La Fin est le commencement

Chapitre 3 - Malencontreuse rencontre

« T'es sûre de ce que t'avances ? questionna son contact, le ton grave.

- Oui, certaine », répondit la jeune femme avec assurance.

Ils étaient tous les deux installés dans un bar miteux du secteur 5, bien à l'écart du comptoir bruyant et de l'agitation des ivrognes qui semblaient ne jamais connaître de répit.

L'épaisse fumée des cigares et des narguilés flottait dans la salle et l'imprégnait d'une odeur singulièrement âcre qui déplaisait fortement à Théïa. Elle avait hâte de quitter cet endroit.

« Ils sont à la recherche d'un lieu qu'ils appellent "la Terre Promise", continua-t-elle. Ils veulent y construire leur future mégalopole. Je pense qu'il s'agit tout simplement de la plus grosse source de Mako de la planète.

- S'ils mettent la main là-dessus…

- Oui. Une source d'énergie d'une telle envergure garantirait leur domination pendant les décennies à venir... »

Le trentenaire prit une pause, frottant pensivement sa barbe.

« T'as des preuves ? »

La jeune femme, casquette et capuche noire soigneusement en place sur sa tête, extirpa de sa poche un téléphone modeste, bien éloigné du modèle récent qu'elle utilisait "officiellement" et qui lui avait été gracieusement offert par son employeur. Elle pianota sur le vieil écran tactile puis tendit l'appareil à son interlocuteur qui fit défiler les quelques photos des plans de "Neo-Midgar" qu'elle avait pu dénicher en fouillant discrètement dans les bureaux du département d'ingénierie.

« Mmhh. Ça d'vient préoccupant, proféra-t-il. Va falloir surveiller ça d'près. T'as pu obtenir les plans des réacteurs ?

- J'y travaille... »

Elle sirota une gorgée de sa canette de Soda. Canette estampillée du célèbre logo en forme de losange rouge et blanc. Comme tout ce qui se consommait ici-bas de nos jours. De la vulgaire conserve de légumes en passant par le vêtement le plus quelconque, jusqu'à l'indispensable papier toilette, la firme avait progressivement acquis au cours des dernières décennies le monopole sur tous les marchés. Avec de l'argent, tout se négociait. Mais ce qui était bluffant, c'était la manière dont cette oligarchie réussissait à faire croire qu'elle œuvrait pour le bien commun. Ainsi, dans les livres d'école ou même les contes pour enfant, on racontait l'histoire fascinante de cette petite entreprise familiale qui, partant de rien, avait réussi, grâce à son courage, son ingéniosité et son prétendu altruisme, à obtenir la puissance et la renommée dont elle jouissait aujourd'hui. Elle apportait le confort et la technologie au monde, qui prospérait sous son égide bienveillante. La population crédule adhérait sans se poser de questions. Évidemment ! L'énergie Mako leur avait apporté la télévision !

Mais la réalité était bien différente. Seuls ceux qui avaient souffert des exactions de la compagnie en avaient conscience. La Shinra avait d'abord semé les graines de la guerre pour vendre ses premières armes. Avec les profits ainsi amassés, elle avait développé sa précieuse technologie. Elle avait corrompu des maires par-ici, soudoyé de riches industriels pas-là. Petit à petit, elle avait grignoté, grignoté et grignoté, jusqu'à ce qu'aucune force ne puisse plus s'y opposer.

Ayant atteint une puissance telle qu'elle échappait à toute entrave, la compagnie était même impliquée dans les trafics les plus sombres, du commerce de drogue à la prostitution, voire des activités encore plus sinistres telles que le trafic d'enfants. Mise à part quelques TURKs, la plupart des employés ignoraient les ramifications tentaculaires que leur précieuse entreprise avait tissées à travers le monde.

