La Fin est le commencement

Chapitre 7 - Renaissance

Les derniers rayons du soleil effleuraient l'horizon par-delà l'océan lorsque Vincent descendit les marches de l'hélicoptère qui l'avait transporté jusqu'à Junon. Autrefois sous le joug de la Shinra, la ville semblait aujourd'hui renaître sous l'égide de la WRO, la World Regenesis Organization.

Suite à la chute du météore sur Midgar, la célèbre compagnie Shinra avait connu un déclin fulgurant, suscitant la joie des habitants de la planète. Reeve Tuesti, ancien Directeur du Développement urbain de la société, avait alors créé cette nouvelle organisation et entrepris la rénovation spectaculaire de la cité maritime : la plage de Junon Basse avait été purifiée ; les plates-formes partiellement démolies permettaient désormais aux rayons du soleil d'embrasser cette portion de la cité ; des arbres nouvellement plantés s'épanouissaient dans les rues ; tandis que les habitants échangeaient des salutations joyeuses. La vie reprenait son cours après une période de terreur qui avait duré des années sous la dictature implacable de la Shinra.

Deux jours plus tôt, à l'aube, l'ex-TURK avait reçu un appel de Reeve l'incitant à venir le rejoindre de toute urgence. Son ancien compagnon d'AVALANCHE ne lui avait donné aucune réelle explication lors de son appel, simplement :

« Je ne peux rien te dire de plus au téléphone, dépêche toi de venir à Junon s'il te plaît, je t'attends. »

Puis il avait raccroché, laissant les interrogations de Vincent en suspens.

Ce dernier avait alors informé Sélène de son départ, expliquant qu'un de ses amis avait besoin de son aide et qu'il ne pouvait prolonger sa présence pour le moment. En voyant la petite frimousse d'ange d'Adonis ravagée par les larmes, il avait promis de revenir dès que possible. Depuis les révélations du journal quelques semaines auparavant, il n'avait toujours pas trouvé le courage d'expliquer la vérité à sa nouvelle amie, encore moins à son petit-fils...

A peine embarqué dans l'appareil, la présence de l'enfant lui avait déjà manqué et Vincent s'était juré de tout leur avouer, dès son retour….

Par conséquent, il s'acheminait vers les quartiers de la WRO, anciennement ceux de la Shinra, lorsqu'il aperçut le petit chat perché sur son mog géant accourir vers lui :

« Je…Je suis vraiment désolé Vincent, s'excusa-t-il une fois parvenu à sa rencontre. Reeve m'avait envoyé te chercher au quai mais je suis parti trop tard !

- Ne t'excuse pas Cait, ça ne fait rien, le rasssura le brun.

- Je suppose que tu dois te demander pourquoi il t'a fait venir ?

- En effet, je me pose la question, répondit-il curieux.

- Viens, suis moi ! »

La peluche emboîta le pas à Vincent qui le suivit en silence. Ensemble, ils traversèrent le seuil du nouveau Quartier Général de la WRO, et arpentèrent plusieurs corridors. Ils empruntèrent un premier ascenseur jusqu'au 17ème étage, puis un second jusqu'au 2sème, pour enfin accéder au 33ème étage à l'aide d'un troisième et dernier ascenseur.

« Cette partie du bâtiment est strictement privée, expliqua le félin mécanique en insérant son laisser-passer dans la machine de contrôle. Nous y sommes presque. »

Ils continuèrent à traverser quelques couloirs et s'arrêtèrent devant l'une des portes. Cait Sith invita Vincent à entrer :

« Reeve va arriver dans un instant.

- Son bureau ? demanda Vincent.

- Oui.

- Plutôt simple pour le bureau d'un directeur, jugea l'ex-TURK.

- Installe-toi, je vais le chercher. » déclara le robot en sortant.

Bien que la pièce fût spacieuse, le bureau de Reeve n'avait rien d'extravagant, rien qui ne le distinguait comme le bureau du président d'une importante compagnie. Sobre et fonctionnel était les mots qui venaient à l'esprit pour le décrire.

Vincent restait perplexe devant tant de mystère. Pourquoi son ami l'avait-il fait venir, et pourquoi ne lui avait-il rien dit par téléphone ?

« Bonjour Vincent ! désolé de t'avoir fait attendre ! », s'excusa Reeve en entrant soudainement.

