Journal des reviewers :

Liline37 : Je ne pouvais décemment pas les laisser comme ça. L'OST de BG3 est une pépite de perfection et les quelques chansons sont tout autant splendides.

Shivarrior : Merci beaucoup pour tes retours, je vois que tu commences à te rapprocher de plus en plus :) Au plaisir de te relire !

Bon, maintenant que mon délire pseudo-érotique est fait, on va peut-être passer aux choses sérieuses ? Qu'est-ce que vous en dites ?


CHAPITRE LXXV – SUR L'ÉCHIQUIER

L'aube. Césure entre les ténèbres de la nuit et les rayons du jour. Cet instant fragile où la lame du soleil lissait d'un fil d'or l'horizon pour trancher le voile qui obscurcissait la vue et tourmentait l'esprit endormi. Cette déchirure avait beau avoir été faite quelques minutes auparavant, elle n'avait fait que provoquer l'inverse. Elle éloignait la félicité de l'oubli dans l'ivresse charnelle et rapprochait inexorablement de ce qui était le plus redouté.

Silesta resta à la fenêtre pour observer toutes les nuances de jaune et d'orangé des nuages s'enlacer dans le bleu nouvellement éclairci du ciel. Elle n'avait jamais eu l'occasion d'admirer la renaissance du jour. Avec sa vie un peu en décalé en compagnie du Pas Nocturne, elle se levait toujours quand le ciel était clair et le soleil déjà haut. Pour le dernier matin de sa vie, elle pouvait prendre le temps d'admirer et s'émerveiller. Les reflets d'or sur les toitures colorées des bâtiments éclataient vivement pour rehausser la palette du ciel. Cette vue était aussi belle qu'elle l'empêchait de penser. Et de trembler.

« Vous êtes déjà prête ? »

Sans même quitter sa contemplation, elle parvenait à deviner les gestes d'Astarion rien que par le bruissement des sons qu'il produisait. Ce léger crissement indiquait qu'il se redressait sur le lit pour en descendre. Un effleurement de tissu pour prendre un vêtement. Le son de ses pas qui foulaient le plancher pour l'approcher.

« Non pas que je sois pressée. Mais c'est inéluctable, n'est-ce pas ? » répondit-elle doucement.

Elle sentit la présence de l'elfe dans son dos, immobile et calme. Elle savait qu'il était aussi en train d'apprécier le spectacle aux différents camaïeux dorés. Celui-ci devait revêtir un aspect encore plus particulier pour lui qui resterait condamné aux ombres. Elle garda le silence pour ne pas troubler sa méditation.

Après un temps, elle reprit la parole :

« Voulez-vous vous nourrir ? »

Silesta ne sut même pas si elle lui posait cette question en prévision d'être plus en forme pour ce qui les attendait ou pour lui proposer une sorte de dernière faveur du condamné à mort. Sans doute un peu les deux.

Astarion ne répondit pas tout de suite, ce qu'elle interpréta comme une réelle interrogation qu'il se faisait. Il devait la trouver soit stupide soit trop pessimiste.

Les bras du vampire l'enlacèrent et attirèrent son dos contre son buste.

« Je crois que je me suis assez repu de vous cette nuit, déclina-t-il avec une once de fierté coquine dans la voix. Je boirai volontiers le « calice » de la victoire pour fêter notre survie après tout ça. »

La jeune femme s'autorisa un maigre sourire et ferma les yeux pour apprécier ces bras qui la protégeaient jusqu'à ce qu'ils la délaissent pour permettre à Astarion de terminer de s'habiller.

Quand ils entrèrent dans la salle commune, ils trouvèrent Gayle et Lae'zel déjà attablés devant un copieux et élégant petit déjeuner. Silesta sourit un peu. De toute évidence, elle n'avait pas été la seule à songer à un bon dernier repas.

