Génial. Quand ce ne sont pas les mails qui n'arrivent plus, c'est le compteur qui ne marche plus. J'adore ce site... -_-

Journal de la revieweuse :

Liline37 : Le donjon en lui même était assez vite fait à terminer in game mais à écrire, je trouve que ça a été une purge. J'espère que la suite sera à la hauteur de tes attentes !

En avant pour la Demeure de l'Espoir !


CHAPITRE LXXI – DIABLERIES

La première et seule autre fois que les aventuriers avaient mis les pieds dans la Demeure de l'Espoir, ils n'avaient pas eu le temps de vraiment admirer les lieux ; ils étaient bien trop abasourdis de s'être retrouvés dans la maison d'un diable. À présent qu'ils étaient en infiltration volontaire, ils réalisèrent à quel point cet endroit - en plus d'être le logis de Raphaël - était en fait un temple à la gloire de sa personne et sa mégalomanie. Rien que les deux immenses statues d'or représentant le diable dans une pose aussi flamboyante qu'un avocat en pleine plaidoirie donnait le ton avant même d'entrer réellement dans le cœur de la Demeure de l'Espoir.

Ce qui était aussi hélas à la hauteur de l'adoration de Raphaël envers lui-même, c'était son efficacité à nourrir les Enfers d'âmes. Sur le petit pont que nos amis franchirent en direction de la porte d'entrée, ils contemplèrent avec tristesse un nombre incalculable de petits filaments verts fantomatiques qui filaient dans les airs. Voilà donc tout ce qui restait des malheureuses âmes qui avaient passé un contrat avec le diable ?

La porte d'entrée donnait directement sur le seul lieu que le groupe connaissait déjà : la fastueuse salle de banquet. À la différence que contrairement à la dernière fois, les lieux étaient bien plus rangés. L'immense table octogonale n'était plus qu'un capharnaüm sans nom avec des assiettes à moitié vides des restes de nourriture. Et que dire des squelettes encore attablés dans leur fauteuil de cuir rouge dont l'un était carrément renversé au sol comme s'il avait été pris d'un empoisonnement fulgurant et atroce ? Heureusement qu'un serviteur squelettique drapé dans une longue robe s'occupait de balayer pour faire un peu de rangement ; le maître ne devait pas apprécier un tel manque de propreté.

« Curieusement, si Raphaël venait à me proposer un nouveau marché, je ne suis pas sûr que j'accepterais, glissa Astarion avec une grimace répugnée face au désordre.

_ Je ne vois pas ce qui vous ennuie », ironisa mollement Silesta qui regardait encore des filaments d'âmes verts qui ondulaient dans les airs autour d'eux.

Ses sens étaient aux abois et son cœur martelait comme un fou dans sa cage thoracique. Raphaël était-il là, quelque part, prêt à la cueillir pour récupérer son dû ? Elle préféra penser que non. Sinon, le diable lui serait déjà tombé dessus.

Les aventuriers prirent le premier chemin qui s'offrit à eux. Quand ils traversèrent un nouveau pont, ils comprirent que la salle de banquet se présentait en réalité comme une sorte de patio extérieur qui avait directement vue sur les limbes dans lesquelles nageaient les âmes damnées. Faire dîner ses futurs débiteurs en présence des anciens qui avaient été condamnés... Il n'y avait qu'un tordu comme Raphaël pour faire une chose pareille.

La porte suivante s'ouvrir sur un nouveau couloir immensément large tout aussi richement décoré. Marbre noir aux filigranes d'or au sol ; marbre blanc, gris et brun aux murs ; des tableaux qui s'alignaient sur la moindre portion qui n'était pas occupée par des sculptures ; fenêtres en verre fumé entrelacées de barreaux de fer noir... La Demeure de l'Espoir avait de quoi rivaliser avec le palais Szarr. Même si l'atmosphère générale n'avait rien d'étouffante et d'oppressante grâce à la présence de lumière, il y avait quelque chose de froid entre ses meubles luxueux et confortables qui vous invitaient à vous arrêter un instant. Cela correspondait bien au maître des lieux : derrière son sourire affable et commercial se cachait quelque chose de dérangeant.

