La Fin est le commencement
Chapitre 8 - Quiproquo
Ce soir-là, le jeune homme traversa laborieusement les couloirs du bâtiment Shinra jusqu'à ses appartements. De temps en temps, sa vue, habituellement si perçante, se brouillait et il se rattrapait de justesse aux murs pour ne pas s'écrouler. Les douleurs lancinantes dans son abdomen s'intensifiaient, tandis que des vagues de nausées secouaient son estomac.
Les tests auxquels il avait été soumis cette fois-ci avaient été plus éprouvants qu'à l'accoutumée avec des doses de Mako injectées probablement doublées.
Épuisé, il parvint enfin devant sa porte, s'y adossant pour maintenir son équilibre, et tâtonna à la recherche de sa carte magnétique profondément enfouie dans son uniforme. Dans de telles conditions, même des gestes aussi simples que glisser une banale carte dans la fente de la serrure électronique se transformaient en véritable défi.
Heureusement, à cette heure tardive, les couloirs étaient déserts, et pas âme qui vive n'avait croisé son chemin. La minuscule LED au-dessus de la poignée passa du rouge vif au vert, lui signifiant qu'il avait finalement réussi à ouvrir la porte d'entrée.
À peine franchit-il le seuil qu'il s'effondra, le souffle court. Le bourdonnement incessant dans ses tempes se mêlait à l'atroce cacophonie qui semblait s'être installée dans son crâne. Il se releva péniblement et tenta de défaire la boucle de sa ceinture, lorsque soudain, ses mains volèrent à sa bouche : apparemment, son estomac, impatient, avait décidé de manifester son mécontentement en évacuant le maigre repas ingéré au cours de la journée.
Sans perdre une seconde, il se hâta vers la salle de bain. Qu'aurait-on pensé de lui, le Grand Héros, s'il avait été surpris dans cet état déplorable, penché au-dessus des toilettes, son ventre secoué par des spasmes violents et incontrôlables ? C'était une scène lamentable, surtout pour de simples injections de mako ! Cependant, les "simples injections" avaient été agrémentées de quelques ingrédients artisanaux supplémentaires, capables d'envoyer un homme ordinaire six pieds sous terre ! Mais cela, il l'ignorait.
Aussi loin que remontait sa mémoire, les visites au laboratoire, auxquelles il était régulièrement convié par son présumé géniteur, le laissaient souvent malade, mais jamais à ce point. Jamais encore il n'avait ressenti l'impérieux besoin de vider son estomac de cette manière. Jamais les douleurs pulsantes dans ses tempes n'avaient atteint une telle intensité…
Après de longues minutes dans cette situation éprouvante, un son parvint faiblement à ses oreilles. Ou peut-être était-ce lui qui divaguait, imaginant des bruits, des échos dans sa tête ? Peu lui importait, il n'avait pas l'esprit à ça. Honnêtement, son esprit était vide, tout ce qu'il souhaitait, c'était s'endormir et ne se réveiller que lorsqu'il irait mieux... ou ne jamais se réveiller du tout !
De nouvelles crampes survinrent, le forçant une fois de plus à vider le contenu de son estomac, ou plutôt le "non-contenu", car à ce stade, l'organe épuisé n'avait malheureusement plus rien à offrir, si ce n'était quelques sucs gastriques, rendant la situation d'autant plus pénible.
Soudain, une présence familière près de lui l'alerta :
« Sephiroth ! Par la planète mais qu'est-ce qu'il t'arrive ! »
À peine Théïa avait-elle poussé la porte entrebâillée de la salle d'eau que l'effroi s'était emparé de son visage.
Voilà bien la dernière chose qu'il voulait sur cette planète : qu'elle le voit ainsi, dans cet état si misérable ! Le jeune SOLDAT aurait préféré lui ordonner de partir, de dégager même ! De ne pas se soucier de lui ! Qu'elle se mêle de ses affaires ! Mais il lui était impossible d'articuler le moindre mot sans craindre que son estomac ne le trahisse et ne l'humilie davantage devant sa partenaire.
Il réussit toutefois à se dégager de l'étreinte de sa compagne qui s'était empressée de s'agenouiller près de lui et venait de poser la main sur son front en s'affolant :
« Tu es brûlant de fièvre ! Pas étonnant que tu sois complètement trempé de sueur ! »
Il la repoussa faiblement mais la petite rouquine n'y prêta pas la moindre attention. Elle se leva, saisit un linge humide et lui épongea le front. Puis elle attacha ses cheveux à l'aide d'un ruban et l'aida à ôter son trench et ses gants. Trop abattu pour réagir, Sephiroth la laissa faire.
