Journal de la revieweuse :
Liline37 : Mdr moi aussi, je rigole de mes propres conneries XD Le duo Astarion/Tébur n'est pas terminé, je te le dis.
Je ne me fâcherai de rien du tout parce que ta remarque est loin d'être fausse :) Gayle et Silesta sont pareils, deux grands gentils qui ont tout pour s'entendre (et se plaire) et elle est bien conscience que dans une autre vie, c'est vers Gayle qu'elle aurait pu aller. C'est pour ça qu'elle ne pouvait pas le rejeter durement ou être surprise (du genre « Mais qu'est-ce que vous faites ?! ») parce qu'une part d'elle a toujours été sensible à ce qu'il est. Je voulais retransmettre cette affection « manquée » et ton commentaire me laisse entendre que c'est réussi.
Alors, que nous réserve le mystérieux Iwen ?
CHAPITRE LXIII – AU BORD DU GOUFFRE
Astarion s'efforçait du mieux qu'il pouvait pour slalomer entre les invités sans se montrer trop brusque et risquer de renverser le verre de quelqu'un. Le pressentiment qui lui tordait le ventre depuis quelques minutes ne l'aidait en rien à rester calme.
Depuis qu'il avait été séparé de Silesta après l'avoir vue danser avec Iwen Calis, l'elfe avait perdu la trace de sa compagne. La faute à ce troupeau de femmes qui lui était tombé dessus comme un typhon et avait retenu son attention trop longtemps. Où était passée Silesta ?
Le vampire revint une nouvelle fois à la salle de bal mais ne la trouva pas. L'avantage d'avoir choisi pour sa partenaire une robe noire là où toutes les autres coquettes s'étaient parées de jolies toilettes aux tons plus doux lui permettrait de vite la repérer dans la foule.
Son angoisse monta d'un cran quand Astarion réalisa que depuis qu'il était parti à la recherche de la jeune femme, il n'avait pas revu non plus Iwen Calis et son masque fantomatique.
« Il est forcément encore ici. Aucun hôte ne disparaîtrait en plein milieu de sa propre réception. »
Du moins, il voulait s'en convaincre. Cette façon quasi-magnétique que cet homme avait de dévorer Silesta des yeux pendant qu'elle dansait avec lui n'avait rien d'admiratif ou de flatteur. C'était de la prédation. Or, Astarion mettait un point d'honneur à être le seul « prédateur » dans la vie de sa compagne.
Son inquiétude était telle que le vampire en avait relâché sa vigilance et il bouscula un invité en passant trop près de lui.
« Ah, je vous prie de m'excuser, dit aussitôt le vampire. Pas de mal ? »
La victime de sa maladresse, un elfe aux cheveux gris, ne sembla pas s'inquiéter d'avoir renversé son verre mais parut plutôt étonné.
« Non, je... Mais cette voix... Astarion ? »
Le vampire se raidit et pria pour que ses pupilles dilatées ne trahissent pas le saisissement qui le tenait. Voilà un imprévu qu'il n'avait absolument pas envisagé quand il avait décidé d'accompagner Silesta dans cette affaire, même s'il n'avait jamais été question de la laisser y aller seule. Et pourtant.
Ce haut elfe au visage encore beau en dépit des rides qui creusaient ses traits fatigués avait troqué l'ancien blond foncé de ses très longs cheveux lisses pour la blancheur de la vieillesse. Ses yeux couleur œil-de-tigre n'avaient rien perdu de leur éclat vif, pas plus que son regard n'avait cessé de vous scruter densément pour vous analyser sous toutes les coutures quand venait l'heure de rendre une sentence.
Le vampire se sentit trembler malgré lui.
« Haut-juge Fenjor... »
Astarion se maudit aussitôt pour cette faiblesse mais il n'avait pas pu s'en empêcher.
Cet homme vu pour la dernière fois il y avait plus de deux siècles de cela était le juge avec lequel Astarion avait fait ses classes dans la magistrature avant d'entrer à son service suite à ses études de droit. En plus d'avoir été une source intarissable de savoir et de conseils, le haut-juge Fenjor avait fait montre auprès de son élève d'une patience infinie quand bien des avocats, greffiers et autres clercs de notaires ne rêvaient que de se débarrasser de ce jeune loup jugé bien trop sarcastique et hautain pour briller en magistrature.
