La Fin est le commencement
Chapitre 5 - Filiation
La quinquagénaire marqua enfin une pause. Sa voix, empreinte d'une profonde tristesse, résonnait encore dans la pièce. Plus d'une heure s'était écoulée depuis qu'elle avait commencé son récit, et son regard sombre restait fixé, distraitement, sur le reste de thé devenu froid au fond de sa tasse. En face d'elle, l'étrange visiteur au regard carmin attendait avec une patience silencieuse, prêt à écouter la suite sans la moindre interruption.
Poussant un léger soupir, elle poursuivit :
« Après cet incident, ma fille a cessé de m'écrire. Aucune nouvelle ne me parvenait plus, si ce n'est par l'intermédiaire de notre ami commun. Puis, un soir, elle est apparue sur le seuil de ma porte. Ma pauvre petite était... pfff, les mots me manquent ! Déplora-t-elle en secouant tristement la tête. Enceinte de plusieurs mois, elle est arrivée sans crier gare. Croyez-moi, cela a été une sacrée surprise ! Des mois sans aucune nouvelle, et voilà que je la retrouve, enceinte ! Elle m'a confié qu'elle et ce….ce "Golden boy" avaient eu une liaison, et qu'elle s'était terminée lorsqu'elle lui avait annoncé sa grossesse. La célébrité et la paternité ne faisaient pas bon ménage aux yeux de ce jeune homme et, apparemment, il ne voulait pas de l'enfant qu'elle portait ! Ils se sont séparés peu avant que sa mort ne soit annoncée dans les journaux. Quand ma fille est arrivée, elle était dévastée. Malgré tout, elle a tenu bon pour donner naissance à son enfant. Cependant, elle a connu une grave hémorragie après l'accouchement. À ce moment-là, je pense qu'elle a laissé la vie la quitter... », acheva-t-elle.
Le silence qui suivit était pesant. Vincent fixait la femme avec compassion, comprenant la douleur qu'elle portait. Après un moment, il brisa délicatement le calme et prit la parole d'une voix douce :
« Je suis profondément désolé pour ce que vous avez vécu. C'est une histoire bouleversante. Comment avez-vous fait face à tout cela après le décès de votre fille ? » demanda-t-il, laissant transparaître sa sincérité dans son regard.
Sélène esquissa un sourire amer. Le chagrin dans ses yeux ne s'atténuait pas :
« J'ai dû trouver la force d'avancer, pour le petit, pour honorer la mémoire de ma fille. J'ai pris en charge l'éducation de mon petit-fils, et malgré la douleur qui persiste, il est devenu ma source de réconfort.
- Vous….êtes sûre et certaine que cet ancien SOLDAT est son père ?
- Vous plaisantez ! Vous avez bien vu la tête de ce petit ! Ça vous a surpris vous-même !
- Oui, vous avez raison », acheva-t-il.
Le tic-tac régulier de la grande horloge résonnait tranquillement et semblait s'accorder avec le sifflement du vent et les clapotis frénétiques de la pluie à l'extérieur. Sélène reposa sa tasse sur la table basse devant son fauteuil. Puis elle rajusta méticuleusement une mèche rebelle qui s'était échappée de son chignon tout en reprenant d'une voix empreinte d'émotion :
« Ma fille n'est jamais rentrée dans les détails concernant cette relation. Néanmoins elle m'a raconté la façon dont il s'était débarrassé d'elle…Pfff ! Pourquoi a-t-il fallut qu'elle s'amourache de cet individu ! pesta-t-elle. Certes, il avait de quoi faire tourner la tête des jeunes filles, mais…
- Que s'est-il passé entre eux, si ce n'est pas trop indiscret ?