Le son d'un frottement de métal fit retourner les nouveaux arrivants même s'ils savaient déjà qu'il s'agissait d'Ombrecoeur. La prêtresse s'excusa de son retard et rejoignit la table à son tour.

Il flottait un sentiment étrange, à la fois dense et inconsistant qui se retrouvait dans les regards un peu absents des aventuriers attablés. Chacun avait conscience que cet instant commun qu'ils vivaient n'avait pas la même saveur que les autres fois où ils s'étaient réunis pour manger. Néanmoins, il régnait une sorte d'apaisement général qui l'emportait sur l'angoisse. Les échos de la dernière soirée formaient un bouclier efficace contre la peur.

Silesta sentait sur elle les coups d'œil que Gayle lui lançait de temps à autre mais refusait de les affronter. Elle devinait sans mal que son allié voulait encore la dissuader de faire appel à ses dons de catalyseur par des regards mêlés de reproche et de crainte. Elle tiendrait bon, pour le bien de tous.

Enfin arriva le moment de quitter la taverne du Chant de l'Elfe et celui de vérifier ce qu'ils emporteraient pour ce dernier trajet sans confirmation de retour. En plus des habituels accessoires indispensables comme les potions et les parchemins, ils prirent soin de ne pas oublier les trois pierres infernales et Lae'zel tint à emporter avec elle le Marteau Orphique. Si la guerrière venait à perdre sa belle épée d'argent, elle ne devait pas rester sans arme. Quant à Ombrecoeur, bien qu'il n'avait jamais quitté la petite bourse qu'elle avait toujours sur elle, elle s'assura d'emporter le prisme astral avec elle. Ce n'était pas le moment de perdre leur rempart contre la domination du cerveau vénérable.

« Oh, j'avais oublié ça, s'étonna Astarion quand il retrouva parmi ses effets la petite clochette de bronze laissée par Balthazar. Hélas, bien que j'aie toute foi en l'excellente ouïe du frère de notre ami nécromancien, je doute qu'il puisse accourir jusqu'ici. Ou qu'il veuille nous aider. »

Il était en effet un peu désolant de ne pas avoir su tirer parti de cet objet plus tôt, mais de toute évidence, l'agitation permanente dans laquelle ils baignaient depuis le début de cette aventure avait su les distraire assez pour en oublier qu'ils avaient avec eux des artefacts plutôt pratiques.

Nos amis quittèrent la taverne en direction de la boutique des Pierres Tombales de Chandedreux. C'était dans les profondeurs menant au temple de Bhaal qu'ils avaient perçu le plus nettement la présence de l'Absolue, c'était donc par là qu'ils devaient se rendre en priorité.

Sur le trajet, le sol trembla sous leurs pieds, secouant les ruelles et les badauds qui s'exclamaient de peur. Le cerveau vénérable pressentait-il que les pierres infernales se rapprochaient de lui ? Certainement. Il n'était plus possible de faire demi-tour.

Une fois arrivés au petit commerce abandonné, les aventuriers se hâtèrent de retourner à la porte cachée dans le mur et s'engouffrèrent une nouvelle fois dans les entrailles de la ville en priant de ne pas tomber sur des bhaalistes. Ils avaient déjà suffisamment donné avec le culte du Dieu du Meurtre.

Alors qu'ils arpentaient les chemins désertiques de la ville cachée, ils remarquèrent que l'atmosphère n'était plus du tout la même par rapport à la première fois. Elle était chargée, oppressante. Des yeux pénétrants et avides les observaient et scrutaient leurs moindres mouvements avec une impatience palpable tandis que des mains, non, des tentacules poisseux s'enroulaient sournoisement autour de leur esprit pour mieux les orienter dans le dédale sombre. Leur larve gigotait avec tant de ferveur que c'était à leur donner mal à la tête. La terre vibrait presque sous leurs pieds.

