Journal des reviewers :

Liline37 : Tu devines bien (même si la facilité scénaristique aurait préféré manger Orphéys tout cru juste pour ne pas avoir l'Empereur dans le combat de fin XD Franchement, c'est TELLEMENT plus pratique de ne pas l'avoir en face...)

Annabesse : C'était pas de la petite pause XD Tu vas avoir un peu de lecture à rattraper lol.

Alors? Un ennemi en plus ou un régent en moins ?


CHAPITRE LXXVI – L'APPEL AUX ALLIÉS

Les pupilles de Lae'zel n'étaient plus que des fils au milieu d'un incendie de fureur.

« L'assimiler ? Tsk'va ! Je vais vous faire regretter ces paroles ! »

Le mouvement de sa main vers son épée fut arrêté par le bras de Gayle entre elle et le flagelleur mental. Assimiler ? Qu'entendait-il exactement par ce terme ?

« J'absorberai ses pensées, ses connaissances. Son cerveau, répondit l'Empereur avec aplomb, loin de s'effrayer du brasier qu'il était en train d'alimenter chez la githyanki.

_ Vous voulez dire le tuer ! fulmina cette dernière. C'est l'héritier de Gith ! Le régent légitime de mon peuple !

_ Je sais à quel point il t'est précieux, Lae'zel. Mais il représente une plus grande valeur encore pour notre cause. »

Lae'zel était bien la seule à avoir la force de s'agiter. Silesta flottait dans des limbes de sidération. Tout se mélangeait dans sa tête. Le cerveau infernal qui était encore plus redoutable et puissant que jamais. La théorie plausible de l'Empereur. Le sort d'Orphéys. Le destin du peuple githyanki. L'avenir de Faerûn.

La jeune femme eut un regard pour cet homme à la peau jaunâtre qui somnolait paisiblement, les bras en croix. De sa vie dépendait la sienne. Elle ne savait rien de lui et pourtant, elle avait l'impression d'être la juge qui tenait le marteau de sa condamnation à mort. Elle en avait le tournis.

Bien que comme ses autres camarades, Ombrecoeur n'était pas personnellement impliquée envers Orphéys, elle-même semblait un peu perdue face à ce que l'Empereur venait de leur suggérer.

« Il n'y a vraiment pas d'autre solution ? » essaya-t-elle d'une voix faible.

L'illithid se courrouça de cette hésitation. Après tout ce qu'ils avaient déjà traversé ensemble, ils n'avaient toujours pas confiance en lui ? Avaient-ils oublié que c'était uniquement grâce à lui qu'ils étaient encore en vie ? Il leur avait épargné une mort certaine lors de l'accident du nautiloïde, il avait tout fait pour les protéger du culte et cela lui en avait beaucoup coûté. Il était venu à eux en tant que guide mais ne leur avait jamais caché sa vulnérabilité. Il avait eu besoin d'eux autant que eux avaient eu besoin de lui.

« Quand vous avez découvert ma véritable identité, j'ai été franc avec vous. Pas une seule fois je ne vous ai menti, asséna-t-il. Nous avons un ennemi commun et une histoire qui l'est tout autant. Je vous demande de me faire confiance une dernière fois. Donnez-moi les pierres infernales. »

Sans comprendre pourquoi, Silesta prit la main aux longs doigts effilés et crochus qu'il tendit vers eux comme un signe d'agression et elle remua nerveusement. Le timbre dans cette voix caverneuse était le même que celui qui lui avait proposé de consommer une larve renforcée. La même vague d'acidité vint raidir tout son corps.

« Pourquoi devrait-on vous faire confiance ? lâcha la jeune femme saisie de malaise. Depuis le départ, vous n'avez fait que nous cacher des choses. Votre identité, la présence d'Orphéys... »

Maintenant qu'elle associait l'image de l'elfe de ses songes avec ses compagnons du Pas Nocturne, le dégoût qui refluait en elle était encore plus atroce que lorsqu'elle était encore amnésique. Conscient ou pas d'avoir fait appel à des bribes de souvenirs de sa famille pour l'approcher, l'Empereur s'était servi d'elle. Comme Iwen.

Elle serra les poings quand l'illithid la regarda intensément. Elle soutint farouchement son regard sans se soucier du ressentiment qu'elle affichait sans honte. Qu'importe s'il lisait dans ses pensées pour y voir toute sa méfiance. Elle n'en avait cure.

