31 juillet 1991
« Danny, veux-tu bien ranger ce bazar ? »
« Mais elle va pas rentrer dans ma chambre ! Et même, je te parie qu'elle s'en fiche. Daisy, elle s'en fiche, alors ! »
« Daniel James Potter, range-moi tout de suite cette chambre ou tu finiras de corvée poubelle jusqu'à l'été prochain, est-ce que c'est clair ? »
En cette chaude matinée de juillet, la maisonnée Potter connaissait une effervescence peu habituelle, justifiée par les circonstances : c'était en effet le onzième anniversaire de la fille aînée de la famille, le jour où Viola Potter serait réintroduite au monde magique et, plus important, à ses parents ainsi qu'à ses frère et sœur.
Lily et Daisy étaient très remontées là-dessus, déterminées à ce que tout soit absolument parfait. Daisy avait même insisté pour préparer un cake roulé à la confiture de framboises et sortir une nuée de ballons multicolores désormais accrochés un peu partout dans les différentes pièces. C'était une occasion festive, après tout.
James ne pouvait guère leur en vouloir, malgré tout ce remue-ménage. C'était pour Viola, après tout.
« Elle devrait être là ! Qu'est-ce qu'il fait, Dumbledore ? »
« Daisy, ce n'est pas une façon de parler du Directeur » réprimanda James, qui malgré lui éprouvait un soupçon d'anxiété – deux heures passées, bientôt trois. Pourquoi lambiner autant ?
Sa fille cadette lui renvoya un regard vert méprisant et retourna surveiller son cake – Danny était un véritable estomac sur pattes, ces temps-ci, et il avait déjà essayé d'échantillonner le gâteau avant l'arrivée de la principale destinataire.
A sa façon de jouer avec ses cheveux, il savait que Lily ressentait la même inquiétude. Qu'est-ce qui pouvait bien causer pareil retard ? Dumbledore n'avait tout de même pas placé Viola dans une maison moldue, une famille à qui il faudrait tout expliquer ? Et si ça continuait, ils n'auraient pas le temps de faire proprement connaissance avant d'avoir à visiter le Chemin de Traverse pour acheter les affaires d'école !
Et puis les gonds de la porte d'entrée grincèrent, et Dumbledore fit son apparition dans le salon. Tout seul. Faisant son âge de plus de cent ans.
« Lily. James » fit-il d'une voix éreintée, poussant le patriarche Potter à froncer les sourcils.
« Professeur » commença-t-il, « que... »
« Où est Viola ? » interrompit grossièrement Daisy. « Vous deviez l'amener ici ! »
En temps normal, James aurait réprimandé sa fille cadette, mais elle venait de poser la question qui brûlait ses propres lèvres. Dumbledore s'affaissa encore davantage.
« Je suis désolé. »
Et là, James sut que quelque chose n'allait pas du tout. Non, encore pire que ça.
« Quoi. »
Nul ne pouvait accuser le patriarche Potter de couardise. Il était après tout un Auror, et avait combattu en première ligne lors de la guerre contre Voldemort. S'esquiver en douce dès que possible lorsque son épouse était de mauvaise humeur relevait donc de la stratégie de survie – et franchement, quiconque avait vu Lily Evans proprement furieuse ne pouvait qu'approuver.
Comment Dumbledore avait pu ne pas succomber à une crise cardiaque induite par la terreur abjecte alors qu'elle fondait sur lui resterait à jamais une énigme – même pour l'homme en question.
« Où. Est. Ma. Fille ? » éructa Lily, et si elle avait eu sa baguette, nul doute que des étincelles en gicleraient violemment.
Le vieil homme baissa la tête.
« Je suis désolé » répéta-il, « Viola a disparu. »
Et juste comme ça, le monde de James Potter se fracassa.
La Disparue
Dumbledore égare une icône nationale
par Rita Skeeter
Il semble impensable de perdre un enfant comme on perdrait un objet – une vulgaire babiole telle qu'une écharpe ou une plume. C'est pourtant le tour de force qu'a réussi Albus Dumbledore, Directeur de Poudlard qui devrait sans doute envisager de démissionner de son poste maintenant qu'une enfant destinée à devenir l'une de ses élèves s'est volatilisée sous sa garde.
