La Fin est le commencement

Chapitre 2 - La Rencontre

Ahurie, le regard rivé à son Phs, Théïa lut et relut à maintes reprises l'ordre de mission qu'elle avait reçu quelques minutes auparavant, presque incrédule :

« J'y crois pas ! », murmura-t-elle avec une fébrilité palpable.

L'opportunité la laissait sans voix : elle allait partir aux côtés du Grand Sephiroth lui-même !

« Il est réel ! Il existe vraiment ! Je n'arrive pas à y croire ! »

Les instructions étaient simples : un gigantesque dragon avait été aperçu à plusieurs reprises à proximité de la ville de Kalm, allant même jusqu'à provoquer la disparition de certains habitants. Le maire de la petite bourgade avait par conséquent sollicité l'assistance de la Shinra ainsi que de leurs SOLDATs. Le 1ère Classe Sephiroth, épaulé par le 2nd Classe Arèth Klein ainsi que deux autres gardes, devaient se rendre sur les lieux dès les premières lueurs de l'aube.

Au fil de cette nuit, après des heures infructueuses à tenter de trouver le sommeil, elle finit par s'endormir, l'esprit tourné vers la mission à venir...

Le lendemain, comme tant d'autres matins, une main fine émergea des draps pour éteindre le petit réveil, puis se réfugia de nouveau sous la couette. Quelques dizaines de minutes plus tard, un corps se précipita hors du lit en s'exclamant :

« Oh non ! J'suis encore en retard ! »

Prise de panique, la jeune militaire revêtit en hâte son uniforme. Une petite toilette rapide et elle empoigna son sabre avant de quitter précipitamment son modeste logement. En tant que 2nd Classe, elle avait dorénavant droit à son propre appartement. Niché dans un quartier à proximité de la tour, son domicile se trouvait au deuxième et dernier étage d'un bâtiment flambant neuf. La plupart des SOLDATs du même rang résidaient également dans cette rue.

Courant à en perdre haleine à travers les rues de Midgar, fort heureusement désertes en cette heure matinale, elle jeta un bref coup d'œil à son téléphone pour vérifier l'heure et constata avec désarroi qu'elle était vraiment à la bourre. Le temps d'arriver jusqu'à la tour et de rejoindre son équipe à l'étage attribué aux membres du SOLDAT, elle affichait désormais un retard d'au moins trente-cinq minutes :

« Veuillez excusez mon ret…! »

Le dernier mot resta coincé dans sa gorge. Maladroitement, elle pointa du doigt le jeune homme qui l'attendait, bras croisés, entouré des deux autres gardes :

« Mais ! Mais ! Mais ! Non ! », bégaya-t-elle bêtement.

Son esprit ne fit qu'un tour et elle reconnut immédiatement celui qu'elle avait bousculé il y avait quelques temps dans les couloirs, cet individu qui l'avait miraculeusement tirée d'affaires au laboratoire.

« Mais qu'est ce que tu fais là "z'yeux d'chat" ? s'écria-t-elle. Ne me dis pas que toi aussi tu viens pour cette mission ? Je devais être le seul avec le 1ère Classe Sephiroth normalement ! »

Théïa était tellement stupéfaite qu'elle ne vit même pas l'étrange regard qu'échangèrent les deux miliciens avec leur supérieur. Perplexes, ces derniers peinaient à croire que quelqu'un puisse ignorer l'identité du fameux SOLDAT.

Le plus jeune garde allait rétorquer quelque chose lorsque le regard de jade de Sephiroth le fixa, impérieux. Le message était clair : il avait intérêt à garder le silence.

« Sephiroth n'a pas pu se libérer pour cette mission, c'est donc à moi qu'ils l'ont confiés », expliqua-t-il en choisissant délibérément de jouer la comédie.

Après tout, ça n'était pas tous les jours qu'une telle occasion se présentait.

« Tiens, t'as retrouvé ta langue ! »

Le sarcasme échappa à Théïa avant même qu'elle ne réfléchisse, ce qui ne fut guère du goût de Sephiroth :

« En tant que 1ère Classe, je suis ton supérieur et tu dois t'adresser à moi correctement, la rabroua-t-il.

- Pfff ! Bien Monsieur, répliqua-t-elle en levant les yeux au ciel.

- Tu es en retard de trente-cinq minutes SOLDAT 2nd Classe Arèth Klein.

