Lorsque Tadashi lui avait raconté de quelle manière il était parvenu à exorciser le dybbouk cherchant à dévorer l'âme de Simone, le Démon Chien avait déclaré que ce n'était pas un résultat à la portée de n'importe qui, pas même un prêtre aguerri.

« Ton essence pue la mort, Miroku, et c'est pour cela que tu peux traîner ce qui devrait être mort mais ne l'est pas de l'autre côté du voile. Ne va pas te faire des idées de fausse modestie, personne d'autre que toi n'aurait pu réussir. »

Le jeune homme ne devrait probablement pas accorder beaucoup de poids aux paroles d'une créature qui refusait de cesser de le confondre avec son ancêtre et qui avait condamné sa famille paternelle à endurer les conséquences d'un pacte conclu avec un être de sauvagerie et de pestilence, mais d'un autre côté, le Démon Chien était vieux et défendait encore aujourd'hui son territoire et ses fidèles contre les incursions de youkai divers et variés. Si quelqu'un pouvait lui donner des conseils et des indices concernant ses propres pouvoirs, ce serait la bête déifiée par le sanctuaire Hamada au fil des siècles.

« Est-ce que je pourrais recommencer, si j'en ai besoin ? »

« Oh, tu devrais sans trop de mal. Mais tu risques d'avoir du mal à trouver un fantôme qui te permettra de vérifier ton expertise. Obliger un mauvais esprit à quitter le monde matériel, ça s'entend dans le voile, alors je te garantis que la ville entière a eu vent de ton exploit avant la fin de la journée. Peut-être même que ça s'est entendu plus loin, les nécromanciens sont rares, ceux qui veulent utiliser leur don sont encore plus rares, et tu n'es pas faible du tout. »

« Alors je n'ai pratiquement aucune chance de trouver un spectre sur la côte ouest des États-Unis parce qu'ils savent que j'existe et sont tous occupés à se cacher sous leur lit ? Voilà qui me changera. »

Tadashi n'avait plaisanté qu'à moitié en faisant cette remarque, se rappelant les dates liminales où il était contraint de barricader sa chambre avec des talismans pour empêcher les âmes errantes de se glisser dans son corps et d'en faire une marionnette de chair et de sang alors qu'il ne consentait pas du tout à perdre son autonomie corporelle – et ces précautions le voyaient quand même passer une nuit exécrable, son sommeil harcelé de murmures implorants et de visions désarticulées qui le laissaient confus et pas reposé pour un sou.

Le Démon Chien s'était fendu d'un aboiement de rire retentissant, le tintamarre d'une meute en chasse ayant flairé la proie.

« Pas de chance pour toi, Miroku, il y aura toujours des exceptions. »

Cette perspective était loin d'enthousiasmer l'apprenti prêtre – à son corps défendant, ce n'était pas exactement le chemin de carrière qu'il désirait embrasser mais s'il ne pouvait pas mener une vie tranquille où il n'aurait pas à trébucher sur des esprits à chaque pas autant qu'il soit préparé au mieux – principalement à cause de la pénalité encourue sur le territoire américain pour pratique de la nécromancie. Un exorcisme, c'était une opportunité d'être découvert, et là bonjour les dégâts et le casier judiciaire, voire l'incident diplomatique parce que Grand-père Hamada ne manquerait pas de se plaindre au MACUSA pour leur condamnation des techniques qu'il enseignait à son petit-fils.

Mais comment pouvait-il dire non, quand un fantôme venait le trouver et demandait expressément à être libéré de ses liens au monde des vivants ? Ne devenait pas fantôme qui était pleinement en paix avec sa propre mortalité, plus d'une âme avait succombé à la peur de sauter dans l'inconnu et certaines venaient à regretter leur choix après quelques années d'existence coincés dans l'état intermédiaire entre ici et l'au-delà. Il pouvait rouvrir la porte que ces âmes avaient imprudemment claqué dans un moment de faiblesse, et il était supposé leur refuser cela ?

