Encore merci pour vos retours ! J'espère que ce chapitre-ci vous plaira. Bonne lecture !
CHAPITRE 10 - PRISONNIER
Il souleva péniblement ses paupières alourdies, secoua la tête pour retrouver ses esprits et voulut étirer ses membres endoloris. Il ne put, quelque chose les maintenait attachés, quelque chose comme une entrave. Cette sensation désagréable lui en rappela aussitôt une autre.
Quelques mois plus tôt :
L'infortuné jeune homme gisait au sol, les mains solidement liées dans le dos. Enfin, il émergea peu à peu de sa torpeur. Il ne comprit pas tout de suite ce qui lui était arrivé mais il aperçut son fidèle serviteur, Bernardo, attaché à une chaise, l'air catastrophé, et il se rappela. Son regard se porta ensuite sur un homme entièrement vêtu de noir, jusqu'à une sorte de cagoule qui lui recouvrait entièrement le visage. C'est à peine si l'on distinguait ses yeux ! Il se redressa péniblement ; puisqu'il avait été démasqué, inutile de jouer le jeune caballero indolent et mieux valait au contraire révéler l'identité de son geôlier. D'un bond, ce dernier fut sur lui, le mit debout durement et lui appliqua la lame de son épée sur la gorge du jeune homme. Celui-ci n'en menait pas large.
- Est-ce que vous voulez me tuer ? demanda-t-il.
Pas de réponse. Il décida de ruser malgré tout.
- Je crains de ne pouvoir compter sur votre pitié. Est-ce que vous refuseriez de me laisser boire un peu ?
Un nouveau ricanement l'arracha à ses souvenirs et le rappela à la réalité présente : venu délivrer Ana-Maria, il était tombé droit dans le piège qui lui avait été tendu. Restait à savoir ce que voulaient ceux qui le détenaient prisonnier. Felipe s'approcha de lui et rit méchamment.
- Ainsi, le terrible Zorro est maintenant prisonnier, railla-t-il. Incroyable ! Qui l'eût cru ?
Son expression devint soudainement plus dure.
- Assez ri, reprit-il d'un ton sec, nous allons maintenant dévoiler au grand jour l'identité de ce héros masqué puisqu'il n'a pas voulu le faire lui-même, au grand désespoir de notre charmante invitée. Qu'en pense-t-elle ?
Ana-Maria lui lança un regard furibond. Elle se tenait adossée à la paroi rocheuse, en face du mystérieux justicier. Son bâillon lui avait été enlevée mais elle ne desserrait pas pour autant les dents. Don Felipe allait et venait dans la caverne. Une torche jetait une lueur vacillante sur la scène et projetait des ombres inquiétantes sur les murs. Zorro se résigna. Le moment tant redouté était inévitable. Il valait mieux se concentrer sur la suite et trouver un moyen de sortir d'ici avec Ana-Maria. Il ne pouvait qu'attendre le moment favorable.
Don Felipe s'approcha lentement de lui et apposa doucement ses mains de part et d'autre du visage du justicier masqué. Ce dernier ne bougea même pas. Enhardi, le fils de l'Aigle arracha le masque d'un geste brusque.
- Diego ! s'écria immédiatement Ana-Maria.
Une foule de pensées envahit dans son esprit. Elle comprit. Tous ces moments passés avec don Diego, toutes les fois où Zorro était apparu, tout ce qui l'avait intrigué inconsciemment. Elle comprit pourquoi don Diego n'était pas là le jour de l'armistice, pourquoi il ne voyait pas Zorro comme un rival, pourquoi ils semblaient avoir la même voix, les mêmes intonations, le même regard quand ils la regardaient… Les larmes lui montèrent aux yeux. Que n'avait-elle compris tout cela plus tôt ? Le jeune homme devait la détester pour tout ce qu'elle lui avait fait souffrir.
Satisfait de son effet, don Felipe émit un petit rire moqueur.
- Ainsi, c'est donc vous ?
Zorro, ou plutôt don Diego, ne répondit même pas, il s'interdit de lancer même un quelconque regard à Ana-Maria. Son cerveau tournait à toute vitesse pour trouver une issue à cette situation critique. Don Felipe lui apparaissait capable du pire. Il remua imperceptiblement sur sa chaise ; elle était par chance légèrement branlante mais ses liens étaient solides. Rien à espérer de ce côté-là. Il secoua une tête encore affaiblie par le coup qui lui avait été porté. Don Felipe le dévisageait attentivement.
- Je n'en reviens pas d'avoir capturé le fameux Zorro qui se vantait d'être insaisissable. Je tiens ma vengeance, enfin ! se réjouit-il, les traits déformés d'une joie malsaine.
Don Diego leva vers lui un regard ennuyé et étonné à la fois. Gagner du temps, narguer son détenteur, le distraire à tout prix.
- Voyons un peu, réfléchissait tout haut le fils Varga. La capture a été presque trop facile…
- Vous trouvez ? répliqua Diego aussitôt. Allez plutôt demander à vos hommes ce qu'ils en pensent.
- Qu'importe ? réagit immédiatement son ravisseur. Tu es pris à présent et tu vas payer pour tout ce que tu as fait à mon père, don Diego. Mais à petit feu, bien sûr, ajouta-t-il lentement, il faut que tu payes pour tous les crimes que tu as commis.
- Tous ceux que j'ai déjoués, vous voulez dire, corrigea fièrement le Renard.
