Bonne année 2024 à tous et à toutes ! De l'inspiration et plein de reviews pour les écrivains * clin d'œil, clin d'œil * et de bonnes fics à lire pour les lecteurs !
Côté écriture de jour, j'attaque l'arc d'Astarion, j'espère lui faire honneur comme il faut. Et côté écriture du soir, je vais l'attaquer l'énooooooorme pavé Silesta. Je me rends compte que son arc va se découper sur au moins 4 chapitres, il faudra être prêts, lol.
Journal des reviewers
Liline37 : Yes, Ketheric a un côté dramatique très shakespearien en plus d'avoir (comme tous les autres persos) une sacrée voix. Et oui, bien sûr que Araj sera de la partie XD On est centrés sur Astarion, c'est un passage obligé si je veux le faire craquer définitivement. Il faudra juste attendre encore un peu avant de la croiser.
Oh, GG pour tes premiers chapitres ! Le démarrage est le plus dur, le temps de retrouver ses marques. Tu as bien raison de te laisser une marge. Je crois que j'avais environs 13-15 chapitres d'avance quand j'ai commencé à publier. Mieux vaut prévoir large, surtout quand l'histoire est trèèèèèès longue comme tu as prévu de le faire. Tu as tous mes encouragements !
Jennalocked : Oh oh, une revenante ! Ça fait plaisir ! Je t'avais perdue depuis le chapitre 11, ça t'a fait une sacrée lecture de rattrapage dis donc ! XD J'espère que ça n'a pas été trop indigeste. Un grand merci pour ton retour !
RingoLemonadeCandy : Mdr ! Pour le coup, Gayle n'a pas fait ça pour embêter Astarion mais je pense que dans son for intérieur, il devait en rire quand même. Je mérite le fouet pour avoir osé toucher aux beaux cheveux de notre vampire lol
Allons rencontrer le premier gros méchant !
CHAPITRE XXIII – MISSIONNÉS PAR LE CULTE
Après la libération de Barnabus, nos amis retournèrent au hall d'attente du château, bien décidés à enfin rencontrer celui qui était au sommet de la hiérarchie et dont ils devaient se débarrasser.
Postée contre un mur à observer en silence, Silesta constata que l'effervescence que faisait naître l'adoration de l'Absolue était un ciment très efficace pour la cohésion de ses troupes. Tous ceux qui étaient ici arboraient la même ferveur admirative presque frissonnante semblable à cette Linsella qui venait de périr et comme chez les gobelins. La jeune femme réalisa pleinement l'alarmisme de Jaheira face à ce spectacle. Cette fausse religion se répandait comme un cancer avec la rapidité de la poussière balayée par le vent et l'effet galvanisant qu'elle procurait à ses fidèles ne ferait que l'amplifier davantage. Et dire que selon la druidesse, la menace commençait déjà à se répandre à la Porte de Baldur. Il ne s'agissait plus là que de se sauver d'un parasite de flagelleur, les proportions étaient maintenant bien trop grandes.
Silesta frotta sa joue rougie de sang quand le regard insistant d'un zélote posé sur elle la fit tiquer puis elle détourna la tête pour se faire oublier.
Elle baissa les yeux. Ça l'avait reprise. Encore cette anesthésie glaciale et viscérale qui éteignait son humanité au point de lui faire faire des choses atroces. Et cette même satisfaction à voir l'objet de sa haine se faire détruire. Même si elle n'avait pas été la seule à faire payer Linsella pour sa cruauté, elle avait participé à son exécution. Ses doigts se crispèrent dans le tissu de sa chemise et elle resserra ses bras croisés sur sa poitrine. Une horrible pensée l'immobilisait : elle se faisait peur. Ces pertes de contrôle étaient jusqu'à présent focalisées sur leurs ennemis mais en serait-il toujours ainsi ? Risquerait-elle un jour de s'en prendre à ses amis ?
Ses yeux de pluie s'égarèrent dans le dos d'Astarion qui conversait un peu plus loin avec un hobgobelin, très certainement pour faire du commerce. Sans comprendre exactement ce qu'il disait, elle entendait les notes enjôleuses dans la voix de l'elfe qui quémandait une ristourne. Elle eut un faible sourire. L'objet de ses désirs avait un don inouï pour s'adapter sans hésitation. Une part d'elle jalousait ce talent.
