Stiles n'avait pas l'impression d'être une mauvaise personne. Il ne pensait pas être quelqu'un de très bien non plus. Pour autant, il savait qu'il ne voulait faire aucun mal à qui que ce soit. Son but ? Etudier dans son coin, réapprendre la vie en société dans son coin, et tout simplement vivre dans son coin.
Alors pourquoi la vie se montrait-elle si sadique avec lui ?
Ses yeux écarquillés par ce mélange étrange de peur et de surprise fixaient l'écran fissuré de son téléphone. Lorsqu'il avait vibré, Stiles avait tout d'abord cru à une erreur. Puis, la curiosité et la peur d'être devenu un peu dingue l'ayant pris, il s'était décidé à l'allumer.
Et il y avait trouvé un message.
De Jackson.
Il l'invitait à revenir à la même adresse que la dernière fois, le samedi qui arrivait. Le motif ? Juste discuter, faire connaissance, boire un verre en toute tranquillité. Il ne lui reparlait pas de leur devoir, qu'il avait au final fait tout seul. Et aussi gentil que paraissait le message, Stiles y voyait un piège… Qui lui paraissait impossible à éviter. Parce que dans les deux cas, il pouvait prendre cher, pour la simple et bonne raison qu'il avait des cours en commun avec Jackson. De manière plus générale, ils se trouvaient dans la même université. Parfois, il suffisait de se croiser au détour d'un couloir pour que les choses dérapent. D'autres fois, il fallait juste que quelques mots s'échangent, que des ordres se transmettent. Donc si Stiles acceptait, c'était dans cet immeuble qu'il risquait de tomber dans un guet-apens sous forme de visite de courtoisie. Et s'il refusait, il se passerait sans doute la même chose, à la faculté cette fois-ci. En d'autres termes, il était dans une impasse.
Alors, il écrivit à Jackson et lui dit qu'il viendrait. Et juste en envoyant son court message, Stiles se mordit la lèvre inférieure. C'était mauvais. Il savait que c'était mauvais. C'était forcément mauvais. Si les choses se passaient de la même manière que la fois dernière, il était clairement foutu, et pas juste parce que tout ce petit monde lui passerait dessus à un moment ou à un autre. Disons que ça… Le fait qu'il y ait beaucoup de gens, ça l'angoissait. Comment autant de personnes pouvaient se retrouver dans un appartement ? D'accord, celui-ci était énorme, mais tout de même. Il ne comprenait pas le concept, lui que l'humain terrifiait. En quoi était-ce agréable de se retrouver entre autant de prédateurs ? Les choses ne finissaient-elles pas parfois par déraper ? L'humanité était violente par nature et le nombre était ce qui, parfois, allumait l'étincelle, faisait imploser ce qui, auparavant, fonctionnait malgré une fragilité constante. Et Stiles n'aimait pas se trouver au milieu dudit nombre. Après ces années passées à Alvan, il n'aspirait qu'à une vie tranquille en solitaire. Des amis, il ne voulait plus vraiment s'en faire. Vivre seul, c'était moins risqué. Puis de toute manière, qui voudrait de lui comme ami ? Le fil du temps lui avait fait perdre tout ce qu'il avait autrefois à offrir – et ce n'était déjà pas grand-chose. Alors voilà, Stiles savait ce qu'il voulait, ce dont il avait besoin.
Et peut-être qu'un jour, il cesserait d'avoir peur.
En attendant, il se rongea les sangs et alla en cours la mort dans l'âme, le travail s'accumulant sans qu'il n'arrive à le rattraper. Parce qu'à l'université, il peinait à se concentrer malgré son traitement pour son TDAH. Parce qu'à l'appartement, il paniquait à chaque fois qu'il essayait d'avancer. Peu à peu, il coulait. S'il comptait en parler à son paternel ? Absolument pas. Il était hors de question de le décevoir, encore moins de le pousser à le faire revenir à Alvan, ou un autre endroit de ce genre. Il n'y survivrait pas.
Evidemment, Stiles avait besoin de se poser, de se détendre. Cependant, ce n'était plus quelque chose qu'il se savait capable de faire et ce, depuis longtemps. Car à chaque fois qu'il se laissait tenter, sa culpabilité de faire quelque chose pour lui revenait au galop. Et il se disait que c'était mauvais. Qu'il devait travailler.
Alors, il espérait que ce « verre » au loft ne durerait pas longtemps, bien qu'il soupçonne que ledit verre n'était rien de plus qu'une excuse et que celle-ci cachait des choses… Qu'il ne voulait pas vraiment savoir. Chaque fois qu'il y repensait, son angoisse revenait au galop.
Il ne voulait pas y aller. Et pourtant il avait donné son accord, parce que c'était ce qu'on attendait de lui. Il avait l'habitude d'obéir. De son humble avis, on ne lui demandait pas réellement le sien. On attendait simplement qu'il s'exécute. Pourquoi ? Parce que Stiles savait de quoi il avait l'air, quelle image il renvoyait aux autres. Et le pire, c'est qu'il ne savait pas quoi faire pour s'en détacher.
Ainsi, lorsque le samedi arriva, Stiles fit de son mieux pour cacher ce qui faisait de lui un être un peu à part. Il fallait qu'il soit le plus lisse possible. De cette façon, peut-être que… Peut-être qu'on voudrait bien l'épargner ? Stiles avala plusieurs cachets d'Adderall. Un peu trop, sans doute. Mais il ne devait pas avoir l'air… Spécial. Hyperactif. Puis s'il voulait survivre au mieux sur le plan mental, il se devait d'être plus mou, moins vif.
Moins de pensées, moins de réactions. Moins de souffrance.