Sauf que bien sûr, ça n'était pas aussi simple que d'effectuer le rituel. Parce que les gens avaient fréquemment des opinions sur la façon dont leur enterrement devait se dérouler, alors pourquoi les fantômes n'auraient-ils pas des exigences sur la façon dont ils passeraient enfin de l'autre côté du voile, ou les corvées qu'ils souhaitaient voir accomplir avant de déclarer qu'ils étaient prêts ?

« Pourquoi on ne peut pas juste dire non ? » se lamenta Fred, vautré sur son fauteuil sans aucune classe pendant son plus vieil ami le considérait les lèvres pincées.

« Généralement, ce n'est pas poli de refuser alors qu'on n'a fait aucun effort pour répondre à la demande formulée » lui rappela le métis japonais. « Ou aurais-tu oublié les bonnes manières ? »

Le blond renifla.

« Pardon, différences culturelles. Misérable Caucasien d'Amérique du Nord que je suis, j'ai tendance à jeter un coup d'œil à mes devoirs et à ne pas les faire quand j'estime que la tâche est au-dessus de mes compétences. »

« C'est pourtant pas la mer à boire » insista son interlocuteur. « On a juste à trouver une fille coréenne, qui accepte de recevoir un cadeau d'un fantôme et de boire un verre à la mémoire du mort. »

« Et comment on la persuade de nous accompagner à la cérémonie sans qu'elle nous rie au nez ou appelle la police pour nous dénoncer comme chtarbés ? » gémit le blond.

« Chaque chose en son temps » se déroba Tadashi. « Pour l'instant, il faut d'abord trouver une fille coréenne de notre âge. »

« T'en vois beaucoup, toi ? Parce que moi, j'ai cours avec des Chinois, des Cubains, des Indiens d'ici et d'Inde, même des Afghans si tu veux, mais des Coréens, pas l'ombre d'un. »

Le métis japonais grimaça. Lui non plus n'avait pas de Coréens parmi ses connaissances, ou plutôt si, mais il s'agissait de trois garçons qui ne feraient pas du tout l'affaire. La mort tendait à rendre les gens plutôt confus, mais quand même pas au point de confondre les genres.

« On pourrait demander à Donnie ? »

Fred agita mollement la main pour exprimer un flagrant manque d'enthousiasme et de conviction.

« S'il fréquente d'autres gars que nous et Simone, ce sera la famille et les enfants des copains de ses parents, et je soupçonne qu'ils seront Black eux aussi. Pour une ville qui prêche la diversité, San Fransokyo pousse rudement les gens à rester entre eux, tu trouves pas ? »

Cependant, l'aspirant exorciste n'avait entendu la fin de cette déclaration que d'une oreille, trop concentrée sur un nom donné au début de la récrimination de son ami.

« Et pourquoi Simone ne nous trouverait pas quelqu'un ? Elle parle à tout le campus, si elle ne parvient pas à nous dégoter une candidate valable, ce serait vraiment le comble. »

Le blond rumina l'idée, sourcils froncés sous son bonnet.

« D'accord, Simone pourrait le faire, mais comment elle expliquera à notre délicieuse assistante d'un soir que le tour de magie est on ne peut plus réel ? Oh, peut-être qu'on peut prétendre tourner un film ! Papa adore cette excuse, trimballe-toi avec une caméra sur l'épaule et râle sur la scène qui n'a pas tourné comme il le faut, pas besoin de te vider la mémoire parce que les drôles de lumière passent pour des effets spéciaux ! »

Tadashi dut empoigner la chemise de Fred pour empêcher le blond de se ruer par la porte et courir réclamer l'attirail du cinéaste à l'auteur de ses jours. À tous les coups, son ami finirait par se prendre au jeu et chercherait à tourner le prochain Godzilla, sauf qu'il réclamerait de vrais dragons pour faire plus authentique, oui Godzilla est techniquement un dinosaure mais c'est un lézard géant qui crache du feu nucléaire, dis-moi que ça ne remplit pas la définition d'un dragon !

Parfois, le métis japonais songeait que M. Lee avait voulu cacher le monde magique à Fred précisément pour éviter ce type de réaction.