- Je m'faisais beau ! ça t'va ! »

Oups ! Sa mauvaise humeur avait vraisemblablement pris le pas sur sa raison et elle venait peut-être de pousser le bouchon un tout petit peu trop loin. En voyant le regard glacial que le jeune homme lui renvoya, elle reprit plus posément :

« Veuillez excuser mon retard, Monsieur. Ça ne se reproduira plus…

- Bien, je préfère ce ton là. À l'avenir tu feras attention à ton langage avec moi. En route.

- Oui, Monsieur », répondit-elle, résignée par la situation.

Les deux jeunes miliciens qui avaient suivi, confus, cet étonnant échange entre le Grand SOLDAT et le petit seconde Classe, enfilèrent leurs casques et se rangèrent derrière les deux guerriers d'élite.

Kalm n'était qu'à une demie-journée de marche de Midgar. De plus, cette mission exigerait probablement des patrouilles dans ses environs, c'est pourquoi aucun véhicule n'était requis pour le déplacement.

Une fois sortie de la métropole, l'équipe traversa les vastes plaines verdoyantes et les étendues herbeuses dans un silence qui n'était perturbé que par les cris de quelques chocobos sauvages. Même lorsqu'une poignée de loups téméraires s'approcha, les seuls bruits perçus furent les hurlements des canidés effrayés par les sorts de feu lancés par le guerrier.

Ce silence devenait donc peu à peu oppressant pour Théïa. Même en présence de ses supérieurs, elle était connue pour sa loquacité, ce qui irritait souvent ces derniers, incapables de la faire taire. Elle décida alors de rompre cette atmosphère étouffante :

« Pourquoi n'a-t-il pas pu venir ?

- Mmh ?

- Sephiroth, pourquoi n'a-t-il pas pu venir ? répéta-t-elle en mâchouillant nonchalamment un brin d'herbe entre ses quenottes .

- Une importante affaire à régler. »

Réponse claire et concise.

« Je vois…»

Sans le vouloir, elle laissa échapper un soupir.

« Tu as l'air déçu, constata Sephiroth en voyant la mine renfrognée du garçon.

- Oui…Non…Enfin, un peu ! J'ai tellement entendu parler de lui que j'étais juste un peu curieux, expliqua-t-elle avec sincérité.

- Tu ne l'as jamais vu ?

- Non. Pas une seule fois. Je sais qu'il est de temps en temps en photo dans les journaux, mais je ne les lis jamais, je déteste lire ces trucs-là ! »

La simple vue du logo Shinra sur les quotidiens lui donnaient la nausée ! Des tissus de mensonges et du bourrage de crâne, voilà ce que c'était !

Le Grand Héros avait du mal à y croire. Au fil des années, il avait conscience que sa renommée s'était répandue à travers le monde. Même s'il n'était pas particulièrement intéressé par ce genre de choses, il comprenait que la Shinra utilise fréquemment son image dans les médias à des fins de propagande. Le fait que cet individu ne sache absolument pas le reconnaître le laissait pantois. Intrigué, il reprit :

« Tu ne sais même pas à quoi il ressemble ?

- Non ! rétorqua Théïa. Je sais ! Je sais ! Ça paraît ridicule ! Je dois être la seule personne de Midgar à ne pas le savoir ! C'est juste que… »

Elle sembla hésiter.

« C'est juste que…? l'invita à poursuivre Sephiroth.

- Pfff ! En fait…je ne peux pas le piffrer ! »

Son interlocuteur faillit s'étouffer devant l'honnêteté de la remarque.

« Sephiroth par-ci ! Sephiroth par-là ! continua-t-elle avec un certain dédain. A croire que les autres gars n'ont que le nom de ce type à la bouche ! En plus, on ne le voit jamais nul part, sois disant, il est toujours en mission ! J'en venais même à croire qu'il n'existait pas ! »

Elle marqua une courte pause, avant de reprendre, bavarde comme une pie :

« Et puis, franchement, est-ce que les gens n'exagèrent pas un peu ? Soit disant le meilleur guerrier du SOLDAT ! Une force prodigieuse, surhumaine…On m'a aussi dit que n'importe quel homme rêverait d'être comme lui. Un de mes amis m'a dit un jour… »

Elle se força à prendre une voix beaucoup plus grave et dit d'un ton burlesque :

«… "Quand tu le verras, tu sauras que c'est lui !" Et puis on m'a dit aussi qu'il plaisait énormément aux femmes et aux hommes même parfois, "beau comme un dieu" ! Pff ! A mon avis, c'est du vent ! »

Un petit coup d'œil à son voisin et elle surprit le léger rictus que ce dernier affichait :

« Eh ! Pourquoi tu souris !

