« Un pensionnat ? »

« C'est la procédure habituelle pour toute école magique de niveau international » indiqua Nura alors qu'il ouvrait le placard pour permettre à Cass de voir les futons rangés proprement sur les étagères. « Généralement, nos élèves viennent de tout le pays, et les problèmes de logistique sont déjà un cauchemar pour la rentrée, alors nous préférons simplifier les choses. »

La tenancière n'en fit pas moins la grimace.

« Je ne sais pas si ça vous a échappé, mais Hiro a sept ans. À cet âge... »

Le professeur à lunettes laissa son regard se porter ailleurs dans le couloir, là où le gamin hypnotisé contemplait un bonsaï bleu électrique qui tournait lentement sur sa propre tige.

« Nous en sommes conscients, Long-san. Voilà pourquoi le pensionnat n'est ouvert qu'aux étudiants de onze ans et plus. Pour les classes plus petites, nous avons recours à des pétrels apprivoisés. »

« Des quoi ? » lâcha la femme, l'œil vitreux.

« Des pétrels » répéta Nura. « Des oiseaux, mais version géante. Assez grands pour porter un enfant sur leur dos, du moment que celui-ci n'est pas trop lourd. Ça et le fait que nous disposons d'une nuée tout de même limitée rend le pensionnat obligatoire pour les grandes classes, sinon ils n'auraient qu'à prendre un pétrel pour retourner à la maison chaque jour. »

Cass laissa l'information couler lentement tout au fond de son cerveau. Puis tout aussi lentement, elle leva la main pour se masser l'arête du nez.

« D'accord » souffla-t-elle, tout en se demandant pourquoi elle se permettait encore d'être surprise par des oiseaux démesurés après la révélation que sa sœur n'avait jamais été humaine. « Et ils supportent bien de traverser l'océan chaque matin et soir, vos piafs ? Parce qu'aux dernières nouvelles, j'habite à San Fransokyo. En Amérique. »

Ah. Grimace sur le visage du professeur.

« Certes. Les ressortissants de San Fransokyo ont constitué un beau casse-tête lorsque le Bureau les a déclarés éligibles pour une éducation ici. En fin de compte, nous avons opté pour un compromis. Avez-vous un souci avec les familles d'accueil, Long-san ? »

Cass battit des paupières.

« Heum… Non, pas vraiment. Mes parents étaient une famille d'accueil pour ma sœur, jusqu'à ce qu'ils décident de l'adopter. »

Nura eut un petit sourire.

« Votre sœur a eu beaucoup de chance, semble-t-il. Voilà ce que propose notre charte : si Hiro est placé dans une famille vivant au Japon, nous pourrons lui appliquer la procédure standard durant la semaine, mais il passera le week-end et les vacances chez vous. À moins que vous n'ayez de la famille dans le pays ? Ce serait encore mieux. »

Rien que penser à cette perspective réveilla illico la femme des cavernes tapie au fin fond de la tenancière.

« Ce grand malade n'approchera pas Hiro à moins de quinze kilomètres ! » faillit-elle crier, se retenant de justesse afin de ne pas alerter les garçons.

« Des désaccords entre vous ? » demanda aimablement le professeur.

« Oooh, faible mot » gronda-t-elle, alors que ses doigts tiraient sur la fermeture éclair de son sac à main pour en extraire ses Tics-Tacs. « Le père de mon beau-frère – Tadashi a beau jurer que c'est dans le passé, je refuse de lui donner l'occasion de commettre un meurtre sous prétexte d'exorcisme ! D'ailleurs, je suis sûre que ce n'est même pas légal de pratiquer un exorcisme. »

Les yeux marron de Nura s'étrécirent derrière leur monture de corne.

« Exorciser… S'agirait-il d'un prêtre ? »

« Prêtre shinto, pourquoi ? Ça représente un obstacle ? » s'enquit la femme, ragaillardie à la perspective de placer une barrière de plus entre son plus jeune neveu et le vieux croûton appartenant à sa belle-famille.

