Journal de la revieweuse :

Liline37 : Pour moi, AA est un control-freak obsédé par le fait d'avoir l'ascendance sur tout son petit monde. C'est comme ça que je le dépeindrais si je devais le faire. Avec une légère tendance parano en prime.
En effet, la liste des choses à faire se raccourcit mais il y a encore pas mal de chapitres au-devant :)

Back to the main quest !


CHAPITRE LVIII – LA MAIN DANS LE SAC

Gayle et Ombrecoeur furent tentés d'user de quelque sort pour s'assurer que l'elfe pâle qu'ils retrouvèrent le lendemain matin n'était pas un doppelgänger. Cet Astarion ragaillardi et à l'œil presque étincelant n'avait plus rien à voir avec l'ombre égarée dans une autre dimension qu'ils avaient laissée la veille.

Quand ils virent Silesta quitter la chambre du vampire peu après lui, ils n'eurent pas besoin de s'interroger beaucoup pour comprendre que la victoire de leur allié sur Cazador n'avait pas été sa seule source de réconfort.

« Je suis heureux pour vous, Astarion, avoua Gayle avec sincérité. Vous aussi, vous avez surpassé l'impérieuse figure qui vous regardait d'en haut pour vous en libérer. »

Ces paroles étaient bienveillantes mais l'écho qu'elles créèrent rebondit étrangement sur les autres aventuriers. Ombrecoeur et Astarion partagèrent le même coup d'œil furtif vers Silesta qui elle-même avait interrompu le mouvement de sa main guidant la poire qu'elle tenait à sa bouche.

Une pensée les liait inconsciemment. Le spectre assassin de la cadette de leur groupe avait fait montre d'une écrasante présence face au seigneur vampire, même s'il avait su rediriger ses sombres pulsions pour sauver Astarion.

La jeune femme joignit ses mains sur la table et baissa les yeux, l'air grave.

« Pendant le rituel, quand j'étais possédée...

_ N'y pensez plus, ma douce, l'arrêta aussitôt le vampire d'un geste désinvolte. Le principal, c'est que vous m'ayez laissé le plaisir de tuer Cazador moi-même.

_ J'avais le sentiment d'être personnellement concernée par tous ces tourments, poursuivit l'humaine sans l'écouter. Si je devais agir et tuer Cazador, ce n'était pas pour sauver Astarion ou lui apporter justice. C'était comme si je devais me venger, moi. »

Elle se souvenait avoir entendu l'ombre dire « Il est temps de le tuer... Après tout ce qu'il t'a fait... » et ne comprenait toujours pas pourquoi elle avait été désignée.

Ses alliés froncèrent tous les sourcils mais ce fut Astarion qui affichait le plus de malaise.

« Pourtant, vous ne connaissez pas Cazador, répondit Ombrecoeur qui cherchait à comprendre. De qui voudriez-vous vous venger ?

_ Seule sa mémoire le sait », glissa l'elfe dans un souffle.

Poussé par les regards inquiets de ses acolytes sur lui, il eut un soupir de dépit avant de consentir à leur exposer sa théorie sur les origines des sombres pulsions de Silesta. Après ce qu'elle venait de dire, Astarion était convaincu d'être dans le vrai : leur amie avait hélas elle aussi croisé dans sa première vie une âme noire qui lui avait causé suffisamment de tort pour passer entre les rares interstices de son psyché.

Ce sinistre exposé jeta un froid autour de la table. Cependant, personne ne se montra étonné. C'était la seule explication plausible et logique aux nombreux phénomènes de transe qui s'étaient emparés de la saltimbanque depuis le début de cette histoire.

Silesta ne pouvait nier l'acidité qui lui brûlait le ventre face à cette réalité. Qui lui avait du mal et pourquoi ? Un membre de son équipe de cirque ou de sa famille ? Les deux magiciens qui avaient opéré sur elle leur puissante magie de contention ?

Était-il en fait bien raisonnable de se poser toutes ces questions ? Astarion devait être en train de se le demander ; Silesta ne savait comment interpréter le regard lourd qu'il posait sur elle. Il pensait sûrement au marché de Raphaël. Ne pas savoir, c'était se préserver. Cela en était même préférable avec cette nouvelle sombre donnée dans la balance. Plus la jeune femme récoltait des miettes d'informations sur les silences de son existence, plus elle était perdue et moins elle savait ce qu'elle devait en penser ou faire.

