Chapitre 18 :
Lorsque Snape avait déclaré, avec théâtralité, que la guerre venait de commencer, quelques semaines plus tôt, dans la cuisine, Harry n'avait pas mesuré à quel point c'était vrai.
Depuis cette nuit où les Mangemorts s'était échappés d'Azkaban, tout était différent.
L'ambiance au Square Grimmaurd n'avait jamais vraiment été détendue mais, à présent, les réunions n'étaient jamais précédées et suivies de rires ou de moments conviviaux. Les membres de l'Ordre, particulièrement les Aurors ou affiliés, étaient tous tendus, avaient l'air grave en permanence, et paraissaient exténués.
Même Tonks avait perdu de sa bonne humeur. Ces temps-ci, ses cheveux étaient plus souvent bruns ou violet foncé que rose.
Le Ministère n'avait pas changé de ligne de conduite et blâmait Snape pour l'évasion massive, citant que c'était une tentative de plus de la part de Dumbledore pour faire croire au retour de Voldemort. Où qu'il soit caché, ce dernier devait bien rire, en tout cas, parce que le déni profond du Ministère n'empêchait pas ses Mangemorts récemment libérés de causer le chaos.
Le Ministère était toujours trop lent à réagir et c'était toujours des membres de l'Ordre qui répondaient aux appels à l'aide les premiers. Les escarmouches, ces dernières semaines, s'étaient multipliées. Remus avait été le premier à quitter régulièrement la maison puis, suite à une longue discussion houleuse lors d'un des rares passages de Dumbledore au Q.G. qui avait vu Snape et Sirius présenter un front uni, le Professeur et le fugitif avaient également commencé à rejoindre les combats lorsque c'était nécessaire.
Harry avait émis sa propre requête d'être autorisé à participer et, sans surprise, s'était vu renvoyé à ses leçons. Pire, Dumbledore, Snape, Sirius et Remus l'avaient chacun pris à part, visiblement sans en parler aux autres, et lui avait fait jurer de ne jamais quitter la maison pour se rendre utile, qu'importe combien il était frustré.
Harry avait juré.
Quel autre choix avait-il ?
Il avait progressé en duel mais chaque entraînement forçait son humilité et lui rappelait qu'il n'était pas prêt. Les duels étaient devenus extrêmement brutaux, un défouloir presque. Il apprenait beaucoup mais il était également très conscient de ne pas être au niveau de la majorité des adultes.
Alors il tâchait de contrôler son angoisse à chaque fois que Sirius, Snape et Remus quittaient la maison pour aller se battre et faisait de son mieux pour ne pas laisser la colère l'emporter lorsqu'il lisait la Une de La Gazette le jour suivant qui rapportait des mensonges aussi gros que Poudlard.
C'est à cette période qu'il fut extrêmement reconnaissant pour le cadeau de Noël de Snape. Il n'avait jamais véritablement été très porté sur la musique jusque là. Les Dursley n'étaient pas très mélomanes et leurs goûts musicaux n'étaient pas vraiment ceux d'Harry, de toute manière. Mais plus d'une fois, durant les longues heures où il attendait dans le salon du Square Grimmaurd que ses deux parrains et Remus reviennent, les CDs que lui avait offert Snape lui permirent de tromper son angoisse. L'homme avait dit qu'Angie était la chanson préférée de sa mère alors il avait écouté Goats Head Soup jusqu'à connaître toutes les paroles de chaque chanson par cœur.
Pour la première fois de sa vie, il comprenait la musique. Il lui arrivait de s'y perdre pendant des heures. C'était comme si certaines chansons avaient été écrites pour lui, comme si ses pensées les plus intimes avaient été arrachées directement de son cerveau et mises en mots bien plus poétiquement qu'il n'aurait jamais pu le faire.
Snape avait tâché de ne pas sourire lorsqu'il avait fini par le lui confier et avait marmonné quelque chose à propos de l'adolescence tourmenté qu'Harry n'avait pas tout à fait saisi.
Sirius, toutefois, avait déterré pour lui sa vieille collection de vinyles et avait réparé le vieux tourne-disque du salon de musique. Il avait une sélection éclectique, partagée entre Rock Moldu et Rock sorcier que même Snape n'avait pas désapprouvée.
Tonks, qui passait pas mal de son temps libre au Q.G., avait enrichi sa collection de CDs avec quelque uns des siens.
