La conduite de Jackson était un peu nerveuse. Un peu moins attentif à la route, il ne conduisait pas avec autant d'attention que d'ordinaire et cela se ressentait aussi bien dans ses gestes que dans ses réactions. Cependant, il était assez lucide pour ne pas représenter un danger, ni l'être réellement.
Mais il ne pouvait pas s'arrêter de penser. De revoir ce regard terrorisé. De repenser à cette discussion surréaliste qu'il avait eue avec son binôme. Et son odeur… Jackson avait l'impression qu'elle dansait encore dans ses narines, titillant les instincts de son loup intérieur. Des instincts purement protecteurs.
Et bordel, ce que Stiles lui faisait penser à Lydia. A celle qu'elle était avant. A celle qui faisait partie de ces – trop peu nombreuses – survivantes. Les entrailles du blond se nouèrent à ce souvenir des plus difficiles pour lui, car la jeune femme était… C'était une des personnes les plus chères à son cœur. La sœur qu'il n'avait jamais eue. La meilleure amie dont il avait toujours rêvé.
Mais Lydia était surtout un soleil à elle toute seule. Un soleil longtemps dissimulé à tous par d'épais nuages qui avait manqué de réduire ses rayons à néant. La grisaille revenait de temps à autres, assombrissant légèrement les prunelles sapin de la rouquine. Cependant, elle s'en était sortie. Savait qu'elle était entourée. Avait gagné suffisamment de confiance en elle pour connaître sa valeur.
Qu'en était-il de Stiles ? Le jeune homme lui faisait l'effet d'un petit animal sans arrêt soumis à la peur. Ses différentes réactions lors de leurs précédentes entrevues étaient très parlantes et Jackson ne cessait d'y penser depuis… Depuis qu'il avait été mis en binôme avec lui. Parce que c'était à partir de ce moment-là qu'il l'avait remarqué et que son odeur, pourtant très piquante, s'était mise à le titiller.
Autant dire qu'il s'interrogeait très régulièrement à son sujet et que la panique croissante du châtain ne l'aidait pas à penser à autre chose. Cette fois, c'était pire que tout : qu'avait-il bien pu lui arriver pour que Stiles… Pense qu'il lui voulait du mal ? Il y avait aussi cette phrase qu'il avait lâchée par inadvertance et qui résonnait en lui, tournait en boucle dans son esprit.
C'est toujours comme ça que ça finit.
Honnêtement, Jackson avait des idées. Des débuts d'hypothèses. Mais rien ne tenait la route. Il en était même venu à suspecter le shérif d'être le coupable dans cette histoire ! Mais l'attitude de celui-ci lorsqu'il était venu chercher Stiles au loft l'avait totalement convaincu de l'inverse. Puis… Il connaissait Noah Stilinski. L'homme de loi était droit et profondément gentil. Et Jackson était doué de capacités surnaturelles qui le rendaient capable de déceler les émotions dans les odeurs mais également de repérer d'éventuels mensonges. Ce jour-là, tout dans son attitude avait hurlé son inquiétude et son incompréhension. De la surprise, aussi.
Le problème se situait donc ailleurs.
Jackson finit par arriver à destination sans se départir de son humeur préoccupée. S'il n'était pas du genre à se pencher sur les malheurs de monsieur et madame tout le monde, il fallait avouer qu'il ne pouvait pas s'enlever Stiles de la tête. Stiles et sa terreur permanente. Stiles et sa peur des gens. Stiles et ses quelques évanouissements. Jackson se gara un peu mal, mais qu'importe : il était souvent le seul à se garer de ce côté-là de l'immeuble. Enfin, il sortit de son bolide et pénétra à l'intérieur du bâtiment. Une fois arrivé au bon étage, le blond pénétra à l'intérieur du loft. Son visage des plus fermés attira les regards, mais lui détourna le sien. Il n'avait pas envie de parler, pas envie de sociabiliser. Et pourtant, il était là, à l'intérieur du quartier général de sa meute, un endroit élu par tout ce petit monde. On y avait toujours trouvé un certain réconfort, et puis… C'était le lieu de vie de Derek. On se sentait toujours bien dans la tanière de son alpha. C'était comme ça. Instinctif, immuable.