Progressivement, les crampes qui le secouaient se calmèrent et il retrouva peu à peu ses esprits. La jeune femme était restée à ses côtés, épongeant régulièrement son front moite de sueur.
« Que t'est-il arrivé ? Je ne t'ai jamais vu malade ? se risqua t'elle.
- La Mako...
- La Mako ? » reprit-elle, perplexe.
Il acquiesça :
« On m'en a injecté tout à l'heure….à forte dose j'imagine, articula-t-il péniblement.
- La Mako, même à forte dose, ne rend pas malade à ce point ! Qu'est ce qu'ils avaient ajouté avec ? », s'alarma Théia qui n'était pas dupe et s'étonnait de la naïveté parfois excessive de son compagnon.
Sans attendre sa réponse, elle poursuivit :
« Pourquoi est-ce que tu continues à subir tout ça ? Tous ces tests et ces expériences qu'Hojo t'inflige ?
- Si ça n'est pas sur moi…qu'il pratique ses expériences…ça sera sur quelqu'un d'autre…»
Sans croiser son regard, il tenta de se relever.
Théïa se redressa également et, voyant qu'il titubait, passa son bras autour de lui pour le soutenir. Sans un mot, elle le guida jusqu'à sa chambre. Là, elle l'aida à s'allonger et s'assit à côté de lui.
« Être malade n'est pas une honte tu sais. Malgré ce que tout le monde pense de toi, tu n'es pas invincible…», dit-elle doucement.
Le guerrier esquissa un sourire amusé en réponse à cette remarque. Elle avait toujours été la seule à le considérer comme un individu normal, comme quelqu'un d'humain. C'était peut-être l'une des raisons pour lesquelles il l'aimait. Elle ne l'avait jamais regardé avec des yeux empreints de peur, ne l'avait jamais traité différemment. Pourtant, il était conscient de sa différence, au plus profond de lui. Ce n'était pas seulement à cause de son apparence singulière, mais pour quelque chose d'autre, une raison qui lui demeurait encore obscure et qu'il découvrirait tragiquement.
Enfant, il n'avait pas fréquenté d'école. Le Professeur Gast s'était occupé de son éducation. Puis, lorsque celui-ci avait disparu alors qu'il n'était âgé que de quatre ans, d'autres précepteurs, tous plus antipathiques les uns que les autres, avaient pris le relais. Il n'avait donc jamais eu l'occasion de côtoyer d'autres enfants de son âge.
Adolescent, il avait rejoint les rangs du SOLDAT et avait été déployé rapidement sur le front. Ses exploits durant la guerre l'avaient très vite élevé au rang de 1ère classe, et la Shinra en avait fait le Grand Héros emblématique qu'il était aujourd'hui. Par la suite, de nombreuses femmes parmi les plus riches et les plus belles, voire même certains hommes, avaient manifesté un intérêt grandissant à son égard. Toutes et tous cherchaient désespérément à attirer son attention et à obtenir ses faveurs. Naturellement, chacun convenait volontiers de leur éclatante beauté, et il était difficile de ne pas succomber à leurs charmes irrésistibles. Néanmoins, il avait toujours pu déceler au plus profond de leurs regards cette petite pointe d'effroi lorsque leurs yeux se posaient sur lui. Et c'est ce qui l'avait toujours retenu de s'abandonner entre leurs bras.
Cependant, pour la jeune personne assise en face de lui, qui le regardait avec une tendresse infinie, tout avait été différent. Il fallait une dose considérable de courage et d'audace pour se faire passer pour un homme et intégrer le SOLDAT ! Il fallait avoir un sacré caractère pour faire équipe avec lui ! Pour avoir osé devenir son amie, pour l'avoir fait sourire, pour l'avoir fait… tomber amoureux. Oui, elle était exceptionnelle, indéniablement. Et d'une beauté exceptionnelle malgré l'apparence vaguement masculine qu'elle adoptait. Toujours présente pour lui, elle ne le jugeait jamais. Toujours souriante, elle ne l'accusait jamais. Elle était tout ce qui lui manquait. Elle savait l'apaiser, elle savait le soutenir, d'un simple geste, d'une seule parole.
« Dort. Je resterai à tes côtés. »
Obéissant, il se laissa envelopper par une douce vague de sommeil et ferma délicatement les paupières, se laissant progressivement emporter par les rêves, tout en prenant conscience de l'ampleur de ses sentiments…
La porte du bureau s'ouvrit brusquement en claquant contre le mur, laissant apparaître l'un des scientifiques :
« Monsieur, il a repris connaissance ! » s'exclama-t-il, essoufflé après la cavalcade qu'il venait de mener dans les couloirs.