Paradoxalement, alors qu'il passait des heures à attendre, terrifié à l'idée de perdre quelqu'un à qui il tenait, il avait l'impression de découvrir la vie.
100 Years Ago semblait avoir été écrite pour lui, Stairway to Heaven avait été une véritable claque, Wish You Were Here était exactement ce qu'il ressentait et Confortably Numb le laissait toujours au bord des larmes. La musique sorcière, par comparaison, ne paraissait jamais aussi profonde, aussi vraie. Peut-être parce que la vie était généralement plus compliquée pour les Moldus, peut-être parce que les guerres étaient plus rares dans le monde magique ou qu'il était plus insulaire… Toujours était-il qu'il préférait la musique Moldue.
Harry jamais eu une vraie enfance. Sa véritable enfance s'était terminée le soir d'Halloween fatidique où Voldemort avait assassiné ses parents. Mais l'enfance en patchwork qu'il s'était composée malgré ça était décisivement arrivée à son terme dans ce cimetière, l'année précédente. Elle était morte en même temps que Cédric.
Il avait su, à ce moment là, que la guerre était là, il en avait goûté le désespoir et la futilité auxquels toutes ces chansons faisaient écho. C'était réel. Peut-être plus encore que ça ne l'était pour Ron ou Hermione.
Et pourtant, ces heures passées seul ou presque au Square Grimmaurd, les yeux fixés sur la pendule, le volume de la musique poussé assez fort pour couvrir les cris de Mrs Black et ses propres pensées, ces heures là renforçaient à chaque fois à quel point la situation était grave, à quel point il était impuissant.
On ne s'habituait pas à attendre que quelqu'un revienne du front.
On ne s'habituait pas à cette respiration qui se coinçait dans la gorge à chaque fois qu'ils partaient.
Le soir où Remus revint soutenu par Sirius et Bill, à peine conscient et semblant se vider de son sang, Snape ouvrant la voie d'un pas qui relevait presque de la course jusqu'à l'étage, Harry sentit son cœur s'arrêter dans sa poitrine.
Ils ne le laissèrent pas entrer dans la chambre alors il patienta dans le couloir, tâchant de ne pas regarder les tâches de sang qui imbibaient la moquette.
Il se passa presque une demi-heure avant que Bill ne ressorte, serrant l'épaule du garçon au passage avec un murmure rassurant sur l'état de Remus. Harry ne bougea pas. Il attendit que Snape sorte à son tour, presque vingt minutes plus tard.
« Il va s'en sortir. » déclara le sorcier.
L'adolescent s'autorisa à nouveau à respirer.
Il emboîta le pas au Professeur lorsque celui-ci s'éloigna. Snape ne protesta pas, pas même lorsqu'ils atteignirent sa chambre et qu'Harry l'y suivit. Il fut un peu surpris que l'homme se débarrasse immédiatement de sa cape et de ses épaisses robes, sans se préoccuper de sa présence, mais comprit pourquoi lorsqu'il se retrouva en pantalon et en chemise.
Sa manche était trempée de sang et il ne pensait pas que c'était celui de Remus.
« Vous êtes blessé. » s'inquiéta-t-il, faisant un effort pour ne pas penser au moment où Peter avait approché le couteau de son propre bras et avait tranché jusqu'à…
« Dans le laboratoire, il y a une trousse en cuir marron rangée tout en bas de la deuxième étagère. » lâcha le sorcier. « Va la chercher, s'il te plaît. »
Ce fut la grimace de douleur lorsque le Professeur entreprit d'ôter sa chemise qui le convainquit de faire vite. Il fit l'aller-retour en un temps éclair, inquiet de trouver le Professeur torse-nu, assis au bout de son lit, en train d'inspecter son avant-bras gauche qui n'était plus qu'un amas de chair brûlé dans lequel quelqu'un semblait avoir tranché avec un sort de découpe.
Ce n'était vraiment pas beau.
