31 octobre 2026
Si on lui avait demandé ses points forts, Barty Croupton le Jeune aurait désigné son talent de comédien (une profession que le monde sorcier ne tenait guère en haute estime), sa personnalité affable (pour laquelle on le traitait comme une commodité type paillasson) et sa capacité à établir des plans (personne ne voulait jamais croire qu'il en était capable).
S'il en avait eu l'inclinaison, il aurait probablement fait un redoutable politicien. Il savait que l'auteur biologique de ses jours désirait une carrière de ce type pour sa progéniture, mais voilà, ses choix personnels l'avaient conduit ailleurs, et pour cela l'homme qui se prétendait son père l'avait emprisonné sans le moindre remords dans sa maison d'enfance, ruinant irréparablement tous les bons souvenirs qu'il associait au lieu et le réduisant à un simple pantin.
Vraiment, Barty Croupton senior décédant sans prévenir d'une attaque après deux semaines de travail plus stressantes que d'ordinaire, c'était beaucoup trop bon pour lui. Son rejeton emprisonné avait eu tout le temps de ruminer ce qu'il aurait infligé à l'homme plus âgé si seulement il avait pu se libérer de ses entraves mentales, et nombre de ses plans n'auraient pas manqué de lui valoir l'admiration de Bellatrix et de Macnair – qui s'y connaissaient on ne peut mieux question souffrances créatives.
Mais Croupton l'aîné avait eu le culot de mourir tout seul, et Barty s'était subitement retrouvé libre de ses moyens après le fait. La mort dissipe le sort, c'était connu, mais pas avant.
Néanmoins, ce n'était pas le plus important, la priorité cruciale. Au mieux, ça ne venait qu'en troisième position après deux points tellement plus vitaux pour un homme ayant perdu des années et des années de sa vie pour la cause à laquelle il s'était dédié.
Sa seconde priorité avait été de fuir la maison Croupton. Maintenant que ce n'était plus sa maison mais la prison où il s'était étiolé pendant un peu moins de quarante-cinq ans, il ne voulait plus jamais y mettre un pied. Qu'elle brûle, qu'elle soit vendue, qu'elle soit démolie, ce n'était plus ses affaires. Il ne voulait plus y penser.
Sa principale priorité, bien sûr, avait été de retrouver le Seigneur des Ténèbres. Oh, la tâche ne s'annonçait pas du tout facile, presque cinquante ans après sa chute aussi imprévisible qu'inattendue. Mais si Barty avait aimé la facilité, il n'aurait pas décidé de passer douze BUSE et de remporter celles-ci avec les meilleures notes.
Ça lui avait tout de même coûté trois mois avant qu'il ne trouve son chemin en Albanie, vers une forêt proclamée hantée en raison d'un spectre qui s'amusait parfois à faire disparaître les promeneurs – preuve irréfutable de la bêtise humaine, le ragot tendait à attirer les curieux au lieu de les faire fuir, surtout des sceptiques cherchant à prouver que l'histoire était une supercherie ou des amateurs de frissons à la recherche d'horreur.
Très rarement, ces imbéciles étaient pourvus de magie, et même alors ce n'était pas plus d'une miette – le gouvernement magique albanais préférait ne pas tenter le sort en envoyant enquêter alors que les vrais exorcistes étaient une race pour ainsi dire éteinte. Chaque fois que Lord Voldemort s'emparait d'un nouveau corps, ce n'était pas assez pour lui permettre de regagner pleinement ses forces, le contraignant à se remettre en chasse une fois que le nouveau réceptacle finissait incapable de supporter la possession spirituelle.
Cela n'avait pas été facile de trouver un rituel adéquat pour permettre de réincarner son Maître, mais enfin Barty avait mis la main sur la solution : un homoncule.
