Chapitre XXXV
Asha n'était pas bien grande ni bien épaisse, avec aussi peu de poitrine que de hanches. De prime abord, on la prenait assez aisément pour un garçon. Sa musculature finement ciselée et ses courts cheveux pleins d'épis ajoutaient encore à ses airs masculins. Elle avait cependant les plus beaux yeux, d'un doré intense, dans le plus beau visage, au teint de porcelaine et aux traits délicats. Hurley l'avait rencontrée un an et demi auparavant et il était immédiatement tombé sous le charme. L'ayant croisée dans la rue et de crainte de ne jamais la revoir, il l'avait aussitôt abordée, la saluant poliment et la complimentant brièvement afin de ne pas l'embarrasser ou l'inquiéter. Il lui avait ensuite tendu un bout de papier sur lequel il avait écrit son numéro mais ne s'était pas éloigné de dix pas qu'il avait reçu un texto. « Je m'appelle Asha. Tu m'offres à boire ? » Le surfeur s'était retourné en acquiesçant vigoureusement.
Loin de lui passer, son béguin s'était après cela renforcé à chaque sortie, chaque conversation. Une vilaine opération de la gorge l'avait privée de sa voix, aussi la jeune fille ne communiquait-elle que par SMS même lorsqu'elle était à côté de lui. Ce n'était pas gênant, Hurley saisissant ce prétexte pour lire par-dessus son épaule au fur et à mesure qu'elle écrivait, profitant de cette proximité pour mieux respirer son odeur. Son shampoing était au citron et son parfum au muguet. Elle avait la peau douce ; il adorait lui tenir la main. Mais si elle lui permettait les plus fougueux baisers, jamais elle ne l'avait laissé aller plus loin. C'était avec des réflexes de ninja qu'elle interceptait toute main baladeuse. Le surfeur s'y risquait donc rarement, ne voulant pas qu'elle ait le sentiment de devoir être sur ses gardes avec lui. Un jour, elle serait prête, soit pour l'inviter à poursuivre, soit pour s'ouvrir à lui de ce qui la bloquait. Insister n'aurait servi qu'à la braquer. C'était du moins ce qu'il avait pensé, et cela dur comme fer, jusqu'au match contre Zeus.
Et voilà qu'à présent, il ne comprenait plus rien. Ou comprenait enfin tout. Ironie du sort, c'était le tourbillon géant, une technique qu'il partageait avec Bobby, qui avait fait sauter le masque d'Artémis. Leurs adversaires n'étaient pas aussi cruels qu'avec la Royale, ne cherchant pas tant à blesser qu'à humilier. Ils se retenaient tout en se jouant de Raimon. Mais alors que le milieu filait vers la défense épuisée, il avait eu une hésitation. Cela lui avait coûté le ballon… ainsi que son masque. Dans le feu de l'action, Hurley n'avait pas tellement prêté attention à cette impression de déjà-vu chaque fois que son regard se portait sur Artémis. Maintenant, debout et bras ballants, ses yeux allaient du masque échoué à ses pieds au joueur recroquevillé cachant son visage dans ses mains. « Asha » n'était pas muette. Elle avait inventé cette histoire d'opération ratée pour justifier son silence et ainsi taire sa vraie voix de mec. « Asha » n'avait même jamais existé.
Incapable de prononcer un mot, le surfeur ramassa bêtement le masque. La fureur et le chagrin se disputaient la part belle. Cela allait au-delà de la trahison ; cette révélation lui arrachait la fille qu'il aimait. Hurley aurait tout donné pour que cette journée ne soit qu'un cauchemar, pour que le milieu et Asha n'aient rien à voir l'un avec l'autre. Artie Mishman l'avait créée. Puis il l'avait tuée. Oui, c'était cela. Le masque émit un craquement sous la pression du surfeur, la rage prenant le pas sur la douleur. C'était un assassinat.
-Je suppose que tu ne vas pas t'expliquer.
Comme Artémis ne répondait pas, Hurley jeta le masque à Aphrodite qui accourait.
-Gagnez ou perdez ce match ! Rugit-il, les yeux embués. Je m'en fous !
Il recula.
-Je m'en fous !
