CHAPITRE VII

Sueurs froides

Le Mystère des Profondeurs sortit de l'hyperespace à quelques

distances de Mon Calamari. Sur la petite passerelle du yacht, la

capitaine S'Looran et Urtil Valderz supervisaient l'approche de la planète

aquatique.

- Réduisez la vitesse à un tiers lorsque nous aurons atteint le

périmètre de l'espace aérien calamarien, ordonna Valderz à l'un des

jumeaux Treel, celui chargé de la navigation.

- Bien, monsieur.

S'Looran observa les écrans radars du navire et se retourna vers

l'agent rebelle :

- Je détecte une fluctuation significative dans la structure de

l'hyperespace derrière nous.

Valderz lança un regard intrigué au capitaine :

- Un vaisseau ?

- Probablement.

Peu de temps après, un gigantesque destroyer stellaire impérial

apparut juste derrière eux.

- Bon sang, s'écria Valderz. Activez les boucliers et l'armement et

préparez vous à filer vers le champ d'astéroïdes !

- Ce n'est pas nous qu'il veut, dit S'Looran, concentrée sur son

radar, il se dirige vers la planète. (Elle fit un geste vers ses subordonnés

pour que ceux-ci abandonnent l'alerte.) On a eu chaud !

Valderz ne put réprimer un fou-rire nerveux :

- Les Calamariens ont-ils cette expression ? demanda-t-il.

S'Looran sourit à son tour :

- Non, mais puisque je vous ai entendu le dire plusieurs fois dans des situations comme celles-ci, je me suis dit que cela vous ferait plaisir.

Elle le rejoignit dans son rire.

Caral arriva juste à ce moment là :

- En quoi la présence d'un vaisseau de combat de l'Empire vous fait-il rire ? demanda-t-il en observant Valderz.

- Laissez tomber, dit le contrebandier, concentrons-nous plutôt sur nos négociations.

Le lieu de rendez-vous fixé par les délégués du gouvernement et des chantiers navals était un amphithéâtre abandonné installé dans les niveaux les plus profonds de la Cité de Corail, une ville flottante calamarienne. Ces immenses installations étaient en général constituées d'une bulle principale abritant les résidences et les commerces et de plusieurs bulles secondaires abritant des aires d'atterrissage, des bars ou encore des stations de sous-marins faisant la navette entre les différentes cités flottantes.

La Cité de Corail était bien différente : elle s'étendait sur des kilomètres et, bien que quatre-vingt-dix pour cent de ses installations se trouvent sur l'eau, quelques bâtiments, tels que la mairie ou encore l'université, étaient bâtis sur la terre ferme, une légère bande de terre comme il en existait des centaines partout sur Mon Calamari.

Le groupe de Caral et de Valderz avançait rapidement parmi les allées bondées des niveaux marchands de la Cité de Corail. D'innombrables échoppes et magasins, vendant des articles très différents les uns des autres – des caméras holographiques, des parfums, des holo-romans –, étaient disposés de part et d'autre de couloirs parfois ornés de tableaux holographiques, parfois d'immenses baies-vitrées donnant sur le spectacle fascinant de la riche faune et flore sous-marine de Mon Calamari.

Accédant enfin à une cage de turbo-ascenseur descendant plus à l'intérieur de l'énorme bâtiment flottant, la troupe rebelle s'accorda un moment pour se souffler.

- Je n'aurais jamais pensé que les cités flottantes mon cals étaient si animées ! s'exclama Caral.

- C'est parce que c'est la Cité de Corail, expliqua S'Looran. Les autres cités sont plus paisibles.

La cage d'ascenseur descendit à toute allure vers les bas-fonds.

