Chapitre 6 - La yogini et le pilote
Le reste du mois de février passa à toute vitesse. Hermione était très occupée et ne vit quasiment pas Malefoy pendant plusieurs semaines. Pattenrond l'informait de temps à autre à grand renfort de feulements qu'il était passé à son cottage pour rafraîchir les protections et elle supposait qu'il en faisait de même à son laboratoire mais leur emploi du temps coïncidait rarement.
Elle le contacta, comme il avait été convenu entre eux, avant chaque déplacement professionnel qu'elle devait effectuer hors de son cadre de travail habituel - comité à Sainte Mangouste ou Huntercomben, colloques dans des universités magiques - en laissant entendre à chaque fois que sa présence serait superflue. Malefoy semblait comprendre le message car il ne se montra à aucun événement.
À Sainte Mangouste, Augustin Delacroix, rescapé de l'attaque du dragon venimeux, était resté hospitalisé plusieurs semaines. Hermione s'occupait quotidiennement de lui et eut ainsi l'occasion de faire la connaissance de sa famille. Il avait une fille ayant à peu près l'âge d'Hermione, Rosalie, qui avait fait sa scolarité à l'école de Beauxbâtons.
"On aurait pu se rencontrer il y a des années," dit-elle à Hermione. "À deux semaines près j'aurais pu faire partie de la délégation du Tournoi des Trois Sorciers et venir tenter ma chance pour participer aux épreuves. Bien sûr*, nous avons tous été très choqués de l'issue du Tournoi, mais quel honneur ça aurait été de représenter mon école dans un tel événement. Enfin, à y repenser je ne sais pas si je m'en serais tirée mieux que Fleur. Affronter un dragon… Il n'y a qu'à voir ce que ce Noir des Hébrides a fait à père*..."
Rosalie était une jeune femme bavarde et un peu hautaine, mais sympathique. Hermione prit plaisir à lui décrire la façon dont les élèves avaient affronté les dragons - "Évidemment, une cohorte de sorciers expérimentés étaient prêts à intervenir au moindre problème, et les dragons étaient domestiqués, il n'y a aucune comparaison possible avec l'attaque qu'a subie votre père." - échanger des anecdotes sur les vacances d'Hermione en France - "Oooh vous connaissez Bormes-les-Mimosas, quel charmant village, mère* participe chaque année au concours d'exposition féline qui s'y tient ! Elle possède un Fléreur magnifique qui rafle tous les prix." - et comparer les comportements de Saperlipopette - le Fléreur des Delacroix - et de Pattenrond, s'extasiant toutes les deux sur les photos des deux animaux qui se feulaient dessus à chaque fois qu'ils apercevaient l'image de l'autre.
Quand Mr. Delacroix put finalement rentrer chez lui, elles ajoutèrent une page dans leur Carnet à Papote pour pouvoir rester en contact.
La famille Delacroix décida de faire une donation importante à Sainte Mangouste en remerciement à la fois pour avoir sauvé in-extremis la vie de Mr. Delacroix et pour la discrétion de l'équipe médicale sur les raisons de ses blessures. Un gala serait organisé, lors duquel les convives seraient invités à faire don de contributions afin de permettre l'ouverture d'une nouvelle aile de l'hôpital. Hermione y était évidemment conviée, ainsi que toute l'équipe médicale des urgences et que tout le gratin de la société sorcière.
Hermione était toujours réticente à assister à ce genre d'événements mondains qui sentaient à plein nez les pratiques archaïques de la maintenant bien pensante sphère des Sangs-Purs.
Cependant elle pourrait faire une exception au regard de son implication directe dans le sauvetage de Mr. Delacroix et du nombre d'invités qu'avait mentionné Rosalie - "Avec les sorciers et sorcières qui viendront de France, on sera près de 120 ! J'espère que Thésée Desmarais pourra venir…" - parmi lesquels elle pourrait se fondre sans trop attirer l'attention.
En parallèle, Hermione préparait l'expédition de la prochaine fête païenne, Ostara, lors de laquelle elle devait récolter du sang de dragon.
