme un charbon avant d'éclater en une pluie de braises. Et tout cela, sans que Silesta n'esquisse le moindre geste. Elle continuait de fixer son bourreau tout en le rejoignant, telle la Mort qui allait recueillir une âme enfin promise.

« N-N-Ne m'approche pas, démon ! glapit l'ensorceleur d'une voix stridente. Arrière ! Q-Quod exeatis sumo ! »

À sa grande horreur, l'incantation resta sans effet. La jeune femme tint son tortionnaire en joue du fond de ses abîmes gris et continua de le faire reculer pas après pas. Lentement. Inexorablement. Sa voix intérieure gagnait en intensité à chaque centimètre qui disparaissait entre eux.

Un pas pour chaque goutte de sang versée.

Un pas pour chaque os brisé.

Un pas pour chaque cri perdu dans le néant.

Un pas pour chaque parcelle de vie détruite.

Un pas pour chaque cauchemar dans la nuit.

Un pas pour son intégrité souillée.

Un pas pour...

Enfin, la voix ordonna. Pure, calme et irrésistible.

« TUER. »

Tout se passa très vite. Les jambes d'Iwen se bloquèrent tout à coup, entraînant l'homme dans une chute en arrière que Silesta accéléra en se jetant sur lui dans un rugissement suraigu de rage. Son corps se fit plomb et il se retrouva cloué au sol.

« TOI ! »

Cette simple syllabe lui arracha une nouvelle inspiration profonde et douloureuse. Sa poitrine se soulevait comme par à-coups tant elle peinait à trouver son souffle. À califourchon sur lui, la jeune femme encercla la tête d'Iwen de ses mains crispées et tremblantes avec une telle force qu'il en gémit de douleur. Elle sentait qu'elle avait la force de lui briser le crâne en un battement de cil mais la voix la retenait encore un peu pour faire durer l'instant.

« Tout ce que tu m'as fait... siffla-t-elle dans un râle, ses yeux vides dans les siens. Je dois la faire taire... Cette voix... »

Chez ses alliés, c'était l'effroi absolu. Leur douce amie n'était plus que folie, douleur et magie instable. Iwen Calis faisait face au monstre qu'il avait lui-même créé et qui n'avait cessé de cogner contre les barrières du psyché qui le retenaient.

Astarion tenta un pas mais le bouclier d'aura ardent était devenu un dôme qui isolait sa compagne et son geôlier. Il l'appela encore mais ses mots rebondirent contre la protection.

Iwen tremblait comme une feuille, pris en étau entre la compression d'aura qui allait lui briser les os et le néant vengeur qui le contemplait. Ses pupilles se dilatèrent quand il vit Silesta se saisir lentement du poignard qu'il gardait toujours sur lui et il prit encore plus peur face au faible tic que la jeune femme eut en reconnaissant l'objet. Cette lame...

La respiration de la saltimbanque se poursuivit dans une inquiétante intensité.

« Tu m'as isolée de ma famille... Tu as volé ma dignité... Tu as brisé ma vie... » Elle l'attrapa à la gorge et brandit soudain le poignard au-dessus de sa tête avec un rugissement qui n'avait rien d'humain. « Tu as tué MON FILS ! »

Le soubresaut qui érailla son geste glaça les témoins tétanisés de la scène. Son corps ne tenait plus la pression de l'éruption de sa magie. Elle risquait d'exploser d'un moment à l'autre. Une nouvelle fois.

« Silesta ! appela Gayle d'une voix blanche. Arrêtez ! Vous allez vous tuer ! »

Astarion était pétrifié à la vue de Silesta qui gardait sa main armée en l'air et le regard possédé. Ce qu'il voyait allait bien au-delà de tout ce qu'il avait déjà vu. Cette incarnation de haine pure qu'il contemplait avec impuissance accaparait tellement ses pensées affolées qu'il en avait oublié le visage tendre et rieur de sa compagne.

Et pourtant, Silesta était encore là, quelque part. Il n'y avait qu'elle pour retenir encore cette lame vengeresse prête à s'abattre sans pitié sur l'homme qu'elle haïssait le plus au monde. Celui qui l'avait brisée. Celui dont elle se souvenait enfin. Celui que sa mémoire aveugle n'avait cessé de rechercher. Celui qui avait tué son enfant et l'avait privée de tout le reste.

Il voulait l'atteindre. Il voulait la chercher comme elle était allée le chercher auprès du corps de Cazador. Il voulait serrer son âme meurtrie. Il voulait la voir lui sourire à nouveau. Pourrait-elle encore sourire, maintenant qu'elle savait ?

L'elfe fit un nouveau pas vers le dôme incendiaire mais se fit aussitôt retenir par Ombrecoeur dont le teint avait pris la couleur de la cire en dépit de la chaleur environnante.

« Vous êtes fou ! tança-t-elle, blême. Vous allez finir pulvérisé !

_ Elle ne nous reconnaît même pas ! ajouta Lae'zel, tout aussi figée. Elle ne voit plus rien d'autre que Calis.