Enfin, un garde devant la salle d'audience fit un signe de tête vers eux pour leur indiquer que leur tour était venu. Les âmes infiltrées approchèrent alors la double porte que l'on ouvrit devant eux. Ils foulèrent le tapis usé et couvert de poussière d'une allée parquetée s'étendant de toute la longue d'une grande salle couverte de toiles d'araignées et éclairée de bougies posées à divers endroits. Quelques zélotes étaient parqués le long du chemin tandis que d'autres gardaient le passage des escaliers qui montaient de part et d'autre d'une petite estrade ornée de colonnes sculptées et de draperies.
Au bout de l'allée, un trio de gobelins faisait face à un trône qui surplombait l'estrade. L'éclat métallique de son occupant attira tout de suite l'œil des arrivants : cerclé d'une riche et massive armure d'argent dont le poitrail était orné d'une étrange pierre fuchsia enchâssée, un elfe aux traits creusés et usés par le temps jaugeait ses recrues. Ses cheveux et son impeccable barbe grise reflétaient son grand âge mais le hiératisme noble qu'il dégageait n'avait d'égal que sa prestance mesurée. Était-ce de la lassitude, de la froideur ou de l'implacabilité qui se lisait au fond de ses yeux fixes ? Nul ne sut le déchiffrer. La seule certitude qui s'imbriqua dans l'âme de nos aventuriers était claire : il s'agissait de Ketheric Thorm.
Alors qu'ils approchaient, ils entendirent les gobelins parler vivement :
« On a fait ce qu'on nous a dit de faire, Général ! s'exclamait un gobelin doté d'une crête hirsute à la couleur terreuse. On a suivi tous les ordres !
_ Les faits suggèrent le contraire. Vous aviez ordre de récupérer l'artefact et vous avez échoué. »
Silesta fut presque aussi surprise que ses amis quand cette demi-orque qui se tenait sagement debout aux côtés de Ketheric s'exprima. Ils étaient tellement absorbés par l'aura de ce dernier qu'ils n'avaient même pas remarqué la présence de cette femme. Si l'on en jugeait son habit bien plus riche que les autres zélotes, cette femme au teint olive et à l'œil droit rendu aveugle par une ancienne blessure au visage devait occuper un poste haut-gradé.
Le gobelin accusé s'indigna autant de colère que de peur :
« Nous ? Non, non, disciple Z'rell, c'est Minthara qui avait... !
_ Assez ! »
Une décharge mentale s'abattit tout à coup dans leur esprit et la larve se tortilla, presque implorante, alors que la demi-orque assassinait le gobelin des yeux tout en continuant de le blâmer : ils avaient échoué sur toute la ligne. Ils n'avaient ni récupéré l'artefact ni protégé leur âme éveillée.
« Vous ne méritez pas de vivre. »
Sa voix valait mille poignards qui vous transperçaient tous à la fois. Nos amis gardèrent le silence pour guetter la suite de l'audience. Le gobelin s'agita quand il comprit à l'expression de sa supérieure qu'elle ne plaisantait pas.
« Général Thorm ? » le héla la demi-orque pour recueillir son avis.
Resté parfaitement statique depuis le début, Ketheric promena un regard neutre dans l'assistance et finit par s'arrêter sur ce petit groupe de cinq qui venait d'arriver.
« Laissons parler nos nouvelles âmes éveillées. » Sa voix grave était enrayée comme un disque qui avait trop longtemps tourné mais affirmée. « Vous avez vu de quoi ces créatures étaient capables, tout comme vous avez été témoins de leurs manquements, n'est-ce pas ? Quel est votre jugement ? »
Maintenant embrassés tout entiers par la panique, les gobelins se tournèrent vers leurs juges et les implorèrent de les aider en expliquant à quel point ils avaient été loyaux envers l'Absolue. Une fois encore, Z'rell leur invectiva de se taire et appuya la demande du général en pressant de dire comment ces gobelins avaient servi leur cause.