Elle n'avait évidemment pas l'intention d'aller à la recherche des Noirs des Hébrides, très peu pour elle.
Elle avait besoin du sang d'un dragon beaucoup plus ancien et beaucoup plus puissant. La date approchait et elle n'avait pas encore réussi à localiser le lieu dont parlait Révélations, ce qui la tracassait de plus en plus.
Une nuit, prise d'insomnie à force de retourner le problème dans tous les sens, elle finit par se lever avec l'idée de faire une séance de yoga pour se vider la tête.
Elle enfila un legging kaki et une brassière assortie, tressa ses cheveux, alluma les bougies de sa salle de yoga et déroula son tapis. Elle enchaîna plusieurs salutations à la lune en guise d'échauffement. Puis elle continua avec une série de positions qui avaient pour but de préparer la réalisation du Taraksvasana, la position du scorpion, particulièrement exigeante et difficile, sur laquelle elle travaillait depuis des semaines. Elle tint un Hatha pendant deux minutes, puis un Ardha Chandrasana et enfin un Pincha Mayur Asana un peu tremblant.
Finalement, elle tenta le Vrischikasana. Elle commença par faire la pose du Dauphin, plaçant ses avant-bras sur le sol. Elle souleva sa jambe gauche aussi haut que possible, puis plia le genou pour prendre la pose du Tri Pada Adho Svanasana.
Suivit le moment critique où sa seconde jambe quitta le sol, hésitante. Ses bras se mirent à trembler sous l'effort. Elle vacilla le temps de trouver un équilibre, transpirante. Lentement, elle plia son second genou puis essaya de cambrer le dos le plus possible. Elle était à ça de réussir quand un pop résonna dans la pièce immédiatement suivi par une flopée de sorts - Homenum Revelio ! Finite incantatem ! Homenum Revelio ! Finite incantatem ! - lancés par une voix familière.
"Malefoy ?" s'étrangla Hermione qui s'était effondrée au sol en sursautant face à cette intrusion soudaine.
"Mais bordel, qu'est ce que tu es en train de faire ?" demanda-il, haletant.
Hermione se mit à genoux, le cœur battant. "Du yoga. Mais bordel, qu'est ce que toi tu fais ?"
"C'est ça du yoga ? Quelle sorte de torture auto-infligée-?"
Il sembla prendre la mesure de la situation. Ses yeux se posèrent sur les bougies qui flottaient dans le coin de la pièce, le téléphone qui diffusait de la musique relaxante puis sur les jambes d'Hermione, son regard remontant lentement jusqu'à son visage.
Malefoy était pieds nus, une cape passée hâtivement par-dessus son pyjama de satin noir. Ses cheveux étaient en désordre, lui donnant un air beaucoup plus humain qu'à l'habitude. À l'évidence, il avait sauté du lit et transplané jusqu'à elle, prenant l'accélération cardiaque de son effort yogique pour une attaque nocturne.
"Je tentais un Taraksvasana -"
"Un quoi ?"
"La position du scorpion - j'y travaille depuis des semaines, et je l'avais presque, jusqu'à ce que tu débarques de nulle part et me fiche la trouille de ma vie !"
Malefoy eut l'air mortifié. Il resserra sa cape pour cacher son pyjama. Hermione songea qu'il n'avait pas conscience de l'état de ses cheveux, sans quoi il aurait réquisitionné un miroir pour les arranger. Elle ne dit rien. À vrai dire, décoiffé, il perdait de son air snob, ce qu'elle se surprit à trouver agréable à voir.
"Quel est, s'il te plait, le but du yoga ?" demanda-il, semblant essayer de retrouver une contenance.
"La souplesse. La force. L'équilibre. Trouver la sérénité."
Malefoy lança un regard cynique à Hermione. "L'as-tu trouvée ?"
"Non," dit Hermione en se relevant, irritée d'avoir été bêtement interrompue alors qu'elle était à deux doigts d'enfin maîtriser le Taraksvasana. "Recalibre correctement ta bague pour que tu ne te pointes qu'en cas de réel danger."