Après une poignée de main chaleureuse, le jeune président convia Vincent à s'asseoir.

« Reeve, que se passe-t-il de si urgent ? », interrogea-t-il.

Son ancien compagnon soupira avant de répondre :

« Je ne sais même pas par où commencer.

- Commence par le début », suggéra l'ex-TURK, pragmatique.

Reeve inspira profondément et débuta :

« Voilà, il y a quelque temps, j'ai envoyé des troupes dans de nombreux villages de l'hémisphère Nord pour évaluer les dégâts causés par le météore. Icicle Lodge n'a pas fait exception. Le responsable de l'équipe m'a contacté quelques jours après leur arrivée, affirmant que le bourg était indemne, mais qu'un villageois avait trouvé un homme dans le cratère et l'avait ramené au village….

- Un villageois s'est aventuré dans le cratère ? répéta Vincent, surpris.

- Oui. Tu te souviens du vieil homme qui vit dans le chalet aux pieds des monts ?

- Bien sûr.

- Et bien il s'agit de lui. C'est un alpiniste chevronné, comme nous avons pu le constater. Quoiqu'il en soit, lorsque le responsable de mon équipe m'a décrit l'homme qu'ils ont retrouvé… »

Reeve fit une pause, hésitant. Il ne savait pas comment Vincent réagirait à la nouvelle.

« Qui ont-ils retrouvé ? » questionna ce dernier.

Son cœur s'était mis à battre un peu plus fort.

« Sephiroth », avoua finalement son ami.

Vincent balbutia, fixant Reeve droit dans les yeux :

« Tu… tu en es sûr ?

- Oui, affirma-t-il. Au départ je n'y croyais pas moi non plus, mais en le faisant rapatrier ici, le doute n'était plus possible… »

L'ex-TURK se redressa brusquement et fit quelques pas dans le bureau en écoutant son ami poursuivre ses explications :

« Il est toujours inconscient. Le scientifique qui s'occupe de lui ne sait même pas s'il reprendra conscience un jour. Mais physiquement...il n'a rien…

- Rien ! s'étonna Vincent. Nous l'avions pratiquement tué et tu me dis qu'il n'a rien ! »

Reeve répliqua calmement :

« Écoutes, c'est tout aussi surprenant pour moi que pour toi. Je ne saurais pas l'expliquer, mais les faits sont là. Peut-être...Je ne sais pas moi, peut-être qu'il a réussi à utiliser un dernier sort de guérison avant de perdre connaissance ! »

L'homme à la griffe s'arrêta devant la large fenêtre, derrière le bureau. Ses ongles métalliques crissèrent légèrement en se posant sur la vitre.

« Il peut toujours s'agir de Jenova, déclara-t-il gravement.

- Je sais. J'ai longuement hésité sur la marche à suivre, admit Reeve.

- Pourquoi m'avoir appelé moi ? Et pas les autres ? »

L'homme d'affaires fit pivoter son fauteuil sur lui-même en direction de son comparse, figé, juste derrière lui.

« Vincent, il y a quelque chose que je dois t'apprendre. Je ne sais pas comment te dire ça… »

Reeve parut soudain très mal à l'aise. Il cherchait ses mots avec difficulté tout en se grattant la barbe :

« Lorsque j'ai su que Sephiroth était en vie, j'ai voulu jeter un œil sur son dossier, le fameux "projet S" comme l'avait nommé Hojo. J'ai contacté Tseng. Même s'il reste fidèle à Rufus, il a toujours été quelqu'un d'assez intègre et c'était un bon ami à moi. Il m'a laissé avoir accès à tout ce que Hojo avait pu posséder concernant Sephiroth. Avec l'aide de mon responsable du département scientifique, ici à la WRO, un ancien d'AVALANCHE, nous nous sommes chargés de consulter tous ses dossiers, tous ses bilans d'expériences, aussi bien officiels qu'illégaux, et… »

Vincent savait parfaitement où son camarade allait en venir. Néanmoins, il le laissa poursuivre sans l'interrompre :

« Hojo a...Hojo lui avait fait subir un examen sanguin, ainsi que des tests génétiques à sa naissance…Et il s'est aperçu que…Écoutes, je sais que ça ne va pas être facile pour toi d'entendre ça mais...il s'est rendu compte que...que… »

Vincent termina la phrase à sa place :

« Que je suis son père. »

Reeve parut soulagé que son ami connaisse déjà la vérité :

« Tu le savais ?