Nos amis se tendirent un peu en découvrant qu'ils n'étaient pas seuls avant de très vite se rasséréner. Cette elfe et cette tieffeline portaient les mêmes tenues que Silesta, Ombrecoeur et Lae'zel ; il devait s'agir de débitrices. Celles-ci ne prêtèrent aucune attention aux nouveaux venus. La première parlait toute seule avec une fébrilité angoissée et la seconde dansait sans prendre aucun plaisir ; au contraire, chaque pas semblait lui coûter un peu plus que le précédent.

« Espérance n'avait pas menti, marmonna Gayle d'un air sinistre. Les contreparties des marchés de Raphaël sont vraiment cruelles. »

Silesta fut incapable de répondre, l'estomac noué. Voir ces pauvres gens qui souffraient lui était doublement difficile. Elle était prise en étau entre des souvenirs d'Iwen et la pensée de savoir qu'elle ne pourrait rien faire pour aider.

De temps à autre, un corps de lumière opaque verte se concrétisait, fantôme d'une ancienne âme dont les tourments étaient encore assez forts pour retenir une bribe de conscience et se lamenter sur son triste sort.

« Ai-je déjà vécu ailleurs qu'ici ? Ai-je seulement vécu ? murmura l'ombre blafarde d'un nain qui venait d'apparaître près d'Ombrecoeur en la faisant sursauter par la même occasion.

_ Cet endroit n'a que des entrées. Aucune sortie », pleurait l'esquisse mourante d'un gnome ou d'un halfelin auprès d'Astarion pendant que celui-ci laissait ses mains baladeuses se promener sur le moindre petit coffret ouvragé posé sur les secrétaires.

Cette capacité à détrousser tout le monde en n'importe quelle circonstance ne devrait plus étonner personne et pourtant, Lae'zel ne s'empêcha pas une remarque au roublard. Comme à son habitude, celui-ci resta droit dans ses bottes : quel mal y avait-il pour un gredin de s'en prendre à un autre gredin ; Raphaël, de surcroît ? Ce diable l'avait bien mérité. Et quitte à mourir dans son antre, autant se faire plaisir ; ce n'était pas tous les jours que l'on se frottait à un être infernal de sa trempe.

Par chance, l'architecture de la Demeure de l'Espoir semblait moins alambiquée que sa décoration. Le couloir que le groupe longeait s'étendait simplement en quelques tournants pour contourner la salle de banquet centrale. Hormis les lamentations ou les cris des quelques débiteurs qui erraient dans la lumière des chandeliers et des candélabres, l'endroit était plutôt calme. Cela en devenait dérangeant, mais toujours moins dérangeant que cette femme qui doubla nos amis en marchant à quatre pattes pour se coucher plus loin par terre comme un chien ou cet homme agenouillé au pied d'une impressionnante nouvelle statue de Raphaël en train de se fustiger avec une baguette souple.

Au bout d'un moment, Silesta ne tint plus et elle s'arrêta. Ses alliés se tournèrent vers elle et comprirent vite à son teint pâle et son regard terne qu'être entourée de tous ces prisonniers tourmentés lui rappelait indirectement ses anciens mauvais traitements.

La jeune femme réalisa sa faiblesse quand elle lut cette pointe d'apitoiement dans les yeux de ses amis et elle s'en agaça.

« J-Je réfléchissais, contra-t-elle. Je me demandais où pouvait être la prison d'Esp... »

Elle entendait au volume de sa respiration qu'elle n'était pas crédible pour un sou, pas plus qu'avec sa voix chevrotante. La main d'Astarion sur sa joue tempéra sa panique et lui fit lever les yeux. Il lissa doucement sa peau du pouce et lui offrit un sourire bien à lui.