S'il y avait bien une seule personne dans tout Faerûn pour laquelle l'insolent Astarion Ancunín n'avait jamais éprouvé le moindre sentiment négatif, c'était l'homme qui se tenait devant lui.
L'homme de loi considéra Astarion avec stupeur.
« C'est bien vous. Par la barbe de Tyr, comment est-ce possible ? Je croyais que vous... ? »
L'ancien apprenti se pétrifia un peu plus encore. Bien sûr que son mentor croyait qu'il était mort puisqu'il était bel et bien mort !
Une victime décédée après avoir été mordue par un seigneur vampire devait être enterrée pour être relevée plus tard en tant que rejeton. Après avoir perdu la vie face aux Gurs, Astarion n'avait jamais cherché à savoir comment sa disparition avait été gérée et perçue dans son ancien cercle de magistrature et avait toujours soigneusement évité de chasser des victimes pour Cazador dans cette sphère. À part peut-être ce faraud de notaire gnome pour qui il avait toujours eu une aversion réciproque et dont le nom lui échappait ; celui-là, il avait pris grand plaisir à le livrer à Cazador. Sa haine des gnomes devait venir de ce faquin imbuvable.
« J-Je... »
Astarion voulait disparaître. Il était incapable de réagir alors que le mouvement de pupilles du haut-juge Fenjor tiquait au rythme des pensées et des connexions qu'il était en train de créer dans son esprit. Le roublard eut l'impression que tout son sang refroidi depuis deux siècles était en train de s'évaporer quand les prunelles dorées de son interlocuteur s'agrandirent.
Il avait compris. Il avait compris que le Astarion devant lui était soit un doppelgänger, soit un mort-vivant. Mais le haut-juge Fenjor était bien trop intelligent pour ne pas remarquer la couleur sanguine qui n'avait rien à faire dans les iris de son cadet. Il comprendrait qu'il conversait avec un vampire.
Ce dernier se sentit perdre pied. Anticiper la grimace horrifiée que le vieil homme allait faire dans quelques micro-secondes lui gelait les entrailles. De toutes les personnes qu'il avait rencontrées depuis sa renaissance, pourquoi avait-il fallu qu'il croise l'homme en qui il avait eu le plus de respect ? La honte pouvait-elle être encore plus cuisante qu'en cet instant ?
Insondable, Fenjor plongea loin dans ce regard grenat livide qui le fixait avec angoisse. Puis il baissa un instant les yeux avec un faible sourire aux teintes nostalgiques et il posa la main sur le bras d'Astarion.
« La cour est bien silencieuse sans vous. »
Il pressa doucement sa main sur lui et le laissa après un dernier sourire, celui-là même qu'il avait toujours pour son élève quand les frasques grandiloquentes de ce dernier lui valaient des poussées aiguës d'inimité auprès de ses collègues.
Astarion demeura figé de longues secondes, saisi d'une émotion dont il ne se serait pas cru capable. Silesta avait raison. Le monde n'était pas composé que de personnes mal intentionnées.
Silesta !
Le vampire ravala le trouble que lui avait procuré cette rencontre impromptue avec son premier passé et rassembla ses esprits. Il ne devait pas s'attarder davantage alors que Silesta avait disparu. Il repartit au pas de course pour sonder la demeure Calis.
Hélas, sa rose noire aux cheveux argile était toujours introuvable. L'elfe pressa encore le pas, scannant chevelures et robes pour espérer trouver Silesta, en vain.
Ses pas lui firent quitter l'intérieur de la maison pour aller vers les jardins. Même à l'air libre, ses poumons étaient toujours compressés par l'angoisse. Où était-elle donc passée ?
Quand il reconnut la tunique violette de Gayle à l'ombre d'une pergola, Astarion fondit sur son allié mage comme un faucon.
« Avez-vous vu Silesta ?
_ Quoi, elle n'est pas avec vous ? s'indigna Gayle.
_ Je l'ai perdue après qu'Iwen Calis l'ait approchée. »
Les deux hommes échangèrent une brève œillade tendue avant de mettre leur ressentiment de côté pour scanner les jardins.
« Vous avez remarqué quelque chose dans son comportement ? interrogea Ombrecoeur qui passait en revue les visages à sa portée.
_ Il l'a reconnue, j'en suis sûr. Et si ce n'est pas le cas, il avait l'air drôlement intéressé par elle. »
Tout à coup, Astarion se contracta de tous ses muscles. La silhouette grège d'Iwen venait d'apparaître au détour d'une allée du jardin, entouré de quelques interlocuteurs avec qui il échangeait tranquillement. Mais aucune trace aux alentours d'une jeune femme rousse élégamment vêtue de noir.