Elle secoua la tête et déposa au centre de la table un parchemin ensanglanté tristement familier.

« Oublions le monstre de violence que je peux être et concentrons-nous pour retrouver celui qui nous permettra d'atteindre Lae'zel. C'est elle, notre priorité. »

Gayle déroula devant ses alliés la funeste liste des cibles que devait exécuter un assassin de Bhaal en devenir ; leur seul indice permettant de mettre la main sur lui et ainsi découvrir la cachette d'Orin.

Il tordit la bouche dans une grimace de dépit.

« C'est triste à dire, mais comme le temps s'est écoulé depuis que nous avons trouvé cette liste, je pense que nous pouvons passer quelques noms. »

Les autres lui répondirent par un faible hochement de tête. Tandis que le magicien ressortait sa carte de la ville pour situer les victimes potentielles, ses compagnons eurent la difficile tâche de choisir un nom parmi les survivants en espérant qu'il ne soit par trop tard.

En admettant que leur meurtrier fût du genre logique et qu'il suivait bien l'ordre inscrit, si l'on se basait sur les cibles déjà abattues et le fait que le chef Rovière qui officiait à la taverne était encore vivant, la prochaine victime devait être l'un des noms entre celui du cuistot et le dernier mort confirmé.

De par sa position dans la liste et la relative proximité de l'endroit où il pouvait être trouvé, ce fut le dénommé Figaro Pincesol qui fut choisi par les aventuriers.

Nos amis terminèrent leur repas, récupérèrent leurs affaires et quittèrent la taverne, direction la maison de prêt-à-porter Lacouture.

Le ciel était gris ce matin, à croire que la météo avait sciemment choisi de s'harmoniser avec le sinistre de leur mission du jour. Astarion en fut d'ailleurs déçu. Il aurait aimé profiter de son premier jour de véritable liberté sous les rayons d'or du soleil, cela en était bien frustrant.

Sur le trajet, Silesta était accaparée par ses pensées. Elle ne pouvait s'empêcher de scruter le moindre visage qui passait à sa portée et à surveiller les recoins de rue un peu plus sombres et reculés. Derrière ces visages neutres se cachait peut-être un espion d'Orin qui devait bien se gausser de les voir tourner ainsi en ville pour trouver leur maîtresse sadique pendant que celle-ci devait être en train de tourner autour de Lae'zel comme un vautour affamé.

La saltimbanque n'était pas sereine du tout. Si elle avait toujours redouté les affrontements qui se dressaient devant elle, celui qui s'annonçait prochainement avec l'élue de Bhaal l'effrayait peut-être encore plus que les précédents. Elle ne prenait pas en compte le combat avec l'apôtre de Myrkul parce que celui-ci avait été une surprise que personne n'aurait pu anticiper. Non, là, ils s'en allaient pour trouver et tuer une femme bénie d'une divinité pour qui la mise à mort était une profession de foi. Orin avait dû prendre plus de vies que son cœur n'avait battu et elle avait en prime toute une clique de fidèles qui partageaient son amour du massacre et de la folie sanguinaire. Qu'est-ce qu'une simple amuseuse des rues serait en mesure de faire contre ce type d'ennemi ?

La jeune femme réprima un frisson glacé et chassa ses appréhensions. Cela ne servait à rien de se monter la tête aussi vite, ils avaient déjà un premier psychopathe à arrêter.

Les aventuriers furent étonnés quand Astarion les abandonna un bref instant pour s'éloigner dans la pénombre d'une ruelle si étroite que c'était à se demander comment on pouvait y passer. Ils observèrent avec curiosité leur acolyte discuter avec un homme encapuchonné dans une cape sombre qui le couvrait si bien qu'il était impossible de deviner sa corpulence ni son visage. Ils échangèrent quelques mots et le vampire montra un petit parchemin roulé à son interlocuteur qui inspecta ce qui était écrit, puis il opina du chef.

Quelques paroles plus tard, Astarion s'en retourna vers son groupe tandis que le mystérieux personnage s'enfonçait dans l'ombre de la ruelle pour s'y fondre discrètement.

« Qui était-ce ? s'enquit Silesta avec un dernier regard vers le corridor vide. Un de vos indics de la nuit ?