- Comme je vous le disais, cela s'est produit peu de temps avant la mort de ce jeune homme…. »
Le besoin de se confier prit le dessus, et elle poursuivit son histoire…
Dès les premières lueurs du jour, le jeune SOLDAT quitta discrètement la sobre chambre du petit hôtel décrépit, perdu dans les méandres des artères de Midgar. C'était le lieu privilégié de leurs rendez-vous secrets. Ensemble depuis quelques mois seulement, aucun des deux amants ne désirait encore révéler au grand jour l'existence de leur liaison. Le fameux guerrier laissait par conséquent sa compagne, encore lovée dans des draps imprégnés de chaleur.
Ainsi, quelques dizaines de minutes plus tard, lorsqu'elle distingua trois légers coups à la porte de la chambre, Théïa crut naïvement que son compagnon était de retour. Elle enfila rapidement une grande chemise, celle qu'elle avait chipée sans vergogne dans l'armoire du guerrier et dont elle aimait se servir en tant que vêtement de nuit, pour ensuite se diriger vers l'entrée. En ouvrant, elle se retrouva face à un jeune homme. Ce dernier, qu'elle reconnût instantanément, arborait une paire de binocles sur le nez et une chevelure désordonnée :
« Berny ! s'étonna la rousse. Qu'est-ce que tu fais là ? Et comment savais-tu que j'étais ici ! aboya-t-elle immédiatement à son encontre.
- Je suis espion moi aussi ! Ne l'oublie pas ! rétorqua-t-il.
- Pourquoi venir me voir en dehors du laboratoire ? Tu risques de compromettre notre couverture !
- Il fallait que je te parle ! C'est vraiment urgent ! »
La rouquine jeta un coup d'œil rapide dehors pour s'assurer que personne ne suivait le scientifique.
« Ok ! Mais fais vite ! Vas-y je t'écoute ! », s'exclama-t-elle en refermant la porte derrière lui.
Son comparse, visiblement mal à l'aise, débuta :
« C'est…au sujet de tes derniers prélèvements de sang. Ceux que je t'ai fait faire la semaine dernière…
- Et quoi ? Ne me dis pas que tu n'as pas injecté suffisamment de Mako, et que je dois subir une autre injection ! J'en ai assez de ces procédures !
- Non…Théïa…tu…tu es enceinte… »
La jeune femme écarquilla les yeux avant de répéter, stupéfaite :
« Je…quoi ?
- Tu es enceinte. D'environ cinq semaines, ajouta son complice.
- Tu…tu es sûr de ce que tu avances ? »
En voyant son acolyte sur le pas de la porte, elle s'était imaginée toute une série de scénarios. Sauf celui-là. Prise de cours, les battements de son cœur s'étaient accélérés et elle peinait à croire ce qu'elle venait d'entendre.
Acquiesçant, son vis à vis affirma :
« Certain. Lors des prélèvements, nous mesurons différents taux d'hormones. C'est le protocole. Pour éviter tout soupçon, je trafiquais toujours tes résultats avant de les classer dans ton dossier médical. Ton taux d'œstrogène atteignait des sommets, cette fois. J'ai trouvé ça étrange, j'ai donc effectué d'autres analyses et…bref, il n'y a pas de doute possible…», expliqua-t-il.
Assise sur le rebord du lit, la jeune femme tentait de rassembler ses pensées face à cette révélation inattendue.
« C'est Sephiroth le père, n'est-ce pas ? chercha à savoir Berny.
- Comment le sais-tu ? reprit-elle, méfiante.
- Il suffit d'avoir un peu d'intuition. Et je te rappelle qu'Avalanche m'a chargé de garder un oeil sur toi. Vous avez de la chance, Hojo ne soupçonne rien…pour l'instant en tout cas. »
Le regard de Théïa se perdit dans l'incertitude.
« Je n'arrive pas à y croire, murmura-t-elle.
- Si tu veux, j'ai des solutions pour te…débarrasser du problème, proposa avec hésitation son complice, manifestement préoccupé.
- Ça, c'est hors de question ! », s'écria-t-elle brusquement, sans réfléchir.