Alors non, Jackson n'avait pas envie de parler avec qui que ce soit. Mais il avait besoin d'être là, car c'était ici qu'il se sentait le plus à l'aise. Ici, son deuxième foyer. Celui de cœur. Le plus intime. C'était vers cet endroit qu'il avait conduit, dans cet immeuble qu'il était monté.
Sans aucune hésitation, le blond alla à l'étage et se réfugia dans l'une des chambres d'amis, une qui était vide. Il lui fallait être seul, pour réfléchir. Seul, mais il aimait se sentir entouré par cette espèce de famille un peu bizarre qui s'était construite au fil du temps et… A partir de rien. Elle était hétéroclite, un peu particulière, mais il l'aimait comme ça et pas autrement.
Jackson se laissa tomber sur le lit et ses yeux se mirent à fixer le plafond. Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas été préoccupé de cette façon-là, au point de se dire qu'il devait agir. Au point d'avoir peur pour cet étudiant dont il ne connaissait que le nom et les émotions. Elles étaient plus parlantes que des mots, plus parlantes encore que son regard dans lequel on lisait pourtant facilement. Le plus particulier dans cette histoire, c'était cette façon qu'avait ce Stiles d'essayer de faire illusion. Même devant des humains, il n'en était pas capable. On voyait clair dans son jeu fébrile.
En temps normal, Jackson n'était pas du genre à faire autant attention aux gens mais il y avait chez cet étrange étudiant cette chose qui le perturbait, qui attirait sans cesse son attention. Lorsqu'il passait à côté de lui ou qu'il s'installait dans le même amphithéâtre, impossible pour lui de le manquer, de ne pas savoir où il était. C'était flagrant. Il sentait sa peur par instinct. Elle était telle que Jackson se demanda honnêtement comment ce Stiles n'avait pas déjà fait une crise cardiaque. Enfin, il se rappelait fort bien son énorme crise d'angoisse de l'autre jour, celle qui l'avait conduit à s'évanouir à moitié. Et pas plus tard qu'aujourd'hui, il avait cru que son binôme allait s'effondrer, encore. Ce n'était pas humain d'être aussi terrifié.
Alors forcément, il avait envie de lui parler, encore. D'avoir une nouvelle discussion avec lui, mais… C'était une mauvaise idée. Il n'y avait qu'à voir la manière dont il le percevait : Stiles était persuadé qu'il allait le frapper. Que s'était-il passé pour qu'il soit ainsi ? Jackson songea à un potentiel harcèlement. C'était plausible, mais il sentait qu'il y avait autre chose. Et il était inquiet, il fallait l'avouer. Lorsque les instincts de son loup s'éveillaient, impossible pour lui de passer outre. Il ne savait pas ce que Stiles avait de particulier, mais sa peur l'était. Elle lui paraissait carrément viscérale.
Un bruit attira son attention et Jackson tourna la tête vers la porte de la chambre pour y trouver son alpha sur son seuil. Il retint un soupir. Evidemment, Derek était là, le front plissé par le souci. D'un regard, Jackson lui accorda le droit de s'approcher car même si le loup de naissance avait un statut plus élevé que tous les membres de sa meute, il les respectait tous, ainsi que leur hypothétique besoin d'espace. Cependant, et ce même si Jackson avait envie d'être seul, il ressentait le besoin primal de se confier à son alpha. Les autres, non. Mais lui, oui. Derek dégageait cette aura rassurante qui avait le don de faire baisser ses barrières avec aisance, y compris les plus récalcitrantes.
Jackson se redressa jusqu'à s'assoir au bord du lit et se tritura nerveusement les mains. Derek, quant à lui, articula un ordre simple qui ne lui était pas destiné. Si le silence lui répondit, il savait qu'il avait été entendu des loups à l'étage inférieur et qu'aucun d'entre eux ne devait chercher à épier la conversation.
Jackson regarda son alpha un instant, avant de baisser les yeux de honte.
- Il a cru que j'allais le frapper, dit-il simplement.