Harry se jeta pratiquement à genoux et déroula l'espèce de trousse qui contenait une sélection de potions et de baume maintenus en place par des élastiques. « De quoi vous avez besoin ? »
« Que Bellatrix Lestrange crève. » gronda Snape, sa voix trahissant douleur et colère. Ce fut la vulgarité qui interpella vraiment le garçon, cependant. Même la version plus humaine du cottage n'était pas vulgaire. L'homme se calma vite, toutefois, le mouvement d'humeur rapidement balayé. « Une potion antiseptique. Il faudra également des compresses et des bandages. Il y en a dans la salle de bain. »
Il s'attarda juste assez pour le voir verser la potion directement sur la plaie, en serrant les dents, le liquide verdâtre trempant le tissu de son pantalon au niveau du genou et gouttant au sol pour mieux imbiber la moquette.
« Vous êtes sûr que vous ne devriez pas voir un Médicomage ? » hésita Harry, en revenant s'installer par terre avec son paquet de compresses et ses bandages dans leurs enveloppes stériles.
Snape faisait plus ou moins office de soignant au Square Grimmaurd et au sein de l'Ordre mais il savait que, pour les cas graves, il y avait de véritables Médicomages en réserve.
« Je peux m'en charger. » contra sèchement l'homme.
Harry ne prit pas ombrage de son ton, il était évident qu'il souffrait. Sa main droite, lorsqu'il se mit à étaler le baume anti-brûlure, tremblait. Sous la chair boursoufflée et le sang qui coulait toujours des plaies, on devinait à peine la forme de la Marque des Ténèbres. Le crâne et le serpent n'étaient plus qu'un vague puzzle, l'encre noire se mêlant à la chair soulevée par endroits.
« Quelqu'un a essayé de vous couper le bras ? » devina Harry, un peu nauséeux.
« Pour Bellatrix, la Marque est un honneur qui se mérite. » grinça Snape, en grimaçant. « Sors ta baguette, je vais t'apprendre un sort de soin. »
Harry secoua immédiatement la tête. « Vous devriez… »
« J'ai pris sur moi pour soigner Lupin, je n'ai presque plus de forces. » admit l'homme, à contrecœur. « Ce n'est pas très difficile. »
C'était difficile.
Mais Harry fit de son mieux pour bien articuler la formule et refermer chacune des profondes plaies laissées par le sort de découpe. Snape était très pâle et ne semblait pas en état de le faire lui-même, alors le garçon enroula également le bandage autour de son bras.
« Vous m'aviez promis d'être prudent. » remarqua-t-il, sans regarder l'homme en face, une fois qu'il eut terminé de nouer la bande de gaze. Il inspecta les fioles dans la trousse et en tira une potion étiquetée antidouleur qu'il lui tendit.
« Je suis prudent. » Snape la prit, hésita quelques secondes avant de l'avaler d'un coup. « Imagine ce que cela donnerait si j'étais enclin à me battre comme un Gryffondor inconscient… Quelqu'un serait forcé de se jeter devant moi comme Lupin l'a fait pour ton idiot de parrain. Passe-moi un pyjama, veux-tu ? Premier tiroir. »
Harry ouvrit le premier tiroir de la commode et en tira un des tee-shirts que Snape portait parfois pour dormir. Il glissa la manche avec une difficulté évidente mais refusa l'aide de l'adolescent et lui jeta un regard noir lorsque ce dernier lui passa également un des pantalons en flanelle qu'il mettait la nuit. Il ne fit aucun geste pour se débarrasser de celui qu'il portait ou pour l'enfiler.
Le garçon aurait dû partir, il le savait, mais…
« Elle est si horrible que ça ? » demanda-t-il. « Lestrange ? Quand vous en parlez, tous… On dirait que vous parlez d'un Épouvantard. »
Snape pinça les lèvres et passa sa main valide dans ses cheveux dans un geste nerveux, les rejetant en arrière comme il l'avait rarement vu le faire.