Des émotions contradictoires l'envahissaient. La nouvelle la bouleversait tout en la plongeant dans une profonde joie. Une anxiété persistante s'y mêlait car elle anticipait la réaction de son compagnon à l'annonce à venir. Elle se retrouvait prise entre l'excitation de cette nouvelle vie et la crainte des répercussions sur leur relation.
« Il va bien falloir que tu lui dises un jour ou l'autre de toute façon. Ou il finira bien par s'en rendre compte par lui-même.
- Oui, je sais. Je ne pourrais pas lui cacher bien longtemps.
- Tu penses que ça ira ?
- Je ne sais pas… », répondit-elle, un peu absente.
Consciente des chamboulements que cette nouvelle apporterait à leur existence commune, l'angoisse de la future réaction de son compagnon la tourmentait. Car, si elle-même lui avait souvent exprimé ses sentiments, le guerrier, lui, trop habitué à cacher ses émotions ou à les garder enfouies, n'avait jamais partagé les siens. Ils ne s'étaient jamais rien promis, pas même une quelconque fidélité. Leur relation intime avait commencé de manière complètement inattendue et s'était développée au fil du temps sans qu'ils n'abordent le sujet de leurs attentes mutuelles.
Le regard fixé sur son ventre, Théïa y déposa doucement sa paume, prenant peu à peu conscience de la réalité de la situation. À tel point qu'elle ne prêtait même plus attention au jeune scientifique à ses côtés. Elle s'adressa alors à son enfant, à son futur enfant :
« Mais ne t'inquiète pas. Quoi qu'il puisse dire ou faire, je ne t'abandonnerai pas... jamais...c'est hors de question… »
Berny, attendri par la petite espionne et convaincu qu'elle saurait prendre la bonne décision, lui confia :
« Tu vas devoir quitter ton rôle pour nous, à la Shinra…
- Je sais. Les plans des réacteurs ont déjà été transmis quoiqu'il en soit. J'ai mené ma mission à son terme.
- Un petit conseil : il vaut mieux que Hojo n'apprenne rien. Mais je pense que Sephiroth en sera conscient lui aussi. Dans le département scientifique, il y a des rumeurs qui circulent. Mais j'imagine que tu dois être au courant.
- Lesquelles ? l'interrogea-t-elle.
- Comme quoi le Grand Héros ne porte pas vraiment Hojo dans son cœur… »
La rouquine esquissa un sourire :
« Non, ça c'est le moins que l'on puisse dire !
- …et qu'il s'agirait de son père, conclut-il.
- Moui. Il me l'a déjà dit.
- Tu y crois ?
- Non, pas vraiment. Même lui n'est pas franchement convaincu. Ça paraît trop…invraisemblable !
- Le professeur Hojo est un être tordu ! Si tu savais ce qu'il fait subir à ses spécimens, tu en ferais des cauchemars !
- Ça, je l'imagine très bien… »
Dans sa tête, Théïa se remémora les trop nombreuses fois où elle avait récupéré le guerrier dans un état catastrophique après ses régulières visites au laboratoire.
« Bien, je vais te laisser. Si tu as besoin, tu sais où me trouver... »
- Oui. Comment te remercier pour tout ce que tu as fait pour moi ?
- Tu n'as pas à me remercier, en tant que membre d'Avalanche, nous devons nous serrer les coudes ! »
Le scientifique esquissa un sourire encourageant :
« Bonne chance, Théïa. Nous sommes là pour toi, quoi qu'il advienne. »
Il la salua d'un geste et, l'instant d'après, quitta la chambre. Pendant ce temps, La jeune femme, rongée par le doute et l'anticipation, se préparait à révéler ce nouveau chapitre de sa vie à Sephiroth. Elle pressa doucement son ventre, murmurant à l'intention de l'avenir incertain qui se dessinait pour eux trois.