Guidés par la pression psychique qui croissait dans leur esprits, nos amis parvinrent aux abords d'un lac souterrain aux eaux troubles et lisses. La hauteur sous plafond qui s'élevait au-dessus du miroir aqueux était aussi criante que les mouvements d'alacrité du parasite dans son jus cérébral : l'Absolue se trouvait quelque part dans ces profondeurs.

« Je sens la présence du cerveau vénérable avec de plus en plus de netteté, confirma l'Empereur. Hâtez-vous. »

Le frêle esquif que représentait la petite barque amarrée au ponton leur parut bien fragile face à la pression qui ployait sur eux. Ils pourraient s'estimer heureux si la barque ne se brisait pas une fois qu'ils seraient dedans.

Les aventuriers prirent place en se serrant les uns aux autres. Ombrecoeur se décida à prendre les rames ; pagayer lui éviterait de penser qu'elle faisait encore face à de l'eau. Aidés par un sort de lumière émis depuis la main de Gayle, ils se mirent en route sur les eaux, cernés par le silence et les yeux invisibles sur eux. Le clapotis de l'eau sur le bois des rames était tout ce qui les sauvait de l'angoisse totale face au vide infini qui les entourait.

Ils glissèrent ainsi sur les eaux noires pendant un long moment. Très vite, le lac s'était resserré entre les parois sombres d'un canyon de roche, forçant ainsi une plus grande prudence dans le maniement du gouvernail et éviter ainsi de se heurter à un rocher. Comme si tout cela n'était déjà pas assez handicapant, une nappe de brume s'ajouta à l'ensemble ; pâle linceul qui teintait de vert glauque les ténèbres environnantes.

Silesta ne remuait pas d'un muscle, les sens en alerte. Un mauvais pressentiment prenait plaisir à strier sa colonne vertébrale d'un froid pernicieux et les quelques bruits étranges d'objets qui heurtaient l'eau dans le lointain n'aidait en rien à l'apaiser. Elle scrutait la surface dans l'espoir de déceler une quelconque trace du cerveau vénérable, en vain. C'était à peine s'il était possible de percevoir les reflets du sort lumineux de Gayle sur l'onde.

Son regard fut tout à coup attiré par un mouvement dans les hauteurs. Elle ne sut déterminer ce qu'était cette chose violacée brillante qui leur fonçait tout à coup dessus mais son cerveau comprit l'essentiel en une microseconde.

« Sautez ! »

Son cri fut si strident que ses amis ne cherchèrent par à comprendre et obéirent dans l'instant. L'énorme stalactite qui venait de se décrocher du plafond s'abattit droit sur la barque fraîchement désertée et la brisa aussi net qu'un marteau broyant une coquille de noix. Gayle alla aussitôt porter assistance à Ombrecoeur qui se débattait avec panique.

« Tout le monde va bien ? s'enquit Lae'zel, encore un peu raide par la brutalité de l'incident.

_ On dirait, confirma Silesta en remerciant dans son for intérieur Tébur pour lui avoir appris à nager. Là-bas, on dirait qu'il fait moins sombre. »

Ils suivirent la direction qu'elle pointait et découvrirent que les rebords escarpés des parois rocheuses s'aplatissaient sur une sorte de petite crique. Chacun armé de sa meilleure brasse – ou capacité à flotter pour Ombrecoeur – les aventuriers se dirigèrent vers la terre ferme encore baignée de brume.

Dès qu'ils furent en mesure de se remettre debout, ruisselants et les bottes pleines d'eau, une fulgurante force vint s'abattre sur leur esprit telle une chape de plomb que l'on venait couler directement sur leur cerveau. Silesta étouffa un gémissement douloureux et ses jambes se dérobèrent sous son poids. Sa tête ne percevait même plus son propre corps tant elle était submergée de messages lancinants prononcés par une voix lointaine et impérieuse. Un souffle qui persiflait jusqu'aux tréfonds de son inconscient.