« Espérance n'est pas une gnome. Je suppose qu'on pourra chercher sa prison à l'occasion. »

La saltimbanque lui rendit un hochement de tête reconnaissant. Elle ne savait pas ce qui lui faisait le plus de bien. La capacité d'Astarion à atteindre son âme rien que par le toucher ou le fait qu'il la rassure sans la rabaisser à son statut d'ancienne victime.

Satisfait d'avoir pu apaiser un peu les tourments de sa compagne, le roublard reprit du service et se dirigea vers une porte qui se présentait à lui. Qui sait quels secrets douteux ou honteux pouvait détenir Raphaël ? Voire des trésors ?

Le gentleman cambrioleur fut grandement déçu quand il arriva sur un simple balcon avec une vue imprenable sur Avernus. Le panorama à la hauteur vertigineuse qui se déroula sous les yeux ébahis des aventuriers était le parfait contraire de la Demeure de l'Espoir : infiniment vide. Les terres mornes baignées de l'aura rouge du Styx ne devaient leur relief que par les montagnes escarpées qui s'élevaient au loin. Ce tableau était à la fois saisissant et terrifiant. Il n'y avait vraiment qu'une aventure avec l'Absolue pour permettre à ces cinq spectateurs estourbis de vivre un tel moment.

« Regardez, on dirait qu'il y a un chemin », fit remarquer Ombrecoeur.

Les autres abandonnèrent les plateaux stériles d'Avernus pour suivre son regard. En contrebas du balcon, une corniche de pierre brute longeait le mur extérieur.

« J'ignore si se risquer à glisser sur une pierre pour tomber dans le vide est un sort plus enviable que de nous faire damner par le propriétaire des lieux, fit remarquer Gayle.

_ Non, elle a raison, appuya Astarion en sautant par-dessus la rambarde de pierre. Si on peut accéder aux archives par la petite porte, ce sera toujours mieux. Essayons. Si c'est trop dangereux, nous ferons demi-tour. »

Bon gré mal gré, les autres le suivirent et enjambèrent à leur tour le balcon pour accéder à la corniche.

L'odeur de chaud et de souffre qui saturait l'air n'aidait en rien leur progression déjà rendue difficile par les morceaux de roche qui roulaient sous leurs pieds ni par les vents qui s'amusaient à les faire vaciller. Chacun assura ses pas du mieux qu'il le put tout en priant pour vite trouver une fenêtre ou un nouveau balcon par lequel quitter cette escalade de haut vol.

Enfin, la providence présenta leur salut sous la forme d'une petite terrasse qui s'élevait un peu plus loin. Un dernier petit saut tracté permit aux aventuriers de se hisser tout en prenant garde de ne pas renverser l'énorme vasque décorative qui se trouvait sur leur chemin. Ils firent silence quand il s'aperçurent que la terrasse s'ouvrait directement à l'intérieur d'une nouvelle pièce et tendirent l'oreille. Aucun bruit.

Ils passèrent prudemment la tête à l'intérieur et tout de suite, leur regard fut attiré par un immense lit sur lequel reposait quelqu'un, et ce quelqu'un était malheureusement éveillé et tourné en leur direction. Un diable.

« Tiens donc. Des petites souris égarées qui trottent dans la maisonnée », chantonna-t-il.

Le diable se redressa lascivement en observant ses invités avec amusement. Ces derniers eurent un mouvement de surprise synchrone d'ouverture de bouches. Si on parvenait à passer outre sa... tenue faite exclusivement de sangles de cuir et de chaînettes qui était encore plus dénudée que celle de Sorn Orlith, le courtisan de la Caresse de Sharess, il était plus ahurissant de reconnaître dans le visage de ce diable les mêmes traits droits que ceux de Raphaël, quoique plus jeunes.

« Tsk'va. Qu'est-ce que c'est que ça... répugna Lae'zel d'une voix sans timbre.

_ Que faites-vous ici, petits voleurs ? » demanda le diable placidement.