Le jeune homme ne reçut pour toute réponse qu'un coup au visage suivi d'un autre dans l'abdomen qui le fit se courber en deux. Ana-Maria ne put s'empêcher de pousser un petit cri d'effroi et de douleur. Diego releva lentement la tête, se forçant à sourire pour continuer de défier son ennemi. Ce dernier tombait dans le piège qu'il lui tendait. La riposte ne se fit pas attendre. Un deuxième coup lui déchira la lèvre ; le jeune homme tomba à la renverse, brisant la chaise dans sa chute. Les mains entravées, il ne put se relever à temps pour éviter le pied rageur de don Felipe dans son ventre, suivi d'un deuxième. Les coups se mirent à pleuvoir, le jeune Varga déchargeait sa haine sur son adversaire impuissant, gisant à terre. Ana-Maria avait, elle aussi, les mains attachées dans le dos et assistait, muette d'horreur et de faiblesse, devant le spectacle navrant qu'offrait don Diego qui encaissait sans un cri l'accès de rage de son ennemi.
Enfin ce dernier s'arrêta au bout de longues minutes douloureuses. Don Diego se redressa péniblement. Il secoua la tête pour chasser la mèche de cheveux qui lui tombait sur les yeux. Don Felipe, l'œil mauvais, se saisit d'un fouet et s'approcha d'un pas déterminé vers lui. D'un coup d'œil, Diego comprit et tourna la tête du côté d'Ana-Maria pour la première fois, lui jetant un regard souriant et calme. Il s'oublierait jusqu'au bout.
La lanière de cuir s'abattit sans pitié sur son dos. Il se redressa comme mû par un ressort et serra les dents pour ne pas crier. Une seconde fois, elle le cingla plus fort encore puis une troisième, une quatrième. Diego arrêta de les compter, concentrant toutes ses forces restantes pour ne pas laisser échapper le moindre cri qui n'aurait pas manqué de faire jubiler son ennemi.
Ne pouvant soutenir ce spectacle atroce où celui qu'elle aimait se faisait battre comme un chien, Ana-Maria se mit à s'agiter de toutes ses forces pour libérer ses mains. Les cordes s'enfoncèrent dans sa chair déjà meurtrie et elle serra les dents pour ne pas gémir tandis que les larmes jaillissaient sous ses paupières. Elle était déjà suffisamment honteuse d'avoir fait souffrir le jeune homme, en préférant à ses attentions délicates un homme masqué, certes héroïque mais dont elle ne savait que peu de choses en vérité. Il lui fallait désormais être digne des deux personnages en étant courageuse.
Diego sentait ses forces l'abandonner peu à peu. Ne pas crier, c'était le principal. Le reste importait peu. Ne pas crier. Ne pas… Il perdit conscience tandis que les coups continuaient de pleuvoir. Enfin, don Felipe s'arrêta voyant qu'il ne bougeait plus. Ana-Maria s'immobilisa aussitôt.
Le jeune Varga prit un seau rempli d'eau posé là et le vida sans plus de manières sur le corps immobile de don Diego. Le résultat ne se fit pas attendre le jeune homme bougea légèrement et ouvrit péniblement les yeux. En un bond, Felipe fut près de lui, le saisit par les cheveux pour le forcer à se relever.
- Debout, ordonna-t-il sèchement.
- Vous êtes satisfait ? l'interrogea faiblement don Diego. Il est vrai qu'il est plus facile de frapper un homme sans défense à terre que de l'affronter à l'épée, n'est-ce pas ?
Un nouveau coup de poing au visage le fit basculer à la renverse.
- Debout, lui intima une seconde fois Felipe en le frappant du pied cette fois-ci. Debout, répéta-t-il ponctuant sa phrase d'un croche-pied.
Diego s'écroula une nouvelle fois dans la poussière. Ana-Maria laissait couler ses larmes franchement.
- Ah tu veux m'affronter à l'épée, reprit-il. Tu crois donc pouvoir me vaincre ? Je n'en serai pas si sûr à ta place, asséna-t-il en l'accompagnant d'un autre coup de poing.
Son adversaire à terre se releva péniblement, les mains toujours entravées, essuyant de sa manche déchirée le sang qui coulait de sa lèvre.
- Vous semblez oublier que vous parlez à Zorro, señor, lança-t-il fièrement.
- Il n'y a plus de Zorro, hurla le Vautour. Maintenant le monde entier saura que Diego de la Vega est Zorro.
- Il faudrait sortir d'ici, señor, fit remarquer Diego. Et personne ne vous croira.
- Ah tu crois ça, Diego de la Vega, fit Felipe en s'approchant de façon menaçante. N'oublie pas que j'ai le moyen de te forcer à te dévoiler publiquement, grinça-t-il en désignant Ana-Maria.
Il s'éloigna, prit Ana-Maria par les bras et l'approcha de Zorro démasqué, toujours à terre. Il tira un couteau de sa veste et l'appliqua sur la gorge de la malheureuse jeune femme. La lame luisit dans la pénombre.
- Et maintenant, Diego de la Vega, tu crois toujours que tu es maître de la situation ? railla-t-il.
Diego préféra ne pas répondre.
- J'ai tout prévu, se vanta Felipe, tu ne peux m'échapper, Zorro. Tu es à moi et tu feras tout ce que je te commanderai, sans quoi…
Le silence était éloquent quant à ses intentions à l'égard d'Ana-Maria. Un éclair de colère passa dans les yeux de Diego ce misérable le tenait par son point faible et tant qu'Ana-Maria serait en jeu, il savait qu'il ne pourrait rien tenter qui ne la mette en danger. Il ne supporterait pas de la perdre.
Un bruit de pas précipités se fit entendre au dehors. Le señor Varga lâcha subitement Ana-Maria et se précipita au dehors.