« Toi... pion... serviteur... pantin... ANOMALIE... détruire... exterminer... »

Enfin, l'oppression diminua petit à petit jusqu'à enfin rendre aux aventuriers leurs sensations et un engourdissement autour de leur crâne.

« Vous sentez ? Cette saumure... Elle est infusée de magie. Le cerveau est ici, dit l'Empereur.

_ On a surtout senti autre chose », grommela Gayle en secouant la tête pour se remettre les idées en place.

Ils poursuivirent leur chemin dans de nouvelles galeries cachées qui, semblait-il, avaient servi à d'autres avant eux. Les corniches qu'ils traversèrent étaient jonchées de restes de caisses, d'amphores ou de cordages. Il s'agissait peut-être d'anciennes installations du culte.

La confirmation arriva vite quand des cadavres sans tête vinrent agrémenter leur progression. Il n'y eut pas besoin de se demander bien longtemps ce qui était arrivé à ces pauvres victimes car les couinements des dévoreurs d'intellect qui trottinaient plus haut sur la route étaient assez forts pour les remarquer.

Alors qu'ils traversaient ponts de planches branlantes, corniches escarpées et voies caillouteuses, nos amis furent régulièrement figés dans leur marche par de nouveaux assauts psychiques qui ployaient sur leurs épaules ; toujours accompagnés de la voix enveloppante de l'Absolue.

« Attendu... préparé... CALCULÉ... évolué... »

L'instant était bref mais assez déstabilisant pour insinuer le doute. Auraient-ils la force d'avancer jusqu'à l'Absolue ou seraient-ils terrassés d'abord par cette pression ignoble sur eux ?

« Dominée... contrôlée... COURONNÉE... »

Très vite, leur environnement monochrome et rocheux prit un aspect familier bien plus répugnant et inquiétant. Des filaments cartilagineux suintants éventraient les parois pour s'étendre comme d'immondes toiles d'araignée et laissaient couler sur le sol un liquide opaque et visqueux. Ils avançaient assurément dans la bonne direction.

Une lueur blafarde attira leur attention au détour d'une nouvelle cavité. Elle provenait de petits bassins creusés directement dans la pierre. Cette eau épaisse d'un vert jaunâtre maladif n'avait rien d'attrayante ; pire encore, cette couleur rappela celle du bassin de saumure depuis lequel le flagelleur mental avait cueilli les larves de Silesta et de Lae'zel à bord du nautiloïde. Il y flottait la même odeur âpre entre acidité et sel.

Les yeux vissés sur la surface fluo, Silesta ralentit instinctivement le pas. Avait-elle rêvé où l'onde s'était-elle froissée un bref instant ?

Un nouvel écho douloureux la fit vaciller sur ses appuis.

« Chassez... TRAQUEZ... dévorez... »

Les bruits d'éclaboussures qu'elle perçut au milieu de sa confusion mentale la forcèrent à rouvrir les yeux. Une cohorte de dévoreurs d'intellect venait de bondir hors des bassins pour galoper droit sur eux. Gayle prit grand plaisir à lancer une boule de feu à la surface de la saumure qui explosa en une fontaine de flammes pour retomber sur les cerveaux sur pattes restés trop près. Lae'zel vit quant à elle l'occasion de tester les fantastiques propriétés de son épée d'argent. La githyanki tira sa lame étincelante et décrivit un geste ample en demi-cercle face aux bestioles qui lui fonçaient dessus. Le fer ne toucha rien mais les dévoreurs se figèrent dans un même tressaillement de douleur.

« Comment avez-vous fait ? s'ébahit Silesta.

_ L'épée d'argent d'un kith'rak est plus qu'une simple arme. Elle est l'extension de sa volonté, un membre à part entière de son être, expliqua la guerrière avec fierté. L'argent blesse le corps et le fragment de portail vivant contenu dans l'épée blesse l'esprit. C'est une arme redoutable contre les ghaiks. »

La saltimbanque ne disposait peut-être pas d'un tel instrument mais elle ne rechigna pas à utiliser ses fidèles bolas pour s'amuser d'une petite partie de jeu de mail revisité. Le dévoreur d'intellect ne rebondissait peut-être pas mais son taux de pénétration dans l'air quand il était éjecté au loin avait quelque chose de plaisant.