La journée touchait à sa fin quand Théïa prit la résolution de rejoindre le 1ère Classe à la tour. Malgré ses multiples tentatives pour le contacter via son PHS, ses appels étaient demeurés sans réponse. Pourtant, selon ses informations, il n'avait eu aucune mission urgente ce jour-là, seulement quelques rapports à réviser et l'encadrement d'un déplacement présidentiel.
Tandis qu'elle s'approchait du petit bureau réservé au SOLDAT, une nervosité inédite crispait chaque fibre de son être. Peu importe le moment, que ce soit aujourd'hui ou dans quelques semaines, elle devrait lui annoncer tôt ou tard. Autant le faire dès maintenant. Théïa avait mentalement formulé des centaines de fois la phrase qu'elle allait lui dire.
« Tout ira bien. Je suis sûr qu'il sera fou de joie… Oui… je suis sûr que tout se passera bien…», se répéta-t-elle pour s'apaiser.
Parvenue devant son bureau, elle frappa quelques petits coups secs à la porte. Aucune réponse ne vint. Guidée par son intuition, elle entra néanmoins. C'est là qu'elle le trouva. Dos à elle, il contemplait le secteur trois de Midgar à travers la baie vitrée. Pourquoi ne lui avait-il pas répondu ? C'était étrange. Elle savait pourtant que son ouïe exceptionnelle avait dû lui permettre de percevoir ses pas depuis le couloir. Quelque chose n'allait pas.
« Sephiroth ? Tout va bien ? » demanda-t-elle.
Doucement, elle s'approcha de quelques pas.
« Sors d'ici… je ne t'ai pas autorisée à entrer… »
Sa voix était glaçante, dénuée d'humanité, et il n'avait même pas daigné se retourner.
« Qu'est-ce…Qu'est-ce qui te prend ? balbutia-t-elle.
- Je t'ai dit de sortir. Je ne veux pas te voir. Je ne veux plus te voir. »
A cet instant, elle entrevoyait enfin son amant sous le jour avec lequel on le dépeignait si souvent : froid, hautain….inhumain. Que se passait-il ? Pourquoi agissait-il de la sorte ? Complètement perdue, elle bredouilla faiblement :
« Je…je ne comprend pas…
- Tu ne comprends pas ? Je vais donc t'expliquer : j'ai surpris ta conversation de ce matin avec cet homme. »
La jeune femme blêmit. Il avait tout entendu, et il savait. Les mains moites et le souffle saccadé, elle contenait mal ses émotions. Incapable d'articuler la moindre phrase, elle laissa son amant poursuivre :
« Je vais être on ne peut plus clair : quitte le SOLDAT. Quitte Midgar. Et ne revenez jamais, tous les deux. Je ne veux plus jamais poser les yeux sur toi. Estime toi chanceuse que je ne dévoile pas ton petit secret aux TURKs…»
Théia s'appuya contre la porte pour ne pas tomber. Elle avait l'impression d'être dans un cauchemar. La respiration difficile, elle suffoquait. Un faible « je suis désolée… » fut tout ce qu'elle put articuler, tant sa gorge était serrée. Sentant ses sanglots la submerger, elle quitta la pièce.
Deux semaines plus tard, la mort du Grand Héros Sephiroth, lors d'un tragique accident dans le réacteur Mako d'une petite bourgade perdue aux fins fonds des montagnes, fut annoncée dans tous les journaux.
« Qui aurait cru que Sephiroth avait eu un fils ? murmura l'ex-TURK, plongé dans ses pensées .
- Oh, pour ma part, ça ne me surprend pas du tout ! Si ma mémoire est fidèle, ce jeune homme était plutôt séduisant et dans la fleur de l'âge ! Tss ! Je ne serais même pas surprise s'il avait laissé son empreinte un peu partout dans le monde, vu sa réputation ! Peut-être que tous les rejetons n'ont pas hérité de ses caractéristiques physiques, c'est tout ! », déclara Sélène avec dédain.