Vincent et Reeve se jetèrent un regard mutuel avant de se précipiter en toute hâte vers le laboratoire où le responsable du département les attendait.
« Berny ! Il est réveillé ? s'écria Reeve qui, n'étant pas un homme de terrain, se tenait les côtes en expirant bruyamment.
- Oui, il est réveillé, enfin…d'après les moniteurs », rétorqua le jeune chercheur en se grattant l'arrière du crâne avec son stylo.
« Comment ça "d'après les moniteurs" ? Est-il conscient, oui ou non ? répéta le président.
- Et bien…jugez par vous-même… »
Le scientifique les convia à le suivre jusqu'à la large baie vitrée donnant sur la salle de réanimation. L'ex-SOLDAT était bel et bien éveillé. Ses yeux, aux pupilles si distinctives, étaient grands ouverts. Il fixait un point invisible au plafond, de manière absente, comme s'il était déconnecté de son environnement.
« Personne n'est entré le voir ? interrogea Reeve.
- Non monsieur. Tous ont peur de sa réaction. Personne n'ose entrer…
- Et vous vous dites des professionnels ! », s'indigna le nouveau président.
Le jeune professeur baissa le regard, un peu confus.
« Je vais aller le voir », déclara Vincent.
Son camarade acquiesça immédiatement. Il savait qu'en cas de problème, l'ancien TURK saurait réagir de façon appropriée.
Vincent inséra soigneusement la carte dans la serrure magnétique de la porte coulissante avant de s'introduire dans le bloc. Une fois à l'intérieur, il demeura immobile, attentif à la moindre réaction que sa présence pourrait provoquer chez le guerrier. Cependant, ce dernier demeura impassible, incitant le brun à s'approcher du lit avec précaution. Au bout de quelques pas, une voix faible se fit soudain entendre :
« Où suis-je ? »
D'abord surpris, Vincent ne répondit pas et scruta le visage de son fils. Il n'avait pas bougé d'un poil, même son regard était toujours fixe et perdu dans la contemplation du plafond.
« Tu…tu es à Junon, dans les locaux de la Shinra. Tu n'as rien à craindre, finit-il par confier.
- Hojo….c'est lui qui m'a ramené ici, n'est-ce pas ?
- Non. Hojo est mort, nous l'avons tué. » objecta gravement Vincent.
L'ex-SOLDAT se tourna enfin vers lui :
« Il est…mort ? répéta-t-il, abasourdi.
- Oui. Il y a plusieurs mois de cela. C'est moi qui lui ai porté le coup de grâce. »
Le brun perçut le soupir que le jeune homme laissa échapper.
« J'aurais voulu le tuer de mes propres mains », acheva-t-il froidement en détournant de nouveau les yeux.
Malgré tout, un sentiment de soulagement immense envahit soudainement Sephiroth. Hojo était mort. Enfin. Après toutes ces années de souffrances, d'humiliations, ce dément avait fini par connaître le sort qu'il méritait.
« De quoi te souviens-tu, Sephiroth ? »
A cette question, le SOLDAT fronça les sourcils, tentant de se remémorer avec difficulté ses derniers souvenirs :
« Je me souviens…du réacteur à Nibelheim, de notre mission. Zack et moi nous sommes introduit à l'intérieur. Nous nous sommes débarrassés de l'un de ces monstres… »
Il marqua une courte pause. L'introspection du cours de sa mémoire le perturbait et il avait du mal à saisir le sens de ce qu'il y trouvait.
« Puis tout est flou, comme dans un rêve…Je me souviens de cette voix de femme, dans ma tête. De la bibliothèque et des rapports que j'y ai lus…et…après ça…des flammes…des cris, des gens qui hurlent…du combat contre Zack au réacteur…puis plus rien… »
Le jeune homme, complètement désemparé, se redressa sur-le-champ et se tourna vers son interlocuteur :
« Que s'est-il passé ? Et qui êtes-vous ? »
Donc il ne se souvenait de rien, ou pour ainsi dire, de pas grand chose. Vincent ne savait trop s'il devait s'en réjouir ou s'en plaindre et il prit un petit instant pour réfléchir à ce qu'il devait lui annoncer.
« Tu as été manipulé par Jenova, entreprit enfin le TURK avant d'être aussitôt interrompu.
- Jenova ? Ma mère ?