- Disons que…Lucrécia a éclairci mes doutes, récemment. C'était écrit dans le journal intime qu'elle avait laissé au Manoir à Nibelheim et sur lequel je suis tombé, plutôt par hasard », reconnut-il.

Les yeux fixés sur l'horizon à travers la fenêtre, Vincent écoutait toujours son ami :

« Au départ, je pensais sincèrement prévenir Cloud et les autres. Mais lorsque j'ai su que tu...enfin...qu'il était ton fils, j'ai changé d'avis. Cloud aurait voulu l'éliminer, une bonne fois pour toute….

- Et toi ? coupa Vincent, pourquoi n'as tu pas donné l'ordre à tes hommes de l'abattre lorsque tu as su qu'il était encore en vie ?

- Nous ne savons pas s'il s'agit de la créature, Jenova, ou bien de Sephiroth lui-même. Tu sais, avant l'incident à Nibelheim, c'était quelqu'un de plutôt "normal". Je veux dire, je ne l'ai pas vraiment connu, à l'époque. Mais je sais que sa réputation de héros n'était pas usurpée. Et je suis peut-être un traître et un espion, néanmoins j'ai mes convictions et un certain sens de l'honneur qui m'interdisent de tuer un homme qui est inconscient et ne peut pas se défendre...même s'il s'agit de l'homme le plus dangereux de la planète », acheva-t-il.

Après quelques secondes d'un silence pesant, le TURK se retourna et le sollicita posément :

« Je peux le voir ?

- Bien entendu. Suis moi. »

Reeve guida Vincent jusqu'à la section scientifique du bâtiment, située au dernier étage. Ils entrèrent dans un vaste bloc médical au centre duquel se trouvait une petite pièce close. De grandes baies vitrées réputées incassables permettaient d'observer les patients retenus dans cette partie du bloc. Actuellement, il s'agissait de Sephiroth. Quelques scientifiques saluèrent le président, puis l'un d'entre eux s'approcha :

« Président Tuesti, ravi de vous voir, il y a des développements...

Vincent, permets-moi de te présenter le responsable de ce département : le Professeur Berny. »

Le patronyme fit réagir immédiatement Vincent. Le monde était décidément bien petit ! C'était donc lui, l'espion d'AVALANCHE qui avait autrefois assisté Hojo. Celui qui avait aidé la fille de Sélène à infiltrer le SOLDAT et qui l'avait prévenu de sa grossesse.

« Berny, voici Vincent Valentine.

- Bonjour, enchanté, » salua poliment le scientifique.

Vincent lui rendit une poignée de main courtoise accompagnée d'un bref sourire.

« C'est lui qui est chargé de la surveillance de Sephiroth, expliqua Reeve. Tu parlais de développements ?

- Oui, acquiesça le professeur. D'après certains examens, j'ai constaté une réaction de son activité cérébrale au niveau du lobe temporal. Elle a réagi à un stimulus particulier, dont je ne connais pas la nature. Depuis, ses cellules cérébrales semblent accepter et réagir aux stimuli extérieurs, mais pas tous. Les stimuli physiques ne provoquent aucune réaction, il s'agit principalement de stimuli auditifs...

- Berny….l'interrompit l'homme d'affaires.

- Oui, monsieur ?

- Je n'ai rien compris… »

Devant tant de franchise, le scientifique faillit en tomber à la renverse. En tentant de vulgariser, il renouvela son discours :

« Ah... Bien, pour simplifier, il semble que son esprit soit à nouveau conscient de certains éléments qui l'entourent, comme le bruit par exemple. Cependant, il ne réagit pas au toucher, du moins pas de manière vérifiable sur les machines.

- Tu veux dire qu'il est conscient c'est ça ?

- Si on veut, oui, en partie.

- Comment ça, en partie ?

- Et bien oui, uniquement les cellules de son lobe temporal réagissent, ce qui signifie qu'il est conscient, mais pas physiquement. Vous comprenez ?