Wutaï demeurait le dernier bastion qui résistait avec courage à cette oligarchie malfaisante. Ses fiers guerriers luttaient coûte que coûte contre le joug oppressant de la compagnie. S'opposer à ces derniers durant certaines missions sur leur péninsule avait été pour elle un véritable déchirement, mais elle avait du sacrifier son intégrité pour préserver sa couverture d'infiltrée.

Depuis quelques années, une coalition de rebelles dispersés aux quatre coins du globe s'efforçait également de s'organiser pour contrer le règne de la multinationale. La Shinra, consciente de l'ascension de ce groupe contestataire, s'acharnait à freiner sa croissance en traquant ses membres et en les éliminant sans pitié. Ils se faisaient appeler "Avalanche" et l'un des leurs se trouvait actuellement en face d'elle :

« Ta mère m'a d'mandé d'tes nouvelles, reprit-il en écrasant son mégot dans un couvercle en métal rouillé, après avoir tiré sa dernière bouffée.

- Tu peux lui dire que tout va bien. Je suis un grand garçon ! Je sais me débrouiller seul ! », s'exclama Théïa.

Nonchalamment, elle fit basculer sa chaise en équilibre sur deux pieds, avant de sortir de sa poche un petit paquet de cartes à jouer.

« Prends pas de risque inconsidéré. Déjà qu'ta mère me met toute cette histoire sur l'dos ! protesta le gros gaillard bourru.

- Il faut bien qu'elle trouve un bouc-émissaire ! », répliqua la rouquine en tirant la langue.

Ses cartes passaient d'une main à l'autre avec une adresse particulière.

« J'plaisante pas. Fais attention à toi. Et évite de t'faire remarquer !

- Tu fais allusion à quelque chose en particulier ?

- Ouais. J'ai eu vent d'ta mission y a quelque temps, près de Kalm. Ils commencent à t'faire seconder les célébrités. C'est pas bon ça. Tu t'exposes trop.

- Ce n'est pas moi qui choisi les missions ! Je n'ai jamais demandé à être envoyé avec…lui ! », objecta Théïa en évitant sciemment de prononcer le nom du SOLDAT afin de ne pas attirer l'attention sur leur conversation.

« T'es jeune. T'as que dix-neuf ans. J'comprends qu' tu sois attiré par le fait d'être aux côtés des plus grands guerriers…mais ça t'met trop en avant. T'es douée, petite ! Très douée ! Mais garde tes compétences cachées. Quand ton rôle au sein de c'te foutue compagnie s'ra terminé, tu pourras dévoiler tes talents parmi nous...

- Et donc ? En attendant je ne dois parler à personne et rester dans mon coin, c'est ça ?

- Entre parler à personne et s'lier au Golden Boy du SOLDAT, y a un gouffre, nan ?

- "se lier au Golden Boy", tu vas un peu loin là ! Je n'ai fait que l'accompagner pour une banale mission !

- Ouais. Mais j'connais son effet sur les femmes. Et tu rougis un peu trop d'puis deux minutes !

- C'est bon ! Tu m'saoules ! »

Agacée, elle se leva, saisit sa veste dans laquelle elle venait de remettre ses cartes, rajusta sa capuche…

« Je sais ce que je dois faire ! rétorqua-t-elle encore. J'ai pas besoin de toi pour me chaperonner ! »

Puis elle déposa une poignée de Gils sur la table et quitta le bar sans se retourner.

Une fois dehors, elle se dirigea vers le plateau de la métropole. Sans se hâter. Elle avait besoin de marcher, de se détendre. Son rendez-vous l'avait mise sur les nerfs, peut-être parce qu'il avait touché juste.