- Jenova n'était pas ta mère ! », répliqua violemment Vincent sous le regard légèrement médusé de Sephiroth.
« Ta mère, ta vraie mère, reprit-il plus posément, celle qui t'a porté et donné naissance, celle qui t'aimait alors que tu n'étais encore que dans son ventre, cette femme là s'appelait Lucrécia Crescent. Celle qu'ils ont nommée Jenova était une créature venue de l'espace, elle s'est écrasée sur notre planète il y a deux mille ans, c'est elle qui a détruit les Cetras. Les scientifiques de la Shinra l'ont trouvée dans la glace il y a environ trente ans, l'ont ramenée à Nibelheim pour l'étudier. Hojo s'est servi de toi comme cobaye. Il t'a implanté des gènes de la créature alors que tu n'étais qu'un foetus. Et il t'a menti toute ta vie sur tes véritables origines… »
Le régulier " Bip ! Bip ! " de la machine chargée d'enregistrer le rythme cardiaque du patient s'accéléra.
« Qui…qui êtes-vous ?
- Mon nom est Vincent Valentine. J'étais le TURK chargé de la protection des scientifiques du projet Jenova…dont Hojo, le professeur Gast…et ta mère. Je…j'étais présent lorsqu'elle était enceinte de toi… »
À présent, les courbes du moniteur se succédaient frénétiquement, trahissant les émotions que le guerrier cherchait pourtant à contrôler et qu'on ne pouvait deviner sur son visage tant celui-ci restait complètement figé. Dans sa tête, toutes les informations se bousculaient et il ne savait plus quoi en penser.
« Si cette femme…
- Lucrécia, précisa Vincent qui n'appréciait guère que son fils la désigne sous une appellation si ordinaire.
- Si elle était ma vraie mère…cela veut dire qu'Hojo était bel et bien mon père ? Qu'ils étaient ensemble, n'est-ce pas ? »
Vincent déglutit. Il jeta un rapide coup d'œil vers la vitre, essayant d'obtenir par là un quelconque soutien mental de la part de son ami qui, il le savait, observait la conversation qu'il était en train de mener avec l'ex-SOLDAT.
« C'est…un peu plus compliqué qu'il n'y paraît. Ta mère et Hojo étaient effectivement mariés, mais c'était un mariage de convenance, ils ne se sont jamais aimés. Lorsque tu seras pleinement rétabli et que nous serons dans un cadre un peu plus….hum, privé, je…je pourrais t'en dire plus sur ce qu'il en était. En attendant, accepterais-tu qu'un médecin vienne t'examiner, simplement pour vérifier ton état de santé général ? »
Sephiroth acquiesça, pensif. Le front baissé, le regard dissimulé derrière ses longues mèches d'argent, il contemplait obstinément ses poings, serrés sur ses genoux. Vincent fit un signe à Reeve pour qu'il envoie quelqu'un examiner le jeune homme.
Après quelques minutes de silence, tandis que Berny pénétrait dans le bloc, stéthoscope en main, Sephiroth continua :
« Que s'est-il passé ? Et pourquoi suis-je ici ? »
Le scientifique prit place sur un petit tabouret à roulettes, et le TURK se retira pour lui permettre d'ausculter le SOLDAT.
« Il y a cinq ans, expliqua Vincent, tu as été envoyé à Nibelheim lors d'une mission. Nous ne saurons jamais si c'était ce que Hojo avait prévu, s'il avait prémédité ce qu'il allait advenir…Toujours est-il que Jenova, la créature que vous avez découverte ce jour-là dans le réacteur, a pu te manipuler et prendre le contrôle de ton esprit. Elle… »
Il prit une grande inspiration, comme pour se donner un élan de courage et, même s'il allait sciemment lui passer les détails, la suite risquait d'être difficile à entendre malgré tout :
« Elle t'a rendu fou. Elle t'a fait faire de terribles choses dans ce village. Ton second lors de cette mission, Zack, a tenté de t'arrêter mais n'y est pas parvenu. C'est Cloud, le jeune garde qui vous accompagnait qui a réussi à mettre un terme à ta folie. Il t'a mortellement blessé au flanc avant de te précipiter dans la cuve du réacteur. »
Pendant ce temps, Berny avait brièvement écouté son cœur et ajustait maintenant une sangle reliée à un petit appareil autour de son avant-bras pour mesurer sa tension artérielle.