« Il est vrai que j'ai quelque peu altéré la réalité, concéda l'Empereur avec une pointe de contrition dans la voix. Je vous ai dépeint Orphéys et sa garde comme des êtres malfaisants. Et je me suis montré à vous sous une apparence propre à vous inspirer confiance, loin de celle d'un flagelleur mental. »

Hélas, c'était ce qu'il était. Un flagelleur mental. L'illusion était son langage au même titre que la parole et l'action étaient ceux des mortels.

« Ne me reproche pas d'être ce que je suis, Silesta. Moi-même, je n'ai jamais cherché à te juger. »

La saltimbanque serra les dents. Cette sensation de se retrouver acculée était insupportable. Elle était entre le marteau et l'enclume, prise entre la rancœur tenace qu'elle éprouvait pour l'Empereur et la véracité de ce qu'il disait. Ce purgatoire mental était aussi ignoble que son ancienne amnésie et ses incertitudes quant à son avenir.

Un rugissement exaspéré déchira le silence.

« C'en est assez ! »

Restée surnaturellement plutôt calme jusqu'ici, Lae'zel avait fini par atteindre son point de bascule. La githyanki s'empara du Marteau Orphique et planta la lame de ses pupilles droit sur l'Empereur.

« Allié ou pas, je refuse de sacrifier l'avenir de mon peuple à un ghaik. Je vais libérer mon prince de sa prison et il va nous aider dans notre combat contre le cerveau. Vous ne m'en empêcherez pas », siffla-t-elle dans un frémissement menaçant tout en se mettant en position d'attaque.

Ses compagnons se tendirent et guettèrent la réaction de l'Empereur, parés à toute éventualité. Depuis le début, il était farouchement opposé à Orphéys et la décision sans appel que lui imposait Lae'zel ne resterait certainement pas sans conséquence.

L'illithid garda un instant le silence pendant lequel il considéra ses hôtes un à un. En dépit de l'absence de traits sur son visage qui permettraient de déterminer son état d'esprit, Silesta percevait des relents de déception et de résignation qui émanaient de la créature.

« Alors, vous rompez notre alliance, finit-il par dire sur un ton sans trace de surprise. Très bien. Si vous vous entêtez à ne pas vous ranger à mes côtés, vous êtes donc contre moi. Je préfère encore assurer ma survie aux côtés du cerveau infernal que de la gâcher ici. Ne comptez plus sur moi. »

Sans plus de cérémonie, il ouvrit un nouveau portail vers le Plan Matériel sous les expressions atterrées de l'assistance.

Il fuyait ?! Juste comme ça ?

« Pardon ?! Vous êtes sérieux ? s'étrangla Silesta qui n'en croyait pas ses oreilles ni ce qu'elle voyait. Nous sommes vraiment dans une telle dualité ? Je rêve ! C'est incroyable comment la confiance ne va que dans un sens avec... Hé ! Je vous interdis de vous en aller ! Laissez-moi vous...

_ Silesta... marmonna Gayle. Ça ne sert à rien.

_ Il n'y a que moi qui ai envie de hurler face à ça ? Cet illithid n'est vraiment qu'un... »

Le grognement furieux qui crissa dans sa gorge fut assez éloquent pour traduire le ressentiment qui l'habitait. La jeune femme était furieuse mais sa colère n'était pas le sentiment qui se retrouvait le plus chez ses alliés. Ils étaient surtout inquiets. Non seulement ils avaient perdu un allié – s'ils pouvaient encore utiliser ce terme sans faire exploser Silesta – mais en plus, ils compteraient un ennemi en plus dans les rangs de l'Absolue. Un flagelleur mental, de surcroît. Il ne s'agissait pas d'un simple cultiste de bas étage.

« Quel retournement de situation, souffla Astarion, encore un peu chamboulé aussi. L'Empereur s'est bien gardé de nous faire comprendre qu'il se détournerait de nous à la moindre occasion. On ne peut vraiment se fier à personne de nos jours. »

Les gros yeux que ses compagnons lui retournèrent lui hurlaient qu'il était très très mal placé pour faire des commentaires sur la fiabilité et l'honnêteté.

Seule Lae'zel demeurait un roc inébranlable et imperméable à toute cette scène. Bien au contraire, elle semblait même ravie.