En atteignant la zone où se trouvait sa rue, elle opta pour un léger détour, malgré la pluie. Elle détestait cette ville, mais elle la connaissait comme sa poche. Elle emprunta une petite ruelle entre les bâtiments, en retrait des artères principales. Elle déboucha alors sur une place où se dressaient des usines textiles. Puis, elle suivit un sentier serpentant entre ces dernières pour finalement accéder à un petit chemin pavé. Mal entretenu, quelques herbes folles avaient réussi à percer entre les dalles. Ce passage étroit et sombre s'étirait sur quelques dizaines de mètres, bordé de hauts murs de béton, pour déboucher sur un minuscule parc. C'était l'un des derniers de la cité, laissé à l'abandon depuis des années. Il avait été aménagé à l'époque de la construction de Midgar. Mais une usine d'épuration, l'une des quatre de la métropole, avait été érigée juste derrière les murs de béton, et le parc avait été progressivement négligé. Il fallait le connaître pour s'y aventurer.

Chose étonnante dans le coin, la végétation semblait avoir repris ses droits sur ces quelques mètres carrés. Au centre, un vieux kiosque se dressait encore. Sa peinture défraîchie et ses planches rongées par l'humidité ne l'empêchait nullement de conserver son charme pittoresque.

Dans la pénombre, elle ne remarqua la présence d'une autre personne que lorsqu'elle gravit les marches grinçantes du pavillon. Il était trop tard pour faire demi-tour. Apparemment, quelqu'un d'autre avait eu la même idée qu'elle à cette heure tardive. Et ce quelqu'un était incontestablement reconnaissable grâce à sa longue chevelure argentée.

« Je pensais être le seul à connaître cet endroit, souffla-t-elle, la voix empreinte de surprise.

- Je le pensais également… » répondit-il sans se retourner, accoudé à la rambarde.

Elle ôta sa capuche et rangea sa casquette en la coinçant sous l'élastique de son treillis, dans son dos. Puis elle ébouriffa ses courtes mèches rousse pour se redonner un air plus présentable avant de faire quelques pas et de s'appuyer à son tour à la balustrade. Dans l'obscurité, la silhouette à ses côtés devint plus nette. Il y avait quelque chose dans sa présence qui intriguait Théïa. Elle l'avait vu en action au cours de leurs missions, il était indéniable qu'il possédait une force et un charisme impressionnant. Mais ici, dans ce coin abandonné de la ville, il paraissait différent, plus vulnérable…

Deux jours auparavant, la Shinra avait annoncé la mort du SOLDAT 1ère Classe Angeal Hewley. Elle avait alors appris par Kunzel, un autre membre de l'armée, bavard invétéré toujours au courant de tout, que le défunt SOLDAT était l'un des rares amis de Sephiroth. Avec le 1ère Classe Génésis Rhapsodos, quant à lui porté disparu, ils formaient autrefois le "trio de tête" du SOLDAT. Cela pouvait sans doute expliquer la mélancolie dans laquelle semblait plongé Sephiroth.

« Qu'est ce qui t'amènes dans cet endroit oublié ? », demanda-t-elle, sa curiosité prenant le dessus.

Il se tourna enfin vers elle. Son expression se teintait de fatigue et de dépit :

« Parfois, même les SOLDATs ont besoin d'un moment de tranquillité, loin du chaos de la ville. C'est un rappel de ce pour quoi nous nous battons. »

Elle hocha la tête silencieusement.

La pluie avait cessé et avait parsemé le parc de flaques scintillantes. Au loin, le faible bruit du trafic résonnait dans le passage étroit. C'était un moment étrangement serein au milieu de la tourmente.

« Embrasse tes rêves…et protège ton honneur. C'est ce qu'un ami me disait », souffla-t-il.

Alors qu'ils se tenaient côte à côte, le fardeau de leurs responsabilités respectives paraissait s'alléger un instant, remplacé par une appréciation mutuelle de la tranquillité éphémère trouvée dans ce recoin de verdure abandonné.

Pourquoi les gens avaient-ils tendance à penser qu'il n'était pas humain ? Était-ce à cause de son physique ? De sa force ? Probablement…

Pourtant, elle, elle voyait difficilement à travers ce jeune homme attachant l'icône adulée et inaccessible que le monde avait fait de lui.

