Au tout début, Lily Potter ne s'était doutée de rien quand sa fille avait nonchalamment prévenu qu'elle prenait des vacances en Amérique du Nord, alors si vous avez besoin de me dire quelque chose, je ne pourrais probablement pas répondre avant une bonne semaine, voire deux. Ce n'était pas la première fois que Daisy quittait le Royaume-Uni pour une raison ou une autre – la plupart du temps, il s'agissait de son travail, quand Daisy grappillait un week-end de liberté et détente, elle préférait se cacher dans son appartement, vautrée sur son canapé avec une pile de livres à moitié lus ou pas encore entamés.
Quelle raison la matriarche Potter aurait-elle eu de soupçonner quoi que ce soit ? Alors forcément, tout ce qu'elle avait demandé, c'était si sa fille ramènerait des souvenirs pour ses neveux et nièce, du moment que ce n'est pas un variant du coronavirus, et en passant fais bien attention quand tu seras là-bas, ces gens ne s'occupent pas de leur santé et à l'hôpital, ils te facturent jusqu'à la respiration, imagine un peu.
Daisy avait roulé des yeux et gloussé un peu avant de lui faire une bise et de partir, promesse implicite que tout se passerait bien et qu'elle se montrerait prudente. Affaire close, à première vue.
Sauf que Dumbledore avait envoyé une lettre au cottage de Godric's Hollow afin d'informer James et Lily que Daisy avait apparemment décidé de cambrioler Poudlard pendant que l'Angleterre et l'Ecosse profitaient des vacances scolaires. Même James – qui en avait pourtant commis des vertes et des pas mûres au cours de sa jeunesse et se permettait encore une frasque occasionnelle en dépit d'être un septuagénaire – n'avait pas exactement su comment réagir à cette nouvelle.
Ça se comprenait. Pourquoi donc Daisy voudrait-elle se promener dans les couloirs de Poudlard sans rien dire à personne ? Il ne pouvait pas s'agir d'un accès brutal de nostalgie, ce n'était pas son genre. Il n'était pas non plus question d'une farce, Daisy n'avait jamais manifesté de penchant pour la dissipation dont les Maraudeurs avaient été autrefois si fiers. C'était si bizarre venant d'elle que si Dumbledore n'avait pas insisté que plusieurs portraits avaient bien vu Daisy à Poudlard, les Potter auraient cru que le vieil homme leur mentait outrageusement.
Et pourtant, après avoir interrogé plusieurs toiles, il leur avait fallu s'incliner devant la montagne de témoignages et admettre que leur fille était rentrée par effraction dans une académie scolaire afin de consulter le registre des admissions pour l'année à venir. À n'y rien comprendre.
Pourquoi Daisy voudrait-elle l'adresse d'un enfant de onze ans vivant en Amérique ? Lily fixait d'un œil incrédule le nom définitivement Asiatique inscrit sur le parchemin apporté par Dumbledore, lorsque le directeur avait commandé à la plume d'acceptation de réécrire la dernière adresse qu'elle avait rédigée.
En Amérique… San Fransokyo, ville des États-Unis… Le voyage de Daisy était-il si innocent, après tout ? Se pourrait-il qu'elle mène une enquête, une qui nécessitait un prétexte à sa présence ? Auquel cas, déclarer qu'elle était une enseignante voulant fournir des opportunités d'études à l'étranger serait loin d'être stupide…
Mais quelque chose sonnait faux dans cette explication hasardeuse, trop alambiqué et tortueux, et Lily se mâchonnait les lèvres, poursuivie par le soupçon insistant que la vérité était tellement plus simple et pure. Elle était loin d'avoir le troisième œil – elle avait du mal à croire en la Divination, principalement parce que celle-ci avait ruiné en beauté la famille Potter – mais elle avait de bons instincts.