Elle alluma les lumières. Malefoy la regarda un instant sans rien dire, l'air un peu troublé, jusqu'à ce qu'un miaulement rauque détourne son attention. Pattenrond entra tranquillement dans la salle de yoga, trotta jusqu'à Hermione puis, remarquant Malefoy, feula.
"Je m'en vais alors, ok ?" dit Malefoy.
"Vas-y," dit Hermione. "Aurevoir."
Il transplana.
ooo
Après cette intrusion, Hermione n'était pas retournée se coucher mais avait poursuivi ses recherches pour Ostara avant de prendre son poste au cabinet de médecine. Peut-être était-ce la méditation de sa séance de yoga, peut-être était-ce la distraction apportée par Malefoy, mais elle mit le doigt sur une piste intéressante, la colline au Dragon, qui se révéla être le bon endroit. En tout cas, elle en était modérément certaine, elle devrait une fois encore valider la présence de certaines plantes sur le site.
Soulagée de cette avancée, elle se mit, entre ses rendez-vous médicaux, à repenser à l'intervention de Malefoy la nuit précédente. Il avait véritablement cru qu'elle était en danger et était venu immédiatement sans même prendre la peine de s'habiller. C'était à la fois étonnant de la part de quelqu'un aussi à cheval sur les apparences, quelqu'un qui était censé la détester modérément, et extrêmement professionnel de sa part. Et elle ne l'avait même pas remercié. Elle l'avait traité comme un idiot. Son comportement était inexcusable.
En sortant du cabinet moldu ce soir-là, elle nourrissait l'idée d'envoyer un message d'excuses à Malefoy après avoir révisé sa présentation pour la conférence moldue de la semaine suivante. Mais, épuisée, elle s'endormit sur ses diagrammes.
C'est donc le lendemain, pendant qu'elle corrigeait les partiels de ses étudiants, assise dans son bureau à Cambridge, qu'elle rédigea le message suivant :
Malefoy : Je suis désolée pour mon comportement d'hier. J'aurais dû être plus reconnaissante que tu sois arrivé si vite quand tu pensais que quelque chose était en train de m'arriver. Je te préviendrais la prochaine fois que je tente un Taraksavasana. - Hermione
Elle eut le temps de corriger trois copies avant qu'il ne réponde :
Préviens-moi des prochaines pompes-scorpions, oui. PS, Des excuses de ta part pourraient bien devenir ma nouvelle drogue. - D
Hermione sourit. Elle rédigea une réponse un brin provocatrice.
Tu as bien conscience que je vais devoir faire des bêtises qui méritent des excuses.
Tu fais un sacré paquet de bêtises, j'ai dressé une liste de toutes tes activités illicites, répondit immédiatement Malefoy.
Si seulement les sortilèges d'Extension illégaux étaient le pire de mes péchés.
Non, répondit Malefoy. Je connais la réelle étendue de ta dépravation.
Je vois que cette visite de la bibliothèque va me poursuivre.
Elle souriait niaisement devant cette conversation quand un étudiant frappa à la porte de son bureau, la ramenant à la réalité. Elle secoua la tête. Était-elle en train de flirter avec Malefoy ? Par Carnet interposé, elle ne voyait pas son air arrogant, son attitude qui semblait prendre tout le monde de haut, ce qui rendait facile d'oublier avec qui elle parlait. Elle rangea le Carnet et invita l'étudiant à entrer.
ooo
Hermione écrivit à Malefoy environ une semaine plus tard, le notifiant qu'elle allait prendre la parole dans la conférence moldue le jeudi suivant.
Où ? demanda-il.
Le Magdalen College, à Oxford, dit Hermione. Jeudi 14h-17h. Je passe à 14h30. Je doute d'être assassinée mais je laisse ton jugement expert décider de ton éventuelle présence.
Toujours ajouter un peu de dissuasion, au cas où il aurait pu croire être le bienvenu.
Audience ? demanda-il.
Des médecins moldus, dit Hermione.
Combien ? demanda Malefoy.
150, dit Hermione.
J'y ferai un saut, dit Malefoy.
Raté. Elle aurait essayé.
Costume chic s'il te plait, dit Hermione. Ne me fais pas honte.