Soudain, une idée jaillit dans son esprit, et elle sortit ses cartes de sa poche. Avec une habileté impressionnante, elle mélangea soigneusement le paquet, puis elle éventa les cartes et les présenta à son vis-à-vis :

« Choisis-en une », lui dit-elle.

Le guerrier arqua un sourcil perplexe, mais il obéit.

« Regarde là bien, sans me la montrer. Puis remet là dans le paquet. »

Après que la carte eut retrouvé sa place, elle battit à nouveau le jeu avec une rapidité déconcertante. Ses gestes étaient fluides et gracieux, captivant l'attention de Sephiroth, de plus en plus intrigué.

Elle souffla de façon théâtrale sur le petit paquet qu'elle tenait entre ses mains. Puis, elle fit glisser les cartes une à une devant elle avant de s'arrêter :

« Ta carte était le valet de pique, n'est-ce pas ? », révéla-t-elle, triomphale.

Il acquiesça, sans voix. Elle brandit le valet entre son index et son majeur, un grand sourire aux lèvres.

« C'est…la première fois que j'assiste à ce genre de tour ! C'est fascinant !

- Ah ? Tu n'es jamais allé voir de spectacle de prestidigitation ? »

Elle continuait tranquillement de faire voltiger ses cartes devant elle, fière d'avoir réussi à bluffer le légendaire SOLDAT. Et surtout, fière d'être parvenue à lui arracher un sourire.

« Non. Le seul spectacle auquel j'ai pu assister, c'est Loveless, expliqua-t-il.

- Ah ! La célèbre pièce de théâtre qu'ils jouent en centre-ville, c'est ça ?

- Oui.

- Ah ! Ah ! Pouffa-t-elle. J'y suis allée une fois ! Je me suis fait gentiment sortir par l'ouvreuse au beau milieu de la pièce !

- Pourquoi ça ?

- Je ronflais trop fort ! »

Elle pouvait à peine le croire. Lui, Sephiroth, était en train de... rire ? Non ! Non ! Elle ne rêvait pas ! Il avait beau se cacher en partie derrière sa main, le léger tressautement de ses épaules et l'expression de son visage ne la trompaient pas ! Le Grand Héros riait. Et par Gaïa, il fallait à tout prix qu'elle détourne le regard, sinon son pauvre petit cœur n'y résisterait pas.

« Bon, essayons autre chose, puisque tu n'as jamais vu de magie ! », renchérit-elle pour se secouer mentalement les méninges.

Elle rangea ses cartes dans la poche arrière de son pantalon et récupéra à la place une pièce de deux Gils. Le petit rond de métal tournoya dans les airs avant d'être rattrapé et passé d'un doigt à l'autre avec dextérité.

Soudain, la pièce disparut. Le SOLDAT fixa la main de Théïa, les yeux écarquillés. D'un geste impulsif, il captura le frêle poignet entre sa paume gantée. La rouquine laissa échapper un léger sursaut, son souffle momentanément coincé dans sa poitrine. Elle ne s'attendait pas du tout à cette réaction abrupte. Cependant, alors qu'il examinait la mystérieuse main sous tous les angles, la stupéfaction qui s'affichait clairement sur son visage habituellement impassible arracha un sourire comblé à la jeune femme.

D'un simple geste, elle fit réapparaître la pièce de monnaie. Mais dans l'autre main.

« Comment... Comment as-tu fait ça ? », demanda-t-il avec une pointe de fascination dans la voix.