« Qu'est-ce que ça signifie ? murmura Ombrecoeur qui se laissait gagner par un malaise étrange.
_ Il lui a fait quelque chose, affirma le vampire entre ses dents.
_ Comment aurait-il pu ? Il est le centre de toutes les attentions. »
Gayle se faisait la même réflexion que sa camarade prêtresse tout comme il partageait le même pressentiment qu'Astarion. Quelque chose accrocha alors son attention. Le magicien plissa les yeux un instant en se concentrant sur ce drôle de reflet qu'il avait cru voir sur l'homme au masque de porcelaine. Très vite, son impression se confirma et il écarquilla des yeux vides.
« Astarion a raison. Silesta est en danger. Cet homme là-bas n'est pas Iwen Calis mais une image miroir. Notre hôte n'est pas qu'un simple marchand, il est aussi mage. »
Le trio d'espions quitta précipitamment les jardins avec le cœur battant. Iwen avait sans doute réussi à isoler Silesta avant de lui tomber dessus et de se créer un alibi magique pour ne pas éveiller les soupçons. Mais comment la retrouver ? Elle ne pouvait pas être enfermée quelque part dans une pièce commune de la maison car il y aurait un trop grand risque d'attirer l'attention.
« Il faut passer toute la propriété au peigne fin, décida Astarion.
_ Entendu. Mais allons d'abord récupérer Lae'zel dehors, suggéra Gayle. Qui sait, elle aura peut-être vu quelque chose. »
Le groupe contourna la demeure par les jardins qui étaient moins peuplés que l'intérieur de la maison et passèrent la belle arche forgée qui constituait l'entrée de la propriété.
Assise droite comme un « I » contre le rebord d'une fontaine qui glougloutait au milieu de la place, Lae'zel se redressa en voyant ses alliés arriver au pas de course et plissa les yeux en réalisant qu'il manquait quelqu'un.
« Et Silesta ? les héla-t-elle de sa voix sifflante.
_ Disparue. Ulryn avait raison, ce Calis sait quelque chose, grinça Ombrecoeur. Avez-vous vu ou remarqué quelque chose d'étrange ?
_ Hormis l'appétence des nobliaux pour les fanfreluches ridicules et des gens qui entrent et sortent ? Rien.
_ Alors venez avec nous, nous allons...
_ Inutile. »
Le groupe se retourna de concert vers cette voix jeune derrière eux. Un synchronisme parfait les réunit soudainement et leurs yeux s'écarquillèrent d'effarement face à ce jeune demi-elfe aux cheveux brou de noix et aux yeux tilleul qui leur faisait face.
« Je crois savoir où est Valyn. »
Il eut un mouvement de recul prudent quand trois de ses quatre interlocuteurs firent un pas vers lui.
« Layos ? souffla Gayle. C'est bien toi ? Le garçon que Silesta a reconnu ?
_ Qu'est-ce que tu fais là alors que tu as fui la dernière fois ? exigea Astarion avec hargne. Où est-elle ? Je n'aurai aucun scrupule à égorger un gamin alors parle.
_ Je vous déconseille de me toucher », répondit calmement le garçon en remuant ses doigts gantés. Il fronça les sourcils avec gravité. « Je vous expliquerai tout en chemin. Suivez-moi, vite. Valyn est en danger de mort. »
Sa tête était de plomb et son corps était à la fois mou et pesant. Son esprit cherchait à regagner en lucidité mais les images qui essayaient de s'esquisser pour expliquer ce qui s'était passé s'entrechoquaient dans une bouillie indigeste de contours et de traits sans forme. Le mal de tête qui la faisait souffrir la contraignit à abandonner pour l'instant. Le froid contre sa joue l'aida à faire le vide et à reprendre doucement conscience de son être. Elle était allongée par terre dans un endroit frais. Le décolleté dans son dos hérissait sa colonne vertébrale de frissons.
Petit à petit, elle entendit sa respiration et se calqua dessus pour s'aider à rassembler et dissocier les images qui se clarifiaient dans sa tête. La vue d'un jardin magnifique baigné de la lumière de l'après-midi. Un masque de porcelaine. Deux apatites glacées dans un visage ravagé.