Il ne fallut guère de temps aux aventuriers pour se défaire de ce menu fretin. Ils étaient déjà tellement mis sous pression par les assauts psychiques de l'Absolue qu'ils en profitèrent pour ventiler leur agacement sur leurs assaillants sans leur laisser la moindre chance. De toute l'armada du culte, ces choses demeuraient les plus dérangeantes ; c'était toujours un plaisir de les exterminer.

Suite à ce petit intermède d'échauffement pour la suite, nos amis reprirent leur avancée, non sans commencer à s'interroger sérieusement sur la suite. Quelqu'un dans l'assemblée avait-il une idée de comment fonctionnaient des pierres infernales face à un cerveau grand de plusieurs dizaines de mètres ?

« C'est vous le plus calé en magie du Néthéril, se défaussa Astarion en se tournant vers Gayle. Et en magie tout court. J'imagine que vous n'aurez qu'à... agiter les mains en plissant les yeux de concentration ou quelque chose comme ça ? »

Silesta n'osa pas avouer à son aîné magicien qu'elle pensait peu ou prou la même chose que le roublard. Ce lever d'yeux au ciel désespéré que venait de faire Gayle lui fit alors comprendre que la magie était quelque chose un tantinet plus complexe que ça. La jeune ensorceleuse en devenir peinait encore à saisir toutes les subtilités de la magie et les rares occurrences qui l'avaient conduite à s'en servir s'étaient déroulées dans une aisance assez incroyable. Silesta mentirait si elle disait qu'elle n'était pas curieuse de tout cela.

Elle secoua un peu la tête pour chasser ses pensées parasites. Elle devait se recentrer. Si elle devait faire quelque chose en rapport avec la magie aujourd'hui, ce serait en tant que catalyseur. Hors de question de se risquer à faire n'importe quoi par elle-même.

Leurs pas menèrent les aventuriers aux abords d'un nouveau lac souterrain aux eaux saumâtres insondables. Sa surface se perlait de grosses bulles qui éructaient à petits bouillons. À mesure qu'ils approchaient du rebord de l'eau, la langueur qui pulsait dans leur boîte crânienne gagnait en puissance, rebondissant dans de multiples vibrations de plus en plus stridentes. Leur esprit se faisait drainer par un souffle irrésistible. L'air était saturé.

« Vous touchez au but. Préparez-vous à vous servir des pierres. »

Leur pouls se ralentit et leurs sens étaient au paroxysme de la stimulation, à un tel point qu'ils menaçaient de lâcher à tout instant. Gayle sortit de sa besace les trois pierres infernales qui vinrent tout naturellement se lier les unes aux autres. Elles percevaient la présence de l'artefact magique auquel elles étaient liées.

Le sol se mit tout à coup à trembler et l'onde du lac se déchira. Une masse colossale émergea des profondeurs en même temps que cette voix dont la clarté était aussi vibrante qu'assommante.

« Interruption... anomalie... trouvé... ACHEVER... MAINTENANT. »

Contrairement à ses alliés qui laissèrent échapper un souffle effaré, Silesta fut incapable de réagir. Ce qu'elle voyait défiait toutes les horreurs imaginables. L'effroi l'enserra de ses mains glacées alors que le cerveau vénérable s'élevait des flots tempétueux, vibrant comme un cœur. Et en son sommet, coincée entre les deux hémisphères de matière grise tracée de veines épaisses, la couronne de Karsus dont la lueur rouge éclatait au milieu de la brume.