« Tu as été retrouvé inconscient, mais physiquement indemne, près du Cratère Nord par un explorateur d'Icicle Lodge, reprit le TURK en faisant volontairement l'ellipse sur les événements des derniers mois. Nous t'avons fait rapatrier ici, à Junon, il y a quelques jours. Nous ne savons pas comment un tel miracle a pu se produire. Peut-être la Rivière de la Vie a-t-elle décidé de t'accorder une seconde chance ? »
Un sourire amer étira les lèvres parfaites de ce somptueux visage aux traits si mélancoliques.
« Une seconde chance ? C'est ridicule ! J'ai fait " de terribles choses " dis-tu ? Je ne me souviens pas de grand-chose, mais je me rappelle des flammes, des cris…j'ai brûlé toute la ville, n'est-ce pas ? Des dizaines de gens ont donc péri par ma faute ! J'ai apparemment eu le destin que je méritais ! Une seconde chance ! Pour faire quoi ? Je ne peux faire revenir les morts ! »
Le léger trémolo de sa voix trahissait son état émotionnel. Le scientifique avait suspendu son examen. Lui et Vincent écoutaient l'ex-SOLDAT avec empathie :
« Je ne suis que le spécimen d'une expérience scientifique qui a mal tournée…je n'ai rien…ni personne ici-bas. Alors pourquoi suis-je revenu ? Ça n'a aucun sens ! »
Le souvenir d'une jolie rousse à la frimousse d'ange apparut subitement dans sa mémoire :
" Theïa… "
Qu'était-elle devenue, durant toutes ces années ? Les pensées concernant son ancienne compagne accentuèrent un peu plus le désarroi dans lequel il s'était plongé suite aux révélations de cet homme.
« Tu te trompes Sephiroth, le contredit calmement ce dernier. Tu as un fils. Et même si à l'époque tu n'as pas voulu de lui tu…
- Non, vous devez faire erreur. Je n'ai jamais eu d'enfant. » rectifia-t-il.
Vincent et Berny s'entre-regardèrent.
Surpris par cette répartie et mettant cela sur le compte d'une potentielle amnésie, l'ex-TURK expliqua :
« Tu…tu ne t'en souviens peut-être pas mais tu avais une relation avec une femme…
- Je me souviens parfaitement d'elle, rétorqua l'ancien guerrier en lui coupant la parole une fois de plus. Et je me souviens aussi que tous ignoraient qu'elle était une femme et que notre relation demeurait cachée. Alors comment êtes-vous au courant ? »
A cet instant, le jeune scientifique crut bon d'intervenir à son tour :
« Nous n'ignorions pas tous qu'elle était une femme. C'était une amie à moi. C'est moi qui était chargé de ses injections et de son dossier au département scientifique, pour qu'elle puisse se faire passer pour un homme. C'est également moi qui ai découvert sa grossesse en procédant à ses analyses de sang. Elle était bel et bien enceinte de toi lorsque tu es parti pour cette mission.
- Elle et moi nous sommes justement séparés avant cette mission ! Nous n'avons jamais eu d'enfant ! ajouta-t-il, sûr de lui. Je ne sais pas ce qu'elle a pu vous raconter, mais je le répète, vous faites erreur ! Elle…elle voyait quelqu'un d'autre. Si elle a eu un enfant, il n'était pas de moi ! »
Le jeune professeur se sentait un peu décontenancé. Selon les confidences de son amie, juste avant qu'elle quitte le SOLDAT pour retourner à Mideel, chez sa mère, elle avait effectivement révélé à Sephiroth qu'il allait devenir père. Les sanglots mal contenus dans la voix de la rouquine résonnaient encore dans sa mémoire, tandis qu'elle lui confiait la réaction glaçante que le guerrier avait eue envers elle.
« Je ne sais pas d'où tu tiens cette conclusion, mais non, elle ne voyait personne d'autre. Pardonne-moi mais je la connaissais suffisamment pour le savoir…
- Je les ai surpris, elle et lui, attesta Sephiroth, optus. Il lui disait qu'elle ne pourrait pas cacher leur relation bien longtemps, et elle, qu'elle ne le quitterait jamais ! »
Le scientifique tiqua brusquement. Théïa lui avait également révélé que Sephiroth avait surpris leur conversation ce matin-là, dans cette chambre d'hôtel. C'était ainsi que le guerrier avait, d'après elle, appris la nouvelle.
« Quand…quand as-tu entendu cette conversation ? balbutia Berny.
- Un matin, avant que je ne parte pour Nibelheim…
- C'était dans la chambre de ce vieil hôtel, le Blue Lounge, à Midgar, n'est-ce pas ? »
L'ex-SOLDAT acquiesça. Lui et le scientifique se jetèrent un regard confus.