« Elle est vicieuse. » lâcha le Professeur. « Durant la première guerre… Il était de notoriété publique qu'il valait mieux mourir que d'être capturé par Bellatrix. Londubat en sait quelque chose, elle a réduit ses parents à l'état de légumes. » L'homme marqua une pause, cherchant le regard de l'adolescent. « Les gens sont attirés par le Seigneur des Ténèbres pour toutes sortes de raisons. Ambition, goût du pouvoir, soif de connaissances ou de reconnaissance… Ceux qui sont suffisamment sadiques pour le rejoindre parce qu'ils prennent du plaisir à torturer ou à tuer sont moins nombreux qu'on pourrait le croire mais Bella en fait définitivement partie. Elle était… est son premier lieutenant. Son bras droit. »
Harry frissonna. « Et elle vous veut mort parce que vous l'avez trahi. »
« Moi … Black, parce qu'il a tourné le dos à leur famille… » énuméra Snape. « Dumbledore, pour des raisons évidentes… Les autres membres de l'Ordre par principe et parce que ça l'amuse… Et… »
« Moi. » supposa-t-il. « Elle veut me tuer aussi pour ce qui s'est passé quand j'étais un bébé. »
« Sans doute. » confirma le sorcier, sans lui mentir. « Toutefois, pour les raisons que tu sais, le Seigneur des Ténèbres te veut vivant, en conséquence, elle serait plutôt tentée de te capturer. » Snape grimaça. « Ce n'est pas mieux. Si jamais tu te retrouvais son prisonnier… Harry, fais tout ce que tu peux pour t'échapper. »
« Et si je n'y arrive pas ? » demanda-t-il, d'un voix un peu trop faible.
« Alors gagne du temps jusqu'à ce que je puisse venir te chercher. » répondit l'homme, en lui serrant le bras. « Et ne perds jamais foi en moi, même si cela me prend du temps. Je viendrai. »
Il aurait dû avoir passé l'âge d'avoir besoin d'entendre ce genre de paroles rassurantes et pourtant cela lui fit le même effet que ces chocolats de chez Honeydukes qui réchauffaient tout le corps.
« C'est une promesse ? » pressa-t-il, tout de même.
Snape eut une expression vaguement amusée. « J'ai déjà prêté un Serment Inviolable mais si tu as besoin de l'entendre, oui, Potter, c'est une promesse. » Harry ouvrit la bouche, l'air très sérieux, mais le Professeur lui serra à nouveau le bras. « Ne t'avise pas de me retourner le serment. Si je suis capturé, j'attends de toi que tu poursuives ta vie, te concentres sur tes études et, surtout, quoi qu'il arrive, que tu ne te fasses pas tuer par la pure stupidité héroïque dont tu as le secret. » Il le relâcha et le poussa gentiment vers la porte. « File, à présent. Tu me dois soixante centimètres de parchemin sur les antidotes. Je les veux demain matin. »
Le lendemain matin, Harry avait son devoir de Potions prêt à être critiqué et raillé mais le Professeur n'était visiblement pas en état de le faire. Preuve étant que, pour la première fois depuis qu'ils étaient arrivés à Londres, il ne descendit pas petit-déjeuner dans ses robes noires mais encore en pyjama.
Lorsqu'il pénétra dans la cuisine à son tour, Sirius ne fit aucun commentaire sur sa tenue. Lui-même portait toujours le même jean poussiéreux et la même chemise tâchée de sang que la veille au soir.
Les deux hommes s'ignorèrent royalement mis à part pour un bref échange tendu à propos de l'état de Remus.
Ça, plus que le reste, termina de convaincre Harry que la situation était grave, si ce n'était désespérée.
« Est-ce qu'on est en train de perdre ? » osa-t-il demander à son parrain, plus tard ce jour là, alors que Sirius flattait l'encolure de Buck. L'hippogriffe semblait heureux de mâchonner le rat qu'on venait de lui donner.
Harry était adossé au chambranle de la porte et l'Animagus lui tournait le dos. Il ne manqua pas la manière dont Sirius se tendit, dont il garda le visage résolument détourné.
« Non. Bien sûr que non. » répondit son parrain.
Un mensonge.
Il l'entendit dans son ton.
Harry ne releva pas, il hocha la tête et le laissa tranquille, sachant qu'il voulait surtout fumer une cigarette et qu'il éviterait de le faire devant lui.
Il ne savait pas qui avait établi cette règle stupide parce que ce n'était pas comme s'il ignorait que Sirius, Snape et plus d'un membre de l'Ordre fumaient mais, visiblement, ils avaient peur que si Harry soit témoin de la chose, il ne décide lui aussi de s'y mettre.
C'est peut-être la raison pour laquelle il subtilisa le paquet de Snape.
Parce que s'ils le pensaient si stupide, autant qu'il se montre à la hauteur de leurs attentes.
Et c'était stupide.
Non seulement parce qu'il lui fallut pénétrer dans la chambre de Snape à son insu, voler paquet et briquet, mais parce que ce n'était pas comme s'il y avait un million d'endroits où se cacher pour fumer au Q.G.