Silesta était aussi pantoise que ses amis. Cet homme ressemblait à Raphaël jusque dans le timbre de sa voix mais en légèrement différent. Si on lui avait dit le jour de sa rencontre avec le diable qu'elle le verrait un jour sous cet apparat de luxure décadente...

« Raphaël ? souffla Astarion, le sourire gorgé de moquerie malsaine. Vous avez l'air... » Sa main se balança au gré de sa recherche de qualificatifs face à ce qu'il voyait. « Hmm... maigrichon ? »

L'interpellé s'esclaffa d'un éclat de rire distingué.

« Raphaël ? Ha ! Non, je ne suis pas Raphaël, démentit-il avant de promener ses yeux citrine sur le groupe. Vous aurez bientôt un maître bien plus cruel que Raphaël... Mais dites-moi, que lui vaut votre visite ? »

Quand Silesta entendit dans son dos Ombrecoeur murmurer le mot « incube », elle pensa comprendre et ce qui découla de sa réflexion ne fit qu'accroître son malaise. Raphaël serait-il tellement égocentrique au point de coucher avec une créature qui pouvait revêtir sa propre image ? Cela lui ressemblait bien.

« Vous n'en saurez rien du tout », répondit-elle sèchement malgré elle.

La jeune femme se reprit comme elle put. Ce regard plein de concupiscence que l'incube promenait sur eux lui provoquait des relents glacés et honteux. Son corps se durcissait au souvenir d'yeux bleus avides posés sur elle et de mains acides sur ses hanches.

L'incube claqua de la langue avec une petite grimace.

« Oh, en voilà une vilaine fille, se désola-t-il de sa voix de velours. Qu'allons-nous bien pouvoir faire d'elle ? »

Il se redressa sur son séant, le regard pétillant de mauvaise malice. Et s'ils jouaient à un petit jeu ?

« Si vous gagnez, je vous donnerai tout ce que vous désirez. » Sa voix se fit plus profonde et plus joueuse encore. « Mais vous en profiterez bien davantage si vous perdez... »

Entendre des intonations communes à Iwen n'aidait en rien Silesta à garder les idées claires. Une part encore lucide de son esprit grésillant avait néanmoins capté qu'il était question d'obtenir quelque chose. Ils savaient déjà où se trouvait le Marteau Orphique mais peut-être pourraient-ils demander des renseignements concernant Raphaël pour le vaincre ?

Elle se hâta de répondre car l'aura meurtrière de Lae'zel commençait à faire yoyo à ses côtés.

« Quel est ce jeu ?

_ C'est une surprise, s'enthousiasma le démon avec délice avant de plisser les yeux sur elle. Déshabillez-vous. »

Le silence livide qui lui répondit ne dura qu'une seconde.

« Ah, c'est très tentant, je suis le premier à le reconnaître. Mais non, sourit Astarion avec un sourire carnassier et dagues en main. J'ai la jouissance exclusive de ce privilège. Et de la suite. »

L'incube perdit toute sa belle prestance sensuelle et tordit son visage de colère. Qu'à cela ne tienne, ces intrus feraient tous un très beau festin !

Des criaillements aigus aux intonations enfantines s'élevèrent tout autour d'eux ; ceux d'une poignée de diablotins faméliques aux membres émaciés qui venaient d'apparaître de part et d'autre du balcon.

« Ira et dolor ! »

Ombrecoeur fut la plus rapide et se mit entre Silesta et Gayle tandis qu'elle invoquait autour d'elle des images angéliques faisant bouclier autour d'elle. Les petits démons qui se heurtèrent à la barrière sacrée couinèrent de fureur, la peau fumante par la magie radiante.

Par réflexe, Silesta attrapa ses bolas mais n'osa pas bouger par manque d'espace pour bouger sans risquer de blesser ses alliés protégés par l'aura de la prêtresse.

« Peut-être serait-ce l'occasion de vous entraîner, chère collègue ? lui proposa tranquillement Gayle tout en surveillant l'autre groupuscule de diablotins qui chargeaient Lae'zel et Astarion. Arure.

