Chapitre XLIII
Joseph n'avait jamais été attiré que par les filles mais il s'était souvent interrogé. S'il lui était impossible de s'imaginer avec un homme, incapable d'éprouver la plus faible étincelle d'excitation à l'idée de coucher avec un garçon objectivement attrayant, pourquoi l'existence de David finissait-elle chaque fois par saboter ses relations ? Une semaine, un mois, trois… Soit que la fille rompait, soit que c'était lui qui la plaquait. La formulation différait mais le reproche était identique : il donnait régulièrement l'impression de n'être « pas vraiment là ». Le gardien ne pouvait le nier puisqu'il s'en rendait parfois compte le premier. Aucune des filles qu'il avait fréquentées ne l'avait ennuyé ou agacé. Qu'elles soient sorties avec lui pour s'amuser ou dans le but de construire quelque chose, elles s'étaient montrées honnêtes et charmantes. Il avait d'ailleurs passé le cap avec certaines d'entre elles et y avait pris tout le plaisir que le lui permettait son inexpérience. Cependant qu'il se baladait avec une, mangeait avec l'autre, discutait avec celle-ci, somnolait auprès de celle-là, il arrivait que ses pensées se tournent sans raison vers l'attaquant. Il ne pouvait dès lors s'empêcher de le comparer à sa conquête, cette dernière perdant invariablement la bataille.
C'était faute de comprendre cette « hétérosexualité à exception » qu'il préférait ne pas répondre aux avances de son ami. Rien ne faisait plus mal que les espoirs déçus, pas vrai ? Et rien ne terrifiait davantage Joseph que la perspective de blesser David avec un second caprice aussi inattendu qu'inexplicable. Puis il se réveilla perclus de douleurs, cerné de murs et draps blancs, la mémoire si défaillante qu'il crut d'abord avoir fait un malaise après leur victoire contre Raimon. Les souvenirs lui revinrent à mesure que des larmes s'écrasaient sur son visage. Penché sur lui, l'attaquant sanglotait en lui effleurant les joues de ses doigts tremblants. Il l'appelait, lui demandait comment il se sentait, s'il l'entendait, l'appelait encore… Sans parvenir à totalement réprimer une grimace de souffrance, le gardien contraignit un de ses bras à se lever et referma une main sur la nuque de son ami. Il n'y avait aucune force dans sa poigne mais, de stupeur ou de crainte de lui faire mal, David ne résista pas. Ni l'un ni l'autre n'étaient en état d'apprécier ce chaste baiser qui les laissa sur leur faim. Toutefois, Joseph murmura d'une voix rauque contre les lèvres de l'attaquant ;
-Ne pleure pas. Je vais bien.