Cette dernière ne cachait pas son mépris envers l'ancien héros, et cela avait probablement un lien avec le décès de sa propre fille.
La remarque frappa Vincent. Après tout, il n'avait jamais connu l'ex SOLDAT. En y réfléchissant, il n'était pas improbable, compte tenu de son âge au moment de sa première mort, qu'il ait pu avoir quelques enfants naturels ici et là.
Coupant court à ses réflexions, Sélène étouffa un bâillement derrière une main délicate et déclara :
« Nous devrions aller nous coucher, Vincent. Il est très tard. Je vais vous montrer la chambre où vous pourrez prendre un peu de repos »
Elle le conduisit jusqu'à l'une des pièces du rez-de-chaussée, aménagée en chambre à coucher. Il la remercia, puis elle prit congé :
« Bonne nuit, Vincent.
- Mmh ? Oh, bonne nuit Sélène. Et merci pour tout », répondit-il distraitement.
La porte refermée derrière lui, Vincent s'étendit sur le lit. Le sommeil lui échappait. Les récentes révélations occupaient son esprit et il peinait à assimiler la réalité : Sephiroth avait eu un fils. Un fils qu'il n'avait pas souhaité, selon ce qu'il avait compris. De plus, la grand-mère du garçon ignorait la récente disparition de son père, ainsi que ses actes sous l'emprise de Jenova. Elle demeurait dans l'ignorance totale de son rôle dans l'appel du Météore. Comment aurait-elle pu être au courant ? Mis à part Avalanche et la Shinra, personne ne connaissait la vérité. Pour Sélène et les autres, le Grand Sephiroth avait péri dans une explosion cinq ans plus tôt. Imaginer la réaction de Cloud et des autres s'ils découvraient l'existence du fils de Sephiroth le troublait. Le blond pourrait bien vouloir éliminer le fils par crainte qu'il ne suive les traces de son père. Vincent se retrouvait face à une impasse, sans savoir quelle décision prendre.
On dit que la nuit porte conseil et, après avoir passé encore deux bonnes heures à tourner sur sa couche, il finit par s'endormir.
L'ex-TURK s'éveilla une poignée d'heures plus tard seulement. A travers la petite lucarne de la pièce, il faisait encore sombre, preuve que le jour n'était même pas levé. Un jour pluvieux, une fois de plus, comme en attestait le bruit des intempéries sur la vitre.
« Que vais-je faire maintenant ? », se lamenta-t-il à voix haute, son regard perdu dans la contemplation du plafond.
La destruction du souterrain ou du manoir n'était plus une option envisageable.
Soudain, une petite voix chuchota depuis le bout du lit :
« Pourquoi t'as l'air triste ? »
Vincent se redressa vivement pour découvrir une petite tête émerger derrière les pieds de sa couche. La pièce était plongée dans une obscurité quasi-totale, aussi Vincent se demanda comment l'enfant avait pu discerner l'expression de son visage. Puis, il se rappela que le bambin avait hérité des yeux de son père, ce qui lui conférait très certainement une vue perçante, de jour comme de nuit.
A moitié dissimulé derrière le matelas, le petit l'épiait tranquillement.
« Bonjour, toi ! répondit calmement le brun. Tu sais que c'est impoli d'espionner les gens ! », dit-il en souriant.
« C'est ce que dit mamie aussi…
- Je croyais que tu avais peur de descendre le grand escalier seul ? ajouta Vincent.
- Non ! Je suis un grand garçon moi ! J'ai pas peur ! s'insurgea le bambin d'une petite voix.
- C'est pourtant ta mamie qui le dit.
- Oui ! Ça, c'est parce qu'avant, moi j'avais peur ! Mais j'ai plus peur là ! »
Oui, à quatre ans, on peut avoir peur…ou faim…ou envie de faire pipi, à 05h52. Et ne plus avoir peur ni faim ni envie de faire pipi à 05h54. L'instant présent est tout ce qui compte à cet âge, et Vincent, un peu perplexe, venait de s'en apercevoir.