Sans trop qu'il ne sache ni pourquoi ni comment, Jackson se sentait réellement touché par ce fait. Plus que de raison, sans doute. S'il savait avoir un air froid perpétuellement collé au visage, il n'imaginait pas qu'on pourrait imaginer… Qu'il puisse se montrer violent. Encore moins avec un presque inconnu.
Derek savait qu'il était allé discuter avec Stiles, notamment pour lui parler de ce devoir. Il avait décidé de le faire seul non seulement parce qu'il en avait les capacités mais également pour essayer de lui enlever un peu de ce stress et de cette angoisse qui le chevillaient au corps. Jackson ne savait pas pourquoi précisément, mais ça lui avait paru nécessaire et il s'était dit que c'était une bonne idée. Evidemment, avant de se lancer, il avait demandé conseil à Derek, qui avait approuvé sa démarche.
- Il te l'a dit ? Entendit le blond.
- A demi-mots, oui. Il m'a dit que c'était toujours comme ça que ça finissait.
Cette phrase ne quittait pas sa tête. Elle ne le voulait pas. Ressentant soudainement le besoin de se décharger et n'étant capable de faire cela qu'avec son alpha, Jackson lui raconta l'intégralité de leur entrevue dans l'espoir de… Comprendre, peut-être. Peut-être avait-il manqué quelque chose ? A la place du visage de Stiles, il revoyait souvent celui de Lydia. Alors voilà, il était incapable de passer autre chose pour l'instant. D'ignorer cet étudiant. De le laisser retourner hors de sa vie.
Et il était loin d'imaginer à quel point il en était de même pour Derek.
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Stiles avait besoin de se détendre. Un peu. Sortir de son appartement si sécurisant pour… Avaler un bon bol d'air frais. Il n'aimait pas les gens, il en avait peur. Et pourtant, ce jour-là, durant cet après-midi où il n'avait pas cours, il décida de retourner à ce bar si particulier qui revenait souvent à son bon souvenir.
Le piano lui manquait. La sensation de pouvoir créer quelque chose de ses mains aussi. De faire naître de ses pensées des mélodies qu'il faisait vivre au travers de ses doigts. Ses doigts rouillés, à son humble avis. Mais il aimait cette façon qu'il avait de pouvoir transposer ses penser en musique. Que dire de la musique en elle-même ? Il adorait ça. C'était sa vie, une passion viscérale, quelque chose qu'on ne pourrait jamais lui retirer, même sous la torture. Il continuerait de vibrer pour elle qu'importe le moment, l'endroit, le contexte.
Mais voilà, il avait toujours été incapable de l'exprimer à son père, de lui faire savoir qu'en vérité, c'était ça qu'il voulait faire de sa vie. Les études, c'était sympa, cependant… Il faisait ça par dépit, parce que c'était ce qu'on attendait de lui et qu'après Alvan… Stiles ne voulait pas faire de vagues. Au-delà de cela, c'était la peur qui continuait de dicter ses actes et sa discrétion. Comment avait-il fait pour avoir le cran de jouer, l'autre jour ? Il n'en avait aucune idée. Le manque, peut-être. Ça s'était fait comme ça, instinctivement. Il s'était posé, il avait joué.
Là, Stiles ne faisait que regarder le piano d'un air plus qu'envieux. Il voulait se lever, aller demander au patron s'il pouvait y retourner, faire s'élever quelques notes.
Mais il n'en fit rien. Par peur de déranger, il se contenta de commander puis siroter un verre de soda dans son coin en essayant de se faire tout petit. Des clients, il y en avait beaucoup aujourd'hui. Trop. Ils étaient costauds, pour la plupart et ne lui semblaient pas très avenants. Sentant l'air commencer à lui manquer, Stiles s'empressa de régler sa commande et de s'en aller, la boule au ventre. Ce n'était pas demain la veille qu'il pourrait rejouer sans crainte que la violence ne s'abatte sur lui. Stressé au possible, il rentra et ressortit ses cours, qu'il entreprit d'étudier ardemment même s'il y en avait certains qu'il ne comprenait. Il était en retard. Il avait des lacunes.
Et il avait l'impression qu'il n'arriverait jamais à se mettre à jour.