_ Oui et un futur gain de temps pour l'après-Orin. »

Le vampire expliqua qu'il venait de recueillir des renseignements concernant le fameux H et la Part du Diable mentionnés sur le billet de Gortash à propos de voyage vers la Demeure de l'Espoir. Le « H » correspondait à Helsik, la diaboliste tenancière du commerce sus-nommé qui se trouvait plus au nord-ouest de la cité ; ils sauraient ainsi où se rendre directement une fois qu'ils auraient récupéré leur amie githyanki.

« C'est un formidable atout que vous avez su vous constituer, reconnut Silesta agréablement surprise. Vous avez des yeux partout.

_ Certes, j'en profite tant que je le peux encore. Je vais en avoir près de quatorze-mille autres à surveiller après tout ça.

_ Vous comptez continuer à veiller sur les autres rejetons de Cazador ? » comprit Ombrecoeur.

Astarion remua un peu, signe évident de gêne chez lui. Disons qu'il se sentait... responsable du sort des siens. D'autant plus que cet impressionnant nombre de rejetons avait de quoi faire peur, sans parler de ce qu'ils devaient ressentir. Se relever en tant que vampire n'était déjà pas une expérience douce et agréable et devoir apprendre à vivre avec cette condition dans les circonstances dramatiques de ces pauvres rejetons était encore plus difficile.

Les yeux du vampire croisèrent ceux de Silesta et quelque chose les traversa. Et eux, dans tout cela ? Et elle ? Humaine joyeuse et solaire, comment trouverait-elle sa place dans ce monde d'ombres ? Astarion avait tellement été absorbé par les derniers événements et la réalisation de ses sentiments réels pour la saltimbanque qu'il en avait oublié la dure réalité.

Sans avoir à lui parler, l'humaine avait compris la même chose. Une part d'elle s'inquiétait aussi de ce qu'il adviendrait d'eux mais la volonté d'Astarion de corriger ses erreurs ne lui inspirait en cet instant qu'une immense fierté. Elle ne voulait pas qu'il se tourmente ainsi.

Un grand sourire bourré d'espièglerie ourla ses lèvres.

« Pour quelqu'un qui n'aime pas trop les enfants, on peut dire que c'est un sacré virage. Papastarion. »

Il était évidemment hors de question pour l'offensé de rester sur cette attaque, fierté oblige. Il haussa les épaules avec sa désinvolture habituelle.

« Assumez, ma douce. Si je m'étais élevé, nous aurions été seuls au sommet du monde et j'aurais fait de vous ma consort, ma rose noire éternelle. Las, vous avez préféré un vampire inférieur et...

_ Et il vaut à mes yeux toutes les vies éternelles de ce monde. »

Deux à zéro pour Silesta.

Sur ces bonnes paroles et forts de leurs informations concernant leur futur raid chez Raphaël, nos amis poursuivirent leur route dans les rues de la Porte de Baldur.

Leurs pas les menèrent vers un très bel établissement de maître tailleur dont l'impressionnant faste indiquait que son propriétaire jouissait d'une certaine réputation qui lui permettait d'avoir son commerce et son logis au même endroit.

Nos amis approchèrent de la boutique et prirent un instant pour apprécier les splendides costumes et robes aux riches tissus moirés qui trônaient dans la vitrine. Ces habits étaient encore plus beaux que ceux qu'ils avaient pu voir dans la réserve du cloître sharéen.

Silesta avait beau préférer les vêtements légers pour pouvoir exercer ses arts corporels sans entrave, elle restait tout de même rêveuse devant le luxe qui scintillait sous ses yeux d'écureuil. Ces robes élégantes étaient dignes des plus coquettes épouses de patriars.

La voix enrobée de légère malice, Gayle feignit l'innocence : Silesta ne lui avait-elle pas promis de lui racheter une nouvelle tunique après que la sienne eût été mise à mal par l'attaque des rats de Lyrthindor ?

« J'aime beaucoup celle-ci », plaisanta le magicien en désignant une longue tunique à la profonde couleur raisin et aux belles broderies bronze.

Les iris gris de son amie descendirent lentement vers le petit carton au pied de l'habit où s'inscrivait le prix. Elle n'eut cependant pas le temps de lire quoi que ce soit car Astarion la prit les épaules pour la faire se retourner contre lui.

« Malheureux, ne lui faites pas faire ça ! s'insurgea le vampire avec horreur. Vous allez réveiller son ombre.