Il était assis sur le perron du minuscule jardin depuis dix minutes lorsque la porte s'ouvrit derrière lui avec violence.
L'ombre qui lui tomba dessus aurait probablement dû l'alarmer, pourtant il ne fit rien pour cacher la cigarette qui lui pendait des lèvres ou les preuves du délit posées à côté de lui.
« J'estime que nous avons beaucoup progressé depuis août, Potter… » déclara Snape, de son ton le plus traînant. « Il m'arrive pourtant toujours d'avoir envie de te tordre le cou. »
Il se pencha pour récupérer ses affaires et elles disparurent dans une des poches de sa robe. La cigarette lui fut arrachée sans qu'Harry n'en soit désolé parce que ça avait un goût de papier et ça lui avait asséché l'intérieur des lèvres.
Snape s'assit à côté de lui. Le perron était étroit et cela aurait dû être gênant mais ils avaient vécu pire, ces derniers mois, qu'être obligés d'être aussi proches pendant quelques minutes. Le Professeur tourna et retourna la cigarette entre ses doigts, comme un bâton de majorette miniature.
« Quel était le but de cette petite plaisanterie ? » siffla le sorcier, avec irritation.
Parce qu'Harry n'avait pas allumé la cigarette – il n'était pas suicidaire à ce point – et parce que, s'il avait vraiment voulu se mettre à fumer, il aurait volé une cigarette à la fois et dans le paquet de Sirius qui ne les comptait pas. Snape avait posé des alarmes sur sa chambre et le garçon savait pertinemment qu'il allait les déclencher en y pénétrant et en fouillant dans ses affaires.
À vrai dire, le Professeur avait mis huit minutes de plus que ce qu'il aurait parié à le trouver.
« Est-ce qu'on est en train de perdre ? » demanda-t-il, dans un murmure.
« Non. » répondit Snape, un peu moins sèchement. « Mais devoir se battre sur deux fronts n'aide pas. Si le Ministère voulait bien sortir la tête de son… » Le sorcier s'interrompit brusquement devant le regard choqué de son élève, s'empourpra légèrement, puis agita la main. « La situation est tendue mais nous ne perdons pas pour l'instant, non. » L'expression de l'homme s'assombrit légèrement. « Une vérité pour une vérité. »
C'était un ordre, pas une question, alors Harry hocha la tête.
« Pourquoi cette petite mise en scène ? » s'enquit une nouvelle fois le Professeur.
Le garçon hésita entre garder la vraie vérité pour lui, se sentant soudain idiot, et respecter les règles d'un jeu qui avait depuis longtemps cessé d'en être un. Au final, il poussa un long soupir.
« Je voulais voir si vous viendriez. » avoua-t-il.
Snape le dévisagea comme s'il était un crétin fini – ce qu'il était peut-être.
« Tu as envahi ma chambre, ouvert le tiroir de ma table de nuit et volé mes cigarettes. » lâcha le Maître des Potions. « Outre le fait que je ne souhaite pas te voir tomber dans le tabac, tu n'as même pas pris la peine d'essayer de désamorcer les sorts d'alarme ou d'effacer tes traces. Tu savais pertinemment que je te trouverais, ne serait-ce que pour te punir. Et tu es puni. La cuisine a besoin d'un bon nettoyage. »
C'était une punition raisonnable, presque indulgente, de sa part.
« Et si la cigarette avait été allumée ? » insista Harry.
Le Professeur ne cilla même pas. « Si la cigarette avait été allumée, la conversation serait totalement différente et je t'aurais forcé à fumer tout le paquet jusqu'à ce que tu en rendes le contenu de ton estomac. C'est extrêmement efficace pour dégoûter les jeunes idiots du tabac. »
« Ce n'est pas un peu hypocrite ? » se moqua-t-il, avant d'apercevoir la lueur irritée dans les yeux noirs et de déglutit précipitamment. « Monsieur. »
Le titre respectueux ne fit pas grand-chose pour apaiser l'agacement de Snape qui ne semblait plus se soucier autant de ces formalités entre eux. Cela faisait longtemps qu'il ne l'avait pas repris sur la manière dont il l'appelait.
« C'est sans doute très hypocrite. » admit l'homme. « Mais comme je me préoccupe davantage de ta santé que de la mienne, nous en resterons là. »
« Est-ce que mes parents aussi fumaient ? » demanda-t-il. Il n'avait pas prévu de poser la question mais elle sortit toute seule.