Elle sentit ses poings se resserrer contre la pierre. Cet horrible visage dont presque tous les traits avaient été effacés... Vite, penser à autre chose. Que s'était-il passé après cela ?
Sa vue était pourtant restée claire mais c'était comme si elle ne voyait pas. Elle était là sans être là. L'horrible visage défiguré s'était transformé en un homme au visage inconnu. Ensuite, elle s'était sentie bizarre, comme lorsque Gayle l'avait transformée en gnome pour entrer dans la fonderie. L'homme inconnu lui avait pris le bras. La demeure Calis. Son portail d'entrée. La fugace vision de Lae'zel qui surveillait depuis la fontaine. Les rues de la Porte de Baldur.
Silesta fronça les sourcils en retenant un gémissement. C'est ça. Elle avait été contrôlée, transformée en quelqu'un d'autre et elle avait été exfiltrée de la propriété Calis dans le plus grand détachement et sans que personne ne s'en rende compte. Et celui qui l'avait enlevée...
« Je t'ai connue plus endurante. »
Cette voix traînante et moqueuse lui fit froncer les sourcils. Silesta ignora les relents sinueux qui ondulaient encore dans ses pensées embuées et força pour rouvrir les paupières avant de les refermer presque aussitôt. Une lueur vive émanait du sol juste à hauteur de ses yeux. Elle refit une tentative et tint bon jusqu'à ce que son environnement ne lui apparaisse.
Comme elle l'avait deviné auparavant, elle avait été emmenée dans une salle sombre dont la seule source de luminosité résidait dans les quelques torches accrochées aux murs de pierre froide et ces symboles magiques tracés par terre tout autour d'elle.
Silesta se redressa lentement sur se mettre assise. Tout de suite, son regard se centra sur la silhouette d'Iwen Calis qui se tenait non loin d'elle et un violent frisson de dégoût la secoua. C'était encore pire que dans son souvenir flou.
L'homme devant elle ne pouvait plus vraiment prétendre à cette appellation tant son visage n'avait plus rien d'humain. C'était comme s'il avait été brûlé vif avant d'avoir figé ses chairs calcinées dans un bain de cire. Seuls ses yeux céruléens, magnifiques et perçants, avaient été épargnés et prenaient grand plaisir à apprécier toute la révulsion qui décomposait ce visage effrayé devant lui.
« Quoi ? Je te fais peur ? »
La jeune femme réprima son écœurement sous un nouveau frisson.
« V-Votre visage... »
Elle fut surprise de lire une franche incrédulité dans les yeux de son interlocuteur. S'il s'agissait bien d'incrédulité. Il était autant difficile de garder les yeux sur cette figure détruite que d'en lire les émotions.
« Pardon ? s'étrangla Iwen dans une voix frémissante de colère. Dois-je te rappeler ce que tu m'as fait ?! »
Silesta recula sous cet éclat de voix enragée et se fit vite arrêter par une violente décharge dans le dos qui la fit tressaillir au point de chanceler. Un simple coup d'œil à ses pieds lui permit de comprendre qu'il s'agissait du cercle de runes autour d'elle qui agissait comme une cellule magique.
Iwen approcha la jeune femme en l'inspectant de haut en bas dans un mélange de fascination et de rage. Il tourna autour d'elle tel le vautour affamé.
« Je m'emporte, je m'emporte, mais certes... Tu dois être surprise de me voir vivant. » Il s'arrêta devant elle et ancra ses yeux dans les siens. « Tout comme moi j'ignore comment tu es encore en vie. »
Silesta pinça les lèvres, de plus en plus terrorisée. De quoi parlait-il ? Comment pouvait-elle être la cause de la défiguration de cet homme ? Et pourquoi s'adressait-il à elle comme à un fantôme ? Elle allait devenir folle face à la foule de questions qui s'entassaient dans son esprit et se pressaient à sa bouche.
Ses pensées confuses parvinrent à l'arracher de l'immonde vision du visage d'Iwen et portèrent sa vision plus en retrait vers une autre source lumineuse qu'elle n'avait pas remarquée tout de suite. Silesta remua sous la surprise qui l'étreignit.
De l'autre côté de la pièce, entouré par un autre cercle magique se dressait un autel de pierre sur lequel reposait une femme. Âgée d'une quarantaine d'années, l'inconnue avait de longs cheveux châtains aux mêmes reflets roux que ceux d'Iwen. Ils étaient impeccablement peignés et lissés le long de son corps immobile et couvraient ses bras. La position de ses mains jointes sous sa poitrine rappelait celle des gisants sur les couvercles de tombe.