_ Son ombre ? Il ne s'agit que d'un vêtement... se défendit Gayle dans une incrédulité bancale.

_ Le prix fera à notre écureuil le même effet qu'une séance de torture. »

Astarion eut à se parer de son visage le plus tendre et innocent pour s'épargner les foudres vexées dudit écureuil. De plus, Silesta honorait toujours ses engagements. De toute façon, depuis le temps qu'elle et ses alliés délestaient leurs ennemis et les différents lieux qu'ils visitaient de leurs affaires clinquantes trop superflues, elle avait sûrement amassé assez d'argent pour...

Silence figé sur le carton et sueurs froides. Ses pieds devraient danser jusqu'au sang pour pouvoir acheter ne serait-ce qu'un bouton de cette tunique.

Le groupe poussa vite la porte d'entrée avant qu'une crise cardiaque n'immobilise définitivement Silesta.

L'intérieur était aussi chic que l'extérieur l'avait laissé entendre. La boutique était très grande et accueillait le client d'un épais tapis carmin qui s'harmonisait avec le cuir rouge des fauteuils et des rideaux. Sur les étagères vernies en acacia se superposaient des rouleaux de tissus en autant de couleurs que de motifs et de matières possibles aux côtés de jolies boîtes dans lesquelles dormaient des serpentins de rubans brillants qui accompagneraient les futures créations. Quelques autres mannequins arboraient avec fierté d'autres ravissantes pièces de collection qu'admiraient quelques clients potentiels.

Nos amis scannèrent les lieux rapidement mais rien ne leur parut étrange. Ils approchèrent de l'homme qui se tenait derrière le comptoir.

« Bonjour. Vous êtes Figaro Pincesol ? interrogea Gayle.

_ Non, je suis son assistant, sourit l'homme d'un ton affable. Monsieur Lacouture est occupé. Puis-je renseigner ces messieurs-dames ?

_ Nous devons voir votre patron. C'est très important.

_ C'est une question de vie ou de mort », appuya Silesta.

Leur interlocuteur fit une drôle de tête avant de secouer la main avec un léger rire. À moins qu'un rouleau de tissu n'aille s'enrouler autour de la gorge de son responsable pour l'étouffer ou que ses paires de ciseaux ne fondent toutes sur lui comme par magie, il ne risquait pas grand chose.

« Monsieur Lacouture n'aime pas être dérangé pendant son processus créatif. »

Le nain avait parlé avec un calme commercial qui laissait néanmoins entendre que la conversation n'irait pas plus loin.

Silesta se mordit la joue. Il y avait quelque chose chez cet homme qui la dérangeait, mais quoi ? Et pourquoi avait-elle cru entendre une intonation étrange sur les mots « processus créatif » ? Quelque chose la travaillait.

Elle se para de son visage le plus serein.

« Dans ce cas, pourriez-vous je vous prie présenter à mon ami magicien la magnifique pièce que vous avez en vitrine ? La longue tunique violine. »

Il y eut un étrange silence flottant entre le regard assuré et innocent de la jeune femme et le commerçant dont le rapide coup d'œil qu'il toisa sur elle de haut en bas traduisait son doute. Une jeune fille aussi simplement vêtue avait-elle les moyens d'envisager un vêtement aussi cher ?

Son expression un peu pincée devint finalement hochement de tête et sourire serviables.

« Certainement. »

D'un bref geste de la tête, Silesta enjoignit Gayle de jouer le jeu. Le temps qu'il accapare l'attention de l'assistant, elle et les autres pourraient fureter. Le magicien lui rendit un sourire entendu et se hâta de rejoindre le nain à la vitrine pour se lancer dans une longue litanie à propos de la qualité des produits du magasin.

Ni une ni deux, Astarion, Ombrecoeur et Silesta longèrent discrètement le comptoir et poussèrent une porte qui mènerait selon eux soit vers l'arrière-boutique, soit vers les quartiers privés du propriétaire.

En pénétrant ce qui était un salon coquet, les fouineurs furent étonnés d'entendre une voix unique monologuer avec entrain depuis la pièce voisine. Ils approchèrent à pas de loup et se cachèrent derrière une épaisse tenture pour écouter à loisir.

« Il est rare que la proie tende directement le couteau pour se faire éventrer », chantonnait presque une voix d'homme.