_ Quoi ? sursauta Silesta. Mais je ne connais pas...

_ Vous m'avez suffisamment entendu incanter, non ? »

Les doutes de la jeune femme se figèrent à la vue de l'incube qui s'apprêtait à profiter de la diversion des diablotins qui piaillaient sur Astarion pour l'attaquer dans le dos. Son sang ne fit qu'un tour.

« F-Fulgo ! »

Un éclair jaillit de la main qu'elle avait tendue dans un geste paniqué et alla frapper le démon qui interrompit son geste en étouffant un gémissement de douleur. Ce bref mouvement d'arrêt constitua une fenêtre fort bienvenue à Lae'zel qui assena au diable un coup d'épée bien senti dans un magnifique mouvement rotatif.

Encore sous le choc, Silesta regarda ses mains sans comprendre. Elle s'était souvenu avoir un jour entendu Gayle prononcer cette formule pour figer un instant ses adversaires et comme elle voulait empêcher le démon d'agir...

« Ha ha, magnifique ! congratula le magicien avec ravissement. Je savais que vous pouviez le faire. Et sans tout faire exploser.

_ Ne lui donnez pas de mauvaises idées, répliqua Ombrecoeur, une goutte de sueur froide à la tempe. À mon sens, une ensorceleuse avec un penchant pour la destruction du décor est encore plus dangereuse qu'une Endormie. »

Les diablotins avaient beau être hargneux, ils furent vite défaits et de toute évidence, l'incube ne pratiquait pas les bonnes activités physiques qui lui auraient permis de se montrer plus résistant face aux assauts conjugués de Lae'zel et d'Astarion. Une fois le combat terminé, la githyanki « remercia » son comparse roublard de les avoir entraînés dans cette histoire sordide.

« Ah, ne soyez pas si prude, s'offusqua l'elfe en haussant les épaules. Si cet incube n'avait pas voulu nous faire perdre notre temps, il aurait peut-être pu nous être utile.

_ Les pots de chambre aussi sont utiles. »

Astarion se retint de rire. Quand Lae'zel essayait de se mettre au sarcasme, cela en devenait savoureux. De toute façon, il n'en démordrait pas : il pourrait être judicieux de s'accorder une petite inspection des lieux. Le jouet sexuel de Raphaël devait disposer de secrets bien plus intéressants et croustillants que les performances au lit de son maître.

« J'aurais payé cher pour en apprendre plus sur ça, tiens », murmura le vampire pour lui même, le sourire filou.

_ Je pense que l'on aurait été déçus. Ou pas, se corrigea Gayle. Faites vite, Astarion. Je préférerais avoir le Marteau Orphique avec nous quand Raphaël nous tombera dessus. »

Tandis que le roublard furetait à droite et à gauche à la recherche de la moindre petite chose digne d'intérêt, les autres en firent de même et s'ébahirent du luxe des appartements qu'ils venaient de salir du sang de démons. Qu'il s'agisse de la chambre privée de Raphaël ou de son donjon de débauche, tout avait été prévu pour passer des nuits loin d'être calmes.

Au palier inférieur accessible par quelques marches, un large bassin de marbre noir bordé de bougies et flanqué de deux grandes statues de naïades à demi-nues glougloutait doucement. Les sels de bain et autres onguents embaumaient de leur parfum suave les effluves de vapeur qui s'élevaient.

Plus que par l'érotisme dont respirait l'endroit, Silesta était accaparée par un parfum douceâtre et sucré qui lui emplissait les narines. Cette odeur subtile lui en rappelait une autre. Une odeur qu'elle n'associait pas à quelque chose d'agréable, contrairement à cette invitation à un bain relaxant. Relaxant... ou revivifiant.

La jeune femme s'accroupit au bord des marches du bassin et plongea la main dans l'eau chaude. La sensation familière qui la traversa fut un paradoxe étrange. Elle tressaillit en même temps qu'elle eut un soupir d'aise.

« Ça va ? » s'inquiéta Ombrecoeur qui avait remarqué sa drôle de tête.

