Ça fait plaisir de savoir qu'Andrew Wincott (notre Raphou national) a été récompensé au BAFTA. Il l'a bien mérité aussi ! La photo de Neil et Andrew avec le commentaire « Astarion qui demande à Raphaël quand il s'occupera de lui donner la signification de ses cicatrices » m'a tuée. XD Et la commu qui a déjà réagi avec un fanart, les fans de BG3 sont des fous, j'adore.
Journal des reviewers :
Liline37 : Merci de ton indulgence ç_ç Les explosifs, c'est bien, mais l'entonnoir à l'extérieur avec combo tentacules d'Evrard + faim d'Adar et tu laisses les gardes crever à petit feu sans qu'ils sortent du château XD
Dis donc, tu as eu accès à la fic en avance ou quoi pour être aussi clairvoyante ? XD Bien joué !
Daidai : Mdr, c'est toujours bon à entendre, mais est-ce que ça te plaît toujours au moins ? XD
Nous avons fait un bon gros morceau avec le Trône, la fonderie et Gortash. Et si on s'occupait un peu de quelqu'un ?
CHAPITRE LIV – LE DERNIER AVERTISSEMENT
Durant leur fuite de la forteresse du Roc du Dracosire, nos amis s'étaient découvert une incroyable résistance dans la rétention de leur souffle. Ils s'étaient à peine autorisés une respiration pendant qu'ils slalomaient dangereusement entre le flot de cuirasses qui remontaient les couloirs à contre-courant, craignant que le moindre impact ne détruise leur couverture magique.
De tous, ce fut sans doute Ombrecoeur qui serra le plus les dents car son armure plus épaisse était un risque en plus de se heurter plus durement à un autre plastron et générer un bruit de métal suspect.
Par chance, le bazar provoqué à cause des explosifs de Gortash fut assez important pour faire déplacer les trois-quarts des soldats présents dans le fort et ainsi laisser plus facilement le champ libre aux fuyards. Une course silencieuse et quelques placages contre les murs aux moments opportuns firent le reste.
« Grâce aux explosifs, corrigea Silesta sans oser risquer un regard de biais vers Gayle.
_ Que personne ne lui réponde, ordonna le magicien. Vous ne feriez que l'encourager. »
Nos amis marchaient en silence dans les rues désertes de la ville, prenant soin de se cantonner aux artères principales. Non pas qu'ils avaient réellement peur de se faire accoster par quelque coup-jarret de bas étage pour leur voler leur or – ils avaient Silesta l'écureuil pour les défendre contre ça – mais vu l'heure avancée de la nuit, ils ne ressentaient pas le besoin de s'ajouter de nouveaux problèmes avant de regagner le moelleux de leur literie. En dépit de sa sieste pré-infiltration de forteresse, Silesta se sentait bien fatiguée et avait hâte de se coucher pour se reposer vraiment.
Sur le trajet les ramenant vers la taverne du Chant de l'Elfe, Gayle analysait avec attention la pierre infernale nouvellement acquise. Une si petite chose capable d'un si grand pouvoir. La magie demeurait le paradoxe le plus fascinant à ses yeux.
« Encore une belle prise, sourit le magicien saisi d'une douce rêverie.
_ On parie que j'ai trouvé aussi bien ? » lança Astarion sur un air de défi.
Le roublard agita entre ses doigts un petit papier plié qu'il tendit non pas à Gayle... mais à Silesta. La jeune femme prit le parchemin et commença à le déplier en regardant son compagnon avec incrédulité.
« Je l'aurais d'abord donné à Lae'zel si elle avait été là. Hélas, elle prend le thé avec Orin et vous êtes la seule autre personne qui pourrait éventuellement être intéressée », lui glissa-t-il à voix basse.
Elle connaissait cette intonation sur son « éventuellement » et ce ton de connivence ne fit qu'exacerber la curiosité déjà bien titillée de la saltimbanque. Elle déplia le papier, épiée par les regards avides de Gayle et d'Ombrecoeur de part et d'autre de ses épaules.
Une écriture délicate et légèrement arrondie – peut-être celle d'une femme – déroula une brève correspondance adressée à Gortash :
« Seigneur G,
Pour faire suite à votre dernier courrier, je vous confirme pouvoir vous renvoyer vers la Demeure de l'Espoir. Moyennant compensation, cela va sans dire.
Gardez cependant à l'esprit que son propriétaire ne se réjouira pas de votre venue. Il me semble que vous vous étiez quittés en mauvais termes.
Mais je suppose que vous savez ce que vous faites, après tout.
H.