Léger écarquillement d'yeux commun. Astarion se risqua à entrouvrir le rideau pour voir ce qui s'y passait.

Assis dans un fauteuil de barbier face à un miroir, un nain suivait du regard un autre qui tournait autour de lui tout en admirant au passage la collection d'accessoires de taille de cheveux et de barbe qui dormaient dans leur étui de protection en cuir. Les rares mouvements de l'homme assis - ou plutôt son absence de mouvement - n'avaient rien de normaux, pas plus que l'expression de son visage qui était à la fois figée et affolée.

Le son de faibles gémissements fit baisser les yeux de nos amis : dans un recoin de la pièce, un petit corps recroquevillé au sol tremblotait. C'était une femme dont la chevelure blonde pleine de frisottis et l'armure flanquée d'un tabard rouge et or ne leur étaient pas inconnus : la Poing Enflammé Devella, l'assistante de Valéria qui enquêtait sur les meurtres étranges.

Silesta se raidit, effrayée à l'idée que la femme fût grièvement blessée mais il n'y avait aucune trace de sang nulle part. Elle devait être sous l'emprise d'un sort de pétrification, tout comme le pauvre nain à l'air hagard dans son fauteuil.

« Lames de rasoir, ciseaux, limes... si peu de temps mais tant de sublimes façons d'entailler votre chair, Maître Figaro, poursuivit le nain en rouge en s'emparant d'un rasoir à la longue lame brillante. Mais qui suis-je pour nier ces auspices du destin ? »

Silesta entendit le glissement métallique de la dague d'Astarion hors de son fourreau en même temps que l'assassin allait se poster derrière Figaro.

L'homme en rouge posa délicatement le fil de la lame sur la gorge de son prisonnier en inspirant avec délice. Ce dernier aurait l'insigne honneur de parachever sa sainte œuvre.

« Votre dépouille sera mon ultime offrande à mon seigneur Bha... ! »

Une petite jonglerie d'esbroufe. Un bruit mat. Une pluie rouge. Un corps qui s'effondre. L'extrême sens de l'esthétique d'Astarion se retrouvait dans l'infinité des détails. Il s'était même arrangé pour que son lancer de dague coïncide avec magnificence sur la dernière syllabe du meurtrier de sorte à le faire taire – presque – sans accroc.

« Belle agilité, comme toujours. Vous savez comment couper court aux tentatives de meurtre, le félicita Silesta.

_ Urgh, pitié, grimaça le roublard avec dégoût. Ce jeu de mots est aussi gênant que ce que je viens d'arrêter. Immobiliser sa victime pour se faciliter la tâche, je respecte ça, mais toute cette logorrhée... ? Vraiment ? »

La jeune femme rousse leva les yeux au ciel en signe d'abandon et alla auprès de Devella pour l'aider. La reconnaissance qui prit place dans les traits figés de la Poing Enflammé se transforma en une grimace bizarre qui faillit faire rire sa sauveuse pendant qu'elle recherchait un antidote dans son sac.

« On dirait que vous aussi avez eu du flair, Devella, lui sourit-elle. Tenez b... »

Une exclamation lointaine de Gayle suivie d'un grand fracas la fit sursauter. Après avoir défait Figaro du sort de paralysie qui le figeait, Ombrecoeur ordonna à ce dernier de rester caché puis alla rejoindre Astarion qui était vite retourné à la boutique. Silesta s'empressa de donner l'antidote à Devella. S'il y avait du grabuge, autant s'appuyer de toute l'aide possible. La Poing Enflammé s'ébroua faiblement quand elle récupéra le contrôle de son corps et se redressa aussitôt.

« Merci. Vite ! L'assassin n'était pas seul. »

Les deux femmes se précipitèrent à leur tour rejoindre les autres et eurent la désagréable surprise de découvrir que les clients vus précédemment avaient troqué leurs traits pour une figure bien plus hideuse. Les élégants bourgeois ainsi que l'assistant de Figaro s'étaient transformés ou plutôt, avaient repris leur forme originelle, à savoir celle de doppelgängers. Les créatures à la peau blafarde et au nez absent avaient fini par comprendre qu'elles avaient été menées en bateau.