Théïa proféra, énigmatique :

« Ah ! Un magicien ne révèle jamais ses secrets, n'est-ce pas ? »

La petite pièce se volatilisa une fois encore. Elle tendit ses deux paumes vers son interlocuteur pour lui prouver qu'elle ne l'avait pas dissimulée quelque part. Ensuite, elle tendit le bras et effleura doucement l'oreille du guerrier qui n'avait pas bougé d'un poil et l'observait scrupuleusement :

« Tu as quelque chose de coincé là je crois…. », murmura-t-elle, avant de faire réapparaître miraculeusement l'objet entre ses doigts. Son geste fut rapide, mais malgré son assurance, elle avait senti son cœur s'emballer. Il fallait véritablement qu'elle cesse ce petit jeu. Cela devenait trop dangereux.

Elle reprit discrètement l'inspiration qu'elle avait jusqu'ici retenue, avant de se reculer d'un bon pas, de baisser le regard et de ranger sa monnaie.

« Tu as des talents cachés SOLDAT Klein, affirma Sephiroth.

- Oui ! J'ai loupé ma carrière je crois ! », ajouta-t-elle avec un brin d'humour.

Une légère brise nocturne agita doucement les arbres du parc abandonné. Elle savait qu'elle devait mettre fin à cette rencontre, même si elle aurait voulu prolonger ce moment.

« Bon. Il commence à se faire tard ! Et si je ne veux pas une fois encore louper mon réveil demain…»

Sans un mot de plus, elle fit volte-face. Lorsqu'elle posa le pieds sur la première marche, il l'interpella une dernière fois :

« Merci, SOLDAT Arèth.

- Il n'y a vraiment pas de quoi…», confia-t-elle.

Sa silhouette disparut peu à peu dans l'obscurité de Midgar.

Quatre jours plus tard, elle reçut son nouvel ordre de mission. Le lendemain, elle embarquait à bord d'un hélicoptère en direction de Modeoheim, en compagnie de deux TURKs, de deux gardes… et de Sephiroth. Ses petits tours de passe-passe avaient apparemment conquis le légendaire SOLDAT. Partagée entre des sentiments contradictoires, Théïa se demandait si elle devait s'en réjouir ou s'en plaindre. En y réfléchissant, la possibilité de "tisser des liens" avec ce dernier pourrait peut-être lui donner accès à des informations privilégiées. Il était notoire que Sephiroth était fréquemment recruté comme garde du corps personnel du Président Shinra, ce qui suggérait qu'il avait accès à des données confidentielles.

Ou peut-être était-ce simplement un prétexte qu'elle se cherchait pour justifier son désir de se rapprocher du guerrier ? Mais non, bien sûr que non ! C'était absurde ! En fin de compte, que pouvait-elle espérer ? Elle se sentait loin d'être séduisante, vêtue comme le dernier poulbot des Taudis, avec ses cheveux courts en désordre et son uniforme terne de SOLDAT. En y songeant, ces dernières semaines, elle avait eu une fâcheuse tendance à envier de façon exagérée les belles demoiselles au regard de biche qui, lui avait-on dit, tournaient régulièrement autour du SOLDAT d'élite en papillonnant des cils. Oui, elle était étrangement plus attentive aux commérages aussi récemment…bon, et après ?

L'appareil entama une manœuvre un peu brusque qui la tira de ses rêveries.

Le soleil était à son zénith lorsqu'il se posa au beau milieu d'une vaste plaine gelée, à l'Est de la petite ville fantôme du continent Nord.

Pour la première fois, Théïa marchait dans la neige. Elle n'avait encore jamais mené de mission dans cette contrée glacée et l'île de Mideel, où elle avait grandi, n'était pas réputée pour ce type de climat. Quant à Midgar, les hivers y étaient plutôt caractérisés par quelques flocons sporadiques qui ne parvenaient qu'à recouvrir les rues d'une sorte de bouillasse dégoûtante.