Dix minutes plus tard, leurs interlocuteurs étaient enfin arrivés à l'amphithéâtre, alors qu'eux-mêmes y attendaient depuis cinq minutes. Caral avait pris la peine, pendant ce temps-là, d'étudier la pièce. Elle avait un plafond bombé très élevé qui était parsemé de baies-vitrées donnant sur un paysage aquatique généré par des tableaux holographiques encastrés derrière les vitres. Les murs étaient faits d'un matériau inconnu du Sénateur, ils étaient très dépouillés : mis à part quelques affiches publicitaires datant de l'Ancienne République, ses parois vertes étaient désespérément vides. Des sièges vermoulus et en piteux état, répartis en dizaines de rangées, étaient disposés en demi-cercle autour de la scène. Celle-ci était au même niveau que le sol et était donc en contrebas de la plupart des spectateurs. Il y avait dessus trois plaques holographiques qui étaient sans doute utilisées pour générer des décors et des ambiances lumineuses. Une table entourée par une dizaine de chaises avait été posée sur l'une des estrades bordant l'un des deux couloirs par lequel entraient les spectateurs.

- Alors ? demanda le Calamarien à la tête de la délégation des chantiers navals. Quel est le prix que vous avez en tête ?

Caral avait longuement discuté avec Valderz de la stratégie à adopter quant-au marchandage :

- Nous vous en offrons un milliard de dataries Impériales, dit Caral d'un air sûr.

Les personnes composant le groupe représentant les chantiers navals de Mon Calamari échangèrent des regards amusés. Leur porte-parole se retourna vers le Shistavanien :

- Savez vous que leur prix normal est d'un milliard huit-cents millions ? demanda-t-il. Votre offre est bien trop basse.

Caral afficha un regard surpris :

- Nous nous étions mis d'accord sur une petite réduction !

- Cette petite réduction ne peut pas valoir huit-cent millions de dataries, s'exclama une jeune calamarienne chargée de la comptabilité de l'entreprise.

Valderz et Caral échangèrent un regard :

- Puis-je me concerter avec mon ami ? demanda le Shistavanien.

Le porte-parole n'y vit aucune objection. L'ex-Sénateur se leva et les deux compatriotes allèrent s'asseoir sur les marches menant aux dernières rangées de sièges.

- Je ne pensais pas qu'ils refuseraient cette offre ! dit Caral d'un ton fâché.

- C'est ce que Mothma m'avait affirmé, se défendit Valderz.

Ils poussèrent tous deux un soupir de découragement :

- Alors ? demanda Caral.

- On va aller jusqu'à un milliard quatre-cent millions. Mais on va tenter de les convaincre de nous les laisser à un milliard, dit Valderz.

L'ex-Sénateur acquiesça et reprit sa place à la table de conférence :

- Nous pensons qu'un milliard, c'est largement suffisant, affirma-t-il.

Le porte-parole regarda longuement son interlocuteur puis répliqua :

- J'ai consulté mes collaborateurs et ils m'ont convaincu que ça ne serait pas une perte énorme si nous vous les laissions à un milliard cinq-cent millions.

Échangeant un rapide regard avec Valderz, Caral fit un signe de tête affirmatif.

- Marché conclu ! s'exclama-t-il. Mais à ce prix là, nous vous demandons l'assurance que ces paquebots nous soient livrés achevés dans moins de deux semaines.

Le Calamarien effectua un mouvement facial qui pouvait s'apparenter à de la surprise :

- Deux semaines ! s'écria-t-il. Il nous faut encore deux mois pour finir d'armer ces paquebots, sans parler des générateurs de boucliers...

- Deux semaines, répéta d'un ton sec Caral, sinon vous pouvez dire adieu aux cinq-cents millions.

La délégation se concerta et le porte-parole se retourna vers le Shistavanien ;

- C'est d'accord, mais vous devrez assurer vous même l'escorte du convoi vers votre QG.

Caral sourit et se leva ;

- Accepté ! Ce fut un plaisir de marchander avec vous, rajouta-t-il en quittant l'amphithéâtre, flanqué par Valderz, S'Looran et le reste de l'équipe de commandement du Mystère des Profondeurs.

Mitten et Mocvol se tenaient raides comme des piquets sur la gigantesque passerelle du destroyer stellaire modifié Sentence Impériale. Ils observaient la planète Mon Calamari grandir dans l'immense vitre de transpacier à mesure que le navire approchait. Mitten sortit de sa torpeur et descendit dans la fosse où les officiers chargés de la gestion quotidienne des systèmes du Sentence Impériale travaillaient. Il s'arrêta derrière l'enseigne Loolias, chargée des senseurs :

- Où est la flotte de défense calamarienne ? demanda le colonel.