Même si Gayle avait eu le temps d'en immobiliser un avant qu'il ne lui tombe dessus, deux autres lui menaient la vie dure. C'était la première fois que Silesta rencontrait ce genre de monstre et elle s'en serait bien passé. Ces visages émaciés comme ceux d'un cadavre étaient aussi effrayants que leur petites bouches dardées de dents effilées.

Un des doppelgängers se risqua à foncer sur Ombrecoeur mais il se heurta à la radiance de la lumière lunaire qui brisa net son élan dans un râle strident. Il n'en fallut guère plus à la prêtresse pour immobiliser définitivement son ennemi d'un coup d'estoc de lance. Quant à Astarion, il se montra bien plus paresseux : il commença par passer au fil de sa rapière le monstre déjà figé sur place par Gayle, ce qui affligea ce dernier :

« Vous pourriez au moins vous occuper des plus dangereux d'abord, s'indigna le magicien en repoussant le monstre suivant d'une onde de choc.

_ Désolé. Un triste réflexe d'assassin face à une cible vulnérable. »

Silesta attrapa ses bolas sur une courte longueur de chaîne pour ne pas se heurter à l'étroitesse du plafond et fit de son mieux pour tenir en respect le doppelgänger qui l'avait prise pour cible. Même si sa force de frappe était ainsi plus puissante, elle était tout de même plus vulnérable car elle était contrainte à être plus au corps à corps. Elle força donc son adversaire à reculer de plus en plus jusqu'à ce qu'Astarion ne vienne le cueillir en se glissant derrière lui pour le tuer.

Quand le calme revint dans la boutique après la chute du dernier monstre, Silesta se gratta la joue d'un air ennuyé et fit une moue au vampire.

« Dites... Assassiner des assassins représente peut-être une merveilleuse mise en abîme pour vous mais peut-être auriez-vous pu épargner au moins un doppelgänger, histoire de l'interroger sur Orin ? »

Le vampire secoua la tête vivement. Ces créatures étaient bien trop grotesques à son goût pour pouvoir être gardées en vie. La jeune femme leva les yeux au ciel et préféra ne pas épiloguer. De toute façon, c'était trop tard.

En réalisant que les bruits de lutte avaient cessé, Figaro Pincesol vint rejoindre ses sauveurs. Le nain avait beau être naturellement doté d'une peau brune, l'expérience avait été assez traumatisante pour lui pour lui faire perdre quelques couleurs.

« Ce sont les dieux qui vous ont envoyés, s'exclama-t-il d'une voix encore un peu blanche, une main sur le cœur. Si vous n'étiez pas intervenus... Merci, aventuriers. » Il se tourna vers Devella. « Et à vous aussi, même si ce fou furieux a failli vous avoir également. »

La Poing Enflammé refusa ses remerciements et eut un sourire pour ses coéquipiers de fortune. C'étaient eux qui avaient fait le plus important.

« Votre intervention va épargner bien des vies, se réjouit la gnome. Je patrouillais dans le coin quand j'ai reconnu le nom du magasin qui était sur la liste. J'ai voulu jeter un coup d'œil et les doppelgängers me sont tombés dessus. Nous avions bien raison : cette liste que vous m'avez montrée, c'est une feuille de route. J'ai entendu l'assassin se gargariser de bientôt rejoindre les rangs de Bhaal. Il a aussi parlé des Pierres Tombales de Chandecreux, c'est un commerce de cercueils plus loin dans la ville basse. Ce doit être le point d'entrée pour le rassemblement des cultistes de Bhaal. »

Pendant que ses compagnons poursuivaient leur conversation avec Devella, Silesta retourna auprès du corps de l'assassin dans l'espoir de trouver quelque chose d'utile. La jeune femme évita soigneusement de trop s'attarder sur la mare de sang qui nimbait le pourtour du corps et se dépêcha de fouiller sa veste. Elle fourra dans ses poches le morceau de parchemin qu'elle trouva puis se dirigea ensuite sur la besace bien garnie qui était attachée à la ceinture. Elle tâtonna le sac et fonça les sourcils. Quels drôles de reliefs. Elle ouvrit le sac et poussa un cri.

Ses alliés se ruèrent à ses côtés, armes et sorts en mains.

« Quoi ? Quoi ? »

Assise par terre et les membres raides, la saltimbanque secoua la tête et essaya de cacher la révulsion sur son visage blême.

