13 avril 2026

En règle générale, les enfants n'étaient pas tellement pressés de voir finir le week-end et de retourner à l'école. Mais après tout, les enfants n'étaient pas non plus supposés avoir un vocabulaire digne d'un adulte à un an et demi ou savoir résoudre des problèmes de maths les doigts dans le nez juste avant leur deuxième anniversaire.

Ce n'était pas tellement la reprise des cours qui excitait Hiro ; non, c'était le démarrage des clubs après la semaine d'acclimatation.

Pour commencer, Hiro avait décidé de se montrer prudent et de ne choisir que deux options. S'il voulait rajouter ou changer, Hime-sempai lui avait assuré qu'il pouvait le faire en cours d'année, les professeurs devraient juste contrôler que la nouvelle activité ne gênerait pas sa progression. Mais Hiro ne pensait pas qu'il voudrait changer ses deux choix, qui étaient la confection d'effigies et la musique.

La confection d'effigies, c'était un mélange de fabrication de poupée vaudou et d'assemblage de robot. Enfin, c'était la conclusion que lui avait tiré, mais l'important, c'était que c'était un atelier pour apprendre à modeler une intelligence artificielle, ou esprit familier comme on disait chez les sorciers. Dès que Hiro avait su, il était obligé de le prendre.

Et puis, il y avait la musique.

La salle de musique était grande et aérée, pour que le son s'entende mieux apparemment, et bien sûr il y avait plein d'instruments. Ils étaient drôles, ces instruments : d'accord, il y avait des flûtes et des guitares et deux clarinettes et même un piano dans un coin, mais sinon c'étaient des instruments pas du tout occidentaux. Comme la guitare à long manche de Sariatu-sensei – un shamisen, c'était comment ça s'appelait.

Sariatu-sensei avait permis à tous les enfants inscrits au club – ils étaient neuf – d'admirer son shamisen avant de les envoyer s'asseoir par terre, juste devant un large drap sur lequel plusieurs feuilles de papier coloré avaient été disposées. Se rappelant ce qu'elle avait fait pendant la présentation des clubs, Hiro sentit son cœur battre d'excitation alors que la femme s'installait en tailleur de l'autre côté du drap, en face des enfants.

« Maintenant que vous êtes tous arrivés, je vous souhaite bonjour et bienvenue à l'atelier de musique. Comme vous vous en doutez peut-être, oui, il s'agira en partie d'utiliser la chanson et la musique afin de lancer un sort, mais fondamentalement, il s'agira d'apprendre la musique. N'importe qui peut souffler dans une flûte, mais seul un musicien saura jouer de cette flûte. »

Sariatu-sensei gratta légèrement les cordes de son shamisen à l'aide de son espèce d'éventail en bois, faisant naître une note vibrante. Sur le drap, les feuilles de papier frémirent.

« Dans le monde en général, la musique a souvent été l'un des tout premiers moyens d'utiliser la magie, avant les baguettes, avant les talismans, avant même les rituels. Mahoutokoro elle-même a une très longue tradition de chanteurs et de musiciens, qui remonte à plusieurs millénaires… à son fondateur, en fait. »

D'autres notes suivirent la première. Alors qu'elles montaient vers le plafond, les feuilles de papier les suivirent, se froissant et se pliant pour former des étoiles oranges, blanches, jaunes et rouges.

« C'était à l'époque où la séparation entre les esprits et les hommes n'était pas encore aussi déchirante qu'aujourd'hui. C'était à l'époque où Tsukuyomi qui réside sur la Lune avait encore une fille aînée, aussi belle que cruelle envers les ennemis de son père. Car elle était la plus grande des guerriers parmi les immortels, et c'était elle que le dieu lunaire envoyait punir tous ceux qu'il considérait comme un affront à son pouvoir. »

Une des étoiles se déplia, se replia en forme de poupée, à la robe orange et aux longs cheveux plus grands qu'elle traînant dans son sillage en rubans blancs.

« Il était donc tout naturel que Tsukuyomi décide de l'envoyer sur Terre, quand un jeune guerrier humain nommé Hanzo vola des armes que le dieu avait décidé de cacher à jamais... »

C'est idiot de cacher au lieu de les détruire souffla quelqu'un au deuxième rang alors qu'un petit samouraï en papier rouge commençait à se promener sur le drap.

Shh !

« Elle trouva Hanzo, et s'adressa à lui en ces termes : Toi qui as offensé mon père, il te faut à présent périr ! » récita théâtralement Sariatu-sensei alors que les poupées de papier se retrouvaient munies de sabres en papier. « Et le combat s'engagea. »

Les poupées se mirent à virevolter dans l'air, faisant mine de s'asséner des coups en rythme avec la mélodie du shamisen.