« Je…je pense que c'est moi que tu as surpris, avec elle, ce matin-là. C'est de sa grossesse que nous parlions…et…elle parlait de votre enfant. C'est à lui qu'elle s'adressait lorsqu'elle disait qu'elle ne le quitterait jamais. Je lui avais proposé des…disons, des solutions, pour se débarrasser de cette grossesse. Ce qu'elle a refusé, catégoriquement. Mais elle avait néanmoins peur de ta réaction. Après tout, votre relation était cachée et…. »
Le bruit caractéristique du monitoring s'était emballé progressivement et c'était désormais un assourdissant enchaînement sonore qui résonnait dans le bloc, accentuant le malaise déjà bien grand des trois hommes.
L'ancien guerrier se tut, interdit. Dans sa tête se rejouait le souvenir de ce fameux matin :
« Dis le moi. »
Alors qu'il s'était levé, prêt à quitter leur lit dès l'aurore pour regagner la tour, elle l'avait retenu par le bras et le regardait, presque désespérée, en répétant :
« S'il te plaît, dis le moi ! tu ne me l'as jamais dit !
- Pourquoi me demandes-tu cela ? », rétorqua-t-il.
Elle avait baissé les yeux, mal à l'aise.
« J'ai juste…j'ai juste besoin que tu me le dises…s'il te plait, Sephiroth… »
Il avait soupiré.
« Théïa, je dois vraiment y aller. Je suis en retard. »
Il avait alors quitté cette chambre, leur chambre. D'un pas rapide, il s'était acheminé vers l'immense building. Toutefois, en cours de route, il avait ralenti sa cadence. De la poche intérieure de son blouson, il avait délicatement extrait un minuscule écrin. Il évitait de porter le trench caractéristique de son uniforme lorsqu'il allait la retrouver, conscient que cela le rendait trop facilement reconnaissable. Il prenait également soin de dissimuler sa longue chevelure sous une vulgaire casquette.
Il avait acquis l'anneau contenu dans cette petite boîte il y avait plusieurs semaines de cela déjà, nourrissant le désir de lui exprimer ses sentiments de manière formelle. La pensée de rendre leur relation officielle l'habitait depuis longtemps. Cependant, étant donné sa notoriété, il savait que les médias ne manqueraient pas de s'emparer de cette nouvelle, impliquant ainsi la nécessité pour elle de quitter le SOLDAT afin de retrouver son identité réelle. Mais était-elle prête à faire ce sacrifice ?
Inspirant profondément, il avait fait demi-tour, prêt à franchir le pas. Alors qu'il approchait de l'hôtel, avec ses portes alignées les unes derrière les autres donnant sur l'extérieur du bâtiment, ses oreilles avaient capté les voix qui émanaient de leur chambre :
« Il va bien falloir que tu lui dises un jour ou l'autre de toute façon. De toute manière, il finira par s'en rendre compte par lui-même.
- Oui, je sais. Je ne pourrais pas le lui cacher bien longtemps.
- Tu penses que ça ira ?
- Je ne sais pas…Mais ne t'inquiète pas. Quoi qu'il puisse dire ou faire, je ne t'abandonnerai pas... jamais...c'est hors de question… »
Hanté par ce souvenir, Sephiroth se leva brutalement, arracha sans peine les quelques fils qui le reliaient aux diverses machines médicales, qui se turent instantanément, et se dirigea vers le fond de la salle. Là, il s'appuya, mains à plat, tête penchée, sur la commode en inox où siégeaient tubes, compresses, seringues et autres bricoles sanitaires.
Perdu dans ses pensées, ses mains se crispèrent et il ferma les yeux un instant pour tenter de calmer le tumulte de ses émotions.
« Savez-vous…savez-vous où ils sont ? Elle et l'enfant ? se risqua-t-il alors.
- L'enfant est à Nibelheim, répondit immédiatement Vincent.
Berny se tourna alors vers ce dernier, étonné :
« Comment le savez-vous ?
- J'ai fait leur rencontre, là-bas, il y a quelques temps, expliqua Vincent. Le petit est avec sa grand-mère.
- Avec sa grand-mère ? répéta Sephiroth.
- Oui. Sephiroth, cette jeune femme est…elle…»
Vincent déglutit péniblement. Il ignorait quel avait été le dégré d'attachement de son fils pour cette jeune personne et redoutait la manière dont il allait réagir. Il aurait sincèrement souhaité lui épargner le fardeau du deuil de son ancienne compagne, mais il savait que cela allait s'avérer impossible.
« Elle quoi ? insista l'ex-SOLDAT.