Il ne répondit pas.
ooo
Le jour de la conférence arriva. Vêtue d'un tailleur composé d'un chemisier blanc et d'une jupe taille haute bleu marine, la sacoche de son ordinateur sur l'épaule, elle transplana au Mitre où elle utilisa la Cheminette jusqu'à son hôtel, situé à dix minutes à pieds du Magdalen College.
Arrivée sur le lieu de la conférence, elle passa l'enregistrement où on lui remit son badge nominatif et un programme, puis elle alla saluer les chercheurs qu'elle avait l'habitude de croiser en conférence. Elle scanna la foule du regard, cherchant Malefoy, mais elle ne le vit pas. Peut-être qu'il était en retard, comme à son habitude. Peut-être qu'il était Désillusionné, veillant sur elle depuis un coin de la salle. Ou - encore mieux - peut-être avait-il finalement renoncé à venir. Elle le chassa de son esprit et rejoignit sa place sur scène en compagnie des trois autres immunologistes et oncologues qui allaient prendre la parole ce jour-là.
Le premier talk avait pour thème le Lymphome de Hodgkin et fut tenu par le Docteur Johann Driessen qu'Hermione connaissait bien. Puis, ce fut son tour.
Elle rejoignit le pupitre et commença son exposé sur les avancements de la thérapie des cellules CAR T sur les cellules B malignes. Elle fit quelques remarques d'introduction qui incluaient une blague qui emplit l'auditorium de rires. Puis elle se lança dans le cœur de sa présentation, répondant à des questions au vol. Les données qu'elle présentait étaient assez inédites et sa présentation fut sujette à de nombreuses remises en question et elle argumenta pour défendre son point de vue pendant un long moment. Une fois la présentation achevée, elle rejoignit la table des chercheurs et le débat continua, comparant les données sur les EBV et les cellules lymphatiques TNK et le challenge de leur diagnostic, et l'architecture des recherches sur la biopsie liquide.
Au moment où elle discutait des valeurs prédictives des analyses radiochimiques quantitatives, elle capta un mouvement dans la pénombre d'une alcôve. Elle reconnut les cheveux blonds - de nouveau impeccablement coiffés - et salua Malefoy d'un petit sourire avant de continuer son explication.
Finalement, des conclusions furent tirées, des remarques de clôture furent faites, et la conférence s'acheva dans les applaudissements. Le public se leva et le monde se mit à grouiller tout autour de l'estrade. Hermione repéra une tête blonde qui fendait la foule et descendit de la scène pour l'intercepter.
Elle détailla son costume moldu - un poil trop formel mais néanmoins acceptable - et haussa un sourcil devant le nom écrit sur le badge de Malefoy.
Il posait devant elle, attendant le verdict.
"Passable," dit-elle.
"Pourquoi le sourcil ?" demanda Malefoy.
Hermione montra le badge épinglé sur le revers de Drago. "Bonjour, Professeur Takahashi."
"Ah," dit Malefoy. "Oui, c'est moi."
Hermione croisa les bras.
"Et comment est Tokyo à cette période de l'année ?"
"Très sympa," dit Malefoy.
"Professeur Takahashi est de Kyoto," dit Hermione, amusée. "Plutôt audacieux de se présenter comme l'un des oncologues le plus renommé du Japon."
"Je suis l'audace incarnée," dit Malefoy, passant la main dans ses cheveux. "Savais-tu que le bon docteur Driessen avait un faible pour toi ?"
Le changement de sujet soudain la décontenança. "Quoi ?"
"Il va t'inviter à boire un verre ce soir."
Malefoy avait perdu la tête. Johann avait presque l'âge d'être son père.
"Non," répondit-elle, dubitative.
"Si. Il a aussi beaucoup aimé ta jupe," dit Malefoy, pointant le vêtement en question. Lui-même avait l'air d'apprécier également.
"Ugh - je veux dire, il est très sympa, mais - attend - comment tu sais ça ?" Elle posa la main sur sa bouche, horrifiée. "Tu n'as quand même pas pratiqué la Légilimancie sur d'innocents Moldus."
