5 décembre 2027

« Tu sais, je ne t'ai jamais demandé à quoi ressemblait Noël chez toi » commenta abruptement Fred, alors qu'il était penché sur son commentaire composé à moitié terminé sur le cadre post-apocalyptique présenté par Ray Bradbury dans sa nouvelle Il viendra des pluies douces.

Penché sur son propre devoir de biotechnologie, Tadashi ne prit même pas la peine de relever la tête.

« Et bien, je suppose que ça ressemble à Noël. La dinde et les cadeaux, comme tout le monde. »

Intérieurement, le métis japonais ne put empêcher un souvenir de sa grand-mère maternelle de remonter à la surface, mémé Alice taquinant maman par la déclaration que rencontrer la petite qui allait devenir leur fille aînée avait été le plus beau cadeau de réveillon qu'elle et pépé avaient reçu de leur vie.

C'était un peu étrange, de repenser à ses grand-parents maternels et de se rendre compte que ceux-ci avaient été morts pendant plus de temps que Tadashi ne les avait connus, pendant pratiquement la vie entière de Hiro.

Ça lui serrait toujours le ventre de se rappeler que maman et papa étaient partis les rejoindre moins de deux ans après leur mort.

Bienheureusement inconscient de la tournure subitement déprimante prise par le mental de son camarade, Fred renifla pensivement.

« Parce que Wasabi m'a raconté qu'il allait accompagner sa grand-mère à la messe de minuit, tu vois... »

« Ben, il a le droit, non ? Et arrête de l'appeler Wasabi, c'est pas gentil de se moquer. »

Le blond haussa les mains dans un geste faussement outragé.

« Eh, pour qui me prends-tu ? Si ça enquiquinait vraiment Donnie, tu penses bien que je ne lui aurais pas donné ce surnom après la crise qu'il a faite dans le resto de ta tante ! »

En matière de crise, c'était certainement une anecdote mémorable. Tante Cass avait carrément appelé les pompiers – lesquels n'avaient pas été ravis d'arriver sur les lieux du crime pour constater que leur patient n'avait pas fait de crise cardiaque ni d'allergie virulente, mais simplement paniqué au point de la syncope.

Si l'embarras avait été une affliction mortelle, le pauvre Donnie serait ressorti du Lucky Cat Café en corbillard.

« Je ne t'accuse pas de chercher délibérément à lui faire des misères » concéda le jeune étudiant des sciences, « je dis seulement que parfois, tu te précipites avec tes bonnes idées sans penser aux conséquences. »

« Mec, tu veux toujours pas oublier le parapluie ? » se plaignit son interlocuteur en prenant une moue tragique de masque grec.

« Je pourrais vivre centenaire et je refuserais quand même d'oublier le parapluie » riposta Tadashi, son sourire rempli de dents – depuis qu'il avait rencontré le kami du sanctuaire familial, il avait la nette impression que ses canines s'étaient allongées d'un tout petit poil, et ça renforçait le facteur intimidation quand il se sentait hargneux.

Le blond s'avachit théâtralement en arrière, faisant tanguer sa chaise de manière tout à fait inquiétante. Gros coup de bol, elle ne se renversa pas – vu que Tadashi n'aurait pas pu plonger par-dessus la table afin d'empêcher la catastrophe.

« C'est mesquin » se lamenta Fred en drapant un bras sur ses yeux. « Et pour ta gouverne, j'ai dit à Donnie que j'arrêterais avec le surnom s'il me demandait, et il a rien dit du tout. Alors ! »

En son for intérieur, Tadashi nourrissait le soupçon que l'adolescent Noir baraqué était si timide et stressé par les interactions sociales qu'il n'oserait pas formuler ouvertement quand il se sentait mal à l'aise, surtout face à une personnalité aussi exubérante que l'était Fred. Enfin, rien à faire là-dessus, sauf peut-être convaincre Fred d'y aller mollo et attendre que Donnie se sente suffisamment en confiance pour pouvoir indiquer ses limites.