La voix qui écrasait leur esprit emplit tout l'espace :

« Vous pensez savoir pourquoi vous êtes ici. Vous pensez qu'il suffisait de tuer mes Élus et de leur prendre les pierres pour me détruire. Vous vous fourvoyez. »

Silesta ne savait pas ce qui la pétrifiait entre cette chose monstrueuse qui occupait toute la hauteur de la grotte ou cette voix qui la réduisait à l'état de petite chose insignifiante.

La lueur des pierres infernales qui lévitaient dans la paume de Gayle attira brièvement son attention. Mais quand elle regarda à nouveau devant elle, le décor avait changé. Le cauchemar venait de se densifier.

Il n'y avait plus de grotte, plus de lac. Rien qu'une infinité sans ciel ni terre teintée de rouge chair. Sa vue était rétrécie par les arêtes acérées tout autour d'elle comme si elle était retenue dans un carcan pour la contraindre à regarder ce qui se trouvait au-delà : le visage gigantesque d'un flagelleur mental aux yeux métalliques. Son regard était une lame glacée qui perçait sa poitrine centimètre par centimètre. Elle voulait hurler mais elle ne pouvait que fixer cette figure grise.

« Il cherche à vous embrouiller l'esprit, ne l'écoutez pas, invectiva l'Empereur avec calme. Utilisez les pierres. »

Cette intervention concrète permit à la jeune femme de retrouver un semblant d'esprit propre. Elle papillonna des yeux et regarda autour d'elle. Ses amis étaient eux aussi raides comme des piquets.

« Gayle ! » l'appela-t-elle pour le réveiller.

Le magicien s'ébroua comme s'il venait d'émerger et rassembla ses esprits pour se concentrer sur les pierres. Le flagelleur mental géant ne sembla nullement perturbé par cette tentative et poursuivit :

« En éliminant Ketheric, Orin et Gortash, vous n'avez fait que me libérer de mes chaînes. Exactement comme je l'avais prévu. Désormais, la couronne est mienne... à moi et à personne d'autre.

_ Ne l'écoutez pas ! Concentrez-vous sur la couronne ! » insista l'Empereur.

Les visages étaient braqués sur Gayle qui y mettait toute sa volonté.

« Allez ! Vous pouvez le faire, appuya Astarion avec conviction. Rien n'est totalement imperméable aux influences extérieures ! »

Les immenses yeux sombres se plissèrent.

« La couronne n'est pas mon point faible, contra l'Absolue. C'est elle qui fait de moi ce que je suis. »

Le cerveau vénérable avait besoin de cet artefact pour lever une armée, tout comme il avait eu besoin des élus pour l'apporter. Cependant, puisqu'ils auraient refusé de le faire sans contrepartie, il leur avait alors donné ce qu'ils désiraient : le pouvoir. Mais juste assez pour faire ce qu'ils avaient à faire.

« Ils ont parfaitement joué leur rôle dans mon plan. C'est à mon tour de prendre les choses en main, maintenant.

_ Hors de question ! glapit l'Empereur. Recommencez ! Imposez-lui votre domination ! »

Hélas, les paroles de l'Absolue commençaient déjà à semer les graines du doutes dans l'esprit des aventuriers. Ils n'en croyaient pas leurs oreilles.

« Il s'est servi de nous ? murmura Ombrecoeur avec horreur.

_ D'après vous, qui a parlé du prisme astral aux élus ? Qui leur a révélé l'existence du prince Orphéys et du risque qu'il représentait ? susurra le monstre avec une immense délectation. Quand mes Élus ont envoyé mes esclaves récupérer le prisme, qui a laissé l'Empereur leur fausser compagnie ? En sachant pertinemment qu'il vous mènerait directement à moi ? »

Un instant, le monde se tut autour d'eux. Silesta sentit tout son sang tomber dans ses chevilles et elle échangea un regard blême avec les siens. Alors, depuis le début, eux, l'Empereur, les élus... ils n'étaient que des pions ? Des pions soigneusement placés sur un échiquier dont le seul joueur était en fait l'Absolue elle-même ?