"Ça fait partie de mon protocole d'évaluation des risques."
"C'est autorisé ? Ça tient un peu de la violation de la vie privée, non ?"
"Les Aurors ont des privilèges," dit Malefoy. "De toute façon, Shacklebolt m'a donné carte blanche pour utiliser tout ce qui pourrait être nécessaire pour te maintenir en sécurité. Sauf le meurtre - il faut que je demande la permission pour ça. Il y a un formulaire, et tout."
Hermione le jaugea du regard, presque sûre qu'il plaisantait - encore cet humour pince-sans-rire - mais elle était quand même à peu près certaine d'être en présence de l'Auror le plus sans scrupule et dépravé n'ayant jamais été en service au Ministère. C'était bien sa veine de se l'être vu attribué.
Johann Driessen choisit ce moment pour surgir de nulle part et, à la consternation d'Hermione, lui demander si elle se joindrait à lui pour boire un verre ce soir-là.
Prise de court, elle improvisa rapidement une combine pour se tirer de ce mauvais pas. Elle se rapprocha de Malefoy, posant sa main sur son torse dans un geste d'affection - pour camoufler ce maudit badge, Johann connaissant le Professeur Takahashi - et elle annonça que malheureusement, elle était déjà prise pour la soirée, mais peut-être une autre fois ?
Johann leva les yeux vers Malefoy. Hermione vit son regard passer de ses cheveux à la ligne de sa mâchoire puis à ses yeux froids. Elle vit presque les rouages de son cerveau tourner, processant les informations et décidant finalement qu'il ne faisait pas le poids.
"Bien sûr, dit-il, battant en retraite, l'air embarrassé. "Je suis désolé - je ne m'étais pas rendu compte. Où allez-vous tous les deux ?"
"Euh-" dit Hermione. Elle n'avait pas réfléchi aux détails. Heureusement, Malefoy vint à son secours.
"La Taverne du Gazon," dit-il.
"Classique !" dit Johann. Puis, avec un mouvement de sourcils vers Malefoy, il dit, "juste en face de la Bibliothèque Bodléienne. Vous allez devoir tenir Hermione en laisse."
"Oh oui," dit Malefoy, enroulant son bras autour de la taille d'Hermione. "Comme toujours."
Hermione se retint de serrer le poing et de lui donner un coup sur le torse. Le parfum familier aux notes d'agrumes et de romarin de Malefoy l'enveloppa. Il était chaud et stable contre sa hanche. Le fait qu'elle ne trouve pas ça désagréable la déconcerta.
"Hé bien, c'était un plaisir de te voir, comme toujours, Hermione," dit Johann.
"Au revoir, Johann," dit Hermione en souriant, légèrement tendue par l'étreinte de Malefoy.
Johann s'éloigna et Hermione le regarda faire, impatiente de pouvoir se défaire de Malefoy.
"Ne t'éloigne pas comme si tu avais été brûlée," murmura-il. "Il regarde. Ait l'air naturel."
Hermione s'éclaircit la gorge et laissa sa main glisser du torse de Malefoy, emportant l'étiquette avec elle, et sentant le contour de ses abdominaux sous le tissu de sa chemise. Elle fit lentement un pas en arrière, essayant de rendre le geste fluide et naturel.
Malefoy avait l'air de trouver la situation très amusante. Toujours déconcertée, Hermione enleva le badge de sa main et le glissa dans sa poche.
"Désolée," dit-elle. "Il fallait que je trouve quelque chose et tu étais commodément - là."
"Utilise-moi comme excuse quand tu veux," dit Malefoy, regardant autour de lui au lieu de transpercer Hermione de son regard d'acier comme à son habitude. Cela ne lui ressemblait pas. Se pouvait-il qu'il soit lui aussi déconcerté ?
Elle ne put pas réfléchir à l'éventualité car elle fut accostée par d'autres collègues, les Dr Smith, Thomas et Johnson, qui avaient entendu qu'elle allait au Gazon, et qui y allaient aussi, alors ils se verraient là-bas ce soir, et qu'ils lui payaient son premier Gin Tonic, hip hip hip ! etc… Mortifiée, Hermione se força à leur sourire et à leur faire un signe de la main.