_ Mais... ! »

Il allait devenir fou s'il laissait Silesta se consumer. Elle était au bord de la rupture. Chaque nouveau soulèvement de sternum donnait l'impression d'être le dernier. Astarion serra les dents et regarda ce profil dénué de toute humanité. Et pourtant, il lisait si clairement la terreur qui hurlait derrière la rage. Silesta avait peur de ce qu'elle était.

« Même si vous vous baigniez dans ses viscères jusqu'au cou et lui arrachiez son cœur noir, vous resteriez la plus belle âme que j'ai jamais connue en ce monde. Quoi que vous fassiez. Revenez. Restez avec moi. »

Ce n'était qu'un souffle dévoisé. La main trembla autour de la dague.

Secoué de spasmes d'hyperventilation et les joues humides, Iwen se contracta et ferma les yeux en réprimant un sanglot.

« F-Feyre... Pardonne-moi... »

Silesta demeura interdite un instant avant de tourner la tête vers le lit où dormait toujours la sœur d'Iwen. Elle était si loin de tout ce chaos. Ignorante. Paisible. Innocente. Une innocente qui n'aurait plus personne pour s'occuper d'elle.

Elle grimaça sous une nouvelle mélopée stridente dans sa tête.

« Tuer... Tuer... Pour ce qu'il a fait... Pour toutes ces souffrances... Il doit payer... Une vie pour une vie ! Tuer... TUER ! TUER ! »

Elle détourna tout à coup la tête en retenant un grondement entre les dents et respira plus rapidement encore, la dague bien haute et la mort au fond des yeux. Elle devait la faire taire. Cette voix qui la possédait. Cette voix qui la transformait en monstre sans âme. Il fallait que tout s'arrête !

Dans un hurlement aigu de rage primaire, Silesta prit la dague à deux mains et l'abattit de toutes ses forces.

Juste à côté de l'oreille d'Iwen.

L'homme tremblant comme une feuille lâcha un hoquet de stress, bien trop choqué et terrorisé pour se rendre compte que la pression magique sur lui avait disparu.

Vidée de toute énergie et l'esprit en fumée, Silesta se laissait porter par le mouvement erratique de sa poitrine qui se contractait violemment comme un hoquet aggravé.

« Silesta. »

Cette voix n'était pas celle d'Astarion, de Gayle, d'Ombrecoeur ou de Lae'zel. Ce n'était pas non plus celle de Layos. Et pourtant, cette voix, elle la connaissait.

Sa tête pivota avec lenteur vers l'entrée. Dans l'encadrement de la porte, Layos se tenait derrière une naine vêtue d'une robe de velours noire. Sa lourde chevelure caramel était rassemblée en un chignon épais et complexe. Sous la rondeur de son visage et de ses grands yeux mélèze, on pouvait deviner derrière ses traits sévères une émotion vibrante.

« Enfuis-toi vite, Silesta. »

Cette voix...

« Vous... »

Un voile tomba sur ses yeux et son corps se désarticula. La naine l'appela encore.

Ce furent les bras de Layos qui empêchèrent Silesta de s'effondrer ; ce garçon était aussi rapide que le jour où il avait détalé comme un lapin face à elle.

Son corps de chiffon contre le torse de l'adolescent, la jeune femme crut que sa tête allait se détacher simplement en cherchant à le regarder. La douce couleur tilleul de ses yeux lui apparut comme un apaisement prodigieux au milieu de ce bourdonnement continu qui grésillait en elle.

« Tiens bon, Valyn, lui intima-t-il, les mots tremblants. Tu ne t'es pas consumée mais tu as trop tiré sur la corde. Accroche-toi encore. »

Elle entendait sans comprendre. Plus rien n'avait de prise sur elle et ce qui lui restait d'esprit. Elle ne voyait qu'un visage inquiet au-dessus d'elle. C'était comme dans son rêve... Elle voulait le rassurer ; elle était vivante.

Sa main se redressa, tremblante et faible. Elle voulait juste le toucher pour espérer sentir à nouveau la vie, n'importe quelle forme de vie. Hélas, sans le vouloir, ses doigts remontèrent par accident un bout de manche de la tunique de Layos et effleurèrent sa peau.

Un flash.


(Promis, ce sera le dernier flash-back)

Cheh. Ça me paraît bien résumer ce chapitre.

J'ai très longuement hésité. Tuer, pas tuer ? Céder, résister ? Venger, comprendre ? Entre nous, si Iwen n'avait pas parlé de sa sœur, elle l'aurait trucidé.

Voilà, le cœur de l'arc de Silesta se termine, il ne reste que le peaufinage des dernières explications (en l'occurrence, ce qui s'est passé pour Silesta avec le Conclave après son pétage de câble face à Iwen) et la gestion de l'après-trauma (et elle ne sera mise de côté, promls)

Pour moi qui ai l'histoire complète de Silesta dans la tête, elle me paraît « simple » mais peut-être que certaines choses vous paraissent floues ou mal expliquées. N'hésitez pas à demander si vous avez des zones d'ombres :) J'espère que son histoire ne vous aura pas trop fait l'effet du « Ah, tout ça pour ça ? ». En tout cas, j'ai adoré rédiger son histoire.

Reste à voir comment son statut d'ensorceleuse se manifestera ou pas pour ce qui reste de l'histoire.