- Non…

- Ah...Bon, bien pour faire encore plus simple... »

Vincent détourna son attention de la conversation. Lui, avait saisi la situation. Les connaissances scientifiques que Lucrécia lui avait inculquées n'étaient pas complètement effacées de sa mémoire. L'esprit du jeune homme réagissait à quelque chose, mais on ne savait pas vraiment à quoi, probablement au bruit...

Avec prudence, il s'approcha des fenêtres de la chambre où reposait Sephiroth. Allongé sur ce minuscule lit d'hôpital, divers moniteurs surveillaiant son rythme cardiaque, son activité cérébrale et ses taux hormonaux. Des perfusions multiples assuraient son traitement médical.

« Reeve ? », appela Vincent.

Toujours plongé dans sa discussion animé, celui-ci n'entendait pas son ami :

« Mais il est conscient ou non ? questionna-t-il.

- Oui et Non ! répondit le scientifique.

- Mais comment peut-il l'être et ne pas l'être !

- Je vous ai déjà expliqué ça trois fois monsieur ! répliqua le responsable dont on sentait que la patience arrivait à bout.

- Reeve ? tenta à nouveau Vincent.

- Oui, mais je ne comprends pas un mot de ce que tu me racontes à chaque fois ! s'exaspéra à son tour le directeur.

- Son esprit est partiellement conscient !

- Mais qu'est ce que tu veux dire par "partiellement" ?

- Reeve ?

- Ses neurones ne réagissent pas à tous les stimuli.

- Mais c'est quoi un stimuli !

- REEVE ! »

Le ton impérieux parvint finalement à sortir les deux hommes de leurs débats :

« Hein ? fit son ami en se tournant enfin.

- Hum...

- Oh pardon Vincent ! Je suppose que tu veux aller le voir, n'est-ce pas ? », proposa le jeune président.

Le TURK acquiesça silencieusement.

« Très bien. Mais fais attention, au moindre changement des moniteurs, tu ressors, d'accord ?

- Bien...

- Berny, ouvre lui. Et débrouille toi pour lui donner une clé magnétique qui lui donne accès à la chambre. »

Le scientifique opina, sortit une carte de sa poche et ouvrit la porte coulissante du bloc où Sephiroth reposait.

Vincent pénétra à l'intérieur et s'approcha prudemment du guerrier. Voyant qu'aucune courbe ne changeait de rythme sur les moniteurs, il attrapa un petit tabouret à roulettes et s'installa près du jeune homme. Seul le régulier "bip ! bip !" des appareils venaient perturber le silence oppressant qui reignait dans cette partie du laboratoire.

Là, l'ex-TURK put prendre le temps d'observer l'ancien SOLDAT. Jusqu'alors, il n'avait jamais eu véritablement l'occasion de le faire. Leurs rencontres avaient été rares, et les confrontations avec Cloud et son équipe avaient toujours été de courte durée, trop brèves pour lui permettre de détailler son aspect physique. Sauf peut-être lors de cet ultime combat, au fond du cratère. Cependant, son corps était alors si altéré par les modifications que lui avait apportées Jenova qu'on ne pouvait plus vraiment discerner sa véritable apparence.

Lucrécia aurait pu être fière d'elle, songea Vincent : son fils était véritablement d'une beauté à couper le souffle. "Leur fils", se corrigea-t-il. À travers ses traits, il pouvait aisément discerner la noblesse aristocratique héritée de sa mère, entremêlée de certaines similitudes avec son propre visage.

Était-ce la raison qui expliquait l'acharnement et la haine dont Hojo avait fait preuve à l'encontre du TURK à cette époque ? La jalousie ? Après tout, il avait su dès le départ qu'il n'était pas le père de cet enfant. Était-ce pour cette raison qu'il n'avait pas hésité un seul instant à lui tirer cette balle, à s'acharner, expérience après expérience, sur lui ? À utiliser Sephiroth comme cobaye ? À se débarrasser de son vrai père, à écarter sa mère au point de la rendre folle de désespoir ? Puis à l'utiliser tout au long de sa vie ? Qu'avait-il pu lui faire subir, toutes ces années ? Comment l'avait-il élever ? Ces dernières pensées firent frémir Vincent et il s'aperçut que les souffrances qu'avaient pu subir son fils était pour lui une véritable source de torture mental.