"C'était peut-être une erreur," dit-elle sombrement à Malefoy. "Tu peux partir. Je trouverai une excuse pour toi."
Elle réfléchit à une excuse plausible pour expliquer l'absence de Malefoy, espérant que Johann était parti se morfondre dans sa chambre d'hôtel et qu'elle ne le croiserait pas à la Taverne. Étonnamment, Malefoy avait l'air d'avoir réellement envie de venir.
"Je leur dirais que tu es malade, ou un truc du genre," avança-t-elle.
"Malade ? Mais je respire la santé."
"Je dirais que tu as mangé un truc bizarre."
"Je ne pense pas. Il y a des centaines de docteurs moldus ici - si je dis que je suis malade, ils vont tous vouloir me soigner. Je ne veux pas que quelqu'un m'enfonce un stéthoscope dans les fesses."
"Personne n'enfonce de stéthoscope dans les fesses de personne," dit Hermione, très exaspérée.
Deux participants de la conférence qui passaient par là la regardèrent avec un regard choqué. Elle les regarda aussi, atterrée.
"Oups," dit Malefoy.
Hermione serra les dents. "Tu es vraiment le pire..."
Elle se détourna et s'éloigna brusquement alors que Malefoy souriait, apparemment fier de ses bêtises.
La Taverne du Gazon était bondée, remplie de participants à la conférence assoiffés. Hermione partit chercher des boissons pendant que Malefoy leur trouvait une table et ils se virent tassés sur un banc parmi une douzaine de collègues immunologistes et oncologues, déjà bien imbibés d'alcool.
Quelqu'un demanda à Malefoy comment il gagnait sa vie. Hermione se tendit, inquiète de la réponse qu'il allait donner. À son plus grand étonnement, il raconta de façon tout à fait plausible qu'il était pilote de ligne. Il raconta quelques anecdotes sur ses soi-disant aventures aériennes.
"Voler n'est pas si difficile, vous savez," dit-il à la tablée. "Gardez le côté bleu vers le haut."
Éclats de rires. Johnson lui indiqua qu'un principe aussi simple s'appliquait à la médecine, garder les entrailles à l'intérieur. Encore des éclats de rire.
Hermione dut se faire violence pour ne pas se frotter les yeux. Était-ce vraiment Malefoy à côté d'elle, discutant agréablement avec une tablée de Moldus, se faisant passer pour l'un d'entre eux avec succès, se faisant même apprécier ? C'était aussi incroyable que surprenant. Il capta son regard et agita les sourcils vers elle. Il avait l'air de s'amuser comme un fou. Elle détourna le regard, déroutée.
Quand on lui demanda quand il était arrivé à Oxford, Malefoy dit "Ce matin." Quand on lui demanda ce qu'il faisait à Oxford, il dit "Docteur Granger."
Hermione s'étouffa avec sa boisson et les rires fusèrent. Elle foudroya Malefoy du regard, prise d'une soudaine envie de meurtre. Cela ne fit que l'amuser encore plus.
Le véritable Professeur Takahashi les rejoignit à leur table, déclenchant des cris de bienvenue braillards. Hermione se rapprocha de Malefoy sur le banc pour faire de la place au nouvel arrivant.
Malefoy se pencha vers elle et lui chuchota dans le cou, son souffle la faisant frissonner, "Demande lui s'il n'a pas eu des problèmes à l'enregistrement."
Hermione lui donna un coup de pied sous la table.
Elle entama une conversation polie avec le Professeur Takahashi, échangeant sur les charmes de Kyoto qui était présentement en pleine période de floraison des cerisiers. Elle essayait d'ignorer la sensation du bras de Malefoy se pressant contre son épaule, et sa jambe qui touchait la sienne sous la table.
Un serveur arriva, apportant plus de nourriture et de boissons. Quelqu'un avait commandé une énorme assiette de toasts au fromage - gras, salé, servi avec du chutney d'oignons. Elle passa le plateau à Malefoy, presque certaine qu'il allait froncer le nez et se détourner.