- Théïa est décédée, Sephiroth » confessa gravement le scientifique.
La nouvelle percuta Sephiroth de plein fouet et il se retourna pour fixer les deux hommes, incrédule.
« Elle est morte des complications dûes à son accouchement. Même si tu avais été présent, tu n'aurais rien pu y faire… » précisa Berny, la voix profondément marquée par la tristesse.
Tandis qu'un silence pesant s'abattait dans le bloc, le guerrier resta là, figé, assimilant difficilement la réalité de la situation.
« Laissez-moi seul…s'il vous plaît… » murmura-t-il.
Le ton implorant ne leur laissa pas le choix et ils quittèrent la pièce sans insister.
Dans la salle adjacente, Berny abaissa le store de la vitre pour offrir à l'ex-SOLDAT un semblant d'intimité, en espérant que celui-ci ne mette pas sans dessus-dessous tout le matériel du bloc sous le coup d'une colère mal gérée.
Après quelques instants de silence, Reeve amorça :
« Ils ont eu un quiproquo ?
- C'est ce que j'en ai compris, répondit Vincent. Il a bel et bien surpris la conversation entre Berny et elle ce matin-là, mais les propos qu'elle a tenus l'ont induit en erreur. Il a cru qu'elle s'adressait à un autre homme. Il a cru qu'elle le trompait. Dans ce contexte on peut comprendre qu'il se soit si facilement laissé manipuler par Jenova. Quant à elle, elle a cru qu'il mettait un terme à leur liaison en raison de l'enfant qu'elle portait…
- Vous avez fait une gaffe, tous les deux, n'est-ce pas ?
- Nous ignorions tous deux qu'il n'était pas au courant », admit le TURK.
Ce dernier souleva le large bandeau qui lui couvrait le front pour se masser les tempes. Tout cela l'avait déstabilisé. Pris d'un élan de bienveillance dicté par le mal être que ressentait Sephiroth, il avait simplement voulu démontrer à son fils que la vie valait encore la peine d'être vécue et qu'avoir un enfant pouvait en être une raison suffisante. Il ne s'était absolument pas attendu à découvrir que les événements ne s'étaient pas tout à fait déroulés comme la grand-mère du petit les lui avait racontés.
« Tu…tu penses qu'il se serait produit…je veux dire, tu penses qu'il serait devenu fou, s'il l'avait su ce jour-là ?
- Je ne sais pas. Le fait de se savoir père…change beaucoup de choses… », argumenta Vincent, en pensant aussi un peu à lui-même.
Pendant ce temps, de l'autre côté du mur, Sephiroth n'avait pas bougé. Statique, les bras toujours tendus devant lui, il s'efforçait de calmer les battements effrénés de son cœur, en vain. Dans sa tête se jouaient et se rejouaient les derniers instants qu'il avait passés avec sa compagne, cinq ans auparavant :
Depuis son bureau, son exceptionnelle acuité auditive avait perçu les pas de la jeune femme approcher. Elle avait frappé trois petits coups secs à la porte, auxquels il n'avait pas donné de réponse. Malgré cela, il l'avait entendu entrer et demander, un peu confuse :
« Sephiroth ? tout va bien ? »
Les bras croisés derrière son dos, face au vitrage qui donnait un impressionnant point de vue sur la ville en contrebas, il n'avait pas voulu la regarder. Le sentiment de trahison était trop grand et il n'était pas certain de réussir à maintenir une attitude distante si ses yeux avaient croisé le bleu saphir de celui de sa partenaire.
« Sors d'ici… je ne t'ai pas autorisée à entrer… » s'était-il entendu lui répondre durement.
Passées quelques secondes de mutisme, stupéfaite, elle avait bredouillé :
« Qu'est-ce…Qu'est-ce qui te prend ? »
Avec tout le self-contrôle dont il avait appris à faire preuve durant ses nombreuses années de tests entre les mains de son géniteur, il se força à reprendre, plus froid que jamais :
« Je t'ai dit de sortir. Je ne veux pas te voir. Je ne veux plus te voir.
- Je…je ne comprend pas…
- Tu ne comprends pas ? Je vais donc t'expliquer : j'ai surpris ta conversation de ce matin avec cet homme. »
Dans son dos, il avait perçu le souffle de la jeune femme s'accélérer.