Silesta avait presque les gobelins en pitié tant la pression qui emplissait la salle était forte autour d'eux. Elle ravala sa salive et se fit statue. Ce n'était pas à elle d'intervenir ici, elle ne faisait pas le poids. Ce fut Gayle qui rassembla son courage en premier et posa sa voix pour la rendre la plus assurée possible :
« Nous avons vu les atrocités qu'ils ont commises au nom de l'Absolue. »
Si les accusés se réjouirent de l'intervention de leur avocat de fortune, Ketheric n'éprouvait pas la même compassion. Sans se défaire de cette neutralité impartiale, l'elfe secoua lentement la tête.
« Nul doute qu'ils se sont montrés... enthousiastes. Mais qu'est-ce que le zèle sans l'efficacité ? Rien, hélas. Nous sommes trop près de la fin... et du nouveau commencement. Je ne puis tolérer l'échec. Exécutez-les. »
À ces mots, un même tressaillement ébranla les trois gobelins. Si le premier ne sut comment réagir, sa comparse elle, se laissa emporter par un accès de rage incontrôlé. Dans un rugissement vengeur, la gobeline arracha des mains d'un garde proche la hallebarde qu'il tenait et la lança droit vers le trône. Bien que fait dans l'urgence, le lancer fut agile car la lame transperça l'armure de Ketheric dans un bruit sourd et une grêle de sang jaillit de sa poitrine. Silesta sursauta d'un même mouvement que ses compagnons qui lâchèrent même un chuchotement effaré.
Leur ahurissement n'en fut que plus grand quand Ketheric se redressa sur son trône et extirpa le fer de hache encastré dans sa poitrine aussi facilement qu'il retirerait un brin d'herbe sur son habit. Même si Jaheira les avait déjà prévenus que leur ennemi ne pouvait pas mourir, le voir se relever sous leur yeux était autre chose.
Loin de s'épancher sur la non-mort de son supérieur, Z'rell cherchait plus à l'apaiser alors qu'il se levait de son siège, la hallebarde dans la main et le visage fermé dans une froidure glaciale.
« Je suis désolée, monseigneur. Ce n'est pas une croyante, je ne la contrôle pas. »
Sans relâcher la gobeline de son regard sombre, Ketheric lui mit pratiquement l'arme dans les mains.
« Réessayez ».
Le ton dans sa voix défiait les plus violents blizzards du glacier Regh. Un instant figée par un effroi mêlé de surprise, la gobeline serra le manche et l'abattit avec force sur l'elfe, le décapitant à moitié d'un nouveau coup de hache. Silesta détourna la tête dans une grimace douloureuse au moment de l'impact, traversée par une répulsion indicible.
Sans plus de cérémonie, Ketheric se débarrassa de la lame coincée dans sa carotide, corrigea l'angle inquiétant qu'avait pris sa tête d'un mouvement bref, jeta la hallebarde sur le côté... et fracassa le crâne de l'impudente gobeline dans une violence inouïe par la seule puissance de ses poings. Les yeux encore clos, Silesta se saisit par réflexe de la manche de Gayle à ses côtés en serrant les dents tant le bruit lui était insoutenable. Elle sentit que même le magicien était choqué tant son bras était raide.
« Débarrassez-vous des autres comme bon vous semble, ordonna le général en tournant les talons. Ou mieux encore, demandez à nos âmes éveillées de se rendre utiles. Vous avez bien plus important à faire de votre côté. À moins que vous n'ayez oublié.
_ Bien sûr que non, monseigneur. À vos ordres », répondit la demi-orque d'une voix tendue.
Le silence que laissa Ketheric derrière lui en allant disparaître à l'étage fut de plomb, à peine effleuré par les sons inarticulés qui fuyaient des lèvres tremblotantes des gobelins survivants. Quand elle rouvrit les paupières, Silesta dût se faire violence pour ignorer le corps brisé à terre dont la mare de sang commençait à s'étaler de plus en plus dans le tapis.
Z'rell embrassa le groupe du regard, tout aussi infaillible.