- Pour rien…

- Ah….Bon, parlons d'autre chose. Parler de ce type, ça m'énerve ! Et toi, qui es-tu ? »

Le sourire s'effaça immédiatement.

« Tu as encore perdu ta langue ? »

Le visage resta de marbre.

« Toi aussi, tu as rejoint le SOLDAT pour devenir un héros comme lui ? »

Toujours aucune réponse.

« T'es vraiment quelqu'un d'étrange parfois "z'yeux d'chat !" », renchérit-elle en souriant.

Dans un sens, elle n'était pas si mécontente que ce fut lui qui ait été envoyé à ses côtés plutôt que l'autre Superstar ! Car elle commençait à bien l'aimer c'garçon-là. Bon, d'accord, il était un peu bizarre, mais il n'avait pas l'air méchant. Et puis, lui, il était véritablement beau comme un dieu ! Cette dernière observation la fit rougir et elle détourna timidement le regard plongé jusqu'alors sur le profil altier de son interlocuteur.

Sephiroth, quant à lui, s'en voulait un peu. Ce petit jeu l'amusait profondément, au détriment de l'honnêteté dont il aurait dû faire preuve avec ce subalterne. Ce gamin lui laissait une impression des plus singulières. Non seulement il ne semblait pas éprouver de crainte à son égard, mais en plus il lui parlait naturellement, comme s'ils étaient amis. Et, ces derniers temps, malgré les émotions qu'il tentait désespérément de sceller derrière un masque d'indifférence, l'amitié était une chose dont il avait terriblement besoin. Angeal et Génésis avaient déserté la compagnie depuis plusieurs semaines déjà et demeuraient toujours introuvables. La "traque" de ses anciens compagnons était une mission délicate à laquelle il ne souhaitait pas participer. Il laissait cette tâche au protégé d'Angeal, Zack Fair, tout en comptant sur lui pour le prévenir avant la Shinra en cas de découverte des deux disparus.

Il avait donc préféré être envoyé à la poursuite du dragon sauvage de Kalm. Il aurait tout à fait pu la mener sans renfort, mais la présence d'une petite équipe apaisait les résidents locaux et lui permettait surtout d'éviter les questions trop envahissantes des curieux qui n'hésitaient pas à l'aborder lorsqu'il était seul. Quand il avait dû choisir un partenaire, l'image de son "père" excédé par le petit SOLDAT roux au laboratoire avait alors resurgie dans son esprit. Il avait par conséquent exprimé à Lazard son souhait de prendre cet Arèth Klein à ses côtés, mais le directeur l'avait mis en garde : ce jeune seconde Classe était le pire de tous, non pas parce qu'il se montrait incompétent lors des missions – bien au contraire – mais parce qu'il était un bavard invétéré et qu'il ne considérait pas ses supérieurs comme des supérieurs, mais plutôt comme des collègues. Malgré cela, comme à son habitude, Sephiroth avait ignoré les avertissements et avait choisi ce jeune garçon pour le seconder. Il ne regrettait d'ailleurs pas ce choix, car pour une fois, il ne se percevait pas comme le Grand Héros que ses subordonnés craignaient et évitaient de contrarier. Il devenait simplement un SOLDAT en mission, aux côtés d'un coéquipier, rien de plus. Comme jadis, avec l'impertinent rouquin et son meilleur ami…

Le soleil amorçait son déclin lorsqu'ils parvinrent enfin aux plaines de Kalm. L'atmosphère semblait étonnamment sereine, et après environ une petite heure de patrouille autour de la ville, la rouquine observa, dubitative :

« Je ne vois aucun dragon…

- Si…il est par ici…je l'entends… », déclara Sephiroth, le regard perdu dans le ciel nuageux, son attention focalisée sur les battements d'ailes sourds de la créature qu'il percevait.

À peine eut-il fini sa phrase qu'un colossal dragon rouge fondit sur eux à une vitesse stupéfiante, déchirant les nuages et crachant une gerbe de flammes en guise d'accueil.

Dans un ballet coordonné, Sephiroth et Théïa esquivèrent en se lançant de part et d'autre de l'éclat incandescent. Cependant, l'un des deux gardes ne fut pas assez rapide, et son bras s'embrasa brutalement.