La Part du Diable »
Silesta espéra que la faible crispation qui resserra ses doigts sur le parchemin fut sur le seul signe qui trahissait l'émoi qu'elle peinait à contenir. Si elle entendait Gayle s'ébaudir de la possibilité de récupérer le fameux Marteau Orphique exposé chez Raphaël, la jeune femme rousse, elle, culpabilisait de ne voir que son salut de rejoindre le diable discrètement si elle venait à perdre son pari avec lui. Quand ses yeux rejoignirent ceux d'Astarion, elle comprit qu'il ne songeait pas à la même chose qu'elle et elle en fut aussi ébranlée qu'effrayée : il voyait un sésame pour aller tuer Raphaël et ainsi détruire l'épée de Damoclès qui planait au-dessus d'elle.
« Renvoyer ? Gortash connaissait donc cette crapule de Raphaël ? réalisa Ombrecoeur avec étonnement en relisant le billet.
_ Qu'importe, coupa Astarion en rangeant le parchemin dans ses affaires. Le moment venu, nous irons toquer chez le cambion... et ferons ce qui devra être fait. À nous de trouver la Part du Diable et ce fameux H. »
L'humaine rousse peinait à respirer. Le moment venu. Quand il serait temps de libérer Orphéys du prisme astral ou pour faire face aux conséquences de son marché ? Quel motif surviendrait en premier ?
Une fois rentrés à la taverne, les aventuriers se séparèrent pour espérer profiter du reste de la nuit et dormir à leur aise. S'ils devaient s'attaquer à la traque d'Orin et du culte de Bhaal, il leur faudrait être pleinement opérationnels.
Après avoir souhaité la bonne nuit à ses amis, Silesta se heurta à un dilemme. La voilà qui se tenait au milieu du couloir, entre la porte de sa chambre, celle d'Astarion... et ses questions.
Jusqu'à présent, le hasard avait été clément et avait laissé les choses se dérouler naturellement entre eux, mais ce soir, la jeune femme ne savait quoi faire. Bien sûr, rien ne lui faisait plus envie que de dormir contre son amant mais leur relation baignait dans tant de non-dits et de jeux plus ou moins francs qu'elle ne savait toujours pas sur quel pied danser. Elle se doutait qu'Astarion n'était pas indifférent à ses sentiments ; elle le sentait mais... jusqu'où pouvait-elle se permettre de s'imposer à lui alors qu'elle lui taisait l'essentiel ?
« Je ne sais pas si j'avais vraiment envie de me découvrir aussi fleur bleue... » maugréa-t-elle entre ses dents.
À une époque où les mœurs amoureuses étaient aussi souples, la jeune femme ne comprenait pas d'où venait cette réserve qu'elle s'infligeait. Si Astarion venait à deviner cet aspect romantique chez elle, il se moquerait certainement.
Ses doutes se suspendirent quand la porte de la chambre d'Astarion s'ouvrit et que ce dernier la guetta dans l'embrasure sans comprendre. Puis il étira un sourire goguenard bien à lui.
« Vous attendez un carton d'invitation ? Ou dois-je encore titiller votre fierté en vous reparlant de la Caresse de Sharess ? »
Rien que pour cette dernière phrase, elle ne lui ferait pas le plaisir de lui répondre. Elle avait sa dignité. Elle avait sa dignité... mais pas au point de refuser cette invitation. Elle remercia les dieux que son amant fût si direct.
Silesta referma la porte derrière elle et alla rejoindre Astarion qui s'était laissé choir sur son lit avec un long soupir d'aise. Cela lui faisait toujours étrange de le retrouver dans un espace clos qui respirait son essence. Son parfum de romarin et de bergamote flottait tout autour et en dépit de la nuit, les rideaux n'étaient pas tirés. Le vampire voulait profiter de la lumière en toute occasion, jusqu'à accueillir le moindre rayon de lumière dès que cela était possible.
L'elfe accueillit la venue de son invitée à ses côtés avec le même visage enjôleur des premiers jours.
« Mon corps reste peut-être figé dans le froid de la mort, mais j'apprécie toujours de vous avoir en bouillotte près de moi. »
Toujours autant dans le charme. Silesta leva les yeux au ciel et lui tira gentiment la langue.
« Vous n'avez plus besoin de tout cet apparat avec moi, vous savez ? Nous avons dépassé ce stade, il me semble.
_ Voyez-vous, ma douce, même lorsque je déploie mon meilleur phrasé, il y a toujours quelque part un fond de vrai, riposta Astarion avec un grand sérieux. C'est d'ailleurs ce qui rend la réplique agréable pour celui ou celle qui l'écoute. C'est un art délicat qui se travaille, tout comme le vôtre pour divertir les foules. »
La jeune femme haussa un sourcil à moitié convaincu que le roublard prit comme un nouveau défi. Un sourire joueur ourla ses lèvres. Si elle était si sûre que les choses étaient aussi faciles, elle n'avait qu'à essayer.