La petite SOLDAT rajusta son trench pour se protéger du froid glacial qui lui piquait le visage et suivit les gardes et le 1ère Classe hors de l'engin. Les deux TURKs décidèrent d'attendre près de l'appareil, disposés à n'intervenir qu'en cas d'absolue nécessité. Sachant que Sephiroth faisait partie de l'équipe au sol, ils espéraient pour ainsi dire une journée à se la couler douce. Théïa n'appréciait guère les TURKs. Elle avait tendance à s'en méfier. Trop fidèle à la Shinra, et toujours mêlés dans des combines louches. De plus, ce rouquin désinvolte et son collègue crâne d'œuf ne lui inspiraient aucune confiance. Ils leurs servaient de pilotes, c'était bien suffisant !

Devant eux s'étendait un paysage d'une blancheur éblouissante. Les cimes majestueuses se dressaient à l'horizon. L'air était pur, pourtant il y avait quelque chose d'oppressant dans le silence qui les entourait, uniquement perturbé par les crissements de leurs pas dans la poudreuse immaculée.

La mission à accomplir ne se trouvait pas directement dans le village, mais dans les mines, enfouies au cœur des montagnes.

Leur objectif : récupérer au plus profond de ce dédale de roche et de glace une Matéria spéciale, une méga-Matéria, afin que les troupes de Wutaï ne mettent pas la main dessus. La Shinra désirait la faire rapatrier sur Junon dans le but d'en équiper ses sous-marins. Les ingénieurs avaient parfois de drôles d'idées !

Sauf qu'une petite taupe préférait que ce soit Wutaï qui s'approprie cette précieuse gemme plutôt que sa propre compagnie. Elle s'était donc arrangée pour faire capoter l'opération : dès qu'elle l'avait reçue, elle avait immédiatement transmis l'information à Avalanche dans l'espoir que ses membres la relaie aux belligérants d'outre-mer. Tout ce qu'elle espérait désormais, c'était qu'il ne resterait plus aucune trace de la méga-Matéria lorsque son équipe atteindrait la bonne caverne.

Son esprit était rempli d'appréhension et d'angoisse alors qu'elle suivait les autres hommes. Elle savait qu'elle jouait un jeu dangereux en agissant ainsi, mais sa loyauté était envers un idéal plus grand que la Shinra.

Les galeries où ils pénétrèrent dataient d'une bonne cinquantaine d'années. L'exploitation des filons de métaux avait permis l'excavation d'énormes quantités d'acier, de cuivre, de zinc, et de tous les matériaux nécessaires à la Shinra pour développer son ingénierie, notamment pour ériger la mégapole de Midgar et pour armer Junon de son gigantesque canon.

Ils s'enfoncèrent profondément dans les montagnes sur une distance de plusieurs kilomètres. La seule source de lumière émanait d'un rail équipé de petites LEDs, installé lors du forage des tunnels et qui, par chance, fonctionnait toujours. L'activation de l'éclairage requérait l'enclenchement des générateurs à l'entrée de chaque embranchement.

Les créatures qui avaient trouvé refuge dans ces cavernes étaient plutôt rares. Elles se limitaient à quelques lézards des montagnes et de petits dragons, qui ne ralentirent guère leur progression.

Selon leurs renseignements, la méga-Matéria avait été dissimulée dans la caverne la plus reculée.

Après plusieurs heures de marche, ils atteignirent enfin l'extrémité du dernier couloir. Ce tunnel débouchait sur une vaste grotte, dotée d'un plafond élevé, où d'autres passages souterrains s'étendaient également. Au fond de cette excavation, creusée à même la roche, une petite alcôve abritait toujours une lueur rougeâtre : la méga-Matéria. Théïa maugréa intérieurement, constatant que les troupes de Wutaï n'avaient pas encore réussi à s'emparer du précieux artefact.

Alors qu'elle s'apprêtait à s'engager sous l'énorme voûte, une main se saisit de son épaule et l'arrêta brutalement.

« Qu'y a-t-il ? », s'inquièta-t-elle.

Froidement, Sephiroth objecta :

« Nous ne sommes pas seuls...

- Quoi ! Comment le sais-tu ? s'écria-t-elle, incrédule.

- Ils sont dans les autres tunnels. Je les entends », répondit-il, imperturbable.