« Un ghaik restera toujours un ghaik, un monstre de manipulation. Je prendrai grand plaisir à lui régler son compte quand je l'aurai en face de moi. Mais avant cela... »

La guerrière agrippa fermement le Marteau Orphique et l'abattit sans plus attendre sur les énormes cristaux depuis lesquels étaient générées les entraves magiques d'Orphéys. La coquille opalescente de la cellule de contention se brisa comme le verre et le githyanki retomba lourdement à quatre pattes au sol.

Lae'zel voulut accourir à ses côtés pour l'aider mais Ombrecoeur la retint d'une main sur l'épaule. Il ne fallait pas oublier qu'aux yeux d'Orphéys, ils n'étaient tous que des flagelleurs mentaux en devenir. Le prince était peut-être privé de sa garde, il ne resterait peut-être pas sans réaction, surtout face à ceux qui avaient massacré ladite garde. La githyanki opina douloureusement du chef en signe de compréhension et resta à une distance raisonnable du prisonnier avec ses comparses.

Les gestes rendus lents par la longue inertie de sa captivité et la prudence, Orphéys se remit debout tout en jaugeant ceux qui lui faisaient face. Silesta prit le temps de mieux le détailler en restant sur ses gardes. Orphéys avait beau être comme les autres membres de sa race, il dégageait une aura puissante qui ne laissait aucun doute sur son ascendance royale. La multitude de tatouages sombres qui bardaient l'ensemble de son corps jusqu'à son crâne rasé renforçait la prestance qui se lisait dans ses yeux fiers et alertes.

Il tendit tout à coup la main et une ancienne épée abandonnée lors d'un combat vint se loger directement dans sa paume. Les aventuriers ancrèrent leurs pieds dans le sol et se tendirent. Il avait vite fait d'occulter le fait qu'ils l'avaient libéré.

Après un nouveau regard plein de défiance du prince sur eux, une sensation inconnue les frappa de plein fouet, comme si un hurlement silencieux leur perforait l'esprit. Il sondait leur tête.

« Vous empestez l'illithid à plein nez, cracha-t-il avec révulsion. Vous avez exploité mes pouvoirs de manière éhontée, massacré mes gardes...

_ Et si on passait directement aux trois dernières minutes de l'histoire ? Au moment où Lae'zel a choisi de vous éviter de vous faire manger la cervelle ? » proposa Astarion avec un sourire plein de bonne volonté.

Orphéys fronça du nez et finit par ranger l'épée qu'il tenait au fourreau vide de sa ceinture.

« Hmm. Il semblerait bien que nous n'ayons d'autres choix que d'unir nos forces. »

Cet aveu, quoique gorgé de mauvaise grâce, suffit à rasséréner nos amis qui se mirent au repos en même temps qu'Orphéys. Les prunelles de Lae'zel se mirent à briller avec adoration.

« Votre Majesté. Prince de la Comète, héritier légitime de Gith. C'est un honneur », déclara-t-elle en s'inclinant.

Orphéys n'eut que faire de la présence d'une homologue dans l'assemblée face à lui. Pire encore, il semblait prendre ombrage de l'ébauche de soulagement qui apaisait ces figures.

« Ne vous avisez pas de me prendre de haut », siffla-t-il d'un air mauvais.

Le prince se doutait bien que ce n'était que par intérêt qu'il avait été libéré et il n'oublierait et ne pardonnerait jamais la manière dont ses « sauveurs » avaient exploité ses pouvoirs.

En dépit de tout le respect qu'elle éprouvait pour son prince, Lae'zel ne put s'empêcher de s'ébrouer face à ce ressentiment et tenta de se justifier. C'était l'Empereur qui menait la danse depuis le début, il s'était servi d'eux pour sa propre survie.

« Je vous ai libéré dès que j'en ai eu l'occasion, insista-t-elle avec ferveur.

_ C'est faux, trancha Orphéys en plissant les yeux vers elle. Tu aurais pu te rendre et mes hommes t'auraient accordé une fin digne de ce nom. N'importe quel individu honorable destiné à finir en ghaik l'aurait fait. Mes gardes auraient fini par me libérer et je me serais chargé du cerveau vénérable avant qu'il n'évolue en cerveau infernal. »

Silesta perçut au faible sursaut qui raidit le corps de sa camarade qu'elle venait de se prendre cette cinglante remarque en plein visage. Elle en avait presque blêmi et son regard devint vide.