Il en prit un et le mangea avec appréciation. Hermione cligna des yeux. S'il jouait la comédie, il était vraiment extrêmement doué.
Quelqu'un, quelque part, fit sonner un triangle et demanda à ceux qui étaient intéressés pour participer au quizz du bistrot de faire des équipes.
Certains des docteurs de leur table y virent le signal du départ. D'autres eurent l'air amusé et ravi de participer.
"J'adore les quizz de bistrot," dit Dr. Smith, à la gauche de Malefoy. "La moitié du plaisir vient du fait de se rendre compte que tu n'es qu'un colossal crétin."
"Je parie qu'on va se faire battre par des étudiants," dit Dr. Thomas en face d'Hermione.
"Balivernes," dit Dr. Johnson un peu plus loin à la table. "Avec Hermione dans notre équipe, ça sera un jeu d'enfants. Tu restes, Hermione, n'est-ce pas ?"
Hermione jeta un regard à Malefoy. "Qu'est ce que t'en penses ? Si tu es fatigué tu peux rentrer à - rentrer à ton hôtel."
Malefoy ne saisit pas l'opportunité. Il semblait apprécier sa soirée, content de faire le show devant les collègues d'Hermione, profitant des boissons et des toasts - il s'était resservi plusieurs fois. "Tss - bien sûr que je reste," dit-il.
Il y eut des "Parfait !" puis un désordre général pendant que tout le monde cherchait un papier et un crayon.
Malefoy ne fut évidemment d'aucune utilité pour les questions portant sur des domaines exclusivement moldus, mais il sut répondre à quelques questions de culture générale.
Il y eut quelques questions sur les sciences et la biologie auxquelles Hermione et ses collègues répondirent avec un grand niveau de détail. Il y eut une dispute avec l'arbitre sur la définition de "sous-cutané" et ils insistèrent jusqu'à ce qu'il leur donne le point.
Hermione répondit à la quasi-totalité des questions sur l'histoire et l'art. Puis arrivèrent les questions qui portaient sur les mathématiques. Les collègues d'Hermione grognèrent alors que l'équipe des jeunes à côté d'eux résolvait les problèmes à toute vitesse. Elle-même résolut le premier facilement mais buta sur le second.
"Des ingénieurs," dit Dr. Thomas. "On n'a aucune chance."
Hermione, toujours sur le problème, leva les yeux au ciel. Elle était déterminée à trouver la solution.
Mais les questions continuaient à défiler et elle dut temporairement mettre les maths de côté. Géographie, musique, zoologie, elle répondit à un grand nombre de questions, avec l'aide occasionnelle de ses collègues. Malefoy semblait avoir laissé tomber et buvait son nouveau verre de Gin Tonic - le quatrième ? le cinquième ? ce sorcier avait une descente impressionnante - le regard dans le vide.
Finalement, leur équipe gagna et Hermione put se replonger dans le problème de mathématique récalcitrant.
"On va faire enregistrer Hermione au trésor national," dit Dr. Smith, donnant à Hermione une tape sur l'épaule.
Elle sourit, mais son attention retourna rapidement sur le problème de math.
Les gagnants reçurent des cartes cadeaux valables dans une grande sélection de magasins. Les collègues d'Hermione donnèrent les leurs aux jeunes ingénieurs arrivés seconds, décrétant que ce n'avait pas été un combat égal étant donné que leurs années d'université combinées étaient plus nombreuses que les années d'existence de ces pauvres ingénieurs.
La soirée s'acheva. L'endroit devint de plus en plus calme à mesure que la foule partait après le quizz, à l'exception de Malefoy, apparemment en lune de miel avec son verre, et d'Hermione, toujours aux prises avec son problème de maths.
Frustrée, elle finit par héler un des jeunes à la table d'à côté pour demander une explication.
"C'est le paradoxe de Borel," dit le garçon.
"Oh !" dit Hermione, voyant soudain le problème sous un autre éclairage. "En effet…"
Le mystère étant levé, elle gribouilla la solution sur sa serviette. Puis elle lâcha finalement son stylo et se leva.
"Allons-y," dit-elle.