« Alors ! Pourquoi t'es triste ? Insista l'enfant.
- Je ne suis pas triste…
- Mais tu faisais une drôle de tête !
- J'étais…simplement dans mes pensées. Et toi, ça t'arrive souvent de venir espionner les visiteurs pendant qu'ils dorment ? Ta grand-mère sait que tu t'échappes de ton lit si tôt le matin ?
- Non, elle sait pas. Mais je m'ennuie dans ma chambre à attendre qu'elle se réveille ! Pis j'ai rien fait de mal… », acheva-t-il sur une moue parfaitement adorable.
Une vraie bouille d'ange qui semblait s'accorder à un caractère bien trempé !
« Tu lui diras pas hein, à mamie ? le sollicita l'enfant.
- Non…ça sera notre secret ! », assura Vincent.
Une lueur d'espoir s'alluma dans les yeux luisants du bonhomme :
« Promis ? implora-t-il.
- Promis !
- Chouette ! C"est super ! s'exclama le petit. Merci euh…comment tu t'appelles déjà ?
- Vincent. Et toi ?
- Moi je m'appelle Adonis, et j'ai quatre ans et demi ! Dis, pourquoi il est comme ça, ton bras ?
- Ah ! Ça, c'est parce qu'il m'est arrivé de grandes aventures contre des dragons des mers !
- Wouaaah ! Tu es un aventurier alors ! Dis, tu veux bien me raconter tes aventures ?
- Avec plaisir ! Viens t'installer ici ! » l'invita Vincent en tapotant doucement sur le lit à ses côtés.
Adonis grimpa d'un bond, et prit place. Puis, sa curiosité l'emporta sur la timidité, et il tapota légèrement la griffe métallique du bout de ses petits doigts. Vincent le laissa faire, amusé, tout en commençant à tisser des récits rocambolesques peuplés de monstres terrifiants...
Après plus d'une heure passer à retracer une merveilleuse aventure, dans laquelle le courageux Vincent Valentine avait dû sacrifier son propre bras pour sauver une portée de chatons terrifiés des griffes d'un dragon sous-marin cracheur de geysers brûlants, la clarté du jour perça peu à peu l'obscurité de la nuit.
Les yeux étincelants d'excitation, le petit garçon se mit à piailler et à sautiller partout, combattant des ennemis imaginaires avec une épée tout aussi imaginaire. Cet enfant débordait de bonheur et d'allégresse. Pourtant, aux yeux de Vincent, la similitude physique avec son père le troublait toujours. En réfléchissant, il lui semblait peu probable que le jeune Sephiroth, lorsqu'il était enfant, ait pu connaître une telle joie de vivre. Inconsciemment, le cœur de l'ex-TURK se serra en pensant à l'enfance du guerrier, livré à lui-même, entre les mains de Hojo. Avant que la culpabilité ne l'envahisse à nouveau, Adonis s'écria subitement :
« Ah ! Il faut que je retourne dans ma chambre ! Sinon mamie va savoir que je dors pas ! »
Le bambin s'éclipsa, rapide comme l'éclair, sous le regard amusé d'un Vincent qui ne put s'empêcher de sourire face à cette ingénieuse tentative de préserver le secret de sa petite escapade nocturne.
Environ une heure s'écoula avant que Vincent ne perçoive des bruits provenant de la cuisine.
« Bonjour, Vincent ! Bien dormi ? » interrogea Sélène alors qu'il la rejoignait, tout juste après qu'elle n'ait préparé le petit déjeuner.
Adonis était déjà attablé, dévorant ses tartines avec appétit. D'un geste accueillant, Sélène invita Vincent à se joindre à eux, et ils partagèrent un petit-déjeuner convivial. La grand-mère plaisantait souvent avec son petit-fils, et l'atmosphère tendue de la veille semblait s'être dissipée. Une fois le bol de chocolat et les tartines terminés, Adonis se précipita dehors pour jouer.