Son amie confirma et lui expliqua sa découverte : cette eau était enchantée et permettait de récupérer toute sa vigueur et certainement, de soigner les blessures.

Lae'zel expérimenta tout de suite ses dires en plongeant la main dans le bassin et l'égratignure causée par une griffure de diablotins disparut dans la seconde.

« Comment avez-vous su ? s'enquit la guerrière, épatée de cette trouvaille.

_ Les onguents qu'Iwen m'appliquait pour me soigner entre deux séances avaient un parfum similaire. »

Il y eut un silence morne que la voix joyeuse d'Astarion brisa en arrière plan : il avait trouvé quelque chose.

Les aventuriers rejoignirent leur allié qui avait découvert un coffre-fort caché derrière un colossal portrait en pied de Raphaël humblement nimbé de flammes. Décidément, leur hôte diabolique était désespérant de non-inventivité tellement il s'aimait.

« Dites-moi que vous n'avez pas trouvé d'accessoires douteux, grinça Gayle qui n'osait pas regarder dans le coffre.

_ Il aurait été fort comique de les agiter sous le nez de Raphaël quand l'occasion s'en présenterait, mais non, rien de ce genre, regretta Astarion en agitant le parchemin qu'il avait trouvé. Le mot de passe protégeant le Marteau Orphique peut s'avérer utile, à défaut.

_ Parfait, se réjouit Lae'zel avec un sourire prédateur. Ne perdons plus un instant et allons trouver les archives. »

Après avoir quitté le boudoir, les débiteurs sous couverture reprirent leur progression en décidant de s'en tenir aux instructions données par Espérance : le bout du couloir. D'autres fantômes au corps verdâtre apparurent le long de leur parcours, tantôt pour les supplier de les aider, tantôt pour les mettre en garde ; toujours, le même désespoir infini perçait cet écho de vie fugace.

Quant aux autres débiteurs, la folie qui les habitait constituait pour Silesta une source d'introspection dont elle se serait passée : face à Iwen et ses sévices, elle aurait pu finir comme ces pauvres gens si sa haine envers son bourreau n'avait pas été plus forte. Quand Astarion était-il passé à cet état d'esprit pour avoir pu endurer autant ? Parvenait-il aussi à atteindre son point de bascule pour détacher son esprit de son corps quand Cazador le battait ? Elle en était presque certaine.

Enfin, quand le couloir s'acheva par un cul-de-sac, nos amis se tournèrent vers la dernière porte qui s'y trouvaient. Ce ne pouvait être que les archives.

Un seul pas à l'intérieur suffit à leur apporter la confirmation souhaitée : dans la lumière tamisée de la salle, presque de sorte à ne pas agresser les précieux objets qui reposaient, une sphère dorée au sommet d'un piédestal attira leur regard. Un objet longiligne se dressait dans le globe lumineux ; trop court pour être un bâton de mage mais juste assez long pour un marteau ou une masse à deux mains.

Le cœur battant, nos amis pénétrèrent les archives tout en surveillant du coin de l'œil les quelques serviteurs squelettiques qui briquaient le sol avec entrain ou ramassaient les nombreuses feuilles de parchemins qui traînaient.

Les archives tenaient en réalité plus du musée que de l'entrepôt à paperasse, bien que les longues tables serties de fauteuils rebondis puissent inviter à la détente ou à la recherche. Dans des alcôves reculées situées de part et d'autre de l'espace réservé au Marteau Orphique, d'autres sphères magiques renfermaient d'autres artefacts inconnus qui firent briller les prunelles grenat du voleur du groupe.

Las, la contemplation rêveuse d'Astarion prit fin au moment où un homme à la peau carmine et aux cornes infernales au sommet du crâne alla à la rencontre des arrivants, les sourcils froncés de méfiance.

« Qui êtes-vous ? les héla l'archiviste. Des clients du maître ? Ou bien venez-vous d'une autre région des Enfers ? »

Cette façon qu'il avait à détailler leur apparence avec attention fit déglutir Silesta de malaise. Pourvu que le sortilège de déguisement d'Espérance sur eux soit assez convaincant.