« Vous avez entendu le général. Disposez d'eux. »
Seuls Astarion, Lae'zel et Ombrecoeur eurent la résolution d'incliner la tête. La demi-orque fut satisfaite et leur rappela qu'ici, au siège de l'Absolue, leur autorité sur les gobelins étaient totale et que ces derniers n'auraient d'autre choix que d'obéir. Elle invita ensuite ses âmes éveillées à la retrouver à l'étage une fois leur devoir accompli et disparut à son tour dans un escalier près du trône.
Après avoir été jaugés par Ketheric et Z'rell, voici à présent nos aventuriers encastrés entre la silencieuse contemplation des gardes postés et la terreur frissonnante des gobelins qui les guettaient. Ce fut en cet instant que Silesta prit la pleine mesure des paroles de Gayle avant leur arrivée : être forts. Sa gorge se comprima davantage en lisant la supplication au fond des yeux du gobelin qui se tourna vers eux.
« Dites... Vous... Vous n'allez pas nous faire de mal, hein ? On a toujours été loyaux... »
Lae'zel posa ses yeux reptiliens sur lui et sa voix ne trembla pas, aussi droite qu'était sa posture :
« Silence. Plus un mot. Plus un souffle, en fait. »
Silesta mordit sa joue si fort pour garder la tête haute et l'air impassible qu'elle ne fit presque pas attention à la pression psychique de Lae'zel qui la frôla pour enserrer la conscience du gobelin et de sa dernière acolyte d'une main de fer. Le corps des créatures se secoua de spasmes et ils étouffèrent des râles coincés au fond de leur gorge. Leurs faibles appels à la clémence ne durèrent pas assez longtemps pour être pleinement voisés et se turent dans un dernier souffle.
À la fois conscient de inexorabilité de ce qui devait être fait et répugné, Gayle fronça les sourcils mais ne souffla mot, au contraire d'Astarion pour qui le spectacle avait valu le détour :
« Vite fait et bien fait. Si nous allions faire notre rapport à la charmante Z'rell ?
_ Et prenez garde de ne pas marcher dans les viscères gobelines », ajouta Ombrecoeur comme elle aurait conseillé à quelqu'un de prendre sa cape avant de sortir.
Silesta suivit ses compagnons comme un robot, horrifiée de ressentir une sorte de reconnaissance immonde pour Lae'zel qui avait fait ce qu'elle n'aurait pu faire dans ces circonstances. D'ailleurs, la githyanki était très curieuse d'en apprendre plus sur cette demi-orque dont l'écrasante prestance l'impressionnait.
Le groupe emprunta les marches derrière le trône et grimpèrent à l'étage, impatients de connaître la suite de leur parcours comme âmes éveillées. Après plusieurs volées de marches, ils arrivèrent dans un couloir tout aussi bien gardé que le reste du château, peut-être même plus si l'on prêtait attention à ces gardes squelettiques que Z'rell houspillait avec force.
« N'ai-je pas été assez claire ? J'ai dit que personne ne devait passer ou vous en répondrez devant moi. »
De ce qu'ils comprirent en tendant l'oreille, Ketheric Thorm s'était retiré quelque part derrière cette porte bien gardée pour sa méditation. C'était une bonne chose, ils pourraient fouiner à loisir dès que l'occasion s'en présenterait sans crainte de tomber sur lui. Malgré son grand âge, le général n'était pas un adversaire à sous-estimer et ce même en dépit de son immortalité.
Après avoir donné ses instructions aux gardes, la Disciple Z'rell alla aux nouvelles auprès de ses jeunes recrues prometteuses et s'enquit avec une délectation malsaine de savoir si les gobelins avaient souffert. Avant même d'obtenir une réponse, elle étira son sourire.
« Non. Mieux encore, montrez-moi. »
Aussitôt, l'esprit de la demi-orque s'insinua dans celui de ses interlocuteurs comme une taupe creuserait une galerie avec avidité. Silesta fit de son mieux pour taire le sentiment de dégoût qui l'avait envahie et le début de froideur qui commençait à poindre dans ses pensées dériva très vite, sans doute grâce à une plus grande volonté de l'un de ses compagnons d'exposer ses visions. Elle en fut soulagée.
Les paupières closes, Z'rell savourait pleinement ce qui lui était montré.
« Vous me plaisez. Voilà qui était efficace.