En dépit de ce destin tragique qui s'était acharné contre lui, Sephiroth était vivant. Mais qu'adviendrait-il de lui ? Se réveillerait-il seulement un jour ? Ou demeurerait-il dans l'inconscience ? Et était-ce bien lui, et non Jenova ?

Se remémorant les paroles du scientifique sur la réaction à de potentiels stimuli, Vincent chuchota, presque désespéré :

« Sephiroth, réveille toi. Je jure que plus jamais tu n'auras peur. Je jure que tu ne seras plus jamais seul…mon fils... »

Pas un seul frémissement de paupières, pas un seul tremblement de doigts n'agitèrent le corps du bel endormi. Avant de sortir de la chambre, Vincent jeta un dernier regard vers le lit, priant pour qu'un miracle s'accomplisse...

Lorsqu'il regagna le laboratoire, Reeve l'attendait toujours.

« Tu m'as bien confirmé avoir retrouvé tous les dossiers de Hojo le concernant, n'est-ce pas ? » s'enquérit l'ex-TURK.

Reeve, un peu perplexe quant aux intentions de son ami, annonça :

« Oui, bien sûr. Mais pourquoi vouloir les consulter ?

- Il y a des éléments que j'aimerais comprendre »

Son ami hésita, avant de le prévenir :

« Je ne suis pas sûr que ça soit une bonne idée.

- Pourquoi cela ?

- Eh bien, tu vois... »

Quand une conversation le mettait dans l'embarras, l'ancien responsable urbain de la Shinra avait ce tic particulier de se frotter le menton, ce qui n'avait pas échappé à Vincent.

« Les rapports que Hojo avait rédigés sont... comment dire, bafouilla-t-il. Il ne considérait pas les individus comme des hommes, mais plutôt comme des animaux de laboratoire, des rats. Ses rapports le démontrent clairement.

- Je sais comment Hojo considérait ses semblables, je l'ai connu bien mieux que n'importe qui ici, tu sembles l'oublier », proclama Vincent en faisant allusion à son passé et aux différents traitements dont il avait pu bénéficier grâce aux bons soins du défunt mais non-regretté directeur du département scientifique de l'entreprise.

Son ami soupira :

« Tu ne renonceras pas, n'est-ce pas ?

- Non.

- Pourquoi désires-tu consulter ces rapports ? insista-t-il. Cela ne fera qu'accroître ta culpabilité, Vincent, et c'est inutile. Ce qui est fait est fait, le passé ne pourra jamais être changé.

- Merci de t'inquiéter, Reeve, mais je cherche à comprendre. Je ne pourrai jamais l'aider si je ne sais pas ce qu'il a vécu... même si j'ai ma petite idée.

- Très bien, suis moi... » céda-t-il finalement.

Le jeune directeur guida son camarade deux étages plus bas, jusqu'à une pièce spacieuse contenant des dizaines de milliers d'étagères méticuleusement organisées par ordre alphabétique. Chacune d'entre elles renfermait une variété d'archives, de dossiers, de rapports et de documents divers. Arrivés devant la section marquée par la lettre "S", Reeve extrait trois grandes caisses de l'imposante étagère.

« Voilà Vincent. Il y a là tout ce que j'ai pu rassembler dans les locaux de la Shinra sur Sephiroth. Les trois quarts ont été rédigés par Hojo lui-même. Il y a aussi des supports vidéos. Mais je te déconseille sincèrement de les regarder. Vincent, je sais que je t'ennuie avec ça mais…»

Vincent le coupa avec un sourire reconnaissant, touché par la préoccupation sincère de son ami :

« Je te remercie pour ta sollicitude, Reeve, sincèrement. Mais je dois savoir…

- Bien, se résigna celui-ci. Je vais t'aider à transporter tout ça dans un bureau inoccupé, proche du mien. Tu pourras disposer de la pièce comme tu l'entends. Il est également équipé d'un dispositif de lecture multimédia...»

