8 avril 2028

C'était toujours plus facile quand l'anniversaire de ses neveux tombait pendant le week-end, selon Cass. Autrement, il fallait décaler la petite fête, et les garçons trouvaient immanquablement ça bizarre.

C'était devenu encore davantage préférable une fois Hiro inscrit à l'école dans un autre pays, et incapable de rentrer pendant la semaine. Et encore, plus le temps passait, plus il demandait la permission de pouvoir rester aussi un week-end ou deux pendant le mois présent, désolé tante Cass mais il y avait des devoirs à faire, et les Okamoto ont prévu d'emmener les filles à la plage et m'ont demandé si je voulais venir, je t'aime quand même et je ne t'oublie pas, tu me comprends ?

Cass comprenait très bien – Hiro était immergé toute la semaine dans la culture japonaise, et c'était tellement plus facile pour les enfants de s'acclimater, de suivre le courant. Aussi, le garçon grandissait – déjà dix ans et elle avait l'impression que Daiki l'avait appelée pour lui annoncer la grande nouvelle de sa naissance hier seulement, que les garçons n'avaient été placés chez elle que depuis dix minutes, où donc avait filé le temps – et la croissance s'accompagnait du désir d'indépendance, ça ne manquait jamais.

La tenancière de café se rappelait encore des virées camping et escalade auxquelles elle avait participé avec ses copines du lycée, et elle vivrait cent ans qu'elle n'oublierait jamais Tadashi s'esquivant en douce pour jouer les exorcistes avec son copain blond aux allures de hippie. Elle se demandait si elle ne devrait pas s'affoler devant l'âge toujours descendant auquel se manifestait le désir d'indépendance en question, vu qu'elle l'avait attrapé à dix-huit ans tirant sur dix-neuf, Tadashi l'avait contracté à douze ans, et voilà que Hiro s'y mettait à neuf ans désormais dix.

D'accord, ses neveux avaient une intelligence au-dessus de la moyenne, elle les avait fait tester et savait que ça venait fréquemment avec une plus grande maturité, mais avouez que ça vous désarçonnait un peu.

Enfin, au moins Hiro ne s'en allait pas courir les rues tout seul à la recherche de monstres et fantômes variés. À la place, il avait demandé s'il pouvait inviter ses copines du Japon à sa fête – ah, si jeune et déjà un bourreau des cœurs. Ou était-ce un indicateur qu'il était gay ? La sexualité des renards magiques selon les légendes et autres mythes pouvait être rudement floue et imprécise, alors Cass s'abstiendrait de se prononcer sur la question.

Alors elle avait préparé deux larges gâteaux – Hiro avait lourdement insisté sur l'importance de fournir à manger, jurant que ça finirait mangé en une demi-heure peu importe la quantité servie – un fourré à la confiture d'abricots et un au yaourt citronné, arboré son plus beau et plus aimable sourire et reçu les trois gamines avec leurs gardiens – les Okamoto pour Ao la satori et la petite Nyu, Hime Yarizakura venant accompagnée d'une vieille dame aux étranges yeux reptiliens qu'elle appelait sa grand-mère – avec l'assurance consommée d'une femme qui avait affaire à des clients toute la journée, cinq jours et demi sur sept.

La doyenne des filles avait entrepris de manger la moitié de chaque gâteau, deux paquets de pistaches et trois de cacahuètes et de chips, et de vider deux bouteilles de jus de raisin – des grosses d'un litre, chacune – à elle seule, la benjamine avait réussi à échapper à la vigilance générale pour monter à l'étage du dessus et fouiller dans les affaires de Tadashi qui n'avait pas été ravi de ce manque de gêne, et la satori avait illico pris en grippe Mochi qui avait décidé en représailles de répandre ses poils sur les meubles et les locataires habituels afin de bien signaler que c'était son territoire et pas celui de la youkai aux oreilles de chat.

En matière de fête d'anniversaire, celle-là resterait certainement dans les mémoires – Cass n'avait besoin que de jeter un coup d'œil aux grimaces navrées et crispées des parents Okamoto pour en avoir confirmation. Elle aurait bien voulu avoir la sérénité de la vieille Mme Yarizakura – mais était-ce bien son nom ? La jeune Hime n'avait pas précisé s'il s'agissait de sa grand-mère paternelle ou maternelle…

Alors que les gamins s'occupaient avec un Pictionary auquel participait Tadashi – en partie pour leur garder l'œil dessus – et que les Okamoto aidaient à ranger les assiettes, la vieille dame avait interrogé Cass sur les perspectives de Hiro une fois que le cadet de ses neveux atteindrait onze ans.

« Vous m'accuserez sans doute d'aller un peu trop vite en besogne, mais les enfants ont la fâcheuse habitude de grandir comme des mauvaises herbes dès que vous ne faites plus attention » s'excusa la femme aux cheveux blancs dans un anglais d'une perfection troublante. « Et ma petite-fille est très attachée à Hiro-kun, seulement s'il doit partir de l'école dans un an... »

Ah oui, l'option de retourner poursuivre sa scolarité en sol américain pour les enfants de double nationalité nés à San Fransokyo. Intérieurement, Cass devait avouer que c'était l'option qui la tentait le plus – elle voyait si peu Hiro, elle le verrait encore moins quand il lui faudrait partir au pensionnat, mais s'il fréquentait cette académie Ilvermorny, au moins serait-il toujours sur le même continent qu'elle.

Sauf qu'il n'était pas question de ce qu'elle préférait personnellement, mais de ce qui vaudrait le mieux pour Hiro. Et Hiro adorait Mahoutokoro – il adorait les clubs auxquels il participait, il adorait les filles avec lesquelles il s'était lié d'amitié, il s'entendait bien avec sa famille d'accueil, et même si ses notes en classe variaient selon son degré d'attention, les professeurs l'entouraient et ne lui infligeaient pas de misère parce qu'il avait du mal.

Son petit neveu était heureux de l'autre côté de l'océan Pacifique. Comment pouvait-elle lui enlever ça ?

« Je crois que nous allons choisir la double scolarité » annonça-t-elle alors qu'elle passait un coup de balai par terre pour constituer un petit tas de poussière, de miettes et de poils de chat. « Vous savez, quand l'élève alterne les programmes américain et japonais pour décrocher un double diplôme ? »

Ce ne serait pas facile, elle voyait ça d'ici, mais Hiro ne semblait pas trop stressé quand il lui fallait gérer des montagnes de devoir, et avait magnifiquement relevé le défi d'apprendre une langue étrangère en quelques mois seulement pour aller à l'école dans un autre pays, alors la pression ne devrait pas lui poser trop de soucis.

La vieille dame devait être du même avis, à en juger par le petit sourire retroussant ses lèvres affinées par l'âge.

« Un choix exigeant, mais d'après ce que ma chère petite m'a raconté de Hiro-kun, il se débrouillera splendidement. Vous devez être très fière de lui. »

« Quand je n'ai pas envie de l'étrangler, oui, ça m'arrive » ironisa Cass.

« Tout adulte ayant un enfant à charge rêve à un moment ou un autre de le jeter par la fenêtre » déclara la grand-mère avec les intonations d'un philosophe récitant une perle de sagesse. « La véritable preuve de maturité est de s'en abstenir. »

La tenancière de café ne put pas s'en empêcher, elle éclata de rire brièvement. Finalement, elle l'aimait bien, cette vieille dame, les yeux rouges aux pupilles fendues mises à part.