Chapitre XL

Dylan Bluemoon ne pouvait pas faire dix pas sans s'étaler, tenir quelque chose sans le faire tomber, aller d'un point A à un point B sans se paumer, dire quoi que ce soit sans bégayer… Qu'une porte de casier fracasse un nez par inadvertance, c'était le sien. Qu'un plateau éclabousse quelqu'un en se renversant, c'était pour lui. Alors qu'un missile s'échappe par la fenêtre brisée d'un hangar désaffecté pour lui exploser le crâne, qui cela surprenait-il ? Le jeune homme s'était si brillamment perdu qu'il avait fini par errer dans une zone industrielle abandonnée. Entendant du bruit en provenance d'un vieil entrepôt, il s'était approché afin de demander de l'aide tout en priant pour qu'il ne s'agisse pas de racailles. Et il se retrouvait étendu, le monde flou et vacillant autour de lui. Il avait vraiment dû être la reine des putes dans une vie antérieure, pour avoir un tel karma…

-Merde, tu l'as pas raté, fit une voix étouffée par les bourdonnements dans ses oreilles.

-Comme si je l'avais fait exprès ! S'insurgea une seconde.

-Tu l'aurais visé que t'aurais pas fait beaucoup mieux…, remarqua une troisième.

-Je te signale que c'est Claude qui m'a défié de faire passer le ballon par la fenêtre sans toucher ce qui restait de la vitre ! Est-ce que j'ai davantage abîmé le carreau ? Non !

-C'était un jeu de cons. Lui a eu l'idée, toi tu as marché. Et voilà le résultat.

A cet instant, trois têtes apparurent dans le champ de vision de Dylan.

-Eh ! Pour ma défense, reprit la première voix, celle d'un jeune homme aux cheveux rouges, y'a jamais personne dans ce quartier. Je ne pouvais pas deviner qu'un type allait se pointer pile au mauvais endroit, au mauvais moment !

-Peu importe, trancha la troisième voix, celle d'un albinos. S'il ne se relève pas très vite, j'appelle une ambulance.

-Mais cet incident pourrait nous valoir la clôture du hangar ! S'écria le spécimen flamboyant.

-Il fallait y réfléchir avant de coucher quelqu'un, rétorqua l'albinos.

Le détenteur de la seconde voix, un mec aux cheveux verts que Dylan, non sans efforts, parvint à identifier comme étant Jordan Greenway, membre du club de foot de son école, s'était agenouillé près de lui.

-Attendez, attendez ! Je crois qu'il reprend ses esprits !

Le blessé ignorait d'où Jordan tirait cette conclusion. Son cœur lui battait les tempes et il avait sérieusement envie de vomir. Au-dessus de lui, les trois silhouettes se démultipliaient. Et il se dit qu'avec sa guigne, il serait bien foutu de mourir comme ça, d'un ballon en pleine tête. Il n'arrivait pas à bouger un doigt et ses paupières se faisaient lourdes. Il bafouilla des propos incohérents, lui-même ne sachant pas ce qu'il avait voulu dire.

- « Il reprend ses esprits », hein…, commenta Claude.

-Oh, la ferme ! S'énerva Jordan.

Et il décocha à Dylan une gifle formidable pour l'empêcher de sombrer.