Stiles n'était pas quelqu'un que l'on pouvait surprendre facilement et pourtant, Isaac était persuadé qu'il réussirait à le rendre bouche bée. Et il s'en moquerait – gentiment bien sûr. Il n'avait pas la moindre intention d'être méchant avec cet ami qui lui apportait tant.

Mais le piquer un peu tout en lui faisant prendre conscience de ce qu'il avait vécu la veille au soir… Cela avait été trop ridiculement tentant. Avec ce qu'il savait, c'était clair et net – et ne pouvait que bien se passer. Stiles aurait honte, il n'y avait pas lieu d'en douter. Mais Isaac considérait que ce n'était rien de plus qu'un juste retour des choses, fort sympathique qui plus est. Puis c'était l'occasion de lui présenter cette âme si charitable qui avait changé sa vie des années plus tôt… De quoi donc faire d'une pierre deux coups. Stiles lui en voudrait peut-être un peu sur le moment, mais ils en riraient sans doute d'ici peu. L'un serait un peu plus expressif que l'autre, certes. Isaac restait toutefois persuadé qu'il réussirait à tirer un vrai rire de son ami, un jour. Ainsi, une partie des choses reviendrait comme elles étaient avant. C'est beau de rêver, fit une petite voix à l'intérieur de la tête du jeune homme aux cheveux bouclés. Les choses ne seraient peut-être pas aussi simples qu'il ne le voulait. Stiles lui-même était compliqué… Mais il gardait espoir.

- Tu ne m'avais pas dit que tu avais quelqu'un chez toi, fit son invité, un air quelque peu perplexe collé au visage.

Il ne chuchotait pas, avait juste une voix naturellement basse et ne voyait pas l'intérêt d'augmenter le volume dans la mesure où il savait qu'Isaac l'entendrait dans tous les cas.

- La vie est faite de surprises, lui répondit simplement son cadet, une étincelle malicieuse dans le regard.

Parce que Stiles n'était pas le seul ami qu'il aimait embêter.

Et c'est avec un plaisir non dissimulé qu'il vit les yeux de son aîné s'écarquiller d'une stupeur incontrôlée lorsqu'ils arrivèrent dans la cuisine. Mais Isaac peina à ne pas éclater de rire lorsqu'il vit l'incompréhension se peindre sur le visage de Stiles, avant que celui-ci ne devienne blanc comme neige. Les souvenirs lui étaient-ils revenus ? Il semblerait bien que oui. Quoi de mieux qu'un visage pour réveiller efficacement la mémoire ?

- Derek, je te présente Stiles, mon meilleur ami, et un buveur occasionnel. Stiles, tu as devant toi l'homme qui t'a tenu les cheveux pendant que ton corps expulsait tout l'alcool que tu as ingurgité.

La présentation était peut-être un peu directe, un peu piquante, presque accusatrice, mais Isaac n'avait pas essayé de lutter contre cette envie de dire ce qu'il pensait de la situation – ou du moins en partie. S'il était complètement honnête, il aurait agrémenté cette annonce d'un sermon direct exclusivement dirigé vers son ami humain, mais ne pensait pas que celui-ci puisse très bien le prendre. Et puis il avait la gueule de bois, ce qui ne rendrait pas la chose plus facile, bien au contraire. En même temps, son état le mettait face aux conséquences de ses actes. Il s'agissait là d'une bonne piqûre de rappel quant à ces écarts qui, malgré leur rareté, participaient à la dégradation lente de sa qualité de vie. On pouvait même commencer à parler de déchéance puisqu'à côté de cela, Stiles faisait de moins en moins d'efforts pour prendre soin de lui.

- C'est une blague ? S'éleva la voix rauque mais très peu assurée de l'humain.

Il ne regardait pas Derek, mais bien Isaac. Ses yeux ne se détournaient pas de lui et… Boucles d'or n'y lisait pas la moindre colère. Elle viendrait sans doute bientôt et fort vite d'ailleurs. Pour l'instant, la confusion régnait, se mêlant à une sorte de peur particulière. La honte, elle, avait d'ores et déjà pointé le bout de son nez – elle se faisait toutefois discrète. Malgré son tempérament de feu et sa tendance à la sincérité brute, Stiles avait à cœur de rester digne. Ou de conserver le peu de choses qu'il lui restait. En outre, de ne pas montrer l'entièreté des émotions qui le traversaient. Savait-il seulement qu'il avait affaire non pas à un, mais bien deux loups-garous ? Isaac retint une nouvelle envie de rire. La situation, qu'il avait plus ou moins provoquée, avait un potentiel comique auquel il était fort sensible. Rares étaient les fois où il pouvait se moquer – gentiment – de son ami humain. Autant en profiter, sans toutefois dépasser la limite entre la taquinerie et la méchanceté.