Malefoy se leva prudemment, gardant une main sur la table. Il semblait peu stable sur ses pieds mais réussit néanmoins à avancer vers la porte.
"Passez une bonne nuit tous les deux," dit le barman avec un clin d'œil à Hermione.
Elle se força à lui sourire et se dépêcha de sortir, Malefoy la suivant avec un sourire moqueur.
Dehors, aucun d'entre eux ne marchait avec sa sobre assurance habituelle, bien qu'Hermione soit loin d'être aussi saoule que Malefoy. À un moment, elle dut le tirer vers elle alors qu'il était juste sur le point de rentrer en collision avec un lampadaire.
"Tu es censé veiller sur moi," dit-elle. "Pas le contraire."
"Ce poteau est sorti de nulle part, bordel," dit Malefoy dans les cheveux d'Hermione.
Elle s'éloigna de lui jusqu'à ce qu'il soit à une distance convenable. "Comment vas-tu rentrer chez toi ? Et ne me dis pas en transplanant, je te stupéfie si tu essaies."
Il hésita un moment avant de répondre, "Par Cheminette, je s'ppose"
"Il y a une cheminée connectée à mon hôtel. Par ici."
Hermione emmena un Malefoy titubant dans les rues à escaliers d'Oxford. Il arborait un sourire rêveur complètement inhabituel. Une des mèches de ses cheveux était de travers. "Ces Moldus aujourd'hui - ils étaient tous très intelligents," dit-il d'une voix pâteuse.
"Oui," dit Hermione, ne sachant pas bien où il voulait en venir.
"Tu es plutôt intelligente. Avec tous les - les diagrammes, les maths, les cartes, et tout ça," continua Malefoy.
Elle lui jeta un regard de côté dans l'obscurité. Malefoy avait l'alcool joyeux et gentil. C'était vraiment très étrange de le voir dans un tel état.
"Merci. Et s'il te plaît arrête, tu me fais peur quand tu es gentil."
"Je suis effrayant ?"
"Reviens-en aux moqueries à propos de mes cheveux."
"Très bien. Ils sont horribles. Tu devrais les raser."
"C'est mieux," dit Hermione.
"Mais ne le fait pas vraiment, quand même," dit Malefoy.
"Tu es sûr ?"
"Oui."
"Nous y voilà," dit Hermione. Elle poussa la porte de l'hôtel. Le bureau de réception était vide et le feu dans la cheminée couvait. Elle remua sa baguette en direction des braises et elles reprirent vie instantanément.
"Es-tu spécialiste des feux, en plus des charmes d'Extension ?" demanda Malefoy qui semblait admiratif devant cette démonstration.
"Un peu" dit Hermione, évasive. Le feu était sa première spécialité, avant même les Charmes d'Extension.
"J'ai entendu dire que tu avais mis le feu aux robes de Rogue en première année," dit Malefoy. "Mais je n'y ai pas cru."
"Bien - ce ne sont que des conneries," dit Hermione, détournant les yeux. Harry et Ron étaient trop bavards.
"Tu es une mauvaise menteuse."
Comment parvenait-il toujours à percer ses mensonges ? Même au bord du coma éthylique, c'en était ridicule.
"Allez, file," dit-elle, le tournant face à la cheminée. "Je suis éclatée et j'ai besoin de mon lit."
"Mais je veux entendre l'histoire de Rogue qui s'enflamme," dit Malefoy.
Elle croisa les bras.
"Rentre chez toi, Malefoy."
Il jeta de la poudre de Cheminette dans l'âtre. "Tu n'es vraiment pas drôle. Manoir Malefoy."
Les flammes devinrent vertes. Il regarda Hermione par-dessus son épaule. Elle lui rendit son regard. Le Malefoy qu'elle avait vu ce soir était très différent du Malefoy qu'elle croyait connaître. Drôle, amical avec les Moldus, taquin mais gentil avec elle. Jouait-il la comédie ? Avait-il changé au cours des années ? Ou ne l'avait-elle tout simplement jamais vraiment connu ?
"Bonne nuit, Malefoy," dit-elle.
Il disparut dans la cheminée.