« Il ne me semble pas que vous ayez été invités, poursuivit le diable plus pour lui-même que pour ses interlocuteurs. Un instant, je vais consulter le registre des visites. »

Il se mit alors à cligner des yeux à toute vitesse comme s'il lisait un livre. Il semblait connaître le registre par cœur, à moins qu'il ne soit directement gravé dans ses pupilles.

« Nous sommes là pour le marteau », annonça nûment Lae'zel.

L'archiviste recentra aussitôt ses yeux jaunes sur la githyanki en haussant les sourcils.

Les autres épièrent la guerrière, un peu tendus. Le ton de sa voix laissait clairement entendre qu'elle n'allait pas rester longtemps immobile alors que la clé de la libération de son prince était à quelques mètres d'elle. Silesta comprenait son impatience mais il n'était pas sage de créer un esclandre maintenant. S'ils avaient le mot de passe avec eux, il n'était sans doute pas utile de massacrer à vue tout ce qui se dressait devant le marteau.

« Nous voulons juste admirer la qualité de fabrication, compléta derechef la jeune femme rousse avec le plus d'aplomb possible. La collection privée de votre maître concernant Karsus est réputée. Ce serait un honneur d'avoir la chance de l'admirer de plus près. Et puis, le grand soin qui a été apporté à sa conservation et son exposition donne encore plus envie. »

Astarion réprima difficilement une ébauche de sourire. Elle avait bien retenu son petit cours de la dernière fois. Sa compagne avait semblait-il pris conscience de la beauté et de l'importance de la flatterie. La petite flammèche de fierté qui ondula dans les yeux de l'archiviste ne saurait être plus éloquente.

« Merci. Le maître aime l'ordre et je ne fais que mon travail. Mais il est toujours agréable de voir la qualité de son travail reconnue, concéda le diable avec contentement. Faites donc. Mais interdiction de toucher, bien sûr. »

Après une dernière inclinaison de tête, l'homme s'en retourna vers une étagère de livres. Silesta eut un bref soupir de soulagement et rejoignit Lae'zel qui avait déjà approché l'alcôve d'exposition du marteau.

Rien que l'espace d'exposition de l'artefact hurlait sa rareté et sa préciosité : petit escalier pour surélever le piédestal entouré de grilles et deux immenses statues de diables en guise de gardiens.

Le Marteau Orphique lui-même représentait un bel objet. Son long manche était fait d'un métal argenté finement ouvragé à ses extrémités et sa masse était faite d'un morceau de cristal rouge brut sans taille ni facettage ; à croire que cette matière était si rare qu'il ne fallait pas en perdre la moindre parcelle par des fioritures inutiles. Le Marteau Orphique était là, à une extension de bras. Seule une bulle protectrice l'entravait.

« Il y a en effet un mécanisme de protection magique à reconnaissance vocale, confirma Gayle en plissant les yeux de concentration.

_ Le mot de passe », exigea Lae'zel avec impatience.

Astarion n'obéit pas tout de suite. Il était le premier à voler les gens mais il ne le faisait jamais en sachant par avance que son larcin allait être découvert à coup sûr. Et surtout pas quand l'offensé était suffisamment puissant pour le tuer.

Hélas, il n'avait d'autre choix.

« Donne-moi ce que je désire le plus au monde. »

La sphère éclata en une pluie de paillettes dorées et un silence sidéré flotta.

« Vraiment ? s'offusqua Ombrecoeur en se tournant vers Astarion. C'est ça, le mot de passe de Raphaël ?

_ Oui, je sais. Je me suis fait la même réflexion. Plus je progresse dans cette maison, moins j'arrive à prendre Raphaël au sérieux. »

Loin de toutes ces tergiversations, Lae'zel ne désirait qu'en finir. Elle tendit la main et la referma autour de la hampe du marteau.