La saltimbanque serra un poing amer. Dès le premier jour, Lae'zel ne rêvait que de se débarrasser du parasite par crainte de devenir ce qu'elle exécrait le plus au monde et au moment même où elle avait découvert l'existence d'Orphéys, elle n'aspirait qu'à lui rendre sa liberté. Le prince n'aurait pu se montrer plus acerbe et assassin envers sa jeune homologue.

« Ce qui est fait est fait, asséna la jeune femme en essayant de ne pas trop laisser transpirer son animosité. Nous voulons la même chose que vous alors si vous avez un plan pour nous débarrasser du cerveau, nous sommes tout ouïe. »

Le githyanki grimaça avec agacement. L'Empereur avait hélas raison sur un point : le pouvoir du cerveau infernal était bien trop grand pour eux et le métal d'aucune arme ne saurait pénétrer son esprit fait de pensée pure. Seul un illithid serait à même de déployer le plein potentiel des pierres infernales.

Une nouvelle vague de malaise s'abattit sur eux avec violence. Encore cette histoire de transformation en flagelleur mental ? Orphéys se montra catégorique. Il n'y avait pas d'autre moyen et il était déjà miraculeux de caresser encore le faible espoir de pouvoir faire quelque chose à ce stade.

Le monde se tut autour d'eux alors que les aventuriers s'épiaient les uns les autres. Ils flottaient dans une anesthésie teintée de choc qui les empêchait de parler mais leur regard s'exprimait bien assez pour n'afficher qu'une seule chose : la répulsion viscérale de finir en flagelleur mental. Ils n'avaient pas fait tout ce chemin pour finir ainsi, c'était bien trop injuste.

« Je vais le faire. »

Ils sursautèrent et se tournèrent d'un même mouvement vers Orphéys dont l'animosité était devenue résignation contrainte.

« Je deviendrai... un illithid. Je sacrifierai mon âme pour le bien de mon peuple et mettrai un terme au Grand Dessein.

_ Q-Quoi ? Non ! Mon prince, non ! balbutia Lae'zel dans une détresse qui ne lui était pas commune. Vous ne pouvez pas... »

Le githyanki posa la pointe de son index illuminé sur sa tempe. Aussitôt, ses yeux commencèrent à se noircir comme une nuit sans lune.

« Ne faites pas ça ! s'écria Lae'zel avec effroi. Non !

_ Même quand tout espoir paraissait perdu, j'ai toujours su que j'étais destiné à sauver les miens... murmura le prince alors qu'un réseau de veines noires s'étendait lentement au reste de son visage. Mais pas un instant je ne m'étais imaginé qu'il faudrait en arriver là. »

Silesta observait, pétrifiée, la main devant la bouche. La corruption illithid se répandait dans tout le corps d'Orphéys tel un poison de ténèbres. Elle restait sans voix face à la droiture digne qu'il conservait avec ferveur alors qu'il récitait ce qu'elle pensait être une prière en gith, prêt à subir le déshonneur suprême de sa race. Cet homme avait peut-être le titre de prince, c'était un roi qu'elle avait en face d'elle.

La jeune femme étouffa une exclamation horrifiée quand Orphéys se laissa tomber tout à coup au sol en gémissant de douleur. Ses bras et ses jambes pris de spasmes violents se contractaient dans des angles dangereux. Le bruit de ses articulations et de ses os qui se brisaient ne la quitterait jamais, pas plus que la vision de sa bouche qui se fendait d'un seul coup sous la pression de tentacules qui en sortaient. L'horreur était insoutenable pour elle mais elle n'osait imaginer celle qui habitait Lae'zel. La bouche entrouverte et les yeux vides, la guerrière semblait sur le point de se briser. Silesta vint lui prendre le poignet, autant pour s'aider à supporter le spectacle que pour soutenir sa camarade ébranlée.

Enfin, ce fut un nouveau flagelleur mental à la peau grise qui se remit lentement debout face aux spectateurs médusés. Ceux-ci reculèrent d'un pas prudent quand Orphéys alla recueillir dans le creux de sa main les trois pierres infernales qui lévitèrent vers lui. Les gemmes retombèrent mollement dans sa paume et il posa ses yeux orangés sur ses alliés de fortune.

