Chapitre 1 : La sortie

Musa avait enfin l'autorisation pour sortir de cette infirmerie lugubre, faite de plantes vertes et de blanc. Son état s'était nettement amélioré selon les infirmiers, Faragonda avait donc accepté à contrecœur qu'elle rejoigne de nouveau sa chambre. C'était un soulagement pour la fée qui n'attendait que sa libération depuis le début de son séjour ici. Cet hôpital de fortune ne lui manquerait pas, elle en était certaine. Rester enfermée dans une seule pièce pendant trois semaines sans avoir le droit d'en sortir ne lui manquerait pas non plus. Elle avait besoin de s'échapper, de faire quelque chose, de prendre l'air frais de l'extérieur. Elle commençait sérieusement à étouffer enfermée ici. La jeune femme n'attendait personne et comptait retourner seule dans sa chambre. Son petit sac était déjà fait, contenant un livre que Riven lui avait apporté récemment afin qu'elle s'occupe, ses écouteurs et son MP3 qui était un peu vieillot mais qu'elle adorait. Elle attendait avec impatience de pouvoir partir, ce qui lui donnait l'impression que le personnel médical prenait tout son temps pour effectuer le dernier contrôle. Tout allait bien pourtant, mais les infirmiers préféraient faire un check-up avant de la laisser sortir. La brune attendait donc impatiemment, bougeant ses jambes sans même s'en rendre compte, que la vérification de sa santé soit enfin terminée. Les derniers examens confirmaient ceux de la veille, et les infirmiers la laissèrent enfin s'échapper de cet endroit qui empestait le désinfectant.

Elle prit son petit sac sur son épaule. C'était un tote-bag crème, avec un dessin représentant un de ses livres préférés. Il était à la fois pratique et léger. Tout ce qu'appréciait la jeune femme. Dans sa précipitation pour sortir, elle ouvrit la porte et se dirigea vers l'extérieur mais sa tête se cogna contre un torse. La fée de l'esprit soupira bruyamment et releva légèrement la tête pour voir qui l'empêchait de retourner dans la chambre qu'elle partageait avec son groupe d'amies. Elle rencontra des yeux d'un vert magnifiques qu'elle connaissait très bien. Riven se tenait en face d'elle, un sourire en coin remonta ses lèvres ce qui fit sourire également Musa sans qu'elle ne comprenne réellement pourquoi.

" Tu comptes me bloquer ici longtemps ? On dirait que tu aimes bien cet endroit, moi qui pensais que tu me rendais visite par obligation." Dit-elle d'une voix espiègle.

Le sourire du spécialiste s'agrandit alors qu'il détaillait la jeune femme de la tête au pied. Cela était surprenant. Musa ne pensait pas que le jeune homme viendrait s'enquérir de son état, comme s'il pouvait contredire l'avis des infirmiers. Elle fut sortie de ses pensées par les paroles qu'il prononça.

"- Évidemment que je te rends visite par obligation, c'est une sanction de Sylva pour t'avoir sauvé les fesses. D'ailleurs il voulait que je vienne m'assurer que tu allais bien mais je vois que tu te portes comme un charme. Une vraie dure à cuir la petite fée." Dit-il d'une voix aussi joueuse que celle de la brune était espiègle.

Musa savait qu'il mentait. Il n'avait reçu aucune sanction de la part de Sylva, un rappel des règles et des choses à faire en cas de danger, mais c'était tout. Il avait même été félicité pour son courage mais elle savait qu'il n'admettrait jamais venir la voir de son plein gré.

"- Comme tu peux le voir, je suis en pleine forme. Tu m'accompagnes jusqu'à ma chambre comme un preux chevalier je suppose ? Tu ne voudrais pas décevoir Sylva quand même !"

Un rire s'échappa de la gorge du spécialiste qui fit une révérence à la jeune femme et lui tendit son bras. Elle le repoussa avec un sourire amusé alors qu'il l'accompagnait jusqu'à sa chambre. Ils discutèrent de tout de rien sur le trajet. La conversation était si simple entre eux, naturel. Les mots sortaient comme un flot de la bouche de l'un comme de l'autre. Ils appréciaient tous les deux ses échanges sans intérêt particulier mais rafraîchissant. Ils se taquinaient sans cesse, c'était devenu une tradition depuis qu'elle était entrée à l'infirmerie. Personne n'aurait pu deviner que ces deux-là deviendraient si proches. Les autres fées avaient mis en garde Musa sur Riven. Il était selon elles, toxique, manipulateur, égocentrique et il finirait par lui faire du mal. Elles en étaient toutes certaines. Ces réflexions avaient agacé la fée de l'esprit. Aucune de ses amies ne connaissaient assez bien le spécialiste pour émettre un jugement à son égard et pourtant elles se permettaient de le faire.