Snape parut réfléchir longtemps, ce qui, supposait-il, était une réponse en soi. Le Professeur ne voulait tout simplement pas lui donner un mauvais exemple à suivre.
« Tante Pétunia fume. » offrit-il. « Lorsqu'elle pense que personne ne la voit. »
« Lorsque je ne pouvais pas voler les cigarettes de mon père, c'était les siennes que nous prenions. » soupira l'homme. « Ce qui n'est en rien un encouragement à te comporter aussi stupidement. Si je te prends avec une cigarette, Potter, toutes les retenues que j'ai pu te donner jusque ici paraîtront douces. C'est clair ? »
La cigarette avec laquelle Snape jouait toujours distraitement disparut dans sa poche.
Harry ramena ses jambes vers lui et inclina la tête pour mieux observer l'homme. « Pourquoi vous n'arrêtez pas si vous savez que c'est si mauvais ? »
Le Professeur leva les yeux au ciel. « Non pas que cela te regarde mais tu comprendras en grandissant que l'on a beau savoir que certaines choses sont mauvaises pour nous, il est difficile de s'en passer. » Sa bouche se pinça. « Une vérité pour une vérité… Mieux vaut la cigarette que la magie noire. C'est une addiction un peu moins destructrice. »
C'était un substitut en somme.
Il avait lu quelques livres sur les Forces du Mal de la collection de Snape au cottage… Certaines formes de magie, particulièrement noires, pouvaient devenir une drogue.
Il n'y avait qu'à les écouter parler de Bellatrix pour en avoir un exemple flagrant.
« Une vérité pour une vérité… » répéta Harry, dans un murmure, en détournant le regard. « Si j'avais volé une cigarette à Sirius ou s'il m'avait pris à fumer… Il n'aurait rien dit. »
« Et ? » s'agaça l'homme, avec impatience. « Si tu comptes aller pleurnicher pour qu'il lève ta punition, tu seras déçu. Je… »
« Non. » le coupa-t-il, toujours sans oser le regarder en face. « Il aurait sans doute pensé que c'était drôle… Ou que c'était quelque chose que mon père aurait pu faire. »
« Ah. » lâcha Snape, au bout d'un long moment.
Il s'en tint là, au prix d'un effort visible.
Mais Harry avait ouvert la boîte de Pandore et ne trouva pas la force de la refermer.
« Est-ce que quand vous me regardez, vous voyez Lily ? » s'enquit-il.
Le Professeur de Potions avait croisé les bras et tapotait son biceps de son index, signe certain qu'il était en plein réflexion. « Tu as certains de ses traits, si c'est la question. Ses yeux, bien évidemment. Son menton, aussi. Et les pommettes sont celles de ta grand-mère maternelle. Mais ce sont surtout tes expressions qui se rapprochent le plus des siennes… Tu as certaines de ses mimiques. »
Tout autant d'informations qu'il chérirait comme des trésors dès qu'il aurait l'opportunité de s'y attarder mais ce n'était pas ce qu'il voulait savoir, là tout de suite.
« Je veux dire… Est-ce que vous vous occupez de moi juste parce que… » Il haussa les épaules et ne termina pas la question.
Au demeurant, il connaissait la réponse.
« Aurais-je manifesté autant d'intérêt pour toi si tu n'étais pas le fils de la meilleure amie dont j'ai causé la mort ? » ironisa Snape, sans prendre de gants. « Sans doute pas. » Harry tressaillit. Son corps entier se raidit comme s'il attendait un coup. La voix du Professeur s'adoucit. « Mais tu n'es pas ta mère, Harry. Tu n'es pas ton père, non plus. Tu es toi. Inapte en Potions malgré des dons certains en cuisine, souvent idiot alors que je te sais passablement intelligent, insolemment chanceux et sans une once d'instinct de survie dès que quelqu'un d'autre est en danger. Non, si c'est la question, je ne te confonds pas avec elle. Tu es son fils mais tu n'es pas un substitut. »
Une boule se logea dans sa gorge et il dut faire un effort pour garder une respiration égale, pour ne pas se couvrir de ridicule avec ses yeux qui le piquaient. Ses yeux qu'il garda résolument détournés.