_ Tout ceci n'est qu'une perte de temps. Je ne suis pas ici pour corriger les erreurs des autres », riposta Astarion avec agacement, loin de jouer la comédie.
La demi-orque ricana, fort amusée de cette témérité.
« Je comprends pourquoi l'Absolue pourrait avoir envie de plonger plus profondément dans votre esprit. Je reconnais que c'est aussi mon cas. »
Silesta la vit plisser les yeux avec une grande attention vers le vampire. Elle cherchait de toute évidence à sonder plus loin son esprit. Au début un peu inquiète, les craintes de la jeune femme s'évanouirent face à l'expression très assurée presque conquérante du roublard qui soutenait cette intrusion mentale sans ciller. Il savait ce qu'il faisait et ne montrait aucun signe d'hésitation.
Z'rell haussa les sourcils d'une surprise admirative.
« Votre envie d'avancer et d'embrasser pleinement les dons de l'Absolue est des plus remarquables. Cette volonté sans faille, prête à tout renverser... C'est galvanisant. »
La jeune femme rousse devina dans la seconde qu'Astarion avait tout misé sur son désir de puissance pour détruire Cazador. Aussi ironique était cette situation, elle avait le mérite de servir leur dessein.
Ravie par la dévotion manifeste face à elle, Z'rell exposa à ses recrues que leurs fantasmes pouvaient devenir réels grâce à l'Absolue et les plaisirs de l'esprit pouvaient se montrer plus exquis que le reste. Elle-même en était la preuve incarnée car après s'être tenue en la présence de la déité, elle avait été bénie de son pouvoir.
La béatitude dont elle faisait preuve laissa croire que ce don dont elle avait été gratifiée devait être important et cela n'avait rien de rassurant.
« Montrez-nous donc ce pouvoir, demanda Lae'zel, aussi intriguée que les autres.
_ Pourquoi pas ? Après tout, à quoi bon avoir le pouvoir si on ne peut pas s'amuser un peu ? »
La disciple se tourna vers une ogresse qui se tenait silencieusement dans un coin et la fixa intensément. Quelques secondes après, les yeux de l'énorme créature roulèrent dans leur orbite et elle s'écroula lourdement sur le sol, raide morte. Personne ne bougea mais tous avaient écarquillé les yeux.
« Elle m'a conféré le pouvoir de couper le fil de la vie par la pensée, traduisit Z'rell aussi simplement qu'elle parlerait du temps qu'il faisait. Mais je peux aussi le caresser, pour peu que vous restiez dans mes bonnes grâces. Et le meilleur moyen pour cela est de servir le Général Thorm. J'ai une mission pour vous. »
Leur pleine attention revint aussitôt sur la demi-orque. Silesta comprit aux très faibles mouvements de pupilles de ses compagnons que ceux-ci entendaient comme elle une voix familière dans leurs pensées :
« Accepte, continue de jouer le jeu. Plus tu te rapprocheras de Thorm, plus tu auras de chances d'obtenir des réponses à tes questions.
_ Nous sommes à vos ordres, dit Ombrecoeur avec fermeté. Qu'attendez-vous de nous ? »
Z'rell leur exposa la situation : le Général Thorm désirait récupérer une relique et il avait envoyé son plus proche conseiller, le Disciple Balthazar, pour aller la chercher. Cette relique était cachée quelque part sous le mausolée de la famille Thorm, au nord de la ville, et c'était là-bas que s'était rendu Balthazar. Hélas, le contact avec lui avait été perdu depuis plusieurs jours. L'œil scrutateur qui l'accompagnait avait été détruit peu de temps après son départ du château.
« Rendez-vous sur place, trouvez Balthazar, aidez-le si vous le pouvez et rapportez la relique à Hautelune.
_ Quelle est cette relique, au juste ? interrogea Gayle.
_ Vous n'avez pas besoin de le savoir. Le Général la veut et c'est tout ce qui importe.
_ Et si ce Balthazar est mort ? » s'enquit Lae'zel, bien qu'elle fût loin de s'inquiéter du sort de cet homme.
Z'rell secoua la tête avec désinvolture. Même la mort ne saurait venir à bout de Balthazar très longtemps et quand bien même il serait mort, la relique restait la priorité absolue.