« Il suffisait d'une seule pierre en moins sous le contrôle des élus pour que je puisse recouvrer ma liberté. Mais vous avez fait bien mieux que ça... »

Si cela en était encore possible, les pupilles de nos amis se seraient encore dilatées d'épouvante alors qu'ils contemplaient les pierres brillantes d'énergie. Ils avaient directement apporté au cerveau vénérable les trois pierres infernales.

La pression sur leur esprit se fit soudain plus forte.

« Tel était le rôle qui vous était dévolu, et vous l'avez rempli à merveille, les félicita le cerveau vénérable. Vous allez être les témoins privilégiés de l'exécution du Grand Dessein. »

Ce fut comme si un volcan entrait en éruption en eux. Une formidable poussée d'affolement s'empara d'eux et reconnecta tous leurs sens à leurs émotions.

« Il faut l'arrêter ! tempêta Lae'zel entre la fureur et la terreur. C'est maintenant ou jamais ! »

Lui aussi sorti de la torpeur qui l'avait anesthésié, Gayle s'était emmuré dans une concentration extrême. Ses doigts se crispaient comme des griffes sous l'aura magique des pierres infernales imbriquées et les traits de son visage étaient contractés sous la force qu'il rassemblait à lui. Il mima un geste de poussée vers l'avant et des filaments lumineux fusèrent des pierres droit sur l'illithid géant. Les rais s'abattirent sur lui par dizaines, tels des cordages de grappins que l'on lançait pour un assaut contre les remparts d'un fort imprenable. L'absolue ferma les yeux. Ça marchait ?

Un début de joie éclaircit les traits de Silesta et de ses amis avant de vite se faner. La créature n'eut qu'à esquisser un bref mouvement de tête pour détruire ses entraves aussi facilement que s'il ne s'agissait que de vulgaires fils d'araignée.

« N-Non... »

Le cerveau vénérable rouvrit lentement les paupières. Leurs corps n'existait plus. Ne demeurait que la quintessence de la peur primaire et la certitude qu'ils allaient mourir.

Soudain, une fulgurante vague d'énergie frappa les aventuriers avec la puissance d'un geyser.

Perdue entre réalité et illusion, Silesta ferma les yeux, prête à se briser soit par le corps qui s'écraserait contre quelque chose, soit par l'esprit. Elle allait mourir comme ça. Sans rien avoir pu faire. Tout était perdu.

Cette étrange sensation impossible à décrire la traversa. Son âme venait-elle de quitter son corps ? Était-ce que l'on ressentait quand la vie nous quittait ? Elle avait l'impression de flotter ; la gravité n'était plus la même.

Ses pensées éparses se recentrèrent lorsque le concret d'un sol sous son corps lui apparut à sa plus grande surprise. Elle était toujours vivante ? Silesta rouvrit les yeux et constata qu'elle n'était plus face au cerveau vénérable ni dans la grotte. Elle connaissait bien ce ciel parme infini derrière les pans de roches qu'elle découvrit. Le prisme astral ?

« Je suis intervenu juste à temps. »

La jeune femme se redressa sur les coudes pour faire volte-face vers l'Empereur qui lévitait doucement au-dessus du sol entre ses camarades qui reprenaient eux aussi leurs esprits. Elle lâcha une expiration de soulagement intense. Ils allaient tous bien. Elle alla rejoindre Gayle en priorité dont le visage reflétait sans peine toute la frustration que son échec face à l'Absolue générait en lui. Elle-même s'en voulait ; elle aurait dû lui demander de faire appel à ses dons de catalyseur, peut-être cela aurait-il suffi.