« Essayer quoi ? Que je vous séduise ? pouffa-t-elle, incrédule.
_ Exactement. Juste par les mots. Et si vous y arrivez, nous pourrons passer à la pratique », proposa-t-il avec un regard et un timbre de voix sans équivoque.
Silesta le considéra en silence, doucement intriguée. Il était sérieux, d'autant plus que l'exercice qui lui soumettait semblait lui procurer une certaine curiosité impatiente.
Persuadée que son compagnon cherchait surtout à se gausser d'elle avec cette épreuve, la saltimbanque comptait bien ne pas être la seule à s'amuser un peu et lança elle aussi un défi à Astarion :
« Très bien, mais à une condition : échangeons les rôles jusqu'au bout. Je serai clémente et ne vous demanderai pas un numéro d'artiste. Si moi, je dois vous séduire, vous, vous devez me faire sourire. De la simplicité et de la sincérité. »
Le sourire de l'elfe pâle s'étira d'un cran. Toujours aussi prompte à ne pas se laisser faire jusqu'au bout, hein ? Cette dichotomie entre sa fierté représentative et son abandon pour lui faisait partie de son charme. Elle lui tenait autant tête qu'elle ne savait pas lui résister. Il accepta, séduit par ce challenge incongru.
Il roula sur le dos et regarda les ciselures sculptées dans la charpente du plafond d'un air pensif. Voilà un exercice auquel il n'était pas habitué. Simplicité et sincérité...
« Hmm... »
Le regard grenat d'Astarion erra un moment dans le vague de ses pensées. Enfin, il se tourna vers son interlocutrice et entremêla ses yeux aux siens, dépourvus du moindre artifice.
« Avec les autres, je vis. Avec vous, j'existe. »
La réaction espérée ne fut pas celle qu'il reçut : Silesta ne bougeait plus du tout, figée dans une douce surprise muette. Elle s'était attendue à une réplique humoristique bien à lui et ce qu'il venait de lui dire la prenait complètement au dépourvu, en plus de l'affecter une nouvelle fois par le paradoxe d'Astarion. Son esprit perdit en lucidité autant qu'il s'éclaircit avec la pureté de la lumière du matin. Ce n'était pas un mensonge. Ses yeux parlaient avec lui.
Vaincue et achevée par la chaleur qui emplissait son cœur, la jeune femme finit par briser son silence avec un léger rire intimidé. Elle avait souri, il avait réussi. Il était trop fort pour elle, même quand il ne le faisait pas exprès.
« Vous trichez. Vous deviez juste me faire sourire, pas me faire vous aimer davantage. »
Le miroir s'inversa et ce fut maintenant Astarion qui fut bouche bée. Elle disait que lui trichait, mais elle, elle n'avait pas le droit d'être aussi efficace alors qu'elle n'avait même pas son « entraînement ».
Silesta ne comprit pas quand le vampire posa sa main sur sa joue en approchant son visage du sien.
« Mais je n'ai encore rien...
_ Oh que si. »
Alors qu'elle imaginait déjà le goût du baiser qui allait les emporter, le vampire arrêta son mouvement et détourna la tête, l'air soudainement tendu. Sa compagne s'inquiéta de son attitude.
« Asta...? »
Elle se tut au bref geste de la main qu'il lui fit et tendit à son tour l'oreille. Astarion quitta le lit et se rendit à pas de velours jusqu'à la table où il avait laissé sa rapière tandis que la saltimbanque récupérait ses bolas déposés par terre. Maintenant qu'elle s'entourait du silence, il lui semblait entendre les lattes du plancher ployer à l'extérieur. Ça venait de la salle commune.
Les deux jeunes gens échangèrent un regard entendu en restant sur leurs gardes puis Silesta ouvrit la porte d'un seul coup.
Qui de eux deux ou des quatre visiteurs face à eux furent les plus surpris ? Certainement pas ces deux hommes et ces deux femmes dont l'éclat rouge qui brillait dans leurs prunelles ne laissait aucun doute sur leur identité.
Les quatre derniers « enfants » de Cazador Szarr se tenaient devant elle.
Après avoir croisé deux premiers rejetons à la Cambuse de Fraygo, Silesta découvrit une tieffeline à la peau mate, une deuxième elfe et les deux autres frères d'Astarion étaient un homme au longs cheveux auburn et un gnome.
Un malaise familier pesa sur le ventre de l'humaine quand elle rencontra leurs regards mornes ; le pire pour elle étant ces faibles tressaillements qui agitaient leurs corps manipulés telles des marionnettes pendues à leurs fils.