Quelques heures plus tard, après avoir passé en revue de nombreux rapports d'analyses, Vincent inséra finalement le premier disque dans le lecteur vidéo :

« Tout est prêt, Professeur. Le sujet est en place. »

Une femme, revêtue de l'emblématique blouse blanche des rats de laboratoire, s'éloigna du champ de vision de la caméra vidéo, dévoilant ainsi le fameux "sujet" qui allait servir de cobaye à une nouvelle expérience, fruit de l'ingéniosité récente de son mentor. L'appareil, placée à plusieurs mètres du sol, probablement sur la corniche de la salle de contrôle du laboratoire, s'apprêtait à témoigner d'une scène qui semblait plus relever de la torture que de l'expérimentation scientifique, deux concepts si souvent confondus.

« Très bien, nous allons commencer. Amorcez le mécanisme ! »

Vincent reconnut la voix honnie du scientifique dément.

« Bien Professeur !

- Expérience référencée EXO78A17-167J. Heure : 9h07 A.M

- Les substances sont prêtes à être injectées, Professeur...

- Parfait. Allez-y »

Soudain, le bruit sourd d'une machine retentit. À l'écran, l'heureux participant à cette avancée scientifique était allongé sur une table d'opération, torse nu. D'épaisses lanières de cuir maintenaient fermement ses poignets, ses chevilles, son torse ainsi que ses bras. Une intraveineuse traversait son avant-bras et le reliait à plusieurs poches contenant des liquides aux couleurs étranges. Pleinement conscient, le regard fixé dans le vide, l'angoisse qu'il tentait vainement de dissimuler se dessinait sur ses traits. Selon la date, il n'avait que douze ans.

Progressivement, un premier liquide vert phosphorescent s'insinua lentement dans ses veines, se diffusant inexorablement à travers chaque partie de son corps, chaque organe. Rapidement, un second liquide rougeâtre s'ajouta à la mixture. Puis un troisième…

La respiration du sujet devenait de plus en plus saccadée. Il crispait convulsivement les poings, ses traits se tordaient sous la douleur infligée par les injections qu'il subissait. Des perles de sueur se formaient sur son front, sa respiration devenait laborieuse, il haletait, se mordait la lèvre inférieure pour étouffer un cri qui menaçait de s'échapper.

« Augmentez encore le débit du flux, ordonna la voix nasillarde de Hojo.

- Mais Professeur…. »

Un bref instant de silence, puis :

« Bien Professeur », articula l'individu, résigné.

L'instant d'après, une autre voix se fit entendre, teintée d'inquiétude :

« Professeur, ne craignez- vous pas de le tuer ? Une telle dose de poisons aurait déjà eu raison d'un être humain normal...

- Je veux voir jusqu'où il peut aller », répliqua Hojo sur un ton dénué de toute empathie.

Un gémissement involontaire franchit les lèvres de l'enfant qui, bien malgré lui, commençait à se débattre. Sa respiration devenait de plus en plus laborieuse, son cœur tambourinait à une cadence effrénée, menaçant de déchirer sa poitrine. Un flux sanguin saturé des pires substances de la planète circulait dans son système nerveux, intensifiant encore davantage sa souffrance.

« Supporte la douleur, Sephiroth, intervint le scientifique. Tu n'as pas encore atteint tes limites. Plus tu résisteras, plus tu gagneras en force ! Eh ! Eh ! Eh ! »

Le rire de maniaque retentit cruellement. Le jeune garçon se débattait de plus en plus fort. Jamais auparavant cela ne lui avait fait aussi mal.

Bientôt, les lanières qui le maintenaient entamèrent sa chair. L'une d'elle, au poignet gauche, se rompit brutalement. Un premier cri retentit dans le laboratoire :

«AAaaaaaAAaAAAAAaaaAAhhhHHHHh ! »

L'un des scientifiques beugla :

« Professeur ! Les moniteurs s'emballent !

- Son rythme cardiaque ne tiendra plus que quelques minutes si on continue !

- Professeur ! »

Quelques secondes s'écoulèrent avant que l'on entende :

« Arrêtez les machines...

- Oui Professeur !

- C'est parfait... »

Au ton de Hojo, on pouvait deviner le sourire malfaisant qui tordait son visage à cet instant.

Le flux des injections diminua, petit à petit. Sephiroth était recouvert de sueur. A bout de souffle, son regard semblait perdu dans le néant. Subitement, ses yeux se revulsèrent. Dès lors, il perdit connaissance, reposant inerte sur la table de laboratoire, les poignets, les chevilles, les bras et le torse ensanglantés.