« Je n'arrive jamais à le tenir en place ! ronchonna la dame. Cet enfant est pire qu'un chocobo qui n'aurait pas eu d'exercices pendant plusieurs semaines !
- Oui, c'est ce que je constate », acquiesça Vincent.
La quinquagénaire baissa soudain le menton. Elle triturait nerveusement entre ses doigts une petite cuillère en métal, lorsqu'elle reprit la parole, un peu hésitante :
« Hum, je ne voudrais pas vous paraître grossière, mais… comment dire… », entama-t-elle.
Elle cherchait visiblement ses mots, et Vincent se demanda où elle allait en venir.
« J'ai réfléchi à la situation. Si cette demeure vous appartient, j'imagine que vous souhaiteriez en reprendre possession. Vous m'avez quelque peu prise au dépourvu, et… et bien, j'aurais souhaité savoir si cela ne vous ennuierait pas si le petit et moi-même restions logés ici, du moins pour les quelques semaines à venir. Le temps que je trouve un autre logement. Je vous paierai une rente, cela va de soi ! »
Devant cet aveu, l'ex-TURK se sentit soulagé :
« Vous n'avez pas à faire cela, répondit-il aimablement. C'est plutôt moi qui m'excuse de vous avoir dérangé. Et, après tout, je n'ai plus aucun lien avec cette demeure. C'est plutôt moi qui souhaiterais vous demander l'hospitalité, pour quelques jours. Disons, jusqu'à ce que les intempéries cessent, afin que je puisse reprendre la route… »
Ils s'adressèrent un sourire mutuel, avant que Sélène n'achève :
« Vous êtes ici chez vous, Vincent. Restez aussi longtemps qu'il vous plaira… »
Ils terminèrent leur petit-déjeuner dans un silence confortable. Puis, Vincent aida son hôtesse à ranger le petit-déjeuner et faire la vaisselle. La compagnie de Sélène lui procurait un bien-être évident. Elle était enjouée, évitant toute indiscrétion dans ses questions, et avait un talent inné pour mettre à l'aise même les plus timides….
Les quelques jours initialement prévus par Vincent se transformèrent en semaines, puis en mois. Le temps filait à une vitesse inouïe. Il s'était véritablement lié d'amitié avec cette étonnante grand-mère et un attachement sincère était né entre eux. Par conséquent, lorsqu'elle lui proposa de rester, il accepta volontiers. De plus, il avait développé une véritable affection pour l'enfant. Ils passaient leurs journées à jouer, se promener ou faire tout un tas d'autres activités, et le soir, Vincent lui racontait des histoires pour l'endormir. Pour le brun, c'était une chance de racheter les erreurs du passé, d'effacer son "péché". Il avait échoué à protéger Lucrécia et son fils. Il était déterminé à ne pas faillir cette fois-ci, envers le petit-fils de sa bien-aimée….et le sien également, comme il allait le découvrir ce jour-là.
Nous étions au cœur du mois de janvier. Sélène s'était rendue chez certains de ses amis dans le village, et naturellement, Vincent s'était porté volontaire pour veiller sur Adonis.
Un généreux soleil illuminait les monts enneigés, faisant scintiller les toits des modestes maisons du bourg. La région était sous l'emprise de la neige depuis plusieurs semaines déjà, et l'enfant, fatigué des batailles de boules de neige et des glissades avec sa luge, avait choisi de rester au chaud :
« Eh ! Tu triches ! s'exclama Adonis.
- Moi ? Jamais ! répondit l'ex-TURK avec un sourire malicieux.
- Mais c'est pas comme ça qu'on joue ! remarqua le petit, bougon.
- Ah ? Alors comment veux-tu que je joue ?