« R-Rien de grave. Mais... »

Ils baissèrent les yeux sur le sac tombé au sol et entrevirent des doigts blancs et crispés dépasser du tissu. C'était tristement à prévoir, la liste de Bhaal était formelle : les assassins en devenir devaient ramener avec eux la main de leurs victimes en guise de preuve de leur méfait. De toute évidence, leur homme avait été très consciencieux dans son travail.

« Hélas, suite à notre intervention, ce nain va devoir passer la main, essaya Gayle pour détendre l'atmosphère.

_ Si Silesta ne vous avait pas tiré de votre portail défaillant, je vous aurais coupé le bras », grinça Astarion qui, vraiment, n'aimait pas les jeux de mots.

Grâce à sa triste mais néanmoins implacable expérience d'ex-sharéenne, Ombrecoeur se chargea de récupérer sur le nain le sac de mains coupées – elles pouvaient peut-être servir, sait-on jamais – ainsi qu'une clé qu'elle glissa dans un revers de son gantelet.

« Dire que mes mains de maître tailleur d'exception auraient pu finir là-dedans, s'horrifia Figaro en réprimant un frisson. Cela aurait été un immense gâchis pour mes clients. Je ne puis vous laisser sans rien, mes amis. Comment vous récompenser ? Qu'est-ce qui pourrait vous être utile ? »

Un petit écureuil roux fit dresser ses oreilles sur sa tête.

« La très jolie tenue raisin en vitrine ? »

Gayle eut un regard décontenancé envers son alliée. Elle l'avait vraiment pris au sérieux avec cette histoire de tunique ?

La jeune femme remarqua la drôle de figure du magicien et s'en amusa. Gayle sous-estimait son sens de l'honneur et de la camaraderie.

Figaro leur fit une contre-proposition qui lui paraissait bien plus juste : au lieu de repartir avec une seule tenue gratuite, les aventuriers bénéficieraient d'une très belle réduction sur tout son magasin ad vitam æternam. Au moins, ils pourraient tous en profiter.

Silesta fit la moue en contemplant sa bourse d'or entre ses mains puis la lança à Figaro.

« Alors je veux la réduction sur cette tunique.

_ Silesta... commença Gayle, gêné.

_ Pas de protestation, Gayle Dekarios.

_ Mais je...

_ Ah, Je sens mon double noir qui arrive.

_ D'accord, d'accord.»

Elle étira un sourire vainqueur. De toute façon, leur périple ne nécessiterait sans doute plus vraiment d'achats. Silesta n'avait pas envie de voir ce cadeau comme une « dernière volonté » de fin de vie mais elle tenait à rester lucide en plus de payer ses dettes. Une parole était une parole. Même quand la mort les épiait en coin.

Tandis qu'Astarion profitait de la généreuse offre de Figaro pour faire son futur marché – car oui, il comptait bien survivre à son aventure et avait l'intention de se refaire une vraie garde-robe quand tout serait fini – et que Gayle récupérait sa belle tunique violette brodée de bronze, Silesta et Ombrecoeur se penchèrent sur le papier trouvé sur le nain en rouge.

Un texte aux vers sibyllins faisait mention aux fameuses Pierres Tombales de Chandecreux ainsi qu'une voie cachée destinée aux assassins.

« Cherchez un mécanisme sous la charpente. La Porte de Sicarius attend patiemment de laisser passer les plus méritants, lut la saltimbanque.

_ Bhaal ne fait vraiment pas dans la subtilité, ricana la prêtresse près d'elle. Nous disposons directement du moyen de trouver une porte cachée et son mot de passe, c'est parfait. »

Sa camarade approuva d'un signe de tête heureux et rangea le parchemin. Il était grand temps d'aller récupérer Lae'zel et de mettre fin au règne sanglant d'Orin la Rouge.


Je prends sur moi les jeux de mots débiles XD Mais je les trouve mieux que ceux de Baveur lol

Je préviens d'avance, je vais faire un ENORME raccourci scénaristique et je vais complètement occulter le Tribunal du Meurtre. Plus le temps passait, moins j'arrivais à trouver des idées pour donner de l'épaisseur aux passages de combat et je n'avais aucune, mais alors AUCUNE idée de comment gérer le fight du Tribunal. J'avais déjà bien galéré à le faire, je ne me voyais pas le revivre à l'écrit ç_ç

RIP Valéria, tu feras un bisou à Zevlor.