« Expérience EXO78A17-167J réussie… » termina Hojo.

L'écran devint noir.

Une nouvelle séquence s'enclencha. La vidéo indiquait 11h03, à peine deux heures après l'expérience précédente.

La scène se déroulait dans l'une des cellules du laboratoire de la tour, aménagée en chambre et dénuée de toute convivialité. Un lit simple occupait un coin, accompagné d'un petit bureau, d'une armoire et d'un râtelier pour katanas. Rien ici ne pouvait procurer le moindre réconfort. Le garçon avait grandi dans cet environnement froid et impersonnel. Élevé pour devenir l'arme ultime d'une corporation dévastatrice, il n'avait bénéficié d'aucune attention ni aucune tendresse.

L'adolescent fit son entrée dans la chambre. Il ôta son trench, puis sa tunique, tachée de sang. Ses gestes étaient maladroits, il tremblait sur ses jambes. Brutalement, il s'effondra au sol. Avec beaucoup de difficulté, il s'efforça de se redresser, gémissant, et se dirigea péniblement vers une pièce attenante, probablement la salle d'eau. Quelques minutes plus tard, il réapparut, encore plus pâle et épuisé. À genoux, se tenant la tête, il gémit de nouveau avant de s'effondrer dans un ultime râle, inconscient..

Vincent, abattu et profondément bouleversé, la main tremblante, pressa le bouton d'arrêt du système vidéo. Plus de six heures s'étaient écoulées depuis qu'il s'était enfermé dans son bureau et s'était plongé dans la vision de vidéos, la lecture de rapports et l'étude des dossiers sur le spécimen J001S, comme l'avait affectueusement nommé Hojo.

Frustration... Colère... Douleur... Humiliation... Folie... Angoisse... Solitude...

Plusieurs fois, le TURK avait dû s'interrompre. Dorénavant, il savait. Et c'était encore pire que tout ce qu'il avait pu s'imaginer. Des expériences toutes plus douloureuses, toutes plus humiliantes les unes que les autres. Les premières remontaient aux quatre ans de Sephiroth, après le départ du professeur Gast. Comment aurait-il pu ne pas devenir fou ? La plupart des humains se seraient donné la mort après avoir subi de tels traitements. De par ces gènes pervertis, cette ultime option ne lui avait même pas été permise.

Vincent se leva, empoigna plusieurs dossiers, les jeta dans la poubelle de bureau en inox et lança un léger sort de feu. Les flammes consumèrent ainsi le passé. Il en fit de même avec tous les dossiers et supports vidéos.

Soudain, quelqu'un frappa à la porte.

« Entrez ! », convia-t-il.

Reeve pénétra dans la salle :

« Tout va bien Vincent ? Ca fait plusieurs heures que tu es ici et...

- Tu n'as pas fait disposer de détecteur à incendie n'est-ce pas ? l'interpella Vincent tout en désignant les flammes qui s'embrasaient au contact du papier.

- Non, pas ici. J'ai bien fait apparement…

- Je trouvais qu'il faisait froid...»

Reeve s'approcha de son camarade et posa une main compatissante sur son épaule. Au visage terne de ce dernier, il devinait sans mal le tourment profond dans lequel tous ces dossiers l'avaient plongé. Lui-même n'avait pas encore d'enfant, cependant, il pouvait s'imaginer l'état émotionnel que de telles révélations sur les tortures et les traitements infligés à son propre fils pouvaient susciter.

« Je ne suis pas sûr que ça soit aussi simple d'effacer son passé, dans le cas où il se réveillerait, dit Reeve en désignant les braises qui consumaient les documents.

- Je sais… »

Le directeur se gratta à nouveau le menton. Le TURK releva le visage vers lui avec lassitude. Qu'allait-il encore lui annoncer ?