Silesta pensa tout de suite que cette femme était morte jusqu'à entrapercevoir le faible mouvement de sa poitrine qui se soulevait sous une calme respiration. Nonobstant son soulagement de savoir l'inconnue juste endormie, la jeune femme rousse trouvait toutefois inquiétante l'extrême pâleur de sa peau diaphane.
Resté proche d'elle à surveiller, Iwen n'avait rien perdu des tics de surprise qui avaient ponctué les expressions de la saltimbanque. Il ne comprenait pas ses réactions.
« Tu as oublié de qui il s'agit ? »
La jeune femme détacha son regard de l'endormie pour son kidnappeur. Elle devait avoir l'air suffisamment perdue et effrayée pour ne pas avoir à répondre car l'homme poursuivit :
« Elle n'a pourtant pas changé. Il s'agit toujours de Feyre, ma sœur aînée. »
Sa sœur. Le lien de parenté paraissait évident maintenant qu'elle prenait le temps de mieux regarder le visage de la femme pour y retrouver la même forme de pommettes en plus de la couleur des cheveux. Cela faisait peut-être un mystère en moins mais il était très loin d'être le plus important de tous. Pourtant, la question suivante qui venait à Silesta ne l'était pas spécialement plus.
« Elle est malade ? »
La perplexité qui n'avait pas quitté Iwen depuis de longues minutes se tiédit dans une profonde réflexion dont le silence agaça encore plus sa prisonnière :
« Qu'est-ce que vous me voulez à la fin ? » s'impatienta Silesta entre colère et angoisse en serrant les poings. « Si mes questions ou mes réponses vous intriguent, c'est très simple : je suis amnésique. »
Le visage de l'homme s'éclaira alors que se révélait enfin une partie des réponses qu'il espérait. Bien qu'il ne fût pas certain de la cause, il ne pouvait nier que cette amnésie n'était pas si surprenante après tout. Il eut un rictus puis recommença à tourner autour de la prison magique qui retenait Silesta.
« De quoi te souviens-tu exactement à propos de tout ce qui t'entoure ? »
La jeune femme regarda une nouvelle fois autour d'elle, en vain. Elle ne se souvenait pas de cet homme ni de sa sœur, pas plus qu'elle ne connaissait cet endroit. Rien de ce qui se trouvait dans cette salle humide et froide ne...
Soudain, elle se figea, les yeux grand ouverts.
« Ça ! »
Elle s'était exclamée sans aucune retenue, muée par l'effarement qui venait d'éclater en elle à la vue d'une gravure dans une pierre au-dessus de la porte : un cercle qui s'entrecroisait dans un triangle avec à l'intérieur un œil. L'emblème inconnu qu'elle ne cessait de dessiner dans ses crises somnambuliques !
« Ce symbole ! pressa-t-elle d'une voix tremblante. Qu'est-ce que c'est ? Je le vois dans mes rêves ! »
Iwen leva les yeux à son tour sur la gravure puis son regard s'égara dans le vide de ses pensées. Ses pupilles allèrent et vinrent d'un coin à l'autre de ses prunelles avant de se figer. Enfin, il éclata de rire. Un rire névrosé et forcé, comme s'il avait été mis face à la chose la plus déconcertante et absurde de toute sa vie.
Silesta le laissa rire comme un dément sans oser se risquer à insister avec ses questions. Iwen avait l'air tellement fou en cet instant que la jeune femme ne savait pas si elle voulait vraiment chercher à savoir ce qu'il venait de comprendre.
Après avoir cessé de rire, l'homme regarda de nouveau sa captive quelques instants et chassa la nouvelle hilarité qui montait en lui en secouant la tête.
« Par tous les dieux... lâcha-t-il dans un soupir abasourdi mais ravi. Le hasard peut être d'une ironie innommable. Que tu te sois retrouvée mêlée au Conclave après que... Oh... Ho ho ho ! Et moi qui... Oh, c'était tellement improbable...
_ L-Le Conclave ? C'est l'organisation qui se cache derrière cet emblème ?
_ Le Conclave du Sceau de l'Aurore. Mais je suppose que l'appellation complète ne t'évoquera rien du tout. »
Iwen cessa de tourner autour de Silesta et s'arrêta devant elle. L'étincelle qui venait de s'allumer dans son regard la fit frémir de peur.