« Pour la première fois, la fille de Tsukuyomi avait affaire à un grand adversaire. Car les armes volées par Hanzo lui permettaient d'égaler le talent inné d'une déesse. Quand elle en fit la remarque, espérant humilier son ennemi, Hanzo se mit à rire et dit qu'il lui avait bien fallu cela, voler ces armes. Car sinon, comment aurait-il pu obtenir le privilège de voir la plus belle et la plus redoutable des femmes qui se puisse trouver dans le monde… la fille de Tsukuyomi elle-même ? »

Le sabre en papier échappa à la poupée en robe orange.

« A ces mots, la guerrière sentit pour la première fois l'émotion l'envahir. Elle réalisa que pour la première fois, elle ne pouvait pas tuer l'ennemi devant elle. Pour la première fois, elle était vaincue, et c'était un homme humain qui avait fait cela. Et elle tomba amoureuse de lui, qui était tombé amoureux d'elle bien avant de la rencontrer pour la première fois. »

Oh non, c'est pourri les histoires d'amour souffla-t-on dans la seconde rangées alors que les deux poupées s'étreignaient.

Shh !

« Il s'écoula plusieurs années avant que Tsukuyomi ne s'inquiète de ce qui était arrivé à sa fille et plus fidèle servante. Et puis, le dieu lunaire jeta son regard sur Terre, et il vit que sa fille n'avait pas tué Hanzo. Pire, elle avait épousé Hanzo et avait eu un enfant de lui. La colère de Tsukuyomi, ah, sa colère fut si grande... »

Les deux poupées furent brutalement séparées, le samouraï rouge déchiqueté en petits lambeaux alors que la poupée en robe chutait vers le drap.

« Après avoir tué Hanzo, Tsukuyomi mutila sa fille et son petit-fils pour signifier que jamais ils ne seraient acceptés parmi sa cour. Jamais ils ne figureraient parmi les immortels qui siègent encore aujourd'hui dans les cieux. Et puis il les abandonna sur Terre, parmi les humains. »

La musique se fit brièvement mélancolique, tandis qu'une troisième poupée se formait, aussi vêtue d'orange mais tenant un… shamisen ?

« Contre toute attente, ils survécurent. Et rapidement, l'enfant grandit. Il s'appelait Kubo, et il était évident qu'il possédait des pouvoirs. »

Ben forcément. Avec des origines pareilles…

Shh !

« Kubo était puissant, mais il était seul. Jusqu'à ce qu'il décide de voir le monde, de s'adresser à ceux qu'il rencontrerait. Et quand il trouvait quelqu'un aussi désireux que lui de conserver un contact, il l'invitait à le visiter sur l'île où il avait résidé toute son enfance. Avec le temps, cette île en vint à avoir la réputation d'être un lieu de paix où tous ceux doués de pouvoirs étaient en mesure de les exercer sans crainte d'être jugés. »

Un château miniature s'élevait à présent sur le drap, entouré par une petite foule de poupées bariolées aux formes plus étranges les unes que les autres.

« Cela ne s'est pas fait aussitôt, bien sûr. C'est seulement lorsque Kubo a atteint un âge très avancé qu'il s'est rendu compte que l'île où nous nous trouvons était devenu plus que son lieu de résidence. Son dernier souhait a été qu'elle continue d'accueillir tous ceux qui le voudraient, et de les aider à mieux comprendre leurs dons, pour qu'ils puissent comprendre le monde et eux-mêmes. Aussi longtemps que plusieurs millénaires, si possible. »

Les poupées firent la révérence alors que la musique s'arrêtait. Il y eut un petit moment de silence avant que quelqu'un ne se mette à applaudir, et bientôt neuf paires de mains s'y étaient mises. Sariatu-sensei arborait un petit sourire, visiblement contente d'avoir produit de l'effet.

En son for intérieur, Hiro hésitait un peu à croire le récit. D'un côté, mentionner un dieu de la lune ne faisait pas trop scientifique, mais si Hiro osait utiliser cet argument alors qu'il étudiait dans une école de magie, ça serait très, très bête. Un brin hypocrite, pour reprendre l'expression favorite de M. Peters – un client assidu de Tante Cass qui adorait dire à tout le monde ce qu'il pensait.

C'était toujours ça, le grand problème des histoires : rien ne prouvait que les faits décrits étaient possibles, mais rien n'indiquait non plus que ces faits n'auraient pas pu être réels.