« Il m'a appelé James, tout à l'heure. » lâcha-t-il. Sirius ne s'en était même pas aperçu. Il lui avait demandé de lui passer le broc d'eau pour Buck et il ne s'était même pas aperçu avoir utilisé le mauvais nom. « Ce n'est pas la première fois. »
« Je dirais bien que c'est un crétin mais cela semble redondant, à ce stade. » commenta Snape, en posant une main sur son épaule la plus éloignée. Ce n'était pas vraiment une étreinte parce que cela aurait été gênant et que ce n'était pas le genre du Professeur mais ça s'en rapprochait suffisamment pour qu'Harry se détende. « Néanmoins… Il me semble important de prendre en compte que bien qu'à mon sens il n'ait jamais été tout à fait sain d'esprit… Douze ans à Azkaban et plus de six mois enfermés ici n'ont pas dû arranger ses facultés mentales. »
Davantage pour lui faire plaisir que par pure conviction, Harry hocha la tête.
Il savait que le sorcier avait partiellement raison, que Sirius n'était pas toujours tout à fait là, surtout depuis qu'il était forcé de vivre dans la maison de son enfance, mais il savait aussi que son parrain était parfois déçu qu'il ne soit pas davantage comme James.
Snape lâcha son épaule mais ne se leva pas tout de suite. « Harry, tu n'as pas besoin de ce genre de stratagèmes pour avoir une discussion avec moi. Si tu as besoin de moi, il te suffit de venir me trouver ou de m'appeler. »
« C'était plus facile quand on mangeait des fish & chips. » admit-il. Devant le loch, à la table de pique-nique qui était devenue la leur, en jeans et tee-shirts… Discuter des choses importantes sans en avoir l'air avait été plus simple. Plus naturel.
Le Professeur ne nia pas. « Peut-être. Mais je t'ai promis quelque chose, hier soir. La promesse ne vaut pas que pour Bellatrix Lestrange. Lorsque tu auras besoin de moi, je serai là. »
Harry se racla la gorge et inclina un peu la tête en arrière pour observer le ciel gris et morne qui pressait les toits de Londres. L'air était froid. Trop pour être dehors sans manteaux, même assis aussi proches l'un de l'autre. Il y avait une vague odeur de gel dans l'air. « Il va neiger. »
Snape émit un de ces bruits amusés qui n'étaient pas tout à fait un rire mais n'étaient pas tout à fait moqueurs non plus. « Les cours de Divination se passent bien, je vois… »
Le garçon poussa un vague grognement. Il n'avait pas touché au manuel de Divination une seule fois depuis… bien avant qu'ils aient quitté le cottage.
« Je prédis avoir un T dans cette matière aux B.U.S.E.s » l'avertit-il.
Le Professeur fit un geste négligent. « Tant que toutes les autres notes sont au minimum un E… »
Il fit la grimace. « C'est un peu exigent. »
« Je suis toujours exigent lorsque c'est important. » répliqua l'homme, très sérieusement.
Harry soupira et sut que, qu'il le veuille vraiment ou non, il allait faire de son mieux pour atteindre ce but un peu ambitieux. « Même en Histoire de la Magie ? »
Son ton geignard n'émut pas particulièrement l'ancien espion. « Même, et surtout, en Potions. »
Devinant que Snape ne plaisantait pas vraiment, il leva les yeux au ciel. Son amusement fut pourtant de courte durée et il baissa le regard vers le bras gauche de l'homme qui était soigneusement appuyé sur son genou depuis le début de la conversation et qu'il n'avait que très peu bougé.
« Elle m'a rendu service, au fond. » lâcha le sorcier, en suivant son regard.
Lentement, avec précaution, il roula la manche de ses robes et défit le bandage. La plaie était un peu moins laide que la veille. Le baume avait eu raison des brûlures et si la chair était toujours légèrement boursoufflée, il était évident que la cicatrisation était déjà en bonne voie. Quant aux coupures qu'Harry avait lui-même refermées, il n'en demeurait que des cicatrices un peu gonflées.
De la Marque des Ténèbres, il ne restait plus qu'un puzzle déformé. Un bout de crâne ici, la queue d'un serpent là… Si l'on ne savait pas quoi chercher, c'était presque impossible de reconnaître le symbole. Et l'œil était, de toute manière, bien davantage attiré par le tissu cicatriciel qui se formait.