Aussitôt, les aventuriers sursautèrent, effrayés par une petite détonation de lumière au niveau de leur sternum. La surprise passée, ils remarquèrent que leurs haillons avaient disparu ; le sort illusoire d'Espérance avait été brisé.

Ce qui était plus inquiétant encore était qu'en dépit de l'absence totale de réaction visible ou audible autour d'eux, le changement d'atmosphère était drastique. La Demeure de l'Espoir était un serpent dont les anneaux étaient en train de se resserrer lentement sur eux.

Le rire froid de l'archiviste diabolique un peu plus loin et ses paroles furent presque pires qu'une sonnerie d'alarme qui aurait retenti dans les neuf strates des Enfers :

« Vous avez peut-être obtenu ce que vous vouliez mais encore faudrait-il pouvoir sortir d'ici. Vous venez de sonner la clochette du dîner du maître... et vous êtes le menu », annonça-t-il avec délice avant de disparaître dans une gerbe de flammes.

Brefs échanges visuels un peu sinistres entre les voleurs.

« Voilà, nous avons le marteau. Je suppose qu'il est maintenant temps de... frapper des choses ? » déclara Astarion tranquillement.

Les archives étaient vides, même les domestiques s'étaient volatilisés. Ni une ni deux, le groupe se dépêcha de retourner à la sortie quand la matérialisation soudaine d'une petite silhouette devant eux les fit piler.

« J'AI UNE BONNE NOUVELLE, UNE MAUVAISE NOUVELLE ET UNE HORRIBLE NOUVELLE, clama l'image d'Espérance avec un immense sourire. La bonne nouvelle : vous avez ce que vous étiez venus chercher. Exploration réussie, objectif atteint, bravo ! La mauvaise nouvelle : il y a tout un tas de choses qui vont brûler dès que vous mettrez un pied dehors. VOUS INCLUS. Mais c'est normal, non ? Ce sont les Enfers, pas vrai ? Vous le saviez en venant ici. ET L'HORRIBLE NOUVELLE : RAPHAËL EST SUR LE CHEMIN DU RETOUR ET, OH LÀ LÀ, IL EST FURIEUX ! »

La naine respira un instant pour se tempérer un peu. Du calme, du calme. C'était prévu, ils savaient déjà tout ça. Tout était sous contrôle.

« IL EST CRUCIAL QUE VOUS NE PANIQUIEZ PAS MÊME QUAND LA CHALEUR VOUS FERA FONDRE LES YEUX ! couina-t-elle de plus belle.

_ Espérance, où est votre prison ? implora Silesta. Je ne partirai pas d'ici sans vous.

_ À l'autre extrémité du couloir. Ah, c'est bête, il va falloir retraverser toute la maison. SI RAPHAËL NE VOUS CUEILLE PAS COMME DES MARRONS À FAIRE GRILLER ! Trouvez-moi, amenez le marteau, brisez mes chaînes et après nous filerons d'ici ! »

Pouf ! Elle disparut dans une nouvelle petite détonation de lumière orangée. Le Marteau Orphique étroitement serré entre les mains, Lae'zel contracta un peu la mâchoire de frustration. Elle n'avait aucune envie de perdre plus de temps sachant que toute la Demeure de l'Espoir allait leur tomber dessus d'une minute à l'autre, sans parler de Raphaël qui pourrait débarquer dans la seconde. Mais connaissant Silesta et surtout son passé, la githyanki anticipait par avance qu'elle serait capable d'aller secourir Espérance toute seule.

Elle pesta.

« Chk. Je ne vous suis que parce que je veux m'assurer que le diable n'a pas menti sur les propriétés magiques de cet artefact. Allons trouver cette prison. »


Il est regrettable de perdre de l'approbation avec Haarlep. Refuser de participer, c'est se priver d'infos croustillantes sur Raphou et de dialogues adorables avec Astarion pour l'après. Mais bon, réalisme scénaristique oblige, j'étais obligée de le zigouiller. Rrrrrrrrr !