Contrairement à Silesta qui en avait presque les bras ballants, Astarion tendit son corps en avant en dévoilant ses crocs comme un prédateur qui voulait en menacer un autre.
« N'approchez pas ! » somma-t-il avec hargne en feulant presque.
Tous s'immobilisèrent et se jaugèrent avec prudence. Astarion fronça du nez et présenta sans aucune joie ses frères et sœurs à son alliée avant de leur exiger la raison de leur venue ici.
La tieffeline répondant au nom d'Aurélia leva les mains en signe de paix.
« Du calme, mon frère. Nous venons te ramener à la maison.
_ Le maître a besoin de nous sept pour la cérémonie, expliqua Léon, le deuxième humain de la fratrie. Viens avec nous et tu renaîtras au monde. Une nouvelle vie nous attend.
_ Personne ne l'emmènera ! » siffla Silesta d'une voix aiguë.
Elle se détesta d'exposer aussi ouvertement un état de panique face à des prédateurs aussi redoutables que des vampires mais sa réponse avait été épidermique. Si Astarion était ramené à Cazador, il était perdu.
La jeune femme se crut dans la peau d'un petit animal traqué quand les quatre regards vitreux se tournèrent vers elle. Aurélia plissa les yeux avec désapprobation. Le maître avait besoin d'Astarion pour le rite. Le septième rejeton devait être présent.
« Oh, je ne sais pertinemment de quoi le maître a besoin, persifla Astarion. Mais nous ? Est-ce que nous ne méritons pas mieux ? »
Les autres cillèrent à ces paroles. Mériter mieux ? Comment ça ?
Sans relâcher ni sa vigilance ni sa poigne autour de sa rapière, Astarion redressa sa posture et considéra ses comparses un à un.
« Après ces longs siècles de tourments, je suis bien placé pour savoir ce que vous voulez. Plus que le pouvoir, plus que la possibilité de vous tenir à nouveau dans la lumière du jour... vous voulez le voir mort. »
Les vampires se consultèrent avec interdiction pendant que leur frère libre leur assurait qu'il serait celui qui accomplirait le Rite d'Ascension Profane. Il damerait le pion à cette pourriture de Cazador. Il s'élèverait comme le tout premier vampire ascendant et ensuite, il tuerait le responsable de tous leurs malheurs.
Le sang de Silesta battait à ses tempes, toujours aussi horrifiée par le masque haineux qui prenait place sur les traits de son allié quand il évoquait sa prise de pouvoir. La bile âcre qui léchait les parois de son estomac devint acide quand elle entendit la suite du discours d'Astarion :
« Je vous offre une occasion unique, lança le roublard avec détermination. Joignez-vous à moi et faites de moi votre nouveau maître. Nous nous vengerons et vous pourrez tous renaître. »
Silesta n'en croyait pas ses oreilles. Le sourire mensonger qu'il leur présentait comme de la confiance n'était que duperie. Il savait très bien qu'aucun rejeton ne survivrait au rite, peu importe qui le mènerait à son terme. Comment pouvait-il faire une chose pareille ? Ces malheureux étaient des victimes, comme lui !
Son trouble était tel que son cerveau paniqué se mit à esquisser des pensées qu'elle n'aurait jamais eues en temps normal : si un seul de ces vampires venait à mourir avant la cérémonie, ni Cazador ni Astarion ne pourraient plus accomplir le rituel. La vie d'un innocent contre le pouvoir libérateur absolu pour celui qu'elle aimait ? Laisser Astarion prendre sa pleine revanche sur son bourreau au prix de tant de vies ? Elle avait envie de vomir.
« Ça suffit ! tonna Léon avec agacement. Tu ne nous auras pas avec tes beaux discours et tes mensonges. Tu as toujours été faible, mon frère. Et nous ne suivons pas les faibles.
_ C'est notre seule et unique chance d'en finir avec la servitude, insista Aurélia avec véhémence en réarmant une posture offensive. Tu ne nous en priveras pas, Astarion ! »
Le temps des parlementions s'arrêta dans les feulements carnassiers des cinq vampires qui courbèrent l'échine, tous crocs dehors et les mains écartées comme des bêtes sauvages prêtes à attaquer.
Les frères et sœurs d'Astarion avaient porté toute leur attention sur lui, à croire qu'ils n'accordaient aucune importance à l'humaine qui l'accompagnait ; à moins que l'aura écrasante de Cazador sur leurs esprits n'en accapare la totalité pour les forcer à rester concentrés sur leur précieuse proie. Astarion était agile et fort mais Silesta savait qu'il ne saurait faire face à un assaut commun de quatre ennemis sur lui.