« Je vais pouvoir reprendre où j'en étais. Mieux. Cette fois, j'irai jusqu'au bout de mon objectif. Impero tibi. »
D'un geste circulaire de la main, l'homme invoqua depuis les runes au sol des chaînes de lumière qui vinrent s'enrouler autour des bras, des jambes et de la gorge de Silesta, imposant à cette dernière de se trouver à genoux. La tension exercée entre ses bras et son cou tirés en arrière contraignait la jeune femme à surveiller son port de tête au risque de souffrir.
Le rictus cruel d'Iwen s'étira d'un cran quand Silesta l'assassina du regard.
« Depuis le temps que j'avais envie de te redire ces mots... » Il tendit la main vers elle. « Quod exeatis sumo ! »
Silesta se raidit et ferma les yeux dans un réflexe apeuré mais rien ne se produisit. Elle rouvrit prudemment un œil sur un Iwen bouche bée par l'absence de réaction de sa formule magique.
« Pourquoi ça ne marche pas ? s'énerva-t-il.
_ Laissez-moi partir ! s'écria sa prisonnière qui essaya de se libérer de ses liens, en vain. À l'aide ! Au secours !
_ Crie tant que tu veux, personne n'aura aucune idée où te... »
Iwen s'interrompit alors qu'il observait au loin l'emblème du Sceau de l'Aurore gravé dans la pierre. Une étincelle de ravissement pervers embrasa ses iris clairs.
« Mais oui, bien sûr ! Le blocage ne peut venir que de là ! réalisa-t-il en écarquillant les yeux. J'aurais dû comprendre tout de suite ! »
Une nouvelle vague de terreur vibra dans la colonne vertébrale de Silesta quand elle vit son geôlier tendre les paumes face à elle pour les faire lentement glisser de haut en bas comme s'il voulait sonder son âme.
« Te video. »
Un étrange fourmillement traversa la jeune femme qui en frissonna de gêne, lui provoquant en conséquence une nouvelle douleur dans sa nuque raide.
Une lueur pâle l'attira du coin de l'œil et son sang ne fit qu'un tour. Sur ses jambes découvertes sous les replis de sa robe, Silesta voyait les runes magiques gravées en elle se révéler sous une lumière de plus en plus forte jusqu'à éclater aussi vivement que lors du rituel d'Isobel. L'angoisse qui grimpait en flèche chez elle trouva un effet miroir inversé dans l'ébahissement qui dilata les pupilles d'Iwen face à ce spectacle incroyable.
Hypnotisé par ce qu'il contemplait, le mage approcha Silesta qui chercha une nouvelle fois à remuer pour fuir. Elle poussa un cri quand il tira d'un coup sec sur le décolleté de sa robe pour le déchirer et constater que la farandole de symboles magiques se poursuivait bel et bien sur l'ensemble du corps.
Des larmes de terreur et de rage montèrent à ses yeux orageux quand il contempla son corps comme si elle était une curiosité. Un bourdonnement familier commença à vibrer à ses oreilles et son corps se durcit. Son spectre se réveillait.
« Tiens donc, c'est nouveau... siffla Iwen en se laissant à caresser une rune du bout de l'index. Ce n'est pourtant pas le genre de procédé dont j'ai entendu parler en arrivant au Conclave. Extermination ou consommation. Mais contention... ? »
Silesta tressaillit à l'évocation de ce mot qui résonnait si fort en elle ; les autres lui inspiraient encore plus d'horreur. Consommation ? Extermination ?
À présent, c'était tout son corps qui palpitait sous une salve de pressentiments atroces. Des messages sensoriels inondaient son cerveau d'injonctions de faire quelque chose pour se libérer mais surtout, sauver sa vie. Sa mémoire aveugle s'affolait et pressait de toutes ses forces sur les parois de son esprit la sourde réminiscence d'une terreur enfouie.
Un nouvel essai de mouvement lui fit étrangler un gémissement.
« Je me demande combien de temps il a fallu pour créer ce réseau de sceaux, poursuivit Iwen en laissant son index descendre vers le nombril de son otage. Mais comment.. ? J'étais sûr que tu étais morte... »
Silesta se débattit violemment en dépit de la souffrance quand il fut sur le point de descendre trop bas.
« Je vous interdis ! rugit-elle d'une voix enragée qu'elle ne se connaissait pas.