Evidemment, abuser de son traitement n'était pas une idée très brillante, d'autant plus qu'il avait de la marche à faire pour rejoindre le loft. Un trajet qui lui parut infini alors que tout était plus lent pour lui. Que se mouvoir représentait un effort réel. Stiles n'allait pas s'évanouir… Mais peut-être finirait-il par s'endormir lorsqu'il finirait par rentrer – s'il en avait l'occasion. Si dans sa tête, tout était plus lent, il ne pouvait pas effacer certaines idées qui lui collaient à la peau. Pour lui, les choses déraperaient forcément. Un coup partirait et d'autres finiraient par suivre. C'était comme ça que ça marchait. C'était comme ça qu'on faisait toujours, avec lui. Alors, pour s'éviter de trop penser là-bas, il avait pris sa boîte d'Adderall avec lui, histoire de prendre un comprimé supplémentaire si les effets des premiers s'estompaient trop vite. Stiles savait que la surmédication n'était pas une bonne idée… Mais il ne savait pas quoi faire d'autre, à part cacher cette différence qui pouvait lui coûter cher si on la découvrait. Par expérience, il savait que l'être humain n'aimait pas la différence, les particularités, les troubles. Il devait s'exhorter à être le plus « normal » et lisse possible.
Mais il crut qu'il allait défaillir en arrivant, un bon paquet de minutes plus tard, essoufflé. Il ne devrait pas l'être tant, cependant… Le stress et l'abus de son traitement faisaient leur effet. Il se persuada toutefois que ce n'était pas grave et qu'on n'y ferait pas attention. Une fois arrivé devant la porte au bon étage, il prit le temps de souffler tout en se demandant vaguement pourquoi Jackson… Le faisait venir là, encore. Du peu qu'il savait, ce n'était pas chez lui. L'appartement appartenait à cet homme, Derek Hale. Alors pourquoi le faire venir ici ? Pour réserver le peu de santé mentale qu'il lui restait encore, Stiles fit de son mieux pour éviter de continuer à se poser la question. Ce sur quoi il se concentra ensuite malgré lui fut… La foule. S'il y avait autant de monde que la dernière fois, la crise de panique ne mettrait pas longtemps à arriver. Les rassemblements, il en avait trop peur. C'était souvent pour lui, contre lui. Forcément, il était difficile pour lui de continuer d'étudier à l'université, mais… Avait-il le choix ? Non. Il ne devait éveiller les soupçons de son paternel sous aucun prétexte. Jamais. Autrement, ça se passerait mal. Ça se passerait forcément mal. Toujours. Alors, il endurait en silence, en se disant… Qu'il n'en aurait que pour quelques années. Ensuite, il pourrait essayer de se trouver un travail qui lui convenait, quelque chose qu'il pourrait faire de chez lui…
Stiles n'eut pas le temps de se perdre davantage dans ses pensées : la porte s'ouvrit devant lui, comme par magie. Il retint un hoquet de surprise et baissa automatiquement les yeux en voyant que celui qui lui avait ouvert n'était autre que le propriétaire de l'appartement. L'homme du bar. Derek Hale.
Stiles bredouilla un « bonjour » extrêmement timide et indiqua sans attendre la raison de sa venue. Jackson l'avait invité à revenir ici, il ne savait pas trop pourquoi et… Il était là. Apparemment, le blond disait vouloir discuter et faire connaissance mais Stiles n'y croyait pas trop et… S'il dérangeait, il pouvait repartir… D'où il venait et… Dire à Jackson qu'il s'était peut-être trompé d'endroit ? Vraisemblablement, l'appartement n'était pas à lui, donc… Stiles s'arrêta soudainement. Il parlait trop. Il avait abusé sur la dose d'Adderall… Et il parlait trop. Pas bien, susurra une voix dans sa tête. Une voix nasillarde qui lui donnait l'impression d'être la sienne. Il se crispa alors violemment. Qu'est-ce qu'il lui avait pris de laisser tant de mots sortir de sa bouche ? Il n'était pas en sécurité, avec des gens qu'il connaissait. Il était… Chez Derek, chez cet homme qui l'avait écouté jouer du piano, chez celui qui l'avait porté alors qu'il faisait une crise de panique… Merde, il s'était plus ou moins évanoui chez lui et… S'il n'avait pas encore laissé éclater sa colère à son encontre, il était certain que cela ne saurait tarder s'il continuait… D'enchaîner les erreurs. Alors il s'excusa, tout de suite, sans lui laisser le temps de réagir. Lui dit qu'il était désolé, qu'il ne savait pas ce qu'il lui avait pris, que… Qu'il allait se taire. Oui, c'était bien, le silence.
Qu'est-ce que Derek trouva à répondre ? Un simple « entre », articulé les yeux écarquillés. Il s'écarta du seuil, lui laissant l'espace nécessaire à Stiles pour pénétrer à l'intérieur du loft. Le cœur battant, celui-ci se força à ne pas laisser sa panique claire le paralyser et s'exécuta, la mort dans l'âme.
Il allait payer. Il était sûr qu'il allait payer. Qu'importe ce qu'il avait fait ou pas fait. Il allait payer, souffrir. Sitôt qu'il croisa le regard de Jackson, tranquillement assis sur le canapé du salon, entre… Allison et la rousse de la dernière fois, Stiles sentit son souffle se couper. Un, deux, trois, quatre, compta-t-il dans sa tête. Ils étaient quatre. Stiles ne s'incluait pas dans le lot. Si le nombre aurait dû le rassurer, l'hyperactif se força à garder un visage… Neutre en expression. Il ne savait pas si ça fonctionnait, mais il devait faire son maximum pour rendre possible l'impossible.
Aussi, lorsque Allison se leva pour venir à sa rencontre un doux sourire aux lèvres, il ne sut quoi faire.