Une idée folle et désespérée la traversa alors que ses yeux gris s'étaient posés sur le fourreau de dague accroché à la ceinture de son allié. Les autres rejetons devaient être dans le même état de famine extrême qu'Astarion lors de son enlèvement. Si elle s'emparait de cette dague pour se blesser volontairement, l'odeur de son sang détournerait leur attention à coup sûr.
Tout se passa très vite. Les vampires fléchirent les genoux pour bondir et Silesta étendit le bras vers Astarion quand...
« Ex textura ! »
La voix guerrière d'Ombrecoeur rugit de l'autre côté de la pièce et un couloir de lumière vive traversa tout l'espace. Silesta eut un mouvement de recul, les bras croisés au-devant de son visage. Ses paupières pourtant closes affichaient une couleur claire inconnue à ses yeux aveuglés tant elle avait été éblouie mais cette gêne devait être bien moindre par rapport à celle qui faisait crier de douleur les rejetons baignés de la lumière lunaire de Séluné.
Quand sa vision se reforma peu ou prou, la saltimbanque crut deviner aux côtés de la cléresse Gayle dont les mains baignées de lueur dorée étaient la seule chose qu'elle parvenait à distinguer de lui pendant de longues secondes. Cet état de semi-cécité la...
Tout à coup, un poids se jeta contre elle avec un tel élan qu'elle en fut lourdement renversée au sol. Son instinct de survie lui hurla aussitôt d'utiliser ses bras pour repousser ce qui l'attaquait, le temps pour son esprit de se remettre du choc.
Un grognement furieux de femme semblable à feulement. Une fois que le brouillard visuel et psychique se dissipa, Silesta se retrouva à lutter contre Violet qui la chevauchait, ses jambes bloquant les siennes et cherchant à maintenir les bras qui s'agitaient pour la repousser.
L'humaine se débattait de toute sa peur, secouant bras, corps et tête pour ne pas rester immobile. Sa seule pensée affolée répétait en boucle que si elle ralentissait, elle serait perdue.
Elle sentit un faible sursaut qui ralentit un instant l'assaut effréné de la femme sur elle. Que se passait-il ?
Silesta écarquilla les yeux d'horreur quand elle remarqua que la vampire était rivée sur les poinçons qui perçaient son cou. L'éclat déjà bestial qui habitait les prunelles rougeoyantes de Violet devint brasier sanguinaire. Du sang humain. Du vrai sang. Un sang riche... pur... abondant... avec cette étrange fragrance ... Le sang qui pourrait étancher sa...
Un rugissement féroce emporta soudain la vampire avec une telle rapidité qu'on aurait pu croire qu'elle s'était rendue invisible. Si elle n'avait pas entrevu dans cette ombre fugace l'éclat neigeux de ses cheveux, jamais Silesta n'aurait compris que c'était Astarion qui venait de la sauver pour expulser sauvagement sa sœur à l'autre bout de la pièce dans un vacarme assourdissant.
Resté près de son alliée pour faire barrage, il se dressa de toute sa taille, l'œil plus noir que de l'encre ténébreuse.
« Elle est à moi. »
Pantelante, Violet grimaça sous le mal et lui renvoya une œillade tout aussi hargneuse avant d'appeler les siens à battre en retraite. Puis elle disparut dans une nappe de brume noire, vite imitée des trois autres rejetons qui avaient eux aussi suffisamment dégusté les sorts radiants de Gayle et d'Ombrecoeur.
Silesta accepta la main que Gayle lui tendit pour l'aider à se relever tout en s'assurant que les siens n'avaient pas été blessés pendant qu'Astarion prenait quelques instants pour se calmer et se défaire de sa posture de prédateur.
Les idées à nouveau claires, le vampire se re-drapa de son manteau de légèreté, presque tranquille.
« Quelle pagaille. Bon, au moins, vous connaissez à présent l'ensemble de ma famille », déclara-t-il comme si cette rencontre s'était déroulée autour d'une tasse de thé et des petits gâteaux.
La jeune femme rousse qui le rejoignit ne se montra pas aussi indolente. L'adrénaline qui dopait encore son cerveau l'électrisait plus qu'une batterie de machine gnome.
« Je n'en reviens toujours pas que vous leur ayez menti avec autant d'aplomb ! s'emporta-t-elle avec colère. Vous les avez invités à leur propre mort, nous savons tous qu'ils seraient sacrifiés !
_ Quelle importance ? renia-t-il en haussant les épaules. Ils ont rejeté mon offre.
_ Silesta, vous n'alliez tout de même pas les laisser emmener Astarion », fit remarquer Ombrecoeur plus par rhétorique qu'autre chose.