Théïa tendit l'oreille, mais elle ne perçut aucun bruit suspect.

« Tu es sûr de toi ? Je n'entends rien !

- Fais-moi confiance », déclara-t-il, d'une voix calme et déterminée.

Et merde ! Si ce que disait Sephiroth était vrai, cela signifiait qu'ils étaient arrivés en même temps que les guerriers de Wutaï. La confrontation était inévitable. Elle savait que Sephiroth n'accepterait pas de rebrousser chemin et de laisser la Matéria à l'ennemi. Si elle tentait de le convaincre de faire demi-tour, il risquait de trouver son comportement suspect. Elle maudit mentalement le manque de rapidité des Wutaïens. C'était bien la peine de leur fournir des indications !

Profondément contrariée, elle dégaina son sabre en interrogeant :

« Quels sont tes ordres ?

- J'ignore combien ils sont, mais ils m'ont l'air nombreux. Nous allons attendre qu'ils soient à découvert dans la grotte. Nous tenterons de les avoir par surprise. »

L'echo régulier de bottes se fit soudain audible, pour résonner de plus en plus fort dans les couloirs de roches. Théïa sentit son pouls s'accélérer et ajusta fermement son emprise sur son sabre. Lorsque les guerriers arrivèrent dans la caverne, un frisson d'appréhension parcourut la petite rouquine.

L'escouade comptait une quinzaine d'hommes ainsi que trois de leurs énormes monstres quadrupèdes dressés pour garder les forts militaires. Deux sergents se distinguaient par leur uniforme.

Soucieuse du sort que leurs ennemis ne manqueraient pas de connaître sous l'assaut du katana de son confrère, et ce à cause de sa propre "trahison" envers sa compagnie, la jeune femme tenta d'interférer timidement :

« Nous devrions leur laisser l'opportunité de fuir, tu ne crois pas ?

- Les guerriers de Wutaï sont trop fiers, ils ne fuient jamais devant le combat, argua le SOLDAT avec fermeté.

- Je sais mais…s'ils te voient, ils te reconnaîtront, persista-t-elle. Cela dissuadera peut-être certains de se battre ! En sachant l'issu d'un tel combat, ils…

- Tu fais preuve de trop de compassion, la coupa-t-il sèchement.

- Certains ont des familles Sephiroth ! Contrairement à nous ! Leur proposer de rendre les armes plutôt que de les attaquer de front est une question d'honneur ! »

Le dernier argument fut décisif, brisant l'obstination du jeune homme. Avec calme, il abaissa sa lame avant de prendre l'initiative de s'introduire le premier dans la caverne. Dans l'obscurité, sa silhouette se détachait comme une ombre intimidante. En un éclair, les guerriers de Wutaï, alertés par le son de ses pas, se figèrent, et pointèrent leurs armes vers lui :

« Tiens ! s'exclama l'un des deux chefs, mais qui voilà ! Nos amis de la Shinra ! Et le SOLDAT Sephiroth en personne !

- Je vois que je n'ai pas besoin de faire les présentations », déduisit Sephiroth.

Théïa et les gardes se tenaient à ses côtés.

« Nous convoitons visiblement la même chose, poursuivit-il. Laissez-nous la méga-Matéria et nous vous laisserons quitter les lieux saints et saufs.

- Quelle magnanimité ! Vous avez entendu les gars ! Que ceux qui veulent la vie sauve déguerpisse ! »

Cependant, aucun des guerriers ne bougea. Ils restèrent parfaitement immobiles, leurs armes pointées droit vers leurs adversaires :

« Que ceux qui veulent venger les nôtres, abattus par ce type-là, lui fasse comprendre que l'heure des comptes a sonnée ! »

Honnêtement, Théïa n'espérait guère que leurs ennemis accepteraient paisiblement de quitter les lieux. Néanmoins, sa conscience l'avait poussée à tenter cette approche pacifique.