Le second garde saisit sa mitraillette et riposta par une salve de balles qui frappèrent l'épaisse cuirasse écaillée du reptile sans le moindre effet. La créature atterrit lourdement avant de se diriger vers le garde immobilisé par sa blessure.

Sentant l'urgence de la situation, Théïa s'élança vers le garde en difficulté. Plus rapide que le gigantesque saurien, elle incanta instantanément un Bouclier qui se forma devant eux lorsque ce dernier souffla à nouveau ses flammes.

Pendant ce temps, Sephiroth gardait son attention fixée sur le dragon, analysant ses mouvements et cherchant une ouverture dans sa défense. Il repéra une faiblesse dans l'une des écailles sous la gorge de la créature, une zone moins protégée que les autres. Avec une rapidité implacable, il resserra sa prise sur son sabre et s'avança vers le monstre.

Ce dernier ne comptait pourtant pas rester passif. Faisant volte-face, il balaya l'air de sa queue avec une puissance inouïe. Anticipant le mouvement, Théïa bondit en arrière pour éviter le coup dévastateur. L'énorme queue à pointes la percuta néanmoins et la projeta violemment contre le sol. Elle roula pour amortir la chute ; se remit rapidement sur pieds, secouée, mais déterminée à ne pas abandonner.

Sephiroth avait profité de la diversion pour se rapprocher encore du dragon. D'un mouvement souple, il sauta sur le dos du monstre, utilisant sa lame pour s'accrocher à l'une des écailles. Avec une agilité surhumaine, il escalada le reptile et évita habilement ses tentatives de le désarçonner. Arrivé à hauteur de la zone vulnérable qu'il avait repérée, il porta un coup précis avec son sabre. Il trancha les écailles et ouvrit alors une profonde entaille dans la gorge de l'animal.

Le dragon rugit de douleur, secouant furieusement son corps pour se débarrasser de l'intrus. Sephiroth réussit à maintenir son équilibre et décocha un sort de Foudre avant de quitter prestement le dos du monstre électrisé.

Saisissant l'opportunité, Théïa se lança à l'attaque. Avec une série de mouvements fluides, elle enfonça son sabre à plusieurs reprises dans la chair de la créature.. Le dragon rugit de plus belle, agité par la douleur et la colère. D'un ultime coup de sabre, le Grand Héros acheva la créature qui s'effondra en poussant un dernier rugissement. Son écho résonna dans les vastes plaines de Kalm pendant plusieurs minutes.

Dans le sillage de la bataille, Sephiroth et Théïa demeurèrent debout, leurs regards fixés sur les nuages de fumée et de cendres qui se dissipaient progressivement autour du corps inerte de la créature.

Le garde blessé, aidé par son camarade, réussit finalement à maîtriser les flammes qui avaient pris sur son bras. Bien que brûlé et douloureux, il parvint à se relever, serrant les dents pour ne pas montrer sa souffrance.

« Je vois que tu te débrouilles plutôt bien, SOLDAT Klein, intervint le 1ère Classe.

- Merci…Toi…toi…aussi ! », répliqua la rouquine, haletante.

Cette dernière peinait à retrouver son souffle. D'un geste, elle essuya la sueur qui perlait sur son front. L'intensité du combat l'avait épuisée. Son regard se posa avec étonnement sur le guerrier à ses côtés. À sa grande surprise, il n'était même pas essoufflé. Il semblait avoir surmonté l'affrontement sans la moindre trace de fatigue. De ce qu'elle avait pu voir, il avait pourtant fait preuve d'une force absolument prodigieuse. D'une force telle qu'un seul nom lui venait à l'esprit pour l'associer... Oh…

Des doutes commencèrent à s'insinuer dans son esprit. Ses yeux s'écarquillèrent alors qu'elle envisageait une possibilité troublante. Était-il possible qu'il lui ait menti ? Elle se rappela qu'il ne lui avait pas révélé son nom, esquivant habilement la question. Les paroles qu'elle avait si souvent entendues de la bouche de ses camarades résonnèrent tout à coup dans sa mémoire et accentuèrent ses incertitudes :

" Lorsque tu le verras, tu sauras que c'est lui ! " disaient certains.

" Le pire chez lui, c'est ses yeux ! Ça vous glace le sang rien qu'en le regardant ! " rapportaient d'autres.

" Sa force est surhumaine ! Ce type n'est pas humain ! " s'accordait tout le monde.

Elle murmura alors son nom :

« Se…Sephiroth… »

Il se tourna vers elle et la fixa, sans dire un seul mot, imperturbable.