C'était de la pure magie noire, bien entendu : pour constituer un homoncule, il s'agissait d'enlever une femme enceinte d'environ quatre à cinq mois, d'empoisonner lentement son fœtus au moyen d'une potion spécifique (nombre d'ingrédients devaient être personnalisés afin de mieux s'accorder à l'essence réincarnée) et une fois venu l'accouchement le fœtus devait littéralement être arraché du ventre, coûtant la vie à la mère, pour étouffer définitivement l'âme et permettre la possession.
Et encore n'était-ce que temporaire, même avec les plus grands soins, aucun homoncule n'ayant duré plus de trois ans comme le Monde reconnaissait la nature hérétique de leur existence.
Mais même temporairement, le Seigneur des Ténèbres retrouverait un corps, un dans lequel il regagnerait des forces, et pourrait élaborer un plan pour en obtenir un tellement plus adapté à ses besoins et sa grandeur.
Effectuer le rituel le soir de Halloween répondait surtout à la nécessité de mettre toutes les chances de son côté – après tout, c'était la nuit où les morts traversaient le voile pour se mêler de nouveau aux vivants – mais il s'agissait aussi d'une suprême ironie. C'était le soir de Halloween, cette fatidique nuit où une vulgaire morveuse pas encore sortie des couches avait accompli l'impensable et rendu espoir à la Lumière.
Maintenant, quarante-cinq ans plus tard jour pour jour, le Seigneur des Ténèbres entamait de nouveau son ascension.
S'il y avait bien quelque chose que Lord Voldemort abhorrait, c'était un accroc à ses plans.
Le premier, bien sûr, avait été la morveuse Potter. Il avait cru pouvoir rectifier cette erreur et effacer toute menace envers sa suprématie imminente via l'élimination de cette peste, seulement pour qu'elle décide de tout gâcher en refusant de mourir et en devenant l'instrument de sa mort physique.
Le second avait été, lorsqu'il avait cherché à retourner en Grande-Bretagne pour 1991, son incapacité absolue à le faire. Le corps de Quirrell s'était aussitôt consumé une fois de retour sur les rives anglaises, le renvoyant à son exil dans les forêts albanaises. Et à chaque fois qu'il avait voulu retenter sa chance, c'était comme si ses mânes s'embrasaient, le punissant pour avoir osé envisager cette perspective.
Enfin, jusqu'à l'année 2021. Là, il avait pu commencer à réfléchir sérieusement à son retour. Hélas, son manque de fidèles et de ressources lui posait un handicap insurmontable.
Le retour de Barty Croupton le Jeune avait été une inestimable bénédiction. Une fois que Lord Voldemort serait entré en possession de son domaine légitime, il récompenserait largement son serviteur, pour sa dévotion et pour les informations qu'il lui avait fournies.
Ces informations avaient principalement été décourageantes (bien que Lord Voldemort ne fusse pas un de ces faibles mortels qui se découragent et renoncent à leurs objectifs) : la Grande Bretagne sombrant de plus en plus sous le joug des moldus. Ses fidèles s'avérant peu dignes de ce qualificatif en se réintégrant à la société qu'ils déclaraient mépriser ou finissant en prison pour y mourir. La fille Potter, portée disparue.
On aurait pu croire que cette dernière pépite aurait fait la joie du Seigneur des Ténèbres, mais c'était loin d'être le cas. Il se rappelait la prophétie. Il se rappelait sa défaite.
La fille Potter morte aurait été acceptable. La fille Potter disparue dans la nature, sans laisser un cadavre pour rassurer Voldemort que la prophétie avait été contrecarrée ? La fille Potter présentant le risque de revenir un jour pour ruiner à nouveau tout ce pour quoi il avait peiné ?
Inacceptable, purement et simplement.
La fille Potter devait mourir, disparaître de la surface de la planète, le plus tôt serait le mieux, et si Voldemort lui-même pouvait commettre l'acte, ce serait tout juste parfait. Elle ne pouvait pas demeurer une faiblesse possible – c'était intolérable.
Elle ne pouvait pas vivre tant que Voldemort survivrait.