Soudain, un coup de feu retentit dans la grotte. La balle ricocha sur Masamune avant de se loger dans l'épaule d'un des combattants, signant ainsi le début des hostilités.

Sephiroth se jeta sur les deux chefs avec une vitesse impressionnante. Bien que ces derniers fussent moins puissants que le SOLDAT, leur entraînement exceptionnel leur permit de parer les premiers coups de sabre. Les salves de tirs éclatèrent dans la grotte glaciale, créant un tumulte tonitruant qui se répercutait contre les parois rocheuses.

Théïa se chargea des imposantes créatures mi- fauves mi-loups, enchaînant les sorts de Foudre et les coups d'épée aux flancs de ces bêtes colossales.

Les gardes Shinra, quant à eux, se concentrèrent sur le reste des troupes adverses, ripostant avec vélocité à chaque attaque.

Très vite, la situation prit une tournure dramatique pour les deux camps :

Après s'être battu bravement pendant plusieurs dizaines de minutes et avoir abattu quelques sentinelles, l'un des deux gardes Shinra fut touché par une rafale de tirs. Il vacilla puis s'effondra au sol, sans vie, sous les yeux de son camarade. Ce dernier, dont la macabre distraction dura une seconde de trop, finit par connaître le même sort funeste.

De leur côté, les Wutaïens avaient déjà perdu demi-douzaine de soldats dans l'affrontement.

Théïa poursuivait son duel contre les imposants monstres de Wutaï, sa lame tranchant l'air avec grâce alors qu'elle évitait habilement leurs puissantes attaques. Ses sorts électriques fusaient avec précision : elle cherchait à affaiblir coûte que coûte les défenses de ses bestioles.

Deux d'entre elles poussèrent tout à coup un rugissement de douleur alors qu'elles s'effondrèrent sous l'impact d'une ultime arcane magique. Il n'en restait désormais plus qu'une, l'alpha, plus imposante et plus féroce que ses consœurs.

La petite rouquine resserrait sa prise sur son arme, déterminée à en finir avec la dernière bête, lorsqu'elle sentit subitement la pointe mortellement affûtée d'une lance effleurer son cou :

« Sephiroth ! Lâche ton sabre ! Ou ton petit camarade y passe ! »

Théïa n'avait pas été assez attentive, trop absorbée par son propre combat. L'un des sergents ennemis, réalisant que la situation tournait en leur défaveur, avait habilement contourné la mêlée après que son compatriote eut été transpercé par le katana de leur adversaire. Il s'était placé derrière l'autre SOLDAT et, prenant un risque ultime, l'avait littéralement pris en otage. Simultanément, l'un des gardes Wutaïens restants avait pointé son arme en direction de Théïa.

« Tu as entendu ! Lâche ton maudit sa... »

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase. Avec une force phénoménale, la lame du 1ère Classe fondit sur lui pour l'empaler sauvagement avant de le projeter violemment contre le mur de roche.

Si la jeune femme fut épargnée par la lance qui menaçait sa gorge d'un peu trop près, Sephiroth ne fut cependant pas assez rapide pour intercepter le tir de l'arme qui s'en suivit.

Une douleur fulgurante transperça la poitrine de celle qu'il prenait toujours pour un confrère.

Théïa baissa les yeux et vit une tache rouge s'étendre sur son uniforme. Une rafale de balles l'avait atteinte de plein fouet au poumon droit.

Lentement, elle se sentit s'effondrer. Ses oreilles bourdonnaient et chaque souffle qu'elle prenait lui arrachait une sensation de brûlure atroce.

Pendant que le monde autour d'elle s'estompait progressivement, la dernière chose qu'elle entendit avant de sombrer dans le néant le plus total fut la voix de son supérieur qui l'appelait :

« Arèth ! Arèth ! Reste avec moi ! Et merde ! Arèth ! »

Fin du chapitre