« Je la sens toujours. » avoua le Professeur. « Rien ne m'en débarrassera que Sa mort… Mais, au moins, je pourrais peut-être remettre des manches courtes en public, à présent. »
« Il perd patience. » murmura Harry, les yeux verts rivés à ce qu'il restait de la Marque. « Ça l'amuse de jouer au chat et à la souris avec l'Ordre, ça l'amuse que le Ministère soit aussi con… Mais il perd patience. »
L'attention du Professeur était entièrement dirigée sur lui. « As-tu abaissé tes boucliers ? »
Le ton n'était pas tout à fait accusateur mais presque.
« Non. » nia-t-il. « Il n'est pas dans ma tête et je bloque toujours les visions… Mais ma cicatrice me fait de nouveau mal et j'ai pas mal d'expérience lorsqu'il est question de déterminer pourquoi. C'est un peu comme un écho. J'aurais du mal à mieux expliquer. »
Snape émit un bruit pensif, sortit sa baguette et fit apparaître une nouvelle bande de gaze qu'il enroula autour de son avant-bras. « Et pourquoi n'es-tu pas venu me rapporter que ta cicatrice te faisait souffrir, plus tôt ? »
« Parce que je n'ai pas besoin d'une potion antidouleur. » répondit-il fermement. « Et qu'il n'a pas passé mes boucliers. » Il hésita une seconde puis haussa les épaules. « Et que je suis assez grand pour savoir quand j'ai besoin d'une potion ou non. »
« Ça, c'est discutable. » commenta l'homme. « Les Dursley ne t'ont pas exactement appris à demander de l'aide. »
« Eux, non, mais, vous, oui. » contra-t-il, en détournant le regard. « Vous ne me laissez pas tomber quand j'en ai besoin. »
Il se sentit un peu stupide de faire ce genre de grandes déclarations ridicules.
Snape ne devait pas avoir quoi dire parce qu'il resta silencieux un moment.
« Et pourtant tu te sens obligé de me tester. » remarqua l'homme.
Il haussa à nouveau les épaules, incapable d'expliquer pourquoi. Peut-être qu'il avait trop été déçu. Peut-être que les choses seraient moins floues si Snape disait ou même sous-entendait qu'il comptait continuer à s'occuper de lui une fois que leur exil forcé serait terminé. Peut-être que…
« N'empêche qu'il va neiger. » s'entêta-t-il.
« Ce n'est pas ce que disent les prédictions météo. » rétorqua le sorcier, sans hésitation, malgré son changement de sujet abrupt.
« Eh bien, ils se trompent. » insista-t-il. « On parie ? »
« Très bien. Si tu te trompes, tu seras de corvée de préparation d'ingrédients pendant deux semaines. » décida le Maître des Potions. « Et toi, que veux-tu en échange ? »
Ce n'était pas exactement une corvée.
Ça lui donnait une excuse pour passer du temps avec lui.
« Que vous leviez ma punition ? » proposa-t-il.
Le ricanement de Snape était presque admiratif. « Bien tenté. Je ferais un Serpentard de toi, à la longue. »
Plaidant sa cause, Harry se laissa entraîner à l'intérieur et accepta la tasse de thé que lui proposa le Professeur pour se réchauffer.
Parce que Snape était toujours intraitable, il était en train de passer la serpillère dans la cuisine lorsque les premiers flocons heurtèrent la vitre.
Il eut le triomphe relativement modeste, encore que pas assez au goût de Snape qui, d'après les termes définitifs de leur pari, était désormais obligé de lui apprendre au moins deux sortilèges vraiment offensifs et hors curriculum.
« J'adore la neige ! » rit-il, plus tard ce soir là, en direction du porche où se tenaient Snape et Remus, bien à l'abri du froid. Le loup-garou venait juste de sortir du lit et peinait à rester debout.
Dans le jardin, lui et Sirius se livraient à une bataille de boules de neige aussi improvisée qu'impitoyable.
Il fallait se dépêcher et profiter parce que la neige ne tenait pas encore tout à fait.
Cela changea dans les jours qui suivirent et l'humeur d'Harry se fit un peu plus légère.
Il aimait regarder par la fenêtre et voir la couche blanche qui recouvrait tout.
Ça réveillait en lui un émerveillement enfantin.
Comme beaucoup d'autres choses, la guerre le lui vola.
Car le jour où son monde s'écroula pour la troisième fois, il neigeait à gros flocons.