L'humaine s'ébroua, irritée. Non, bien sûr que non, elle n'aurait jamais permis cela. Elle était cependant trop marquée par ce à quoi elle avait assisté. Astarion n'avait-il donc aucune compassion pour sa famille d'infortune après tous ces malheurs traversés avec elle ?
Celui-ci renâcla et ancra ses yeux dans le ciel gris de sa compagne.
« Pourquoi devrais-je me préoccuper d'eux ? Personne ne s'est jamais soucié de moi. Personne n'a jamais eu la moindre parole bienveillante à mon égard. Sauf vous, Silesta. Les autres n'ont pas votre bon cœur. Comme vous me l'avez dit dans les Tréfonds Obscurs, vous êtes... vous. » Sa voix se radoucit, presque ténue. « Sans comparaison avec nulle autre. »
Tout le ressentiment de la jeune femme fondit comme neige au soleil. Elle était profondément émue par ce qu'elle entendait. Dans les Tréfonds, elle ne se voyait que comme un antonyme au vampire. La bonne samaritaine optimiste à l'opposé de cet homme brisé par les tourments et pour qui le monde était une menace constante où il fallait survivre par tous les moyens. À présent, il la désignait comme une source... de réconfort ? Avait-elle réussi à instiller une nouvelle vision de l'avenir chez Astarion ?
Elle aussi se rasséréna et lui sourit.
« Et comme je vous l'ai dit à Malforge : le monde peut se montrer bon et avenant, Astarion. Il suffit d'y trouver sa place. »
L'elfe roula un peu des yeux. Disait l'esclave des flagelleurs mentaux qui passait son temps à régler les problèmes d'autrui au point de s'en oublier elle-même.
Un peu vexée, Silesta voulut répliquer mais son allié n'en avait pas fini :
« C'est aussi pour vous que je fais tout cela, vous savez, dit-il avec un rare sérieux. Pour veiller à ce que nous puissions tous deux vivre en sécurité pour toujours. Pour de bon. »
Oui. Autant que l'envie de briser à jamais les dernières chaînes qui l'entravaient, Astarion avait la volonté de protéger la seule et unique chose qui était parvenue à l'extirper des ténèbres et qui l'avait ramené à la vie. Il n'était qu'un rejeton de vampire, faible et prisonnier d'un sombre destin. Comment pourrait-il préserver son avenir et celui de son rayon de soleil s'il n'avait aucun pouvoir ? S'il lui fallait abandonner son âme dans le sang de sept-mille autres pour garantir la sauvegarde de celle qui se tenait devant lui, qu'il en soit ainsi. Silesta le valait amplement et même plus que ça.
Cette dernière ne pouvait répliquer, mise à quia par ce nouveau coup de poing dans le ventre. Jusqu'au bout du bout, rien ne serait donc jamais simple avec Astarion.
Bien qu'heureuse, elle devait garder la tête froide. Son compagnon n'était pas aussi indolent que sa carapace ne le laissait croire. À elle de garder à l'esprit ce qui serait juste pour veiller à ce qu'il puisse vivre en sécurité et la tête haute pour toujours. Pour de bon.
Ce fut Gayle qui mit fin à l'intense lien visuel qui liait Astarion et Silesta au point de les éloigner de tout le reste.
« La venue des vôtres était loin d'être une visite de courtoisie. À l'évidence, votre maître s'impatiente.
_ Et il sera encore plus furieux de les voir revenir bredouilles, ricana le vampire avec une délectation revancharde.
_ De ce que vous nous en avez dit, Cazador n'en restera pas là, prévint Ombrecoeur d'un air sombre. Il renverra ses rejetons pour vous récupérer coûte que coûte. »
L'elfe secoua la tête.
« Il n'en aura pas besoin, dit-il en regardant ses alliés, l'œil flamboyant. Il est temps pour moi d'en finir avec lui une bonne fois pour toutes. Demain, nous irons au palais de Cazador et je le briserai de mes mains. »
Il y eut un silence dont les vibrations dénotaient une pensée commune : Lae'zel était toujours entre les mains d'Orin.
À croire que ses alliés étaient des livres ouverts, Astarion comprit tout de suite ce qui traversait l'esprit de ces visages en demi-teinte :
« Je n'ai pas oublié notre chère et avenante githyanki, mais le destin force les choses. À l'heure qu'il est, Orin a sûrement déjà été informée par ses espions de la mort de Gortash, cela la rassérénera suffisamment pour rester tranquille. Souvenez-vous, elle veut faire une offrande de qualité à Bhaal. Elle ne touchera pas à Lae'zel. »
Les autres approuvèrent ses dires d'un faible mouvement de tête. Il avait raison. De plus, ils ne pouvaient pas se permettre de se risquer à une nouvelle attaque des rejetons, maintenant que Cazador était clairement sur les dents. S'il était déterminé à enfin remettre la main sur son dernier fils, le seigneur vampire disposait de peut-être plus dangereux et efficace que ses enfants pour l'aider. Mieux valait prendre les devants pour ne plus se faire surprendre.