« Allons trouver le cerveau infernal et finissons-en. »

Le fait de pouvoir encore entendre sa voix normale et non celle caverneuse des autres flagelleurs mentaux leur procura une intense sensation de soulagement. Bien que transformé, Orphéys disposait toujours de ses pouvoirs psychiques pour faire barrage à l'influence néfaste du cerveau. Mais même sans cela, Silesta ne voyait dans cette créature à l'aspect horrible que l'homme au courage exemplaire qui venait d'abandonner son corps pour la cause qu'il défendait. Cette détermination ne faisait que galvaniser la sienne. Elle aussi saurait prendre les décisions qui s'imposeraient.

« Votre sacrifice ne sera pas vain. »

La jeune femme s'assura d'un coup d'œil vers sa camarade githyanki que celle-ci tenait bien le choc de ce qu'elle venait de voir. Encore secouée, Lae'zel hocha la tête résolument avec une profonde inspiration. Quel appui serait-elle pour son prince si elle flanchait maintenant, après qu'il ait consenti au sacrifice ultime ? Elle se consoliderait et ferait tout ce qui serait en son pouvoir pour ne pas le décevoir et le mener à la victoire.

Le groupe suivit Orphéys quand celui-ci créa un portail de sortie et tous se retrouvèrent dans un paysage de chaos absolu qui les saisit.

On avait beau être en pleine journée, le ciel était devenu sombre, en accord avec l'atmosphère apocalyptique générale. La hauteur du point de vue que leur offrait la ville haute leur fit embrasser un horizon de désolation.

La Porte de Baldur se distinguait à peine sous la fumée épaisse des incendies qui éclataient ici et là. Des dragons rouges filaient dans les airs pour s'abattre de tout leur poids sur les vaisseaux illithids envahissant les cieux. Les longs tentacules qui ondulaient depuis la coque des nautiloïdes essayaient de se défaire des assaillants tout en projetant des missiles d'énergie qui allaient s'écraser sur une nouvelle portion de bâtiment. Des bruits d'explosion retentissaient partout sous les hurlements terrorisés de la population qui courrait dans les ruelles. Parmi le flot humain, des silhouettes plus effilées flottaient au-dessus du sol et arrêtaient de temps à autre une victime d'un simple geste de la main. L'Absolue avait enfin déclenché la cérémorphose de tous ceux qui avaient été infectés.

Les spectateurs hébétés ne savaient où poser les yeux. Le moindre élément qui passait à leur portée visuelle était soumis à la destruction et à l'anarchie. Étaient-ils arrivés trop tard ? La ville était-elle perdue ?

Une explosion soudaine non loin derrière eux les ramena brutalement à la réalité en plus de les faire chanceler sous la violence de l'impact. Quand ils se retournèrent, leurs yeux déjà écarquillés s'agrandirent encore.

Là-bas, loin au-dessus des ruines du palais ducal à côté duquel ils étaient arrivés, le cerveau infernal s'élevait tel un soleil rouge monstrueux. Chaque palpitation de ses hémisphères semblait faire apparaître un nouveau nautiloïde depuis une autre dimension et les longs appendices qui pendaient à sa base autour de sa moelle épinière pulsaient d'un courant électrique inquiétant.

« Restez concentrés. Ne laissez pas le chaos vous submerger », les enjoignit Orphéys d'une voix forte.

Plus facile à dire qu'à faire. Silesta secoua la tête pour se défaire de la peur qui l'étreignait et reporta son attention sur les siens. Eux aussi semblaient dépassés par ce qui les attendait.

Sans perdre plus un instant, le groupe s'engagea dans ce qui constituait les remparts du palais ducal, du moins ce qu'il en restait. Les murailles avaient déjà été éventrées par des raids aériens et il était difficile de savoir si ces débris qu'ils escaladaient mèneraient quelque part.

Arrivés au sommet d'un escalier qui tenait encore à peu près debout, nos amis sursautèrent à l'arrivée inopinée d'un groupe de soldats en armure d'argent. Des githyankis dont le kith'rak Voss était à la tête. Dès qu'il posa les yeux sur le membre tentaculaire de l'équipée face à lui, le githyanki porta la main à son épée.

« Is'tark. Chraith ! cracha-t-il avec fureur. Comment osez-vous parader avec cette abomination ?

_ Tenez votre langue blasphématoire, Voss, s'insurgea aussitôt Lae'zel.

_ Voss ! Gith'ka tavki krash'ht ! »

L'homme se figea face à ce flagelleur mental qui avait la voix de son prince et parlait gith. Il tressaillit d'horreur.

« Comment... !