Isaac, de son côté, mit fin au contact visuel avec Stiles pour jeter, de son côté, un coup d'œil à celui qu'il avait présenté comme « Derek ». Fut-il surpris de constater que son visage n'affichait plus grand-chose ? Pas vraiment. Avoir obtenu un semblant de réaction de sa part était déjà un miracle en soi. Derek avait, de façon générale, un contrôle assez fort sur ses expressions et, plus largement, ses émotions. Isaac n'avait jamais connu un homme ayant autant de sang-froid que lui. En cela, son aîné était un modèle – qu'il avait néanmoins réussi à faire flancher l'espace d'un instant ! L'exploit le grisait, quoiqu'il ne l'avouerait pas à haute voix. Il reporta alors son attention sur Stiles.

- Tu le reconnais, non ? S'enquit-il d'un air qui se voulut un minimum sérieux – un véritable défi à cet instant précis.

Stiles ne pipa mot, mais l'expression de son visage parla pour lui : il commençait à avoir doucement envie de commettre un meurtre – en tout bien tout honneur. Et proprement, qui plus est.

Isaac se tourna à nouveau vers Derek.

- Un café ?

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- Tu vois, j'en ai connu des enfoirés : le monde en est rempli. Mais toi, toi… Je n'ai même pas les mots pour dire à quel point tu es vil…

Stiles avait bien meilleure allure. La peau moins pâle, le regard complètement réveillé. Il bougeait, marchait. Tournait en rond dans le salon – il ne voulait plus mettre un pied dans la cuisine pour le moment. Son mal de crâne ? Toujours là, en tâche de fond. Dans un sens, il passait outre. Le cacheton qu'il avait pris l'y aidait. C'était moins fort, bien plus supportable. Ainsi, il pouvait réfléchir un peu plus aisément.

Et trouver toujours plus de noms d'oiseaux qui, à ses yeux, n'étaient toujours pas assez forts pour caractériser Isaac à cet instant précis.

- Pour être honnête avec toi, commença le loup-garou.

- Ne me parle pas d'honnêteté, le coupa Stiles, la voix sifflante. J'ai jamais eu d'ami aussi traître.

Franc de nature, Isaac se retint toutefois de lui faire remarquer que des amis, il n'en avait pas vraiment – mis à part lui. Mais ce fait étant quelque peu piquant et de trop, le loup-garou préféra garder le silence à ce sujet. Il en avait déjà bien assez fait – et il en était toujours fier – même si les choses s'étaient goupillées assez naturellement.

C'est-à-dire qu'il avait croisé Derek la veille, au bar. En cherchant Stiles, il avait fini par aller aux toilettes, l'endroit qu'il jugeait le plus optimal et « rassurant » pour une personne en état d'ébriété. Et il l'avait repéré aisément. C'est alors qu'il avait eu la surprise de trouver Derek à ses côtés, lequel lui avait semblé vraisemblablement désemparé et impuissant. En le remerciant, Isaac avait récupéré son ami humain et était rentré.

Sauf qu'il avait oublié que Derek devait passer le lendemain matin, à savoir ce jour. En soi, Isaac n'avait rien manigancé de particulier : il avait juste omis de préciser à Stiles qu'il connaissait l'homme qui était avec lui dans les toilettes… Et que celui-ci avait prévu de venir. En cela, il s'était dit qu'il pouvait en profiter pour lui faire prendre conscience de l'importance de ce qu'il avait fait – et cette leçon avait pris une allure de vengeance douce.

Et cela avait été jouissif tant Stiles avait été gêné de croiser le regard de cet homme qu'il avait tout de suite reconnu et qui lui avait rappelé l'intégralité des souvenirs que son cerveau avait volontiers mis sous silence.

Maintenant, il lui en voulait et pourtant, Isaac ne regrettait absolument rien. Il gardait un silence de façade et se disait qu'au moins, il mettait un peu de piquant dans la vie morne et fade de Stiles Stilinski.