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6. BI-PANIC

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Personnage : Daphné Greengrass

Contraintes : Pré-au-Lard + Felix Felicis + Récit au passé + Inventer un sortilège

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Daphnée sentit le liquide couler dans sa gorge. La texture était plus épaisse qu'elle ne l'aurait cru mais la saveur sur sa langue lui rappela le miel. Le miel d'été, de fleurs et d'acacia. Elle reboucha le flacon avec précaution avant de le jeter dans la poubelle de la cuisine. Cette fiole en verre qu'elle avait subtilement dérobée dans le laboratoire de son beau-frère. Bien au fond, enfouie sous un amas de déchets qui lui soulevèrent un peu le cœur. Juste par sécurité, pensa-t-elle en se lavant les mains.

L'automne était amorcé, les trottoirs se couvraient de feuilles mortes dans un ravissant panel de teintes chamarrées. Il faisait encore doux, l'air était sec et elle laissa ses cheveux virevolter dans la brise en déambulant dans Pré-au-Lard. Elle se sentait bien, si bien que c'en était étrange. Elle ne chercha pas à rejeter ce sentiment de plénitude intense, cependant. Elle accepta de se laisser porter par lui, enveloppée dans un cocon d'euphorie électrisante et poussa la porte des Trois Balais en souriant avec une béatitude qui ne lui ressemblait pas.

– Salut Torie, lança-t-elle à sa sœur en la rejoignant à la table.

– Ah te voilà !

Astoria se pencha par-dessus la table pour lui déposer un baiser sur la joue. Elle avait tant de grâce, une élégance noble et pudique qui sublimait chacun de ses gestes.

– Je nous ai déjà commandé des bièraubeurres.

– C'est parfait, merci. Alors, comment vas-tu ?

– Je suis sur les rotules, l'informa Astoria en s'affaissant sur elle-même. Le fleuriste vient de nous lâcher et puis Drago est super furax parce qu'il n'arrive pas à remettre la main sur une de ces fioles de Felix Felicis. Tu le connais, si on…

Mais la voix d'Astoria et ses futiles babillages furent soudain éclipsés. Daphnée ne pouvait plus entendre, elle ne voyait plus que cette incroyable beauté qui venait de leur apporter leurs consommations. Hannah Abbott. Ses mèches blondes étaient une couronne d'or sur son front blanc. Ses lèvres framboise, deux collines qui n'appelaient que les siennes. Et son regard. Ses yeux d'un vert d'eau si différent du sien, deux lacs dans lesquels il semblait si facile de se noyer, surplombés de cils comme des nénuphars oscillant à la surface.

Les secondes s'étirèrent, insoumises aux lois de la temporalité, et le cœur de Daphné manqua tant de battements qu'elle songea qu'il s'était arrêté. Ses mains devinrent moites quand elle entoura son verre de ses doigts et elle ne réalisa même qu'elle marmonna un vaporeux merci du bout des lèvres.

– depuis que… Non, soupira Astoria en attrapant son regard contemplatif au vol. Par Salazar, dis-moi que tu n'as pas fait ça ?

– Torie…

Sa sœur la regarda fixement un moment, partagée entre incrédulité et un évident agacement. Elle avait levé son verre, le portant à sa bouche, avant de suspendre son mouvement en même temps que ses mots. Il plana un silence gêné et Daphné tenta de dissimuler son malaise derrière un sourire mal assuré, sa bouche pleine s'arquant pour ne former qu'une grimace accablée.

– Par tous les diables Daphnée, mais tu as décidé de faire chambre à part avec ton cerveau ou quoi ?

Astoria avait toujours été la plus mesurée des deux. Tout à la fois discrète et sûre d'elle, sa vie et ses choix n'avaient jamais eu à subir les doutes qui affligeaient Daphné. L'aînée avala une longue gorgée de sa boisson pour se reforger un semblant d'assurance.

– Ecoute, ne t'énerves pas, tu veux ? J'ai juste… pensé qu'un peu de chance m'aiderait à faire un choix.

– Oh Daphné…

Face à elle, les bras gracieusement croisés sur sa poitrine et une moue boudeuse ancrée au coin des lèvres, Astoria secoua lentement la tête.

Dans ce silence qui persistait, Daphné laissa ses pensées s'égarer. Elles couraient sur ses souvenirs, roulaient dans sa mémoire et sur les fragments d'images imprimées derrière ses paupières. Des femmes, des hommes, des êtres qui faisaient pulser le sang dans ses veines un peu plus vite, un peu trop fort. La figure d'Hannah se matérialisa en premier, puis vint celle de Theo.

Son cœur, invariablement, reprit sa course folle dans sa poitrine.

Theo et ses cheveux bruns. L'énigmatique aura de pureté et de nonchalance entrelacées qui l'entourait. La lumière vivant au fond de ses yeux noirs, un éclat d'obsidienne occultant le reste du monde. Dans ce regard-là aussi, Daphné pouvait s'oublier.

– Sanatio, prononça Astoria.

Et comme il était arrivé, Felix s'en alla.

– Drago m'a appris ça, au cas où l'un de nous consommerait cette potion par erreur, expliqua-t-elle. Pour le mariage… Viens avec une fille ou un garçon. Ou les deux si tu préfères.

Sa sœur rejeta ses cheveux en arrière, le regard rieur.

– N'importe qui mais par pitié… pas Binns.

Sanatio – Latin « sana » : guérir.