_ Baissez vos armes. L'héritier légitime a parlé », somma Orphéys.

L'affliction trouva une personnification parfaite dans les traits de Voss alors qu'il dévisageait ce qu'il restait de son prince. Une vie éternelle aux Enfers ne lui aurait pas procuré un tel malheur. Voir son souverain sous cette forme hideuse le terrassait.

Orphéys comprenait cela et confirma à son fidèle sujet sa volonté de mettre fin au Grand Dessein des illithids. C'était un sacrifice nécessaire qu'il fallait accepter.

« Que faites-vous de Vlaakith ? Et de notre liberté ? » insista le kith'rak désemparé.

La détresse de Voss qui se reflétait dans une moindre mesure dans le regard peiné de Lae'zel avait de quoi vous transpercer l'âme. Silesta avait une boule dans le ventre et elle dut compter sur la force de caractère d'Orphéys pour s'en défaire.

« Ne sous-estime pas notre peuple. C'est dans son imaginaire que le nom d'Orphéys a survécu pendant des millénaires. »

Le prince n'avait pas oublié son but premier. Il enjoignit Voss de continuer à transmettre le message du Prince de la Comète et de raconter son histoire au peuple gith. Parmi les doutes et les moqueries qu'il essuierait, l'étincelle de la révolte finirait par jaillir quand sa parole serait enfin entendue et écoutée.

« Notre liberté sera de courte durée si le Grand Dessein aboutit, tança Lae'zel. Nous avons besoin de votre aide, Voss.

_ L'heure est venue d'abattre le cerveau. Ressaisissez-vous, mon ami, pria le flagelleur mental. Aidez ces gens comme vous m'avez soutenu pendant tout ce temps.

_ Majesté...

_ C'est un ordre, Voss. »

Le kith'rak grimaça douloureusement avant de s'incliner en signe de soumission. Orphéys le remercia pour sa loyauté et son amitié avant de se tourner vers ses accompagnateurs.

« L'heure est venue de régler son compte au cerveau infernal. Sa mort marquera le début de la Guerre des Cieux. »

Tous approuvèrent d'un signe de tête et s'élancèrent sur la suite des remparts tout en gardant un œil sur l'horreur cérébrale qui flottait au loin. Ils devraient traverser tout le palais ducal avant de pouvoir l'atteindre et il y avait fort à parier qu'il ne serait pas sans défense pendant qu'il transformait toute la ville en flagelleurs mentaux.

Sous le bruit des explosions plus ou moins proches, le groupe quitta l'extérieur des remparts pour les entrailles délabrées du bâtiment qui devait servir de caserne pour les gardes du palais. Le bois du plancher de l'étage se mêlait à la pierre brisée dans une odeur de brûlé qui les prit à la gorge. Sous quelques débris, il n'était pas rare de trouver un bras ou une jambe inerte ; quand il ne s'agissait pas directement d'une flaque de sang.

L'esprit de Silesta turbinait à plein régime. Elle n'avait aucune idée de ce qui les attendait et se voir elle et ses alliés courir d'un pas décidé vers l'inconnu ne faisait qu'accroître l'angoisse qui agitait son cœur. Elle se sentait tout à coup bien petite et faible par rapport à tout cela, même aidée par la puissance d'Orphéys.

Ses pensées surchauffées s'apaisèrent sous un flot de paroles lointaines qu'elle percevait petit à petit. Cela venait de la salle voisine et de ce qu'elle entendait, il ne devait pas s'agir de membres du culte de l'Absolue. Ce devait être des soldats qui avaient survécu à l'assaut.

La jeune femme alla frapper contre l'énorme porte de bois qui leur fermait le passage.

« Ouvrez-nous, s'il vous plaît ! Nous venons aider ! » appela-t-elle d'une voix forte.

Elle entendit des voix derrière s'exclamer et elle cligna des yeux de surprise. Non, ce n'était pas possible. Ce ne pouvait être...

La porte s'ouvrit lentement dans ses gonds et parmi les nombreuses personnes qui se trouvaient dans la salle, la saltimbanque n'en vit d'abord que deux. Deux visages qu'elle ne s'attendait pas à trouver ici.

« Ulryn... ? Tébur ? »

Ses pieds la portèrent d'eux-mêmes vers ses compagnons qui allèrent la rejoindre. Elle n'en revenait pas. Eux, ici ?

« Mais...