- Douze de ses vaisseaux sont sur une trajectoire d'interception, répondit Loolias.

- Le vaisseau-amiral fait-il partie de ce groupe ?

- Oui, il est au centre de la formation, dit l'enseigne en désignant une silhouette plus remarquable que les autres sur l'écran radar.

Une voix se fit entendre derrière lui :

- Colonel, ils nous contactent ! annonça l'officier des communications.

Mitten remonta et se plaça devant le projecteur holographique installé à l'arrière de la passerelle. Un Calamarien aux traits prouvant son âge avancé et vêtu d'habits aux matériaux bizarres apparut en trois dimensions devant lui.

- Je suis l'amiral Golbben, commandant en chef de la flotte de défense de Mon Calamari. Que nous vaut l'honneur de la visite d'un destroyer stellaire impérial sur notre planète ? demanda-t-il d'un ton faussement cordial.

- Je suis le colonel Mitten du destroyer stellaire Sentence Impériale, j'ai été envoyé par le Grand Moff Tarkin effectuer une inspection de routine à votre bord.

- Une inspection de routine ? s'étonna Golbben.

- Exact.

- Est-ce à propos des paquebots disparus ? demanda l'amiral Calamarien.

Mitten sourit :

- Précisément.

Golbben réfléchit un petit temps avant de déclarer :

- Bien, nous vous attendons.

L'homme coupa abruptement la communication.

Le colonel fut un moment surpris par la facilité avec laquelle Golbben avait accepté qu'il monte à bord. Il avait pensé que l'amiral aurait demandé à voir une dérogation sénatoriale ou quelque document signé par des institutions officielles.

Il se tourna vers Mocvol :

- Préparez ma navette ! ordonna-t-il. Je ne veux pas d'escorte, cela pourrait effrayer les Mon Cals.

- Et si c'était un piège ? s'insurgea la caporale.

- Si c'en est un, Mon Calamari devra faire face à une force de combat de la Marine, rassura Mitten. Ils ne me porteront pas préjudice.

Mocvol n'en parut guère convaincue mais se plia aux ordres de son supérieur.

- Bonne chance, monsieur.

- Vous avez la passerelle, répondit l'impérial.

La navette de classe Lambda Kilomètres était à l'origine le vaisseau personnel de Mocvol mais celle-ci l'avait cédé à Mitten lors de son arrivée. Le petit vaisseau quitta l'immense baie-hangar du destroyer stellaire et se dirigea vers le vaisseau-amiral calamarien. Lorsqu'il approcha de la formation, il remarqua sur son écran que le Sentence Impériale avait stoppé ses machines au moment même où le vaisseau-amiral entrait dans la ligne de mire de son turbolaser expérimental avant. «Mocvol prend des précautions inutiles» se dit Mitten en souriant. «Mais elle a le mérite de se soucier de ma sécurité».

Le Kilomètres pénétra dans la baie-hangar du vaisseau-amiral. Celui-ci était un croiseur léger MC40 lourdement modifié. Comme tous les vaisseaux calamariens, il avait une allure organique par les innombrables aspérités parsemant sa coque. Ces défauts de construction apparents abritaient en fait des batteries turbolaser, des générateurs de boucliers, des lances-torpilles ou des stations de communication et de détection. Mesurant quatre-cents mètres, le vaisseau-amiral - le Mon Calamari - ne pouvait pas se mesurer aux destroyers stellaires impériaux, mais il remplissait à merveille sa mission de protection face aux menaces locales, comme celle des pirates qui étaient nombreux dans ce secteur reculé de la galaxie.

Mitten descendit d'un pas lent de la passerelle du Kilomètres pour aller à la rencontre de l'amiral Golbben, qui attendait devant la navette, accompagné par une dizaine de ses congénères :

Sans un mot, les deux hommes se serrèrent la main et se dirigèrent vers l'une des coursives desservant la baie-hangar. Finalement, Golbben se décida à ouvrir la bouche :

- Vous ne trouverez rien d'intéressant dans les bases de données à propos de ces paquebots, déclara l'amiral Calamarien d'un ton cordial. Enfin, c'est mon avis, reprit-il, nous y avons déjà cherché mais nous n'avons rien découvert de vraiment utile.