Sur ce, Gayle et Ombrecoeur repartirent se coucher, imités d'Astarion et Silesta qui retournèrent ensemble dans la chambre du vampire.
Même en sachant qu'en tant qu'elfe, Astarion ne dormait pas vraiment mais restait plongé dans un état de semi-conscience, Silesta dormit très peu. Elle préférait rester éveillée et ne faire qu'un avec le silence pour mieux espérer déceler le moindre bruit suspect qui laisserait supposer une nouvelle tentative d'intrusion.
Blottie contre le flanc de son amant, elle scrutait la porte sans relâche, sauf quand la brûlure qui tirait sur ses paupières la contraignait à cligner. Silesta aurait aimé se montrer aussi insouciante que le vampire qui avait l'air serein dans sa transe méditative. Avait l'air. Car il semblait bien à la jeune femme que quand elle relevait un peu la tête en pensant avoir entendu un bruit, le bras autour de sa taille se refermait subrepticement comme un réflexe protecteur.
Finalement, la fatigue et les événements de la soirée finirent par avoir raison d'elle et la saltimbanque sombra dans le sommeil.
Le lendemain matin, Silesta découvrit qu'Astarion était déjà éveillé, le regard perdu quelque part dans les ornements des poutres au-dessus de sa tête. Son visage était insondable tant ses pensées l'ancraient loin ailleurs.
Il sortit de sa torpeur au moment où elle se hissa sur le coude.
« Comment vous sentez-vous ?
_ Comme vous deviez vous sentir face à dame Aylin et Raphaël, avoua-t-il d'une voix sourde. À la croisée des chemins. » Il fit silence avant d'expirer un bon coup. « Allons-y. »
Quand Astarion se redressa sur son séant pour se lever, Silesta lui fit barrage en s'asseyant à califourchon sur ses jambes puis elle rejeta ses cheveux cuivrés par-dessus une même épaule, la même que chaque fois.
Le vampire ne connaissait que trop bien ce geste et sut tout de suite ce qu'elle lui proposait. Il secoua toutefois la tête.
« Non. Cela ne ferait que vous fatiguer. Vous... »
Elle l'ignora et captura ses yeux dans les siens.
« Si. Vous aurez besoin de force pour affronter Cazador. »
La simple évocation de ce prénom maudit et cette main qui tirait le col de sa chemise pour découvrir la courbe de son cou transformèrent le regard de l'elfe malgré lui.
Les rubis de ses iris étincelaient dangereusement même en se figeant. La terrible créature nocturne qui sommeillait en Astarion était de retour comme la nuit dernière, prête à tuer. Silesta avait beau savoir que le vampire ne rassemblait pas sa funeste dangerosité contre elle, la vision de cette bête humaine la rendit néanmoins nerveuse.
La jeune femme laissa échapper une exclamation quand il l'attrapa tout à coup, les mains sous sa chemise. Le frais de ses doigts lui brûlait la peau alors qu'il l'attirait à lui, ses lèvres d'abord pressées contre son sternum.
Elle le laissa remonter son souffle vers le creux de son cou, se demandant si cet agrément sensuel qu'il ajoutait à l'acte était à attribuer au vampire prédateur qu'elle avait réveillé ou à la facette enjôleuse d'Astarion qui paraissait lutter contre son envie de mordre. Sa respiration profonde le trahissait.
Une douleur perçante et aiguë. Elle resserra les jambes autour des cuisses de son compagnon quand il perdit son combat contre la tentation. Ses mains froides dans son dos se crispèrent. Silesta enroula ses bras autour des épaules d'Astarion pour espérer lui faire comprendre qu'il ne fallait pas résister. Il devait le faire.
Très vite, elle se rendit compte que cette morsure durait longtemps. Trop longtemps. L'étreinte animale qui la maintenait contre le corps du vampire lui empêchait le moindre mouvement.
Il avait peur. Peur de ce qui l'attendait et qui le contraignait à faire quelque chose qu'il ne voulait pas vraiment.
L'esprit de moins en moins clair, la jeune femme peinait à garder la tête droite tandis que sa vie filait à grandes aspirations dans la gorge de son amant.
« Astarion. »
La douceur infinie qu'elle employa dans ces trois syllabes s'imbriquait dans bien d'autres phrases muettes qu'il entendit dans son inconscient : N'aie pas peur. Je suis là. Je crois en toi. Je t'aime...