« Pourquoi ça t'intéresse, au fait ? Parce que si tu comptes inviter quelqu'un à ton propre Noël, je suis au regret de t'annoncer que Tante Cass et Hiro m'ont déjà réservé » signala le métis japonais.

« Tout le monde est pris ! » râla Fred sans y injecter grande énergie. « Donnie a sa grand-mère pour le traîner à l'église, Simone compte visiter sa flopée de cousins – oh, ça te dérange pas que je lui ai demandé ? Vu que vous avez officiellement rompu tous les deux... »

« C'était pas du sérieux pour commencer » lui rappela son ami, « Tante Cass ne m'a fait des reproches que pour la forme quand je lui ai annoncé la chose, et c'est Simone qui a pris la décision de partir en premier. »

« Je comprends toujours pas comment tu t'y es pris pour rester copain avec ton ex » soupira rêveusement le blond en triturant son stylo-bille. « Moi, c'est toujours tendu quand ça finit par lâcher. Je ne suis pourtant pas méchant ! »

« Non, tu es… toi » laissa tomber le jeune homme brun, s'efforçant de trouver une description pas trop vexante de Fred Lee.

« Rien d'autre que moi, à cent pour cent » affirma fièrement l'autre. « Et un jour, tout le monde reconnaîtra combien c'est fantastique. Mais puisque ce ne sera pas pour aujourd'hui, tu ne veux pas me consoler en me disant ce que tu m'as acheté ? »

Tadashi haussa un sourcil épais.

« Qui dit que je t'ai acheté quoi que ce soit ? »

« Oh ! C'est du fait-maison, alors ? » s'épanouit le blond.

Le métis japonais s'abstint de confirmer ou de nier quoi que ce soit. Son interlocuteur prit son silence comme une invitation à insister.

« Allez, rien qu'un indice ! Un riquiqui… et je te dis ce que je vais t'envoyer. Échange équivalent, façon Fullmetal Alchemist ! »

Oh, misère. Si Fred était aussi excité en début de mois, Tadashi ne voulait pas imaginer dans quel état il se retrouverait quand ce serait le vingt-quatre et le vingt-cinq proprement dit. Il avait déjà un petit frère surexcité par la perspective de passer les vacances d'hiver à la maison, ça suffisait bien à combler ses envies de rajouter du piquant dans le quotidien !

D'accord, Tadashi se montrait vraisemblablement injuste, Hiro s'était beaucoup calmé depuis qu'il fréquentait Mahoutokoro en tant que pensionnaire. Seulement, lorsqu'on prenait l'habitude d'avoir l'appartement au calme, un petit frère venant remplir l'espace par son bavardage et son énergie, bien sûr que ça se remarque.

Le jeune homme se demanda si cette année encore, Hiro offrirait quelque chose à ses deux amies d'école, Ao-chan qui habitait sous le même toit que lui et Hime-sempai qui lui servait de guide pour ne pas se perdre dans les couloirs. Hiro avait voulu se montrer poli et les remercier – Tante Cass en avait fait tout un flan que le pauvre gosse n'avait pas compris du tout, encore coincé dans ce stade de l'existence où les filles ne font pas réellement figure de sexe opposé et bien plutôt de connaissances qui préfèrent le rose et les jupes.

C'était quoi, le problème des parentes plus âgées avec les relations romantiques ? Tante Cass était une chose, mais Grand-mère commençait à lui glisser des petits commentaires quand il passait visiter le sanctuaire Hamada, que mine de rien il devenait un beau garçon bien sérieux et travailleur, et que sa future femme ne manquerait pas de l'adorer.

S'il ne s'imaginait pas des choses, c'était Grand-mère jouant ce coup-là à papa qui l'avait poussé à se sauver à San Fransokyo – où il avait rencontré maman, donc on pouvait conclure que Grand-mère avait obtenu gain de cause. Une perspective assez flippante, ça.

Tadashi avait des études à finir – privilège de la jeunesse. Le mariage, c'était bon pour les vieux. Et si Grand-mère continuait d'insister, il finirait par lui ramener un mec !

Au moins comme ça, elle ne pourrait pas se plaindre de sa petite-fille par alliance.