Le trajet jusqu'à sa chambre était court. Ils avaient traversé la cour extérieure, et ils avaient emprunté trois couloirs pour rejoindre enfin son petit nid douillet. Un soupir de satisfaction passa les lèvres de la jeune femme lorsqu'elle poussa la porte si familière qui se dressait devant elle. Mais lorsqu'elle se retourna pour inviter le spécialiste à entrer, elle se figea. Il avait pris un air beaucoup plus sérieux quand il entra dans la pièce ce qui fit instantanément paniquer la fée.

"Pixie, il faut que je te parle." Avait-il dit, d'un ton qui semblait lourd.

Pixie, c'était un surnom qui lui avait donné au bout de deux semaines à venir la voir tous les jours à l'infirmerie. C'était venu si naturellement que Musa ne l'avait pas remarqué mais elle l'appréciait particulièrement. Toutefois ce surnom, aussi agréable sonnait-il à ses oreilles, ne parvenait pas à calmer l'angoisse qui montait petit à petit chez la fée. De quoi pouvait-il bien vouloir lui parler ? Ils s'étaient évidemment rapprochés en se voyant tous les jours depuis trois semaines, mais rien qui justifie une discussion aussi sérieuse selon elle.

"Fais chier. Je ne sais même pas comment aborder ce sujet." Avait-il dit, passant une main rageuse dans ses cheveux.

La jeune femme le regardait sans ouvrir la bouche, ne sachant pas ce qu'il voulait dire. Ses mains commençaient à trembler et elle sentait son cœur battre anormalement vite dans sa poitrine. Une bouffée de chaleur fit rougir ses joues alors qu'elle continuait à le regarder. La fée avait beau cherché un indice sur le visage du spécialiste, elle ne trouvait rien. L'expression du jeune homme était impassible. Qu'allait-il bien pouvoir lui dire ? Riven n'allait certainement pas lui faire une déclaration. Ce n'était pas ce genre de garçon. Elle était certaine qu'elle ne lui plaisait pas de toute façon. Comment une personne sortant de l'infirmerie, blafarde et fébrile à souhait, aurait pu attirer le spécialiste de toute façon ? Elle n'eut pas le temps d'y réfléchir davantage car il mit fin à supplice interne en prenant la parole.

"Je t'ai vu. Je t'ai vu entrer dans cette pièce et te laisser attaquer sans te défendre. Qu'est-ce qui t'est passé par la tête bordel ?"

C'était encore pire que ce qu'elle s'était imaginé. Le monde semblait s'effondrer autour d'elle. Comment avait-il pu oser aborder ce sujet alors qu'elle venait tout juste de sortir de l'infirmerie ? Les yeux de la fée se mirent à briller sans même qu'elle ne s'en rende compte alors qu'elle fixait Riven sans prononcer un mot. Alors, il savait la vérité. Il savait et il ne lui avait rien dit jusqu'à présent. Le spécialiste avait sûrement être trop préoccupé par son état de santé pour oser aborder le sujet auparavant. Mais que devait-elle lui répondre ? Mentir au jeune homme serait sûrement inutile et contre-productif. Cela allait probablement l'énerver et elle ne se sentait étrangement pas de l'affronter. Pourtant dire la vérité lui semblait impossible. Sam n'avait pas compris, alors qu'il était son petit-ami quand la fée lui avait expliqué. Comment le jeune homme aux magnifiques yeux verts pourrait comprendre ? Ils n'étaient pas assez proches pour cela. Pas encore. Mais est-ce qu'elle avait le choix ? Il allait probablement exiger une explication et, en l'ayant secourue au risque d'en subir un traumatisme, il en avait le droit. Musa se sentait coincée, incapable de faire face à la situation alors que des traînées d'eau humidifiaient ses joues.

"Je... Je..." Bégaya-t-elle sans réussir à prononcer un autre mot.