« C'est bien toi, n'est-ce pas ? »

Il n'avait pas besoin de lui répondre. Elle venait de comprendre, et le raclement de gorge gêné de l'un des gardes ne fit que confirmer son hypothèse. Theïa serra les poings et baissa le regard, laissant ses courtes mèches couleur de feu voilés ses yeux azurs. Désemparée, elle ne savait trop comment elle était censée réagir. Il s'était payé sa tête ! Ah il était beau le Grand Héros ! Non mais quel sale type ! Une vague de colère et de honte l'envahit soudainement. Elle se sentait si stupide, si naïve ! Comment pouvait-elle espérer remplir son rôle d'espionne convenablement si elle n'était même pas fichue d'identifier l'icône vivante du SOLDAT alors qu'il était juste à côté d'elle !

Le jeune héros souffla discrètement. La comédie était finie. Et, si ce petit jeu de rôle lui avait permis d'échapper pendant quelques heures à une notoriété devenue souvent trop pesante, il n'en gardait pas moins un sentiment de regret. Ce genre de comportement n'était pas dans ses habitudes. Dans un recoin de son esprit, il entendait la voix sage de son ancien ami le rabrouer gentiment, le sermonnant que l'on ne devait pas profiter de l'ignorance et de la crédulité d'autrui. Génésis, lui, n'aurait pas hésité un seul instant et aurait très certainement retourner la situation à son avantage ! Gaïa, ce que ses amis pouvaient lui manquer parfois…

« On doit aller prévenir les habitants qu'ils sont hors de danger maintenant, finit-il par ordonner.

- Bien…Monsieur… », répondit son coéquipier sans lever les yeux.

Lorsqu'ils entrèrent dans la ville, les habitants acclamèrent leurs héros, ou plus précisément, le Héros. Certains parmi eux sortirent même leurs appareils photos pour immortaliser l'instant. Le Maire s'approcha humblement, exprimant sa gratitude envers les SOLDATs pour leur aide précieuse. Bien que le gîte et le couvert leur fussent gracieusement offerts, le SOLDAT déclina poliment. L'un de ses gardes était toujours blessé, l'autre peinait à se tenir debout, et même le 2nd Classe avait du mal à récupérer. Il s'organisa alors pour faire affréter un hélicoptère qui les rapatrierait rapidement vers la métropole, où ils pourraient recevoir les sorts de soin appropriés, ainsi qu'un repos bien mérité.

L'appareil arriva tard dans la nuit. A peine avait-il décollé que les deux gardes, abattus, s'écroulèrent de fatigue. Assis côté à côté, l'un d'eux se mit à ronfler doucement. Sur les sièges en face, les deux autres SOLDATs se tournaient le dos, le regard de chacun perdu à travers le hublot. Pourtant, il faisait nuit noire à l'extérieur.

Après une petite heure de vol marquée par un mutisme gênant, la jeune femme ne put retenir sa verve plus longtemps :

« Je vous imaginais plus grand ! », déclara-t-elle, un soupçon de mépris dans la voix.

Elle pencha la tête sur le côté et, plissant les yeux, scruta son supérieur du coin de l'oeil, dans l'espoir qu'un geste lui permettrait de déceler une quelconque émotion. Peine perdue, il ne bougea pas d'un pouce, comme s'il ne l'avait pas entendu.

Théïa ne lui pardonnait toujours pas, et elle n'était pas du genre à mâcher ses mots. La petite mascarade à laquelle il s'était livré plus tôt dans la journée nécessitait des explications, et elle comptait bien les obtenir. Peu importait son statut de Grand Héros, cela ne justifiait pas un tel comportement. Elle insista :

« Et beaucoup plus vieux aussi. C'est vrai, vous devez avoir quel âge ? Vingt-deux ? Vingt-trois ans ?

- J'ai vingt et un ans », répondit-il sans se retourner.

Non mais qu'est-ce que c'était que cette attitude ! Depuis quand parlait-on aux gens comme ça, sans les regarder !

Sa frustration monta d'un cran et elle attaqua plus franchement :

« Et ça vous prend souvent, de vous moquer des autres, comme vous l'avez fait avec moi ? J'espère au moins que ça vous a amusé ! »

Elle maintenait un ton relativement bas pour ne pas réveiller les jeunes gardes, mais sa rancoeur perçait malgré tout dans ses paroles.

« Ça n'était pas ce que tu crois, expliqua-t-il calmement.