_ Tu croyais que j'allais te laisser dans la mouise, péronnelle ? admonesta le nain en faisant tourner un poignard entre ses doigts avec une agilité redoutable. Quand on a des enfants, faut les assumer jusqu'au bout.

_ C'est le chaos en ville, ajouta Ulryn d'un air sombre. Toute aide doit être mise à contribution. Ne t'en fais pas pour Anmoira et Perzin, ils sont en sécurité. »

Silesta leur renvoya un sourire lointain tant elle était abasourdie. Elle avait peur de mêler ses amis à cette bataille mais savoir qu'ils étaient auprès d'elle lui procurait paradoxalement un sentiment de sécurité décuplé.

Les exclamations ravies et surprises de ses autres compagnons derrière elle la firent émerger et réaliser qu'il y avait bien plus que des Poings Enflammés regroupés ici. Entre les visages des soldats, la jeune femme en reconnut d'autres avec plaisir : Barcus Wroot et des gnomes de Maindefer, Isobel, le duc Gardecorbeau, Ulma et ses compagnons Gurs...

Le début de joie qui commençait à gonfler sa poitrine se dissipa quand son regard rencontra celui d'un Poing Enflammé – sans doute le capitaine de la garde. L'homme dardait Orphéys et son apparence monstrueuse d'une suspicion inquiétante. De toute évidence, il ne s'attendait pas à ce que la résistance de la Porte de Baldur compte dans ses rangs un flagelleur mental.

« C'est un ami, assura Silesta à l'homme en se mettant aux côtés d'Orphéys en signe de confiance. Il est avec nous.

_ Oui, confirma Isobel en hochant la tête. La Vierge Lunaire a vu à travers lui. Son âme est aussi volontaire que celles qui marchent à ses côtés.

_ Il se battra avec nous, appuya Lae'zel en plantant ses yeux dans ceux du garde. C'est lui qui sauvera votre cité et vos vies. »

L'homme continua d'observer le flagelleur mental avec méfiance, puis avec une simple curiosité. Son animosité finit par se dissiper quand il réalisa qu'il se cachait bien plus que de la malveillance derrière ces yeux orangés pénétrants.

« La lame du Poing Enflammé est à votre service, promit-il.

_ Ainsi que celle de Séluné. »

Silesta n'avait pas besoin de vérifier car elle connaissait déjà la voix appartenant à la clarté qui venait de se poser près d'elle et ses amis. Toujours aussi resplendissante de charisme dans son armure d'argent, Ailyn rétracta ses ailes d'ange. Son visage rayonnait de confiance conquérante.

« Heureuse de vous revoir, mes amis. Ombrecoeur... la salua-t-elle avec un sourire entendu. La Dame d'Argent est avec nous.

_ Que Heaum nous porte vers la victoire, ajouta le duc Gardecorbeau. Le peu de force dont je dispose est vôtre. »

Silesta était aussi ravie qu'étonnée de voir Barcus dans les rangs des combattants. Apparemment, son statut de dirigeant du clan Maindefer lui avait octroyé une plus grande confiance en lui et cela n'en était que plus réjouissant à voir. Ça lui allait même plutôt bien.

« Vous avez des fréquentations vraiment... inattendues, lui avoua le gnome avec un drôle d'œil sur Orphéys. Mais qu'importe. Les explosifs des gnomes de Maindefer sont prêts à faire des étincelles !

_ Barcus, n'encouragez pas Silesta, pria Gayle qui avait vu les prunelles de sa cadette pétiller de plaisir. Elle est en sevrage. »

Lui aussi impressionné par le nombre de soutiens venus les aider, Astarion ne sut trop où se mettre quand il croisa les regards d'Ulma et des Gurs. Il était vraiment étrange pour lui de se retrouver en collaboration avec le peuple qui l'avait tué deux siècles plus tôt et encore plus en sachant qu'il était la cause de la transformation de leurs enfants en vampires.

Heureusement pour lui, les Gurs ne voulaient se frotter qu'aux véritables ennemis de la Porte de Baldur. Ils n'avaient encore jamais chassé un monstre aussi énorme qu'un cerveau infernal mais ils étaient impatients de passer à l'attaque.

L'émergence d'un portail rougeoyant les fit sursauter alors qu'un corps imposant s'extirpait d'un pas lourd.

« Yurgir ? » s'ébahit Ombrecoeur.