Astarion tressaillit comme si on lui avait tiré dans le dos et il dégagea aussitôt ses crocs de la peau tendre. Il respirait toujours fortement, à croire qu'il avait retenu son souffle tout le long de la morsure. Il n'eut pas besoin de regarder bien longtemps Silesta pour comprendre qu'il s'était trop laissé emporter et bredouilla des excuses confuses d'une voix rauque. Elle fut soulagée en ne voyant plus la bête tapie derrière ses iris amarante.
Satisfaite de savoir que son compagnon avait pris assez de forces pour faire face au combat de sa vie, la saltimbanque voulut se lever des jambes qu'elle entravait mais ses hanches furent retenues. Quand elle croisa le regard d'Astarion, elle y trouva une expression grave, mêlée d'inquiétude et de détermination.
« Écoutez-moi bien, la pria-t-il. Je ferai tout mon possible pour garder un œil sur vous mais... »
Elle entendit dans la pointe de honte qui avait percé son « mais » qu'il redoutait de ne pouvoir tenir son engagement. Malgré son inébranlable volonté de détruire son créateur, Astarion n'en demeurait pas moins très conscient de l'ascendance que son maître avait toujours sur lui. Cette marque réaliste de faiblesse ne fit qu'augmenter l'admiration que Silesta éprouvait envers son amant, si résiliant et fragile en cet instant.
Elle lui sourit doucement pour le rassurer et opina du chef en signe de compréhension. Elle se refusait de représenter une charge pour lui en ce jour fatidique. Astarion lui rendit la pareille, quoique plus réservé.
Maintenant qu'il avait compris comment fonctionnait le spectre noir de Silesta, il était évident que la mettre en présence de Cazador attirerait son double aussi vite que le nectar de fleur attirait l'abeille. Sauf que Cazador n'était ni un gobelin de bas étage ni une drow empalée au bout d'une lance. Si Silesta avait le malheur de lâcher la bride face au seigneur vampire...
Il chassa cette hypothèse et son dénouement funeste de son esprit et replongea dans le ciel gris face à lui.
« Quand nous serons là-bas, le Astarion que vous verrez ou imaginerez dans cette demeure n'est pas celui que vous connaissez, rappela-t-il durement. Pas plus que celui qui en sortira. Quoi qu'il se passe à l'issue du rituel, l'homme qui se tient devant vous ne sera plus. »
Silesta sentit ses paupières s'écarquiller un instant à cet implacable constat. C'était vrai. Qu'il meurt, qu'il se libère ou qu'il s'élève, Astarion changerait irrémédiablement. Cette pensée la terrorisa au plus profond d'elle-même.
Elle aurait voulu feindre l'assurance mais elle en fut incapable. Elle ne put que hocher la tête, le cerveau saturé de milles scénarios où partout Astarion ne la regardait plus avec cette même tendre reconnaissance qu'en cet instant.
Le vampire avait bien conscience du malaise qu'il pouvait générer chez sa compagne mais il se devait de rester réaliste. Elle n'avait aucune idée de l'enfer vers lequel elle l'accompagnait.
Il termina sa mise en garde par un sourire bien à lui.
« Bien. Je vais donc prendre une dernière rasade de vous, nous allons ensuite quitter cette chambre pour aller tuer Cazador et nous nous retrouvons après ? »
Il aurait énuméré la liste de ses loisirs innocents d'un ton identique. Silesta s'accorda un faible rire afin d'alléger le poids qui pressait son ventre. Puis Astarion se redressa pour prendre sa « dernière rasade », à savoir un baiser qui commença chastement avant de s'appesantir sous le goût amer d'un potentiel au revoir.
Silesta voulait l'étreindre de toute son affection et de sa peur de le perdre mais elle se retint. Elle n'avait pas besoin de ses bras maintenant parce qu'elle les retrouverait d'ici quelques heures. Elle s'en fit le serment.
Quand Astarion se leva enfin du lit pour quitter la chambre, la jeune femme subitement esseulée ne put s'empêcher de penser qu'elle était pourtant déjà en train de le perdre. Que Cazador avait déjà commencé à lui arracher celui qu'elle aimait.
J'en connais un qui va manger bon...
J'aime bien l'aura de ce chapitre. Astarion et Silesta sont à la fois si proches et si éloignés l'un et l'autre, ça fait une belle dualité.
C'est fou comment les scènes avec eux me viennent presque toutes seules sur l'instant T. Autant j'en avais quelques unes d'avance en tête, autant certaines sont arrivées en direct avec un naturel désarmant.
Je me rends compte à quel point j'adore écrire ce genre de scène et je n'en ai pas assez faites dans ma « carrière ». Merci mes loulous ç_ç