Et pas n'importe quelle enfant ! Non, Viola Potter, connue dans toute la Grande-Bretagne magique par son titre de Survivante – gagné dix ans auparavant lorsqu'elle est devenue l'unique personne à survivre au maléfice tueur – compte définitivement parmi les célébrités de la nation, en dépit de n'avoir fait aucune apparition publique jusqu'à aujourd'hui. A ce titre, on pourrait s'attendre à ce que la jeune fille en question bénéficie de la meilleure protection rapprochée imaginable – une escouade personnelle d'Aurors ainsi qu'une maison sous barrières établies par un briseur de maléfices des plus qualifiés.
Et bien pas du tout, chers lecteurs ! En guise de sécurité, Dumbledore – suivant un raisonnement incongru sans doute influencé par le gâtisme – a tout bonnement décidé de placer Viola Potter dans un voisinage Moldu. Non, vous ne rêvez pas : notre Sauveuse élevée dans la plus pure ignorance de ses origines, réduite à la délinquance et au vandalisme, comme témoigne Josie Polkiss, voisine de la famille Dursley – chez qui résidait Viola – affirmant que « cette petite horreur » semait constamment le trouble et « aurait dû être envoyée dans une maison de redressement ».
Pareille conduite aurait dû être rectifiée immédiatement en plaçant Viola Potter dans un environnement plus approprié à ses besoins. Dumbledore a-t-il fait cela ? Pas du tout, malgré nombre de rapports alarmants des autorités scolaires. En fait, sa négligence fut telle qu'aucune mesure n'a été prise lors de la disparition de la famille Dursley en 1988.
C'est exact, chers lecteurs, la Survivante s'est évaporée d'Angleterre depuis trois ans. Nul doute qu'elle aurait été rapidement retrouvée et rendue à sa vraie famille et sa vraie nation si la sonnette d'alarme avait été immédiatement tirée. Hélas, maintenant que plusieurs années se sont écoulées, la piste est indiscutablement froide, ce qui ne laisse guère augurer de bonnes choses pour la Survivante.
Le Ministre Fudge s'est déclaré scandalisé par l'irresponsabilité de Dumbledore et a ordonné la création d'une force d'Aurors spéciale dans le but de retrouver Viola Potter et de la ramener saine et sauve en Grande-Bretagne magique, une décision approuvée par le Magenmagot ainsi que par nombre d'éminents citoyens tels que Demetrius Nott, lequel s'est déclaré prêt à offrir une somme de cent gallions à qui pourra fournir des renseignements utiles pour localiser la jeune fille.
La famille Potter s'est jusque ici refusée à tout commentaire.
9 septembre 1991
Ce n'était pas souvent que Lucius Malfoy éprouvait la tentation de céder à un cliché aussi vulgaire que celui du Rire Maléfique, mais vraiment, l'envie était presque irrésistible. Seulement presque. Des siècles de maintien et de dignité sang-pure retiendraient toujours un rejeton de la lignée Malfoy de se conduire en grossier homme du commun.
La disparition de Viola Potter – la Survivante, l'enfant chérie de la Lumière, déjà acclamée comme la future protectrice des sang-de-bourbe et de la chienlit qui pourrissait l'Angleterre magique – avait porté un coup pratiquement fatal à la réputation d'Albus Dumbledore. Celui-ci avait été contraint de démissionner de son poste de Président-Sorcier du Magenmagot ainsi que de celui de Grand Manitou de la Confédération Internationale des Sorciers, après avoir stupidement avoué qu'il n'avait pas eu le temps de réaliser la disparition de la fillette pour cause de travail.
Et bien maintenant, il aurait tout le temps de se concentrer sur les enfants, puisque le seul poste qu'il avait conservé était celui de Directeur de Poudlard. Quoique, il était question de lui retirer celui-là aussi : après tout, s'il avait pu négliger une enfant au point de ne pas s'apercevoir de sa disparition, qu'est-ce qui empêchait la chose de se reproduire ?
Sans compter que la famille Potter semblait lui avoir retiré sa confiance – très compréhensible, le vieux bouc leur avait après tout coûté leur plus grand atout politique, ainsi qu'un moyen de créer une alliance via le mariage. En fait, James Potter avait temporairement démissionné de son poste d'Auror pour prendre la place de professeur de Défense contre les Forces du Mal – le candidat prévu ayant eu un étrange accident lors de son retour en Angleterre lui ayant gagné un long séjour à Sainte Mangouste – histoire de surveiller le vieux sénile.
Et pendant ce temps-là, Lucius avait le champ libre pour avancer ses propres plans, ses adversaires de la Lumière s'entre-déchirant sans qu'il lui faille les y pousser.
Oui, c'était presque impossible de ne pas laisser aller à ricaner de manière diabolique. Juste presque.