Ce dernier sortit de son portail et affronta un silence angoissé de la part de l'assistance bouche bée de se retrouver nez à nez avec un orthon colossal. Il retroussa ses lèvres sur ses crocs en un rictus.

« Je vous l'avais dit. Vous pouvez compter sur moi, tueurs de diable. Et votre acolyte poulpe aussi. Il me tarde de repartir en chasse », se réjouit le démon d'un air prédateur.

Astarion remarqua les expressions pantoises des Gurs face au monstre des Enfers.

« Pas touche. Il est gentil », précisa-t-il avec nonchalance.

Son attention tomba par accident sur Tébur qui le fixait d'une œillade aussi perçante que lors de leurs précédentes rencontres. Le nain faisait-il toujours preuve de méfiance envers le gredin qui lui avait ravi sa fille adoptive ou était-il en train de jauger la capacité de celui-ci à se battre pour justement protéger sa fille adoptive ? Toujours était-il qu'Astarion ne pouvait souffrir d'une telle fixation sans réagir. Las, les circonstances dramatiques actuelles ne prêtaient pas spécialement à la moquerie. Quoique. Cet argument ne revêtait pas de réelle importance pour l'elfe insolent.

Le roublard préféra se concentrer sur l'arme que tenait Tébur.

« Je vois que vous êtes un homme de goût, le complimenta-t-il de sa voix onctueuse. Silesta m'a dit que vous étiez un redoutable lanceur de couteaux. Néanmoins, je pense qu'il va être contraignant pour vous de devoir aller récupérer votre poignard chaque fois que... »

Il contracta soudainement son corps quand un courant d'air frôla son buste et un son mat retentit non loin derrière. Astarion baissa les yeux sur lui pour voir un bouton de son pourpoint se détacher et tomber par terre avant de lever un regard livide sur Tébur qui avait la main encore tendue vers lui. Le nain siffla et le poignard qui venait de se planter dans une poutre revint à sa paume comme par magie.

Il... Il venait de couper le fil d'un bouton à cette vitesse et à peine à deux mètres de distance ? Il aurait pu le lacérer !

« T'inquiète pas pour moi, tête de boule de neige. Tâche juste de garder un œil sur Valyn. »

Le vampire lui rendit un sourire carnassier. C'était décidé : il prendrait grand plaisir dès que possible à expliquer à ce nain qu'il avait fait bien plus que garder un œil sur sa fille adorée. Il en perdrait tous les poils de sa barbe...

La voix du Poing Enflammé s'éleva pour couvrir les quelques discussions qui s'étaient engagées.

« Écoutez tous ! Toute la cour du palais ducal est infestée d'ennemis. Nous sommes peu nombreux mais notre volonté de protéger la ville et ce qu'elle représente résistera envers et contre tout. Nous nous battrons pour la Porte de Baldur, notre refuge, notre foyer, et pour celles et ceux qui y vivent ! Nous vaincrons ! Que l'esprit de Balduran soit avec nous ! »


Comment ça faisait plaisir de voir tous les potos réunis pour la baston finale. Je ne l'avais pas fait sur la première run mais là, j'ai pris un grand plaisir à les appeler. RIP les gnomes et Mizora s'est fait two-shot. Mais au moins, on me tapait pas. Seul Zevlor et ses copains ont tenus. Ce bordel monstre sur les portraits d'initiative avec en plus les goules d'AA, mes goules de la nécromancie de Thay et 4 élémentaires supérieurs invoqués XD

J'adore Tébur en mode « papa protecteur qui veut garder l'ascendant sur le beau-fils » XD Cliché ? Certes, mais drôle. Et puis, j'avais envie de recycler mon « tête de boule de neige », ça m'a rappelé des souvenirs de ma fic Death Note avec Mello et Near.

Concernant Orphéys, j'avoue, je me défausse complètement. En même temps, scénaristiquement parlant, il faut être réaliste : personne ne veut finir en poulpe et Lae'zel n'aurait jamais demandé à Orphéys de le faire. Ce mec, c'est un chad.

Et l'Empereur est un couard, voilà. Faites ce que je dis, pas ce que je fais. La confiance n'allait que dans un sens. Un personnage manichéen dans la forme mais en fait, il pose pas mal questions. Dans le fond, était-ce un enfoiré de manipulateur ou un être en quête désespérée de survie, peu importe les moyens ? Il y a de quoi débattre et c'est un sujet qui a enflammé la communauté.