« Vincent, il y a une dernière chose que tu dois savoir, ajouta-t-il. Mon responsable scientifique, celui que tu as rencontré, Berny... Eh bien, comme je te l'ai dit, cela faisait plusieurs années qu'il travaillait pour la Shinra. En réalité, il était membre d'AVALANCHE. La nouvelle m'a plutôt surpris, mais passons. Lorsque nous avons examiné les dossiers sur Sephiroth, il m'a confié quelque chose d'intéressant : avant l'incident à Nibelheim, une jeune femme, également membre d'AVALANCHE, avait infiltré le SOLDAT sous une autre identité. Sa mission était de récupérer les plans des réacteurs, et Berny était l'un de ses collaborateurs. D'après lui, Sephiroth et elle avaient une liaison. Et, apparemment... ils ont eu un enfant. Selon ses informations, la mère est morte en couches, mais l'enfant a survécu. C'est sa grand-mère qui serait devenue sa tutrice, mais Berny a perdu sa trace il y a quelques mois, après la chute du météore... »

Vincent ne semblait pas réagir. Il fixait distraitement les braises restantes dans la petite poubelle, dernières traces d'un passé malgré tout ineffaçable.

« Vincent, tu m'écoutes ! s'exclama Reeve. Sephiroth a eu un enfant !

- Je sais…

- Co...Comment ?

- Je sais Reeve, répéta le TURK.

- Mais...Explique toi enfin !

- J'ai fait leurs rencontres il y a quelques temps. Ils vivent à Nibelheim, dans l'ancien manoir.

- Et...l'enfant ? », pressa Reeve.

Vincent prit une courte pause avant de répondre :

« Il s'appelle Adonis. Mis à part son physiques, qu'il tient véritablement de son père, c'est un enfant tout à fait normal.

- Bref, tu étais déjà au courant de toute cette histoire quoi. C'est tout moi ça ! J'ai toujours un train de retard ! ça devient fatiguant ! », bougonna Reeve sur un ton qui fit sourire Vincent.

- Est-ce qu'ils savent ce qu'à fait Sephiroth ? reprit-il plus sérieusement.

- Non, comment veux-tu qu'ils sachent quoi que ce soit ? Pour la grand-mère, il est mort il y a cinq ans, dans l'explosion du réacteur à Nibelheim. Et le petit sait à peine qui est son père.

- Elle lui a caché ?

- Sans lui cacher, disons qu'elle évite de lui en parler. Sa mère savait qu'il valait mieux que Hojo n'apprenne rien. Elle en a fait part à sa propre mère, avant de décéder. Cette dernière s'est donc arrangée pour garder le petit en sécurité. Et cette sécurité passait en partie par l'ignorance…

- Tu penses que Sephiroth savait qu'il allait avoir un enfant ?

- D'après ce que la mère de la fille a pu comprendre, oui, il le savait parfaitement. Mais il n'a pas voulu de lui, c'est la raison pour laquelle ils ont rompu, peu avant sa mort… »

Reeve réfléchit un moment avant de déclamer :

« S'il sort de son coma, et qu'il s'agit bien de lui, peut-être changera-t-il d'avis concernant cet enfant…

Peut-être. Encore faut-il qu'il reprenne conscience…»

« Sephiroth, réveille toi. Je jure que plus jamais tu n'auras peur. Je jure que tu ne seras plus jamais seul…mon fils... »

L'écho lointain de cette voix apaisante lui parvenait jusqu'ici. Mais où était cet "ici" ? Tout était flou, comme si ses sens étaient engourdis, plongeant son esprit dans un brouillard mystérieux. La voix semblait être une lueur chaleureuse dans cette obscurité, un phare dans l'inconnu qui tentait de le guider vers la clarté.

« Sephiroth…»

Une autre voix, masculine, qu'il reconnaissait sans mal.

« Sephiroth !

- Angeal ?

- Il est temps, Sephiroth…

- Il est temps ? Mais de quoi ?

- De repartir…

- Je ne veux pas…

- Tu ne veux pas savoir à qui appartient la voix que tu as entendu ?

- Je ne…

- Il est temps. Tu dois repartir. Ta place n'es pas encore ici. Et elle compte sur toi pour t'occuper de lui…

- Elle ? Lui ?

- Ne t'inquiète pas. Tu comprendras une fois là-bas… », assura Angeal, laissant planer le mystère de l'avenir.

La porte du bureau s'ouvrit subitement en claquant contre le mur, laissant apparaître l'un des scientifiques :

« Monsieur, il a repris connaissance ! » s'exclama-t-il, essoufflé après la cavalcade qu'il venait de mener dans les couloirs.

Vincent et Reeve se jettèrent un regard mutuel avant de se précipiter à la hâte vers le laboratoire...

Fin du chapitre