Ce fut cet instinct qui la conduisit à se rendre dans le salon où figurait la tapisserie familiale afin de pouvoir se masser les tempes et apaiser la migraine montante. La tapisserie où figurait la preuve, brodée en fils brillants, la preuve qui expliquait la pure et simple vérité par un lien entre deux noms, un que la matriarche Potter supportait à peine de regarder et un qui venait à peine d'apparaître.
Hiro Hamada, un garçon de onze ans disposant d'une inscription à Poudlard en dépit d'un patronyme japonais et d'une adresse aux États-Unis. Hiro Hamada, le garçon dont Daisy voulait l'adresse au point qu'elle était rentrée par effraction à Poudlard avant de se précipiter en Amérique afin de le rencontrer.
Hiro Hamada, le garçon inscrit sur la tapisserie familiale des Potter comme le fils de Viola, la Survivante, la fille qui avait disparu du Royaume-Uni pour ne plus jamais refaire surface, l'enfant perdue de James et Lily.
Leur fille évaporée qui avait un enfant vivant.
« JAMES ! JAMES ! VIENS TOUT DE SUITE ! LÂCHE TOUT ET VIENS ! »
Lily Potter ne hurlait jamais, même quand elle était en colère – elle avait la rage plus froide que brûlante – alors pour qu'elle perde ses moyens de la sorte, cela indiquait la gravité de la situation, et son époux s'était empressé de rappliquer, baguette sortie comme pour affronter une horde de manticores et de dragons des plus mal lunés.
La baguette tomba des mains stupéfiées de l'Auror à la retraite quand une Lily presque incohérente à travers ses larmes et son rire incontrôlable le traîna devant la tapisserie, agitant l'adresse juste à côté du nom fraîchement apparu afin de ne laisser aucune possibilité de tirer la mauvais conclusion.
James et Lily Potter tombèrent dans les bras l'un de l'autre et laissèrent libre cours à leur émoi pour une bonne heure. Comment réagir autrement, en face de pareille information ?
Quand le couple avait appris la disparition de leur fille, il y avait si longtemps déjà, trente-huit ans auparavant, le monde avait eu le hoquet. Et depuis ce funeste jour, la planète ne tournait plus correctement sur son axe – pour le restant de l'espèce humaine, pour le restant de l'Europe, tout avait continué normalement, mais les Potter avaient été obligés de vivre sur un monde détraqué. Un monde où il manquait un engrenage crucial, et la bonne marche de l'Univers s'en ressentait, la machinerie crissant et grinçant alors qu'elle poursuivait son œuvre.
Ils avaient appris à vivre sur cette planète qu'ils étaient seuls à sentir tanguer. Il fallait bien, puisque le Royaume-Uni ne s'arrêterait pas de fonctionner, sans parler du restant du monde. Pas pour l'absence d'une seule personne.
Et pourtant, ça pouvait laisser un tel impact, une absence, assez pour que le monde hoquette. Un impact aussi grand qu'une arrivée.
Une arrivée inattendue, rien que deux mots brodés sur une tapisserie, et pourtant c'était assez pour que la planète s'arrête, l'espace d'un battement de cœur, un souffle coupé, et se remette à tourner parfaitement sur son axe.
Une arrivée imprévue, mais que les Potter accueillaient les bras grands ouverts, tant pis si Hiro Hamada se conduisait en parfait hooligan américain qui mettait des chemises tropicales hideuses et crachait son chewing-gum partout, tant pis s'il croyait au Jugement Dernier s'abattant sur les femmes sortant sans chapeau et les voisins qui ne laissaient pas leur chien dormir dehors.
Il n'avait pas été attendu, pas prévu du tout, mais maintenant qu'il existait, maintenant que les Potter savaient qu'il existait, Hiro Hamada était adoré avec toute la ferveur désespérée de parents n'ayant pas revu leur fille depuis qu'elle portait encore des couches, un amour privé de débouché pendant presque quarante ans car la personne à qui il se destinait n'avait pas été présente pour le recevoir.
Hiro Hamada existait, et James et Lily ne pouvaient pas attendre que ce soit septembre afin de le rencontrer.