- Toi, tu dois sauter par dessus cette case-là ! Et moi je ramasse les noyaux ! expliqua-t-il.
- Les joyaux, Adonis ! corrigea Vincent en riant.
- C'est ce que je dis ! Les noyaux ! » persista l'enfant.
Adonis rassembla les petits joyaux en plastique éparpillés sur le plateau de jeu sur lequel ils étaient tous deux plongés, puis il récupéra son pion et reprit la partie, suivant ses propres règles, sous le regard surpris de Vincent. Au fil du temps, ce dernier avait appris à connaître l'enfant. Bien que son apparence évoquait celle de son père, il lui était difficile d'imaginer que Sephiroth ait pu avoir un tempérament aussi singulier que celui de son fils. Râleur, un tantinet colérique, d'une maladresse déconcertante, il compensait néanmoins ses mauvais côtés par une espièglerie sans limite et une générosité débordante, ce qui faisait de lui un enfant particulièrement attachant. Du moins au yeux de Vincent.
Tous deux étaient installés dans la chambre du petit. La pièce, à l'instar du reste du manoir, avait connu un léger rafraîchissement et s'était transformée en un havre de douceur et de jeux : les murs repeints dans des tons apaisants de bleu ciel et de vert pâle accueillaient des posters colorés de ses héros préférés ; des étoiles phosphorescentes surplombaient le lit moelleux et créaient une ambiance magique la nuit. Un bureau en bois clair, orné des dessins créatifs d'Adonis, occupait fièrement l'espace. Des peluches attendrissantes se nichaient ici et là, prêtes à devenir des compagnons de jeux. Une bibliothèque bien garnie offrait un monde d'aventures à portée de main. Enfin, le lit, paré d'une couette joyeuse, était le lieu parfait pour rêver et se détendre. Des rideaux légers encadraient la fenêtre, laissant filtrer une lumière douce tout au long de la journée. L'ancienne chambre de Lucrécia était ainsi devenue un lieu harmonieux, propice à l'épanouissement d'un enfant.
« Bon, changeons de jeu maintenant ! J'ai une idée ! On va jouer à cache-cache ! Tu comptes et moi je me cache ! Prêt ? clama soudain le garçon en se redressant avec enthousiasme.
- Compris ! Un….deux…trois…», entama le brun.
Aussitôt, le petit s'échappa de la chambre en riant joyeusement. En général, Vincent commençait à compter, puis attendait quelques précieuses minutes avant de se lancer dans sa recherche. Ce qui lui laissait amplement le temps de remettre un peu d'ordre dans la pièce dans laquelle il se trouvait.
Un peu plus tôt, Adonis, en gigotant consatamment, avait accidentellement renversé un gros pot de billes toutes colorées. Elles s'étaient éparpillées partout au sol, et ils n'avaient pas eu le courage de les ramasser immédiatement. En se penchant pour récupérer certaines d'entre elles qui avaient glissé jusque sous le lit, il remarqua une chose plutôt curieuse : sous le sommier, une latte de parquet se démarquait des autres et présentait une minuscule poignée en métal. Une trappe, à même le sol. Décidément, ce manoir était bourré de cachettes ! Intrigué, il ouvrit la trappe et découvrit un vieux carnet poussiéreux au fond d'un trou. En soufflant sur la couverture pour en dégager la poussière, il reconnut immédiatement l'écriture fine et soignée du nom qui y était inscrit. "Lucrécia Crescent".
Il n'avait jamais soupçonner qu'elle puisse avoir écrit ce genre de chose, ni qu'elle puisse l'avoir caché sous son lit. Dire qu'il était resté à cet endroit durant près de trente ans. Oubliant totalement sa partie de cache-cache, où Adonis devait l'attendre sagement niché dans sa cachette habituelle, à savoir l'armoire de sa grand-mère, il ouvrit le journal et feuilleta les dernières pages…
Fin du chapitre