_ Ah... sourit le mage. Ça, c'est la Valyn que je connais.
_ Pourquoi suis-je ici ? Qu'est-ce que vous me voulez ! »
Elle s'entendait vociférer avec la même voix que celle du spectre dans sa tête.
Non. La réalité était pire que ça. Elle réalisa avec épouvante qu'elle était la voix du spectre. Celle qui l'avait exhortée de détruire Cazador et de faire payer ceux qui menaçaient ceux qui ne pouvaient se défendre.
Iwen plissa les yeux sur sa captive avec un immense sourire satisfait. Encore ce regard qui lisait droit dans son âme.
« Je veux ce que tu ne vois pas. Ce qu'on a visiblement voulu cacher mais qui va me servir. » Sa folie disparut le temps du bref regard qu'il eut vers Feyre avant de revenir sur sa prisonnière. « J'ignore comment tu as fait pour survivre mais ces runes parlent d'elles-mêmes : tu es la même qu'autrefois... et peut-être plus encore. »
Silesta ne comprenait strictement rien à ce qu'il racontait. Tout ce dont elle était sûre était que la panique qui l'étreignait de plus en plus froidement lui faisait comprendre qu'elle tutoyait un danger au-delà de tout ce qu'elle avait rencontré jusqu'ici.
L'homme eut un soupir contrit. Il ressemblait à Balthazar quand il parlait de son frère jumeau mort-né et de sa bisbille avec sa mère.
« Quelle tristesse de devoir détruire un tel travail d'orfèvre. Ce sceau de contention a dû nécessiter tellement de temps et de concentration. Que Mystra me pardonne. »
Silesta se statufia. Il allait briser le sceau.
Les runes de contention. Ce qui était scellé. Sa mémoire. Le rituel de Séluné. Le marché avec Raphaël.
« NON ! s'écria-t-elle d'une voix blanche en s'agitant avec l'énergie du désespoir. Non ! Je vous en supplie !
_ En tant que mage, je suis aussi attristé que toi. Surtout quand il s'agit de l'œuvre de confrères, se désola-t-il faussement avant de baisser la voix en aparté pour lui-même. Il faudra d'ailleurs que je me renseigne au Conclave pour savoir qui est capable d'une telle prouesse magique... Welvyr, peut-être ? Ou Brynja ? Non, pas Brynja. Elle serait plus du genre à opter pour l'extermination... »
La saltimbanque ne l'écoutait pas monologuer. Sa voix intérieure qui s'époumonait de toute sa violence était couverte par l'affolement.
« Malheureusement, peu importe qui a réalisé ce sceau, il n'a pas choisi la meilleure option pour te préserver de quelqu'un qui a l'œil comme moi. »
Il cligna ostensiblement des yeux pour marquer un faux étonnement quand il remarqua quelque chose.
« Oh ! Mais dis-moi, ne serait-ce pas un autre type de sceau que je devine autour de ton front, hmm ? Le genre de sceau qui pourrait... te sceller la mémoire, peut-être ? Comme ils ont été prévenants... »
Elle baissa lentement les yeux vers la paume ouverte d'Iwen qui commençait à briller de magie. Son esprit se fit blanc quand il lui sourit. Le même sourire démoniaque de Cazador face à Astarion.
Astarion...
« Video veritatem. »
Une main sur son front. Une douleur indicible. Une éruption dans sa tête. Un hurlement déchirant.
Un flash.
J'aime toujours mes fins de chapitre T.T
Oui, je sais, tout cela est encore sibyllin mais ça va s'éclaircir tout doucement.
En fait, je pense qu'une fois que cette fic sera terminée (ou même quand l'arc Silesta sera terminé), il pourrait être intéressant de la relire depuis le début. Quand vous aurez les tenants et les aboutissants, vous verrez peut-être l'aventure de Silesta différemment :) (et comment je me suis pris la tête à répartir son histoire un peu partout)
Je sais que ce n'est pas DU TOUT le plus important dans ce chapitre, mais j'aime beaucoup la petite parenthèse du début avec Astarion. J'avais envie de lui inventer une tranche de vie car son passé pré-Cazador est bien vide. Je le vois bien en jeune loup aux dents longues en train de rendre une cour de justice complètement dingue avec son caractère insolent, le tout sous la sage supervision d'un haut-gradé qui essaie de le cadrer. Je trouvais ça drôle et touchant.