Les aventuriers acceptèrent leur mission au grand plaisir de leur « supérieure ». Pour les préparer au mieux à affronter les ombres affamées au dehors, Z'rell leur conseilla de se prémunir d'une lanterne lunaire. Silesta hésita à lui faire part du fait qu'ils en avaient déjà une avec eux mais la suite de ce qu'avait à dire la demi-orque lui fit réaliser qu'elle avait bien fait de ne rien dire :
« Libre à vous de vous servir dans les quartiers de Balthazar, il doit en avoir une quelque part. Mais ne vous avisez pas de fouiner dans ses affaires. Le dernier petit malin qui s'y est risqué a perdu la tête. Littéralement. Il me semble que depuis, son crâne sert de pot de chambre. »
Silence fleuri en face. Au moins, on leur déroulait directement le tapis rouge pour aller fureter, ils n'auraient espéré meilleure occasion. Les infiltrés remercièrent Z'rell et la suivirent pour accéder aux appartements de Balthazar situés un peu plus loin. Elle les conduisit près d'une porte qu'elle leur ouvrit et les laissa entrer dans ce qui devait être le bureau du disciple perdu.
Comparé à ce qu'ils avaient vu du château, au vu du certain luxe qui régnait ici, il était facile de voir que ce Balthazar avait toutes les faveurs de Ketheric Thorm. Meubles finement travaillés en bois verni, une enfilade d'étagères de bibliothèque dont les trois-quarts des ouvrages et autres parchemins gisaient au sol, tapisseries... le conseiller de Ketheric jouissait d'un bel endroit pour travailler si l'on ne prêtait pas trop attention au capharnaüm ambiant.
Les aventuriers entrèrent, talonnés par Z'rell qui leur indiqua que la porte du fond menait à la chambre de Balthazar et alla se poster près du bureau pour les garder à l'œil. Elle lança au passage une petite clé de fer à Gayle qui la réceptionna au vol et le magicien s'empressa de la mettre dans la serrure. Un déclic plus tard, la porte s'ouvrit dans un grincement sinistre.
Une insupportable exhalaison de fer leur satura l'odorat au point de faire grimacer Astarion de gêne et de retourner l'estomac des quatre autres.
« Je vais vomir », gémit Silesta, une main plaquée sur ses narines et sa bouche.
La pièce octogonale qu'ils foulaient était digne d'une salle de torture des plus sordides. L'odeur ferreuse provenait des litres de sang qui maculaient en grandes flaques les dalles de pierre, à moins que ce ne fût les nombreux corps écharpés, mutilés, découpés ou lacérés abandonnés sur leur table d'opération. Non, ceux-là devaient plus être responsables de cet épais miasme de pourriture en décomposition qui vous figeait sur place. Et que dire des corps saucissonnés dans des sacs qui pendaient au plafond comme des jambons en train de sécher avant d'être dégustés ? Le contraste entre ces éléments horrifiques et le mobilier élégant parfaitement rangé était aussi saisissant que bancal. Livres et flacons en tout genre étaient sagement alignés sur leur étagère, un nécessaire alchimique semblable à celui de Barcus attendait sagement sur un petit secrétaire et les dessins anatomiques épinglés au-dessus des sujets d'expérience affichaient une sublime délicatesse dans leur esquisse.
« Par les dieux, quel gâchis. C'est révoltant. », pesta Astarion en prenant soin de ne pas salir ses bottes dans le sang.
Ce fut à peine s'ils remarquèrent la lanterne lunaire qui reposait contre la petite estrade menant à un télescope pointé vers la fenêtre tant l'aura des lieux les révulsait.
« Essayons de trouver des informations utiles, n'oublions pas que ce Balthazar est un homme de confiance de Ketheric. Il doit savoir des choses », rappela Gayle en essayant de reprendre sa contenance.
Les autres approuvèrent et ils se dispersèrent pour fouiller tout en prenant garde de rester discrets pour ne pas se faire prendre par Z'rell restée dans la pièce d'à côté.