- Je préfère m'en assurer moi-même, déclara le colonel d'un ton légèrement agressif.

- Bien sûr ! s'exclama Golbben. Sinon, vous ne seriez pas là.

Mitten acquiesça. Bientôt, les deux hommes empruntèrent une petite coursive barrée par plusieurs portes à code. Finalement, une immense pièce, dont l'unique décor était un gros ordinateur ceinturé par une dizaine de petites consoles de contrôle, se dressa devant leurs yeux. Le colonel tenta de s'asseoir dans l'un des sièges situés devant l'un des panneaux de commande mais n'y arriva pas. Derrière lui, il entendit Golbben ricaner.

- Ces fauteuils sont spécialement créés pour accepter uniquement la physiologie calamarienne ! expliqua-t-il. Il s'assit et se tourna vers Mitten :

- Alors ? Où dois-je chercher ?

Le colonel se retint de protester et de demander à disposer d'un endroit où il pourrait mener ses recherches seul :

- Commençons par les matricules des vaisseaux disparus, dit-il lentement.

Soudain, son comlink bipa. Il le sortit de sa poche et activa le récepteur. L'image de la caporale Mocvol apparut :

- Monsieur, le Grand Moff Tarkin m'a ordonné de vous transmettre que le Sénat vient de prendre connaissance de la position des paquebots.

L'amiral calamarien sembla encore plus étonné que ne l'était Mitten :

- Ils sont dans les chantiers de la colonie calamarienne de Mon Karren, coordonnées 58-998-778.

Mitten fronça les sourcils :

- Comment se fait-il que cette planète n'ait pas été dans nos bases de données ? demanda-t-il.

- Il paraît qu'elle aurait été fondée pendant la Guerre des Clones, dit Mocvol d'un air peu convaincu. Mais le BSI pense que c'est un mensonge, jugea-t-elle bon d'ajouter.

- Mensonge ou pas, c'est la seule piste dont nous disposons ! se lamenta Mitten en priant d'un geste discret Golbben de cesser la recherche.

- Préparez-vous à partir pour Mon Karren dès que je serai revenu ! ordonna-t-il.

- Bien monsieur.

Mitten coupa la communication et se retourna vers l'amiral ;

- Merci encore de votre coopération.

- Tout le plaisir a été pour moi, répondit Golbben.

Quelque temps plus tard, à bord du Sentence Impériale, Mitten et Mocvol discutaient de la stratégie à adopter si la piste de Mon Karren était un piège tendu par les Rebelles. La petite salle dans laquelle ils s'étaient installés était située au beau milieu du destroyer. Comme toutes ses semblables, la pièce était dénudée, ses murs et ses sols, plus noirs que l'espace, contrastaient avec le seul et unique mobilier présent : une petite table peinte en rouge écarlate. En son centre, une surface bombée se profilait. Il s'agissait d'un projecteur holographique. Au-dessus de lui flottait une image tridimensionnelle à l'allure bleutée qui représentait un système stellaire : celui de Mon Karren.

- Nous voyagerons et nous sortirons de l'hyperespace avec les boucliers activés et l'armement chargé, déclara Mocvol, assise dans l'une des deux seules chaises entourant la table. Cela permettra d'éviter les mauvaises surprises...

- C'est une bonne initiative, répondit Mitten.

Celui-ci avait préféré rester debout mais il se tenait quand même face à sa subordonnée, située de l'autre côté de la projection.

- Pourtant, cela pompera une énergie importante aux autres secteurs, rajouta Mitten au bout d'un long silence.

- Quels autres secteurs ? demanda d'un ton intrigué la caporale.

- Les communications, les senseurs.

Mocvol acquiesça mais ne vit pas la raison de cette inquiétude :

- Nous n'aurons guère besoin des antennes de transmission à longue portée : de nombreuses bases impériales sont disséminées dans la région. Pour ce qui est des radars, je doute que nous en ayons besoin si embuscade il y a.

Mitten hocha la tête en signe de compréhension :

- Vous avez raison, je m'inquiète pour rien.

- Peut-être, répondit Mocvol d'un air peu convaincu.