« La situation est pire que je ne le craignais, grinça l'Empereur en leur faisant face. Notre ennemi n'est plus un cerveau vénérable. La magie de la couronne l'a fait évoluer. C'est à présent un cerveau infernal. »

Ces paroles étaient bien loin de rasséréner son auditoire qui essayait encore de se remettre de ce qu'il venait de vivre. Astarion était peut-être le plus furieux de tous face à cet échec. Les pierres n'étaient-elle pas censées dominer le cerveau comme cela leur avait été rabâché pendant des jours et des jours ?

« C'est ce que je croyais. Quand je pensais qu'il s'agissait encore d'un cerveau vénérable », répliqua calmement le flagelleur mental.

Ses tentacules s'agitèrent brièvement, ce que Silesta interpréta comme un signe d'agacement ou de frustration. Leur allié illithid avait toutes les raisons du monde d'en éprouver. Depuis le début, leur ennemi avait tout calculé, tout anticipé. Il l'avait grandement sous-estimé et cela les contraignait tous à revoir leurs plans.

Il y eut un silence pesant dans les rangs. Les visages fermés de ses compagnons signifiaient à Silesta qu'ils devaient se dire la même chose qu'elle. L'Empereur avait beau revêtir un côté souvent poussif avec eux, il n'en demeurait pas moins un allié puissant et savoir qu'il s'était fait damer le pion en beauté était inquiétant. Très inquiétant. Lui qui pensait avoir trouvé la solution pour enfin acquérir sa totale liberté n'était en fait qu'un autre insecte pris dans la toile tissée par l'Absolue. Le goût de la défaite devait être encore plus amer pour lui.

Nos amis suivirent l'alien alors qu'il s'en retournait dans la cavité du crâne gigantesque et leurs pas se ralentirent aussitôt en même temps que leur souffle. La bulle arc-en-ciel du dôme de confinement d'Orphéys apparaissait à leurs yeux comme un phare dans la nuit dont l'éclat trouva un écho dans les prunelles figées de Lae'zel. Elle y était. Elle avait enfin l'occasion d'approcher son prince ! Silesta capta la flamme qui embrasa les pupilles fendues de sa comparse et, bien qu'elle la comprenait, elle pria pour qu'elle ne fasse pas de bêtise.

Le groupe continua d'approcher silencieusement du dôme en épiant à la fois le prisonnier en stase et l'illithid qui le contemplait entre ses pensées.

« Je pense avoir déterminé ce qui a conduit à cet échec avec le cerveau infernal, déclara le flagelleur en considérant ses hôtes. Le problème ne venait pas des pierres, mais de ses détenteurs : vous. »

Après avoir analysé sous tous les angles possibles ce qui s'était produit, tout apparaissait très clair. De simples mortels ne pouvaient faire qu'une chose à la fois alors que le cerveau infernal était capable de calculer une infinité de possibilités simultanément. Il savait d'avance ce qu'ils allaient faire, tout ce qu'ils pourraient faire. Aucun mortel ne pouvait faire montre d'une telle prouesse d'intelligence.

« Pour vaincre notre ennemi, il faut raisonner comme un illithid ou en devenir un. Vos esprits n'en sont pas capables, contrairement au mien. »

Ils ne purent pas le contredire car le brillant échec et mat qu'ils venaient d'essuyer était bien assez cuisant. Ombrecoeur tordit la bouche dans une grimace peu convaincue. Et donc ? Que comptait faire l'Empereur, lui qui s'était aussi fait avoir en beauté comme eux ?

« Vous allez me donner les pierres infernales. J'assimilerai Orphéys et je serai alors en mesure de m'extirper du prisme pour affronter le cerveau. »


L'un des choix les plus difficiles.

Désolée, ce chapitre est loin d'être la partie la plus palpitante. Je me suis bien plus amusée à faire les autres chapitres alors que paradoxalement, ils sont censés être les plus compliqués. C'est vrai, quoi! On est la BASTON FINALE, gods ! Et j'ai pris le temps de bien faire les choses. J'espère.

Stay tuned !