« Merveilleux » grogna le professeur. « Voyez-vous, Long-san, le shintoïsme accorde une extrême importance à la purification. Malheureusement pour les yôkai, leur énergie naturelle ne s'accorde pas avec le processus. Pour l'instant, Hiro-kun est encore jeune, mais même alors, je vous déconseille fortement de le laisser approcher un lieu de culte shinto ou un pratiquant fervent de cette religion. Ce ne serait pas mortel, mais ça le rendrait certainement malade et risquerait de perturber son développement mystique et physique. »

« C'est noté ! » assura jovialement la femme.

Nura la considéra bizarrement, et elle dut se retenir de se trémousser pour faire fuir l'impression qu'il voulait ouvrir sa tête pour loucher sur les pensées à l'intérieur et comprendre la manière dont fonctionnait son esprit.

« En ce cas, ce sera la famille d'accueil. Vous n'aurez pas à vous inquiéter, nous enquêtons très minutieusement afin d'être sûrs que les parents sont formés à répondre aux besoins aussi bien ordinaires qu'ésotériques de leurs pupilles. Et non, ça ne vous coûtera rien, le Bureau se chargera des frais d'hébergement. »

Là, ce fut Cass qui considéra son interlocuteur d'un drôle d'air.

« C'est un sacré investissement, dites donc. »

« Il s'agit de la jeunesse de notre pays, les acteurs de demain » répondit Nura. « Former et éduquer ces enfants n'a pas de prix. »

La tenancière garda le silence, et son regard se tourna à nouveau vers ses neveux. Hiro s'était lassé du bonsaï et se tordait actuellement le cou pour examiner une estampe accrochée au mur, sous l'œil nerveux de Tadashi qui craignait visiblement que son cadet ne sorte un feutre pour gribouiller sur la nature morte.

Ki, comment répondrais-tu à ma place ? Tu aurais dû être là plutôt que moi.

Elle avala sa salive.


« Je crois bien que je vais devoir commencer un dossier d'inscription » commenta Tsurara une fois qu'elle eût raccompagné les Hamada et leur tante au Portoloin de retour. « Oh, et chercher un foyer aussi, c'est toujours la croix et la bannière pour trouver celui qui correspondra le mieux. »

« Ils sont convaincus, alors ? » interrogea Rikuo en rajustant ses lunettes.

« Ton charme est toujours aussi efficace. Depuis que je t'oblige à donner la présentation aux potentiels parents d'élèves, nos inscriptions ont nettement augmenté. »

« Dis donc » la reprit-il gentiment, « tu n'as commencé à travailler ici avant moi que deux ans, je te rappelle. »

« Mais je me rappelle très bien ces deux années » riposta espièglement la femme des neiges.

Rikuo expira bruyamment par la bouche. Pourquoi essayait-il encore d'avoir le dernier mot avec elle ? Depuis trente ans qu'il la connaissait, il aurait pourtant dû savoir que c'était perdu d'avance.

Enfin, ça faisait toujours un nouvel élève à sa charge. C'était toujours lui qui se retrouvait désigné d'office pour s'occuper des hanyô les plus jeunes, sous prétexte qu'il savait ce que c'était, de se retrouver dans leur position.

Et Dieu savait qu'il en avait besoin. Besoin d'interagir avec des gens plus reliés au monde matériel que son entourage habituel. Besoin de se rappeler la partie de lui qui était humaine, tant qu'il pouvait encore.

Car un hanyô finissait inéluctablement par dériver vers ses racines inhumaines. Le monde humain avançait toujours trop vite, et les yôkai luttaient pour soutenir la cadence infernale de l'adaptation. C'était tellement plus paisible de se retirer loin, parmi des gens qui comprenaient.

Hamada Hiro-kun en ferait un jour la douloureuse expérience. Surtout si son frère finissait par reprendre la profession de prêtre de leur grand-père – ce type de vocation se transmettait fréquemment au sein des familles. Un jour viendrait où le garçon se tournerait irrémédiablement vers l'héritage de sa mère renard.

Mais pour l'instant, il n'était encore qu'un gamin, et un qui avait besoin d'être cadré. Alors.

Au travail.