Les sanglots qui la secouèrent, aussi imprévisibles qu'incompréhensibles, empêchèrent la brune de parler. Riven soupira, râlant après lui-même à voix basse pour avoir mis la jeune femme dans cet état. Il prit, peut-être un peu brusquement, le poignet de la jeune femme pour l'attirer contre lui et essayer de la calmer. Il lui murmura qu'il était désolé, que tout allait bien maintenant et qu'elle n'avait pas à s'inquiéter. Musa s'apaisa petit à petit au contact du spécialiste, sa chaleur fit arrêter les tremblements qui secouait le corps de la fée. Son odeur, chaude et musqué, apaisa sa respiration. Enfin, ses paroles finirent par calmer les pleurs de la brune qui semblaient jusqu'alors incontrôlable. Mais aucun son ne sortit de la bouche de la jeune femme. Elle semblait s'enfermer dans un mutisme soudain face à la demande de Riven. La fée ne pouvait pas répondre.

"Muse, c'est grave ce qui s'est passé. Mais je n'aurais pas dû t'en parler, j'aurais dû me montrer plus patient. J'étais juste inquiet."

Et il avait toutes les raisons de l'être. La jeune femme avait tenté quelque chose de fou pour se débarrasser de ses pouvoirs, et elle en avait conscience maintenant. C'était un acte désespéré qu'elle n'avait pas la force de lui expliquer. Pas lorsqu'elle avait déjà essayé avec Sam et que ce dernier avait préféré rompre avec elle, la regardant comme si elle était un monstre. Elle n'oserait jamais avouer ce qu'elle avait fait, pas à Riven. Il était la seule personne qui lui montrait un soutien indéfectible ces dernières semaines. Même son groupe d'amies, qu'elle appréciait toujours autant, avait commencé à s'éloigner d'elle. Alors il était hors de question qu'elle perde les beaux yeux verts qui restaient à ses côtés.

"Je suis désolée Riv', je ne pourrais rien t'expliquer."

Elle entendit le spécialiste soupirer, mais il ne s'éloigna pas d'elle. Il se contenta de la serrer un peu plus fort contre lui, comme s'il pouvait apaiser ses peines, ses angoisses et toutes ses douleurs par cette simple étreinte. La fée ferma les yeux et se laissa bercer par l'odeur de cigarette et de parfum musqué qui se dégageait de Riven. Musa n'avait pourtant jamais aimé l'odeur du tabac, mais sur cet homme, cette flagrance atypique était réconfortante.

Il partit de sa chambre quand il fut assuré que la fée allait bien. C'est alors qu'elle se jeta dans son lit sans même prendre la peine de retirer autre chose que ses chaussures. Cette première sortie de l'infirmerie ne se passait pas aussi bien que ce qu'elle avait prévue. Elle avait espéré faire une petite soirée avec ses amies pour fêter son retour et peut-être même invité Sky ainsi que Riven. Après ce qu'il venait de se passer avec le spécialiste, elle préférait désormais éviter. Ses amies ne reviendraient pas avant quelques heures, probablement. Cette petite fête allait donc devoir être reportée, voir annulée. Musa n'avait plus la tête à se réjouir de toute façon. Elle n'arrivait pas à se sortir de l'esprit ce que Riven lui avait dit. Il l'avait vu, il l'avait vu se jeter volontairement dans la gueule des monstres et se sacrifier. Elle n'avait pas pu se résoudre à lui expliquer son geste. Alors la jeune femme se doutait que le spécialiste devait s'imaginer toutes sortes de choses, peut-être encore plus affreuses que la réalité. Il ne voudrait plus la voir et aller commencer à l'éviter, comme Sam. Il avait juste eu pitié d'elle lorsqu'elle s'était mise à pleurer mais il essaierait de la fuir comme tous les autres. Elle en était sûre. De nouvelles larmes perlèrent sur ses joues et trempèrent son oreiller. La fée pouvait pleurer autant qu'elle le souhaitait, personne n'était là de toute façon. Les sanglots secouèrent son corps, et des bruits étouffer par l'oreiller parvinrent de sa bouche. Elle ne voulait pas que les choses se passent ainsi, craindre d'être abandonnée, d'être seule, et de ne jamais se remettre de l'acte qu'elle s'était elle-même infligée. Elle s'endormit dans cet état pour le moins déplorable, son oreiller humide, quelques minutes avant que ses colocataires ne reviennent. Musa entendit vaguement ces dernières rentrer, mais aucune n'osa déranger son sommeil.