Silesta éplucha parchemins et livres sans réellement comprendre ce qu'elle lisait. L'odeur de mort parasitait sa concentration et les mots s'agençaient dans sa tête sans parvenir à se lier en phrases intelligibles. Son pâle voisin lui semblait bien moins incommodé qu'elle. Être un vampire pouvait avoir au moins cet avantage. La jeune femme se perdit dans le profil d'Astarion et la grande conscience qui semblait l'habiter.
« On pourrait presque croire que vous êtes dans votre élément », plaisanta-t-elle mollement.
L'elfe eut un sourire amusé sans interrompre sa lecture.
« Eh bien, j'ai bien réfléchi pendant notre trajet vers Hautelune et encore plus lorsque nous y sommes arrivés. Et je me suis dit « que devrions-nous faire quand nous nous retrouverons face à face avec ceux qui contrôlent les parasites dans nos têtes ? » »
Silesta ne comprit pas. À part les éliminer et se sauver d'une transformation immonde, elle ne voyait pas à quoi il faisait allusion. Astarion roula des yeux de dépit.
« Cela va sans dire, mais essayez de voir un peu plus loin. »
Nouveau silence, jusqu'à ce que le sourire enthousiaste du vampire ne lui en rappelle un autre vu quelques minutes auparavant. Cet éclat dans ses yeux était celui du Astarion avide de pouvoir. L'humaine lui fit les gros yeux, dépassée. Il songeait à prendre directement le contrôle du culte ?
« Exactement ! s'exclama l'elfe avec énergie. Réfléchissez-y un instant : combien de personnes les flagelleurs mentaux ont-ils infectées ? Des centaines ? Des milliers ? Et je ne parle pas de vermine gobeline. Vous avez vu qu'il y a des êtres bien plus puissants qui sont aussi esclaves de leur larve. Ceux qui contrôlent tout ce petit monde ne sont pas loin et si nous pouvions les supplanter, imaginez la puissance qui nous échouerait ! »
La ferveur qui galvanisait ses paroles dépeignait le même aveuglément que celui qui habitait les autres âmes éveillées. Astarion respirait l'ambition sans défaillance, implacable et assurée. Silesta réalisa alors que peut-être ce n'était pas Cazador qui l'avait inspiré face à Z'rell mais son envie habilement maquillée de renverser l'Absolue. Elle ne sut dire ce qui la désola le plus : que son compagnon l'inclût dans son projet fou ou le simple fait qu'il pût caresser cet espoir démesuré. Elle se sentit écartelée. Elle n'approuvait aucunement ce dessein bien trop dangereux mais elle savait qu'aller contre l'avis du vampire concernant ce sujet très précis reviendrait à parler à un mur.
« Vous n'avez pas besoin d'un culte pour vous préserver. Vous êtes bien plus fort que vous ne le pensez. »
Silesta pensait sincèrement ce qu'elle disait. Astarion était un survivant. Elle ne connaissait pas l'étendue des horreurs que le vampire avait vécues mais elle était convaincue que sa rage de vaincre était un moteur d'une puissance dont il n'avait pas conscience et dont il se servait hélas mal.
Astarion eut un court silence pour analyser ses paroles.
« Je préfère mettre toutes les chances de mon côté, se justifia-t-il avec légèreté. Ce que je veux dire, c'est qu'une occasion s'offre à nous et si nous la saisissons, nous serons à l'abri et pourrons en profiter pour dominer le monde. Ne me dites pas que vous ne trouvez pas cela amusant. »
Parler à mur, exactement. L'ambition prédatrice qui l'enveloppait était une toile imperméable à la raison ; pire encore, elle le rendait encore plus indolent face au reste. Silesta soupira et chercha n'importe quel contre-argument pour mettre fin à cette conversation qui ne mènerait nulle part ni pour lui ni pour elle.
« Que ferai-je de tout cela ? Je ne suis qu'une saltimbanque. »
Revint alors le Astarion charmeur à l'œillade de velours.
« Vous pourriez être tellement plus. Bien sûr, il faut avant tout espérer que nous survivions assez longtemps dans Hautelune. »
_ Regardez. »
La voix d'Ombrecoeur marqua le point final de leur échange. Les deux jeunes gens allèrent retrouver la prêtresse qui était en train de fouiller un autre pan de la bibliothèque. Elle leur expliqua que lorsqu'elle avait tiré sur un livre pour le prendre, un déclic s'était fait entendre près de cet étrange petit piédestal de pierre voisin. Tous se penchèrent sur la courte colonnade de pierre qui se trouvait à côté et découvrirent une petite cavité dont le fond était taché de sang coagulé.