- Ah vraiment ? Et qu'est-ce que je suis censée croire alors ! »

Enfin ! Enfin il venait de se tourner vers elle ! Pas complètement, juste d'un léger quart, certes, mais c'était déjà ça ! Au moins, elle pouvait à présent lui parler en face !

« Je suis navré de ce qu'il s'est passé…mais….c'est devenu si rare…

- Quoi donc ?

- Qu'on me parle normalement… »

La révélation la prit de court et sa colère se dissipa aussi rapidement qu'elle avait surgie.

« C'est pourquoi je ne voulais pas que tu saches tout de suite qui j'étais réellement…»

Avant qu'il ne se tourne à nouveau vers le hublot de la cabine, elle crût percevoir une expression d'une mélancolie infinie passée furtivement sur les traits à la beauté ensorcelante.

Il était bien loin de l'image qu'elle s'était forgée de lui. Elle qui avait imaginé un héros prétentieux et arrogant, une idole à l'image de la compagnie qui l'avait rendue célèbre : hautain et méprisant.

Non. Au contraire. Elle entrapercevait à place un jeune homme qui, sous un charisme et une froideur apparents, était contraint de porter le fardeau d'une renommée qu'il n'avait apparemment pas choisie. Se pouvait-il que tout le monde se trompe ? Se pouvait-il…qu'il déteste être le Grand Héros qu'il incarnait ?

« Je t'imaginais différemment », lui confia-t-elle.

La voix de la jeune femme s'était faite plus douce. L'ambiance pesante s'était volatilisée.

« Et qu'imaginais-tu ?

- Je t'imaginais plus…enfin moins…, elle bredouilla, sans réussir à trouver les mots. Enfin, d'après ce que j'avais entendu, tu étais dépeint comme quelqu'un de très intimidant, qu'on avait pas envie de contrarier. Je ne te trouve pas si intimidant que ça, moi…

- C'est que tu es très téméraire, tu sais ! »

Les yeux de chat venaient de se planter dans les siens, accompagné d'un fugace sourire en coin. Ah ! Théïa sentit son coeur lui refaire le coup du "Boum ! Boum !" un peu bizarre…

« En tout cas c'est vrai… », reprit-elle en haussant les épaules pour ignorer ce tressaut étrange dans sa poitrine.

Il l'interrogea du regard.

« Tu es un merveilleux combattant…tu possèdes une force impressionnante…

- Merci »

La remarque qu'elle ajouta dans sa tête la fit baisser les yeux, penaude, et elle fixa ses poings joints sur ses genoux.

"...Et tu es vraiment, mais alors vraiment très séduisant ! "

Quelques heures plus tard, les premières lueurs de l'aurore perçaient tranquillement l'obscurité nocturne. L'air frais de ce début de printemps faisait surgir des volutes de fumée à chacune de ses expirations, tandis que la petite rousse regagnait son humble logis. Fourbue, elle était impatiente de pouvoir ôter les bandelettes qui enserraient sa poitrine, devenues particulièrement désagréables après la transpiration accumulée toute cette journée. Aussi ne rêvait-elle que d'une chose : prendre une douche ! Froide de préférence ! Très froide ! Pour lui rafraîchir les idées ! Sa tête avait la fâcheuse tendance depuis qu'elle avait quitté la tour à lui passer et repasser en boucle le sourire en coin de son supérieur. Non, en fait, son image tout entière la hantait. Pfff ! Elle n'allait quand même pas se mettre, à son tour, à fantasmer sur le SOLDAT ! Et puis quoi encore ! Elle n'avait vraiment pas besoin de ça ! D'accord, les rumeurs sur son physique étaient réellement fondées ! Bon, celles sur sa force aussi…et, loin d'être un imbuvable arrogant, le jeune homme avait plutôt l'air d'être quelqu'un d'assez….touchant. Ok. Mais ça n'était quand même pas une raison pour s'amouracher telle une midinette en mal de romance !

Oui, la douche, elle devait la prendre glaciale !

Tout à coup, son téléphone personnel la tira de ses rêveries et se mit à vibrer ; elle venait de recevoir un message :

«Les montagnes cachent les joyaux. Les sommets révèlent la voie. Attends l'éclair dans le ciel. Retrouvons-nous là où les nuages se rassemblent.»

Non, s'enticher d'un pion de la Shinra, qui plus est du Number One du SOLDAT, ça n'était pas du tout, mais alors pas du tout, une bonne idée !

Fin du chapitre

Encore merci à Newgaîa ma bêta adorée ;)