11 avril 2026
Mine de rien, Tadashi n'avait pas réalisé entièrement la place occupée par son petit frère avant que celui-ci ne soit placé en famille d'accueil pendant la semaine. Tout à coup, l'appartement de Tante Cass paraissait un peu trop large, un peu trop silencieux. Privé d'un élément essentiel.
Au lycée, les professeurs avaient été sur son dos dès qu'il s'était présenté en cours avec des cernes si larges qu'il aurait pu y fourrer tous ses manuels et ses classeurs. Non mais qui aurait cru que l'absence d'une respiration lui perturberait le sommeil au lieu de le faciliter ?
Fred lui avait carrément balancé qu'il souffrait d'une atteinte aiguë de syndrome du nid vide et l'avait invité à jouer à Spider-Man sur sa PS4 ou tout bêtement se promener en ville, du moment qu'il ne restait pas chez lui à broyer du noir et compter les minutes, parce que c'était comme ça que démarraient les scientifiques fous, apparemment. Ou les mégalomanes galactiques, Tadashi n'avait pas bien suivi cette tangente particulière.
Ceci étant, il ne pouvait pas nier la justesse du raisonnement, lui qui se targuait d'être un esprit logique. Il pouvait se permettre un petit décrochage maintenant, mais ça ne pouvait pas durer trop, certainement pas jusqu'à la fin du mois. Il devait se reprendre.
Mais ça pouvait attendre la fin du week-end : pour l'instant, il avait une crevette à accueillir de nouveau à la maison.
« Alors, t'en as déjà marre d'embêter les Okamoto ? »
Hiro renifla impérieusement, les lèvres pincées en une grimace qui se voulait méprisante et n'aurait parvenu qu'à faire fondre toutes les mémés du voisinage.
« Tu » décréta le gamin, « ne m'as pas manqué du tout. »
Tadashi ne put s'empêcher de sourire.
« A moi non plus, tu n'as pas manqué. »
« Et Yamabuki-sensei, je suis sûr qu'elle est un youkai, mais vu que j'ai pas le droit de demander, je sais pas. Et puis, je veux pas demander, parce qu'elle se fâche pas avec des cris et la figure rouge, mais elle se fâche quand même et tu veux juste t'excuser. C'est courant, les gens comme ça ? »
« Oh, il y en a » déclara Cass, « mais la plupart des gens crie. »
C'était outrageusement banal, d'entendre un de ses neveux lui raconter ses aventures scolaires autour du repas de midi – pour l'occasion, elle avait préparé des steaks avec des pommes de terre rissolées ainsi que de la mousse au chocolat, et Dieu savait qu'elle détestait préparer la mousse même si le résultat final était délicieux – et en même temps totalement incongru de se voir détailler la présence de la magie dans le nouveau quotidien dudit neveu.
Sérieusement, elle avait failli s'évanouir en apprenant que Hiro ne voyait aucun problème à grimper sur un oiseau géant qui risquait de dégringoler du ciel afin de l'amener en cours. Pourquoi avait-elle accepté de l'envoyer là-bas, déjà ? Ah oui, la langue de velours du Professeur Oikawa. Elle avait toujours du mal à croire que le portfolio d'une yuki-onna n'incluait pas le contrôle mental.
« Et les cours, ça se passe bien ? Les matières t'intéressent ? »
« C'est des trucs que je connais déjà » lâcha brutalement Hiro, « mais ils le font pas de la même manière, et c'est dans une autre langue. C'est même pas l'alphabet d'ici ! »
« Et oui » soupira Tadashi. « Pas trop dur, de devoir apprendre les hiragana ? »
« Ça va. Mais il y a Tsuna Ibaraki, le mardi il a voulu manger les oiseaux de la classe... »
Cass avala tout rond sa pomme de terre et rata la fausse-route de justesse.
« … et Yamabuki-sensei a décidé de lui faire copier des kanjis pendant la récré, et elle a refusé de le laisser sortir tant qu'il le ferait mal. Je crois qu'il va y être encore la semaine prochaine. »
Tadashi ouvrait des yeux bruns écarquillés.
« Deux semaines sans récré ? Dis donc, elle ne plaisante pas, la maîtresse. »
« Elle est très gentille d'habitude, alors c'est la faute d'Ibaraki pour l'avoir fâchée » riposta Hiro avec le manque d'empathie absolue qui caractérisait les sociopathes et les enfants ne comptabilisant qu'un seul chiffre à leur âge. « Dashi, tu savais que tu pouvais faire de la magie avec de la musique ? »
« Quoi, tu veux dire qu'au lieu d'investir dans un grimoire, je devrais plutôt pratiquer avec ma guitare ? »
« Attends les vacances, parce que je vais aller au club de musique, et je vais te faire baver de jalousie. »
« Tu vas me casser les oreilles, plutôt. »
Là-dessus, Cass dut adresser un regard noir au cadet de ses neveux pour l'empêcher de jeter le contenu de son verre d'eau à la figure de son aîné moqueur. Ouais, c'était comme si rien n'avait changé du tout.
Enfin, sauf le fait que ses neveux ne cillaient pas d'entendre parler d'un autre gamin voulant dévorer l'animal de compagnie de la classe ou devant la possibilité d'émuler le Flûtiste de Hamelin. Ça, c'était une telle dissonance qu'elle en avait les oreilles qui tintaient.
C'est pour ça que tu ne m'as jamais rien dit, Ki ? Parce que tu pensais que je ne pourrais pas comprendre, même si je voulais ?
Mais il fallait qu'elle suive, elle en avait besoin. Il s'agissait de ses neveux. Et puis, ce n'était pas comme si c'était grand-chose.
Pour l'instant.
Rentrer à la maison, ça faisait bizarre. D'accord, c'était toujours la maison – ça ne changerait jamais – mais parler de magie dans le salon de Tante Cass, ce n'était pas pareil que de parler de magie dans la cuisine de l'auberge Kaede, même si M. et Mme Okamoto étaient tout aussi incapables de s'en servir que Tante Cass.
C'était comme le rangement de son bureau, en fait. Pour s'y retrouver, c'était plus facile de donner une place à tout, et après on n'y touchait plus. Trouver un crayon dans le tiroir des feuilles, ça fait bazar, ça dérange.
C'était un peu l'impression qu'il avait, maintenant qu'il était là pour le week-end.
Hiro n'aimait pas ça du tout. C'était Tante Cass et Tadashi, il n'était pas sensé se sentir bizarre avec eux ! Il était supposé les enquiquiner et compter sur eux et leur donner un prétexte pour céder à des envies bêtes comme inventer une planche de skate volante ou acheter la sauce curry alors que c'était pas du tout indiqué pour le régime !
Et au lieu de ça, il se sentait bizarre. Ce qui était hors de question.
Alors pour le week-end, il allait commencer par échanger le tiroir à chaussettes et le tiroir à t-shirts de Tadashi, et peut-être qu'il allait continuer en cachant les cachous de Tante Cass. Quand il les embêtait, il se faisait râler après, et ça lui tapait sur les nerfs mais au moins il ne se sentait pas bizarre.
Peut-être aussi qu'il devrait laisser Mochi grimper dans son lit ce soir. Le chat était une grosse bouillotte poilue qui adorait lécher les orteils, ça aidait à se sentir mieux même si après on avait le pied mouillé et puant l'haleine de chat. Bon, ça ferait râler Tante Cass qui devrait laver les draps à cause des poils qui se mettraient dessus, mais elle se fâchait jamais trop fort quand il était question de Mochi. Un peu à cause des sous, un peu parce que Mochi adorait lui faire des grand yeux en ronronnant.
Pour une bestiole nommée d'après du riz gluant, Tante Cass était rudement plus coulante que le chat.