« Qu'est-ce que c'est ? s'interrogea Silesta en s'agenouillant pour observer de plus près.
_ Je l'ignore mais vu les traces au fond, ce n'est pas du sang que l'on aurait versé comme du liquide. On dirait qu'on a déposé quelque chose qui était couvert de sang, analysa Astarion en se penchant.
_ Ce n'est pas ce qui manque ici », se désola Gayle en regardant autour de lui.
Vu l'étroitesse de l'espace, ce n'était pas quelque chose de bien gros. Les fouineurs s'en allèrent donc sans grande motivation s'intéresser de plus près aux charmants travaux nécromantico-anatomiques de Balthazar. Sans surprise aucune, ses livres regorgeaient de pratiques occultes plus abjectes les unes que les autres et l'état des victimes oubliées dans cette chambre laissait même croire aux aventuriers qu'ils n'avaient pas encore tout vu en la matière.
L'estomac au bord de la luette, Silesta balaya les restes rances et séchés des tables d'opération qui s'offraient à sa vue. Toutes ces pauvres âmes charcutées avaient eu droit à mille sévices différents pour chacune. Membres coupés, entrailles déroulées, crâne ouvert, yeux énucléés. Seul le cœur avait toujours été religieusement extrait avec grand soin pour être déposé près du corps.
La jeune femme tordit sa bouche. Cette dégoûtante coïncidence en était-elle une ? Une profonde inspiration plus tard, Silesta rassembla tout son courage pour se saisir de l'organe et se hâta de retourner au piédestal pour presque y jeter le cœur dans la cavité. Le fond s'affaissa un peu et un raclement gronda dans le mur en face, faisant glisser la bibliothèque sur le côté pour dévoiler une entrée cachée.
« Par ici », appela-t-elle en essuyant vite sa main salie.
Derrière le mur caché se trouvait un petit cabinet tout aussi en désordre que le bureau d'avant avec plein de feuilles éparpillées partout. Ayant aussitôt repéré ce gros coffre près d'un secrétaire, Astarion s'empressa de tirer un jeu d'épingles de sa poche pour aller faire chanter la serrure qui s'offrait à lui pendant que ses camarades furetaient dans le cabinet. Gayle parcourut les quelques feuilles volantes sur la table avant de prendre un carnet de cuir usé pour le feuilleter.
Lae'zel et Ombrecoeur avaient quant à elles porté leur attention sur le curieux siège tâché de sang au fond de la salle près duquel un bol recueillait des cadavres de larves de flagelleur desséchées.
« Il menait aussi des expérience sur les larves », murmura la githyanki en imaginant les séances de torture de ceux qui s'étaient assis dans ce fauteuil.
La voix de l'elfe du prisme résonna dans la tête de Silesta :
« Ces larves étaient déjà imprégnées de la magie qui les modifie. D'où provenaient-elles alors ? »
Une soudaine exclamation de la voix de Gayle les tira tous de leurs pensées. Le magicien enjoignit ses compagnons de le rejoindre et les laissa lire l'extrait du journal qu'il tenait. Un court paragraphe tracé dans d'une écriture sèche et étroite s'aligna sous leurs yeux :
« J'ai dû rediriger une partie des matériaux depuis la tour.
Je prévoyais de simplement me servir de ce que je trouverai dans le mausolée mais le Général préfère laisser le restant de sa famille reposer en paix. Quand bien même, peut-être n'aurai-je pas le choix. Le temple n'abandonnera pas Chantenuit si facilement et l'invulnérabilité du Général en dépend.
Je suis sûr qu'il saura me pardonner une petite incartade si cela lui permet d'enfin envoyer ses troupes à la Porte de Baldur. »
Les livres et autres documents à lire, des fois, ça aide vachement. ç_ç
Les fans d'Astarion seront ravi(e)s (ou pas) de retrouver un visage bien connu dans le chapitre suivant!