« Je vais être on ne peut plus clair : quitte le SOLDAT. Quitte Midgar. Et ne revenez jamais, tous les deux. Je ne veux plus jamais poser les yeux sur toi. Estime toi chanceuse que je ne dévoile pas ton petit secret aux TURKs…»
Les poings serrés, il avait attendu, espérant tout au fond de lui qu'elle allait se défendre et nier les faits, qu'elle allait se justifier et lui sortir une explication, même saugrenue, pour qu'il se reprenne et change d'avis. Malheureusement, il n'avait pas eu l'occasion de savoir si, oui ou non, il pourrait croire un quelconque alibi, puisqu'il avait perçu le claquement de la porte après qu'elle ait achevé leur discussion sur un dernier :
« Je suis désolée… »
Au souvenir bien trop net de ce triste malentendu, sa gorge se serra douloureusement. De minuscules gouttes cristallines vinrent s'écraser sur la surface métallique devant lui. Incrédule, il passa ses doigts sur sa joue, juste sous son œil et il réalisa, en fixant sa main tremblante, qu'il s'agissait bel et bien de ses propres larmes. A quand remontait la dernière fois où il avait pleuré ? À son enfance peut-être ? Il ne s'en souvenait même plus.
Elle ne l'avait pas trompé. Elle ne l'avait jamais trompé. C'était la conversation entre ce scientifique et elle dont il avait été le malencontreux témoin. Ce "Berny" était venu lui apprendre… qu'elle était enceinte.
Tandis que sa vue se voilait peu à peu, il réalisait toute la portée de ce qu'il avait fait ce jour-là. Pourquoi ne lui avait-elle pas demandé plus d'explications ? Pourquoi ne s'était-elle pas mise en colère ? Il ne l'avait pourtant jamais connue pour sa complaisance et sa passivité ! Avait-elle eu si peu confiance dans ses sentiments à lui qu'elle n'avait même pas objecté lorsqu'elle avait cru qu'il les rejetait, leur enfant et elle.
Oui, car il n'avait jamais trouvé le courage de lui dire qu'il l'aimait.
Et aujourd'hui, c'était trop tard. Il l'avait perdue, à jamais…
Sur un excès de rage, il dégagea violemment du bras tout le matériel médical. Dans un fracas retentissant, les diverses fioles et autres tubes à essais éclatèrent sur sol, répandant du verre brisé un peu partout à ses pieds.
Alerté par le bruit, Vincent réapparut aussitôt dans le bloc :
« Mettre la pièce en pagaille ne changera pas les choses, tu sais…
- Je n'ai pas besoin de vos leçons de morales ! » cracha-t-il sans prendre la peine de se retourner.
Le brun se baissa et ramassa les plus gros morceaux de verre qui avaient glissés jusqu'à lui.
« Le passé ne peut être changé. Quelles que soient nos erreurs, nous devons apprendre à vivre avec nos péchés. Peu importe le malentendu qu'il y a eu entre elle et toi, tu n'en restes pas moins le père de cet enfant. Il n'a plus sa mère, et il a besoin de toi.
- Vous l'avez rencontré, c'est bien ça ?
- Oui. Comme je l'ai dit tout à l'heure, j'ai passé les dernières semaines en leurs compagnies, à lui et sa grand-mère… »
Ils restèrent muets durant quelques secondes.
Le guerrier appuya sur ses paupières du bout de ses doigts pour arrêter ses larmes de s'échapper. Dans son esprit, le souvenir encore trouble de la voix de son ami résonna :
« Il est temps. Tu dois repartir. Ta place n'est pas encore ici. Et elle compte sur toi pour t'occuper de lui…»
Il commençait à comprendre.
« Vous allez me laisser retourner à Nibelheim, après ce que j'ai fait ? demanda-t-il avec circonspection.
- On ne peut pas vraiment te tenir responsable de ce qu'il s'est produit ce jour-là. Officiellement, tu es mort il y a cinq ans. Jenova a été détruite, par conséquent je ne pense pas que tu constitues encore une menace... »
Vincent savait pertinemment qu'il s'avançait un peu loin avec de tels propos, et qu'il allait devoir négocier avec Reeve non seulement pour que celui-ci accepte de relâcher le guerrier dans la nature, mais aussi pour qu'il garde le secret et ne révèle rien ni à Cloud ni aux autres membres de leur ancien groupe. La situation promettait d'être délicate.
Malgré tout, l'envie d'aider son fils surpassait toutes les inquiétudes. L'idée de voir le guerrier libéré des chaînes de son destin lugubre, même si cela devait impliquer des compromis périlleux, le motivait au-delà de toute mesure.
Une lueur d'espoir brilla un bref instant dans le regard de jade qui lui faisait face.
« Quand pourrais-je partir ? » chercha-t-il décisivement à